dimanche 12 mars 2017

Désordre du jour

Le désordre peut être un allié sûr. C’est dans sa nature de s’inviter là où on ne l’attend pas. Il déjoue le prévisible. Débarque sans crier gare. Parfois ne bouscule rien et passe en un éclair sans laisser de traces tangibles. Reste pourtant à le sentir, à noter ses brusques et étonnantes répercussions. C’est ce à quoi s’adonne Henri Droguet. Qui ratisse large et s’appuie, comme à son habitude, sur les sautes d’humeur d’un océan qu’il vénère et qui ne se fait jamais prier pour ajouter son grain de sel à des poèmes déjà fortement iodés.

« Blessé tenant lieu tu sors
du noir bleu convulsif et le sombre
barrissement dans l’ouest et partout
de l’océan parolier
qu’inlassable sauvagement tu récoutes. »

C’est posté près du rivage qu’il reçoit les nouvelles en provenance de l’autre côté de l’eau. La météo en est grande pourvoyeuse. Habile à enrayer la belle mécanique du temps calme, elle sait comment (aidée par les vents dominants) retourner la situation, comment noircir le tableau, comment crever un ciel de suie, comment arroser terre, hommes et bêtes et ce jusqu’aux os.

« Il repleut pleut re-
pleut ha les effaçures
aux soirs aux matins la lumière
ténuement qui s’opacifie
à l’entrelacs le guingois des ganivelles
aux jardins et taillis buées d’os »

Henri Droguet n’est pas seul à l’affût. Il se fait rincer en compagnie. Avec, entre autres, sortis de leurs lointaines retraites, Noé, Crusoé, la bande à Godot et M. Sapiens, tous fidèles au poste et prêts à se retrouver plus tard à l’auberge du coin (« Chez Abel et Caïn ») pour décortiquer ensemble ces désordres qui fourmillent en donnant du relief à la vie. Ce sont d’infimes et précieux dérèglements qu’il récupère alors. Il les cajole, les affectionne. Les sait capables de percuter ses émotions, de passer à travers le filtre du corps et de l’euphorie pour ressortir en poèmes hautement chamboulés, chargés de belle énergie, charriant chants, dé-chants, plaintes, complaintes, contes, comptines et expressions usuelles carrément détournés.

« Le bel enfant trop bavard et
pas couché de bonne heure
compère a vu le renard
rouquin vif grimper la folle chienne
entendu lanturlu
monade des monades l’inconsolé
nomade et ténébreux chérubin le bougre
divaguant bougonner »

L’étrange alchimie ici concoctée ne peut se réaliser pleinement sans cet humour que Droguet manie avec dextérité et légèreté. Il ne se prend pas très au sérieux. N’oublie pas qu’il dispose d’outils bien trop précaires pour parvenir à répercuter toutes les variations de ces paysages habités qui bougent, vibrent, parlent, déparlent. Sur mer mais aussi sur le rivage, sur les murets, dans les landes, les prairies, sous terre et là-haut où circulent des nuées d’oiseaux qu’il faut également songer à questionner. Tache immense. D’autres poètes – qu’il salue –  s'y sont collés avant lui. Il poursuit le travail avec ces poèmes toniques, aux sonorités qui déferlent, dopées, cadencées par des volées de préfixes, allitérations, néologismes, interjections et répétitions qui insufflent toujours plus de rythme à l’ensemble.

Henri Droguet : Désordre du jour, Gallimard, 2016

Un autre livre d’Henri Droguet vient de paraître. Tout aussi incisif et haletant (et par là même chaudement recommandé) il s’agit d ’un recueil de huit nouvelles, Faisez pas les cons !, éditions Fario.

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