jeudi 4 janvier 2018

Auguste ne sait plus grand-chose du monde

Auguste est seul dans sa chambre. Il regarde dehors. Voit désormais le monde à travers la buée d’une vitre. Chaque carreau de la fenêtre derrière laquelle il est posté pourrait très bien contenir l’un de ces carrés de prose qui retracent les séquences de son passé. Il y en a une bonne centaine.Toutes d’une incomparable netteté. Les visionner ne le rend pas triste. Faire le mur dans sa tête l’aide au contraire à retrouver Blanche, qui fut sa femme. Il la repère, soixante-dix plus tôt, dans la cour de l’école. Ou, des années plus tard, affairée dans la cuisine. Ou encore au creux du fauteuil où il avait posé, pour un ultime face à face au salon, l’urne qui contenait ses cendres.

« Ils s’étaient jurés de ne jamais se séparer. Auguste a tenu promesse. Même aujourd’hui dans cette "maison de vieux" comme il dit, ils sont toujours ensemble. »

La nostalgie ne le prend pas par surprise. Il la stimule et lui demande d’être efficace. La fin de partie ne va plus tarder et il est encore temps de réveiller en lui le conteur qu’il fut. De revoir – et de remettre en situation – le grand-père Roumain et tous les villageois, ses proches, ses amis disparus qui le saluent du fond de leur absence. Auguste s’attelle à des faits infimes. Il procède avec une humeur presque légère. Son regard reste pétillant. Son désir d’évasion aussi.

« Auguste sort de son silence. Ses enfants et petits-enfants sont venus lui rendre visite. Le conteur qui est en lui le déborde. Il finit par céder. Rafraîchit sa mémoire d’avant-sieste. Se repasse une histoire qu’il contait jadis. Réajuste quelques menus détails en secret dans lui-même... et commence... »

La vie en maison de retraite ne diminue en rien sa capacité à rester réfractaire jusqu’au bout. Avec malice et intelligence.

« "Me suis-je trouvé réellement à 18 heures dans la rue des fenêtres vertes ?", demande Auguste au tailleur beige de la directrice. Mais le tailleur beige ne semble pas connaître Yves Martin. La directrice non plus. »

Auguste, dont Pierre Soletti invente et déroule la vie en une succession de tableaux simples et concis, est un personnage plein de tendresse et de bon sens, doté d’un naturel revigorant. On en oublierait presque (mais pas lui, qui s’en échappe en ouvrant constamment des brèches dans sa mémoire) le lieu où il se trouve, là où ses enfants, renversant en quelque sorte les rôles, l’ont un jour amené, comme lui le faisait jadis avec eux, quand il les accompagnait à l’école.

Pierre Soletti : Auguste ne sait plus grand-chose du monde, illustrations de Sylvain Moreau, Coédition Écrits des Forges / Maison de la poésie de Tinqueux.

Auguste ne sait plus grand-chose du monde, mise en scène par Mateja Bizjak Petit, a notamment été joué à Avignon, au festival off en juillet dernier.

1 commentaire:

  1. des amis, lorsqu'il partaient en vacances, déposaient l'aïeule au "centre aéré"

    RépondreSupprimer