jeudi 14 février 2013

Tashuur. Un anneau de poussière

C’est en Asie du sud-est, dans les longues steppes de Mongolie, sur des hectares d’herbes rases et de terres sèches, que Pascal Commère nous invite à le suivre. Là-bas, l’horizon s’éloigne au fur et à mesure que l’on marche. Les traces que les hommes et les troupeaux laissent derrière eux s’effacent à la vitesse du vent. C’est le domaine de l’éphémère et de l’instant présent mais aussi celui de la préparation d’un futur directement lié à la vitalité des bêtes. Il faut les mener à la rencontre de l’herbe, se déplacer fréquemment, ménager les chevaux et se faire à l’idée que « le piétinement de la horde sur la steppe » est le signe régulier et répété d’une vie en cours en ces contrées réputées rudes.

« Pour l’herbe le remuement des cheptels
ô tournis ravageur des galops en rafales,
les sept pouvoirs de la pluie – si l’eau
attendue tant et tant vient à manquer »

Pour partager, même brièvement, le quotidien de ce peuple nomade, Pascal Commère sait rester discret et disponible. Il est à l’écoute de ces hommes, de ces femmes, peu diserts mais néanmoins curieux et désireux de savoir ce qui le guide, lui qui reçoit, comme tous « ceux qui passent », sa part de repas et de respect.

« Rien ne se gagne, rien ; le sommeil disperse les songes au rythme de la steppe. Tu mords à pleines dents. Maintenant que te voici parmi eux, libre. Et fier, pour un peu. Semblable et différent. »

Ce qui le rend proche d’eux, c’est ce silence qu’il parvient à garder, ce tabac qu’il échange, cette même patience portée aux bêtes, et notamment aux chevaux qu’il n’a, depuis l’enfance, jamais vraiment cessé de côtoyer. Il se sent bien avec les cavaliers mongols qui, ne se séparant jamais de leur petit fouet nommé Tashuur, serrent, rassemblent et guident sans relâche les troupeaux. Ceux-ci forment de longues cohortes et soulèvent des nuages de poussière dans l’immensité désertique. Il les accompagne un temps. Note le soir « une ligne, ou deux, sur un carnet », revient sur une scène entrevue (« un homme aux cheveux gris très courts – il passe une main sur son visage pour détendre les rides qui viennent avec l’âge »), esquisse des portraits brefs (« Elle, peau de feu – les seins pris au bol, qui remplit au creux d’herbe un bidon d’eau terreuse »), toujours avec ce peu de mots et ces raccourcis tendus qui lui permettent de transmettre la vigueur d’un geste, la force d’une émotion ou la blessure qui lance sous le sang séché.

Avant, et après, cette incursion dans la steppe qui donne sa densité au livre, il y a l’escale (aller-retour) à Oulan-Bator (ou Ulaan Baatar), la capitale, vers laquelle convergent la plupart des pistes empruntées par les nomades qui viennent ravitailler boucheries et fourreurs.

« Mais voici qu’on cloue dans la cour les caisses assujetties au dos des bêtes bâtées avec des cordes : l’inscription en grandes lettres noires dans le sens de la largeur Destination Ulann Baatar. Empilées en tas énormes, les briques de thé faites de sang de bœuf et de feuilles de thé comprimées qui valent monnaie au Tibet, les bottes de cheval mongoles – une pleine voiture à bras, les peaux de zibeline et renard par milliers. La marchandise ! ».

En ville, le grand marché ne cesse jamais. Camions et taxis rasent les piétons. Des milliers de tougriks (la monnaie locale) changent de main. Les klaxons hurlent. Dans les rues du centre, personne ne regarde les « mendiants, estropiés de tout poil » assis à hauteur des pots d’échappement. Ici comme ailleurs, le business et la misère ne sont jamais très éloignés l’un de l’autre. Cela aussi, Pascal Commère l’écrit. Ou plutôt : donne assez de clés au lecteur pour que celui-ci prenne la mesure de cette réalité. Poète, rien ne lui échappe. C’est un témoin incisif et vigilant, un homme « seul face aux mots » et à la langue qu’il ne cesse de travailler, de pétrir, créant une étrange et très probante alchimie où sang et sève, corps et terre, hommes et bêtes se trouvent, inextricablement, liés.

 Pascal Commère : Tashuur. Un anneau de poussière, éditions Obsidiane.



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