dimanche 3 juillet 2016

Ça va aller, tu vas voir

C’est la chronique d’un pays ruiné et mis sous tutelle par les tenants de la finance internationale que tient ici Chrìstos Ikonòmou. Il centre ses textes sur les galères vécues en Grèce, en ce début de vingt-et-unième siècle, par tous ceux, et ils sont nombreux, constituant ce que l’on appelle d’ordinaire la majorité silencieuse, qui essaient de survivre en gardant intact un infime lien social. Ceux qui se retrouvent au centre des seize récits qui composent ce livre vivent dans les quartiers populaires du Pirée. Ce sont des solitaires sans travail, parfois malades, endettés, dégringolant inexorablement, buvant plus que de coutume, traînant derrière eux un passé douloureux, avançant au jour le jour ceinturés par la peur.

« Perdre son boulot c’est comme se casser la jambe.
Au début tu ne sens rien, a dit Àris, la fracture est encore chaude et ne fait pas mal. La douleur et la peur viennent quand ça refroidit. Quand tu penses au loyer aux factures aux petites annonces dans les journaux. Les coups de fil chaque matin, les voix dures. Un autre a pris la place. Rappelle demain. »

Ce que montre, entre autres, Ikonòmou, c’est la peur de perdre le peu que l’on possède (un travail souvent précaire) puis la lente dégringolade qui suit le licenciement. Tout s’enchaîne très vite et les coups pleuvent d’autant plus qu’il n’existe aucune protection, aucun garde-fou, aucune possibilité pour les éloigner ou les faire cesser, l’état ayant pour principale fonction de satisfaire l’appétit d’ogre des financiers étrangers en serrant toujours un plus la vis. Ses personnages tentent pourtant de tenir. Ils ne baissent pas les bras. Ont en eux une humanité qui ne pèse peut-être pas lourd face à la machine infernale qui est train de les broyer mais elle les aide néanmoins à affirmer leur personnalité et leur droit à exister et à s’exprimer. C’est l’élément-clé de tous ces récits. Usant d’une langue âpre, rude et ciselée, l’auteur réussit à saisir l’ intériorité chamboulée des êtres qu’il met en scène. Il parvient, à chaque fois et en quelques pages, à dresser un portrait, un décor, à poser bien à plat une situation particulière et à enclencher un dialogue vif qui emporte le lecteur là où il souhaitait l’amener : au cœur même d’un pays qui se fissure de toutes parts.

« Tous, plus ou moins, avaient en eux une haine profonde contre les politiciens les médecins les employés de la Sécu – tous ceux enfin à cause desquels ils étaient forcés de passer cette nuit-là comme des sans-abri dans une rue glacée loin de chez eux.
Deux ou trois avaient en eux une haine profonde contre eux-mêmes, d’être si petits et insignifiants.
L’un d’eux avaient en lui sa haine contre Dieu qui était sans doute possible plus cruel et plus injuste que les hommes.
Ils avaient en eux le poids de la faiblesse, du temps, de la maladie qui rongeait leur corps. »

Derrière toutes ces histoires souvent situées au sein d’un couple ou d’un groupe d’amis ou d’inconnus, il y a aussi le silence et l’isolement. L’impression, pour beaucoup d’entre eux, de se battre en solo contre une pieuvre invisible et déchaînée.

« Jour et nuit je vois des hommes brisés par le boulot. Des hommes fatigués, effrayés. On dirait qu’on ne peut plus travailler sans peur. On dirait qu’on n’est plus payé pour vivre mais pour avoir peur ».
Chrìstos Ikonòmou démontre une fois encore la vitalité et l’engagement d’une jeune littérature grecque (à laquelle appartiennent également des auteurs tels Christos Chryssopoulos et Yannis Tsirbas) bien décidée à s’impliquer et à redonner dignité et place dans l’histoire à tous ceux et celles que la plupart des médias occidentaux ignorent ou fustigent.


 Chrìstos Ikonòmou : Ça va aller, tu vas voir, traduit du grec par Michel Volkovitch, Quidam éditeur.


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