mardi 9 septembre 2014

L'échappée

On le surnommait l’Ange de la montagne. Roland Barthes, dans ses Mythologies, le voyait en "Rimbaud du Tour" . Il était frêle, taciturne, solitaire. Il appréciait tout particulièrement la pluie et parvenait, dès qu’une route en lacets atteignait des pourcentages respectables, à créer de grands écarts dans les étapes de montagne. Charly Gaul gagna ainsi le tour de France en 1958 et s’imposa dans le tour d’Italie en 1956 et en 1959.

« Quand il domine un Tour de France d’anthologie, en 1958, le champion luxembourgeois est déjà mon héros.
Je ne jure, ne respire que par lui, qui rougit, bredouille au micro lorsque l’un des reporters des actualités cinématographiques l’abreuve de compliments. »

Lionel Bourg n’a pas dix ans quand il reconnaît en ce coureur cycliste un être capable de donner, à distance, un peu plus de fierté, de couleurs et d’optimisme à son quotidien d’enfant vivant dans une famille en souffrance. Comme dans presque tous ses textes, la part autobiographique est ici la matière même du récit. La présence de Charly Gaul, et ses exploits, sa fougue, son panache, viennent opportunément rétablir l’équilibre dans un univers plombé par la tristesse, le mal être et les visites hebdomadaires au cimetière sur la tombe du frère aîné (mort noyé) en compagnie de la mère qui pleure, fond, psalmodie, se révolte.

« Maman, qui, jusqu’à l’effondrement dont elle allait mourir, ne sut qu’avec outrance et comme gonflée de colère porter un deuil infiniment destructeur. »

C’est dans ces moments de douleur, vécus au cœur d’une ville ouvrière où la plupart des hommes bossent à la mine ou aux aciéries, que la présence virevoltante du cycliste en démonstration dans les cols mythiques des Abruzzes, des Alpes, des Dolomites et des Pyrénées devient réconfortante. Le fabuleux grimpeur rétablit, sans le savoir, un point d’équilibre qui permet à celui qui en a fait son idole de supporter l’insupportable.

« Un soir, à l’étape, il me semble que tu parlas du ciel et des hérons, des grues occupées à cisailler les bancs de brume. J’écoutais. Engrangeais tes paroles ou celle que j’entendais en secret dans ma tête. L’enfance n’a de recours qu’en elle-même. »

Gaul était un rêveur. Il aimait vivre à l’écart, loin des convenances sociales et autres obligations d’usage. Sitôt sa carrière terminée, il se retira dans les bois et s’arrangea pour qu’on ne vienne pas le déranger. Il s’effaça, coupa les ponts, se réserva une vie intérieure et la préserva jusqu’à sa mort en 2005. C’est à cet homme taciturne et secret, grâce auquel il a pu s’échapper et vibrer, que Lionel Bourg rend hommage en le suivant tout particulièrement de la fin des années cinquante au début des années soixante.

Lionel Bourg : L’échappée, éditions L’escampette.
Logo : Charly Gaul en 1957.

* Lionel Bourg publie parallèlement Ce serait du moins quelque chose, récit où l'on retrouve ces balises autobiographiques qu'il pose, comme autant  de passerelles sensibles, entre l'enfant qu'il fut et l'écrivain qu'il est devenu. Elles  jalonnent une œuvre de plus en plus dense. Le livre, superbe, est l'un de ceux que concoctent les belles éditions Le Réalgar, avec des dessins de Christine Guinamand.

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