lundi 18 novembre 2013

Terre sienne

Si Terre sienne a été écrit en « regardant intensément », comme le note en fin de volume Yves di Manno, des peintures destinées à trouver place dans un livre peint de Mathias Pérez, il n’en demeure pas moins poème autonome, apte (après avoir pris corps) à tenir et à avancer de page en page en délimitant son propre espace. Il bouge en même temps que le regard. Il semble se placer alternativement dedans et dehors, glissant « du noir au vert », tour à tour à l’abri (précaire) d’une vitre cassée et au contact d’éléments soumis à de grandes turbulences.


« (ce qu’on voit à travers
n’est pas le pré

déterminé ni le ciel

à l’envers, l’étendue
d’ombre bleue surplombant

les corps couchés
dans la nuit verte) »

Ce qui a lieu dans les tableaux comme dans le poème apparaît sombre et douloureux. S’y dessinent un décor, un paysage, des lumières basses, des corps pris dans la glaise... D’autres détails encore, plus secs, plus rudes, disent qu’il y a là entailles et coutures, désolation et désir de réparation.

« comme un besoin de la
meute ignorée

froissant le rideau
des fourrés, abandonnant

à l’humus, à la glaise

les corps aux torses
lacérés »

Yves di Manno ne s’imprègne pas seulement de l’œuvre du peintre. Il y ajoute une implication physique et sensitive qui lui permet de toucher de près la rugosité d’un trait de pinceau, la brusquerie d’un geste bref, l’épaisseur de la matière, la place infime des êtres perdus entre ciel et sol ou la légèreté apaisante du vent dans les herbes folles. Conçu en deux volets (terre et sienne), « ce-livre-ce poème », s’empare de la page pour que s’y impriment les différentes nuances d’un paysage habité, vu, senti, ressenti par celui qui, inévitablement relié aux champs, au pré, à la terre, ne s’y absente que pour mieux y revenir.

« langue de terre
(sienne)

s’avançant dans la nuit
dont j’émerge

chaque jour ayant dû

ignorer le corps
qui la signe...

 Yves di Manno : Terre sienne, éditions Isabelle Sauvage (Coat Malguen – 29410 Plounéour-Ménez).

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