vendredi 8 septembre 2017

Watching the river flow

Il a 15, 16, 17 ans. Se laisse porter par le bus qui cahote de Saint-Chamond à Saint-Étienne. Rêve, les yeux grands ouverts et la joue contre la vitre, à ces points d’appui qu’il a découverts depuis peu, à ces poèmes, ces fulgurances concoctées par de jeunes dynamiteurs de langues venus du hameau de Roche dans les Ardennes ou de la ville industrielle de Paterson en Amérique. Il sait que ceux-là (ce Rimbaud, ce Ginsberg) ont assez d’envergure pour l’aider à s’éjecter d’un univers familial dont la routine et la désespérance le plombent.

« Maman tremblait. Abattue. Furieuse.
Daniel, mon aîné, souriait dans le cadre barré de crêpe qui se détachait sur le papier peint du vestibule, une photo diaphane rehaussant sa blondeur et celle d’André, le cadet, sous un verre où mourait la lumière de la salle-à-manger. Penaud dans mon coin, je me ratatinais. M’étiolais. »

Il sait que ces types qui tordent à leur façon le cou du vieux monde des années 1870 ou 1950, qui hurlent, qui assènent des coups rudes à une poésie trop sage, qui se rebellent, inventent, vitupèrent, invectivent, ne sont pas seuls. Ils ne représentent que la partie visible de l’iceberg. D’où ne peuvent que jaillir, tête froide et sang chaud, beaucoup d’autres. Qui leur ressemblent. Et qui vont l’aider à donner de tonitruants coups de pieds dans ces portes qu’il lui faut ouvrir pour libérer le vent de révolte qui ne cesse de monter en lui.

Parmi eux, sortant du lot, découvert grâce au transistor puis aux 45 tours, il y a ce chanteur ébouriffé à la voix éraillée, un dénommé Robert Zimmerman, né à Duluth, Minnesota, le 24 mai 1941, qui traîne du côté de Greenwich village, qui a débuté au café Wha ?, qui a joué en première partie d’un concert de John Lee Hooker, qui donne voix aux exclus, aux délaissés, aux déclassés, aux révoltés, aux noirs, aux invisibles. Il susurre des textes âpres, taillés au couteau, et des blues lancinants ou énervés. Il s’accompagne à la guitare et à l’harmonica et n’a pas peur de se montrer frondeur et provocateur.

« Il l’avait assez crié, murmuré, miaulé sur les toits et dans les basements, empruntant aux récits bibliques ou à Woody Guthrie, à Melville comme à Kerouac, et à Ginsberg, au Dylan Thomas auquel il devait son pseudonyme, les paraboles et les tournures métaphoriques dont il truffait d’interminables refrains psalmodiés d’une voix râpeuse ou nasillarde. »

Celui que Lionel Bourg suit à la trace, expliquant en quoi de nombreux morceaux créés et interprétés par Dylan lui furent essentiels, le rassurant parfois dans les très bas de son toboggan de vie, a assez de biographes de haut vol pour qu’il s’y mette à son tour. Son propos (qui n’est pas, non plus, celui d’un essayiste) est tout autre. Il s’agit de revenir sur un compagnonnage (qui court sur plus d’un demi-siècle) en notant combien il a compté (et compte encore) pour lui, qui s’en est imprègné tout en gardant son esprit critique intact.

« Des pleurs, des larmes, il y en a tellement dans les chansons de Dylan ! On y va, on s’y rend, là où les gouttes salées tombent »,

là où elles rejoignent le flux de la rivière que Lionel Bourg longe en captant ses tumultes et en gardant ses écouteurs, reprenant, au fil d’un récit où se mêlent fragments autobiographiques et références à de multiples personnages. Les extraits de textes qui jalonnent l’ensemble atténuent ou amplifient quelques uns des épisodes douloureux vécus par l’auteur. Qui mixe cela avec habileté, en un récit exigeant, extrêmement bien tissé, où la présence de Dylan se faufile, en constant fil rouge.

Lionel Bourg : Watching the flower flow, sur les pas de Bob Dylan, illustrations de Olivier Fischer, éditions La passe du vent.

Un autre livre de Lionel Bourg vient de paraître aux éditions Le Réalgar : Demain sera toujours trop tard. Il s’agit d’un ensemble de lettres ouvertes adressées à ses contemporains. Un livre alerte, tonique et réconfortant jusqu’en ses vivifiantes sautes d’humeur.

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