vendredi 25 octobre 2013

Irène, Nestor et la vérité

Irène partie, emmenée, on imagine (rien n’est prouvé, tout est suggéré) par une ambulance à destination d’une clinique où l’on tente de réparer les vies qui dévissent, Nestor s’interroge. Il sort un vieux cahier du placard et cherche, assis à la table de la cuisine, le dictionnaire grand ouvert à la lettre v, et plus précisément à la page où figure le mot vérité, ce qui a pu clocher dans cette histoire d’amour où deux solitudes, un jour, se sont rencontrées et reconnues. À son avis, les torts sont imputables à Irène. Qui lui a menti. Par omission ou par pudeur, peu importe, elle n’a pas joué franc jeu avec cette vérité qui lui tient tant à cœur et dont il vérifie à nouveau le sens.

« Ça m’a toujours semblé important d’avoir la certitude des mots, parce qu’il n’y a de vérité que dans la définition et qu’elle est décidée par ceux qui ont réfléchi. »

Armé de sa quasi bible, Nestor, cinquante ans, désœuvré, claudiquant, seul, à peu près sûr de lui, s’adonnant au vin rouge, sujet à une paranoïa bien trempée, de plus un rien obsessionnel, ressasse et soliloque. Trop terre-à-terre pour pouvoir pénétrer dans le monde secret de celle qui n’est plus à ses côtés, il navigue entre amertume et regret, remontant le cours de leur histoire en s’attardant la plupart du temps sur ses propres déceptions et en s’étonnant de ne pas vraiment connaître la femme qui partageait sa vie depuis plus de dix ans.

« Ce que je sais d’elle tient en quelques mots. Une ville, une école, une université car elle y avait été. Un carnet sur lequel elle gribouillait. Un paquet de cigarettes. Une robe sans âge. Des bottines à lacets. Une fixation sur la mer. Rien d’autre ou par recoupements. »

Irène, de son côté, se souvient elle aussi. Sa voix est plus intense. Son vécu plus intérieur, plus sensible aux odeurs, aux sensations, plus en phase avec la nature, la forêt, la pierre, le soleil, les mouettes. Il y a en elle un imaginaire et un élan qui butent inexorablement sur la réalité. Une envie de partage qui ne collait plus avec cette vie de recluse à la campagne qu’elle a mené aux côtés d’un homme dont elle s’est peu à peu détachée.

« Je n’ai pas grande pensée sur les choses mais il me semble me souvenir d’une gaieté jadis vécue et de ricochets qui ont bondi longtemps. »

Au-delà des portraits incarnés et ciselés de deux êtres en marge, qui  se dévoilent alors qu’ils sont au bord du gouffre, (s'y ajoute un regard extérieur mais proche, celui du voisin apiculteur) la vraie réussite de ce premier roman de Catherine Ysmal tient dans la densité de son écriture et dans la faculté qu’elle a de passer d’un personnage l’autre en s’attachant à saisir, par petites touches, le caractère bien déterminé de chacun d’entre eux. Elle révèle ce qui ne peut qu’entraver leur harmonie, tous ces manques, ces retenues, ces réflexes qui les empêchent de s’abandonner totalement. Tous deux, tous trois même, s’expriment à tour de rôle et à plusieurs reprises, distillant au fil du texte des détails qui permettent de comprendre leur psychologie, leurs failles, leur passé et leur difficulté à se mouvoir dans une société où ils ne trouvent plus leur place.


 Catherine Ysmal : Irène, Nestor et la vérité, Quidam éditeur.


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