vendredi 23 février 2018

L.F. Delisse

Je me souviens tout particulièrement de notre première rencontre. Elle eut lieu à Paris, dans le treizième arrondissement, dans les allées d'un jardin, square Simone Weil, en bas de chez lui. C'est là qu'il m'avait donné rendez-vous. Il ne nous a pas fallu longtemps pour engager la conversation. Nous échangions déjà depuis plusieurs années par correspondance, après avoir été mis en relation par des amis communs, notamment Pierre Peuchmaurd, Anne-Marie Beeckman et Michel Valprémy. En cet après-midi d'automne (2004), il me parla de son parcours (et de Michaux, de Char, de l'Afrique, de G.L.M.) en s'arrêtant fréquemment pour me prendre le bras et me fixer de ses étonnants (et pétillants) yeux bleus. 

Nous marchions un peu à l'aveugle. C'est du moins ce que je pensais. Lui, par contre, savait très bien où nous allions faire halte. Ce fut à la terrasse d'un bar qui s'appelait « La Croix du Sud ». Il évoqua d'emblée celle-ci, plongeant instantanément dans ses souvenirs africains. Parla de ses périples à bord de camions qui tressautaient sur des pistes bosselées et du mauvais vin dont il avait abusé là-bas. Parfois, disait-il en souriant, les mouches venaient pondre dans son verre, ce qui ne l'empêchait nullement de le vider. Il savait que ses problèmes de santé – il était fatigué et marchait à petits pas – étaient en partie dus à quelques excès et à la qualité plus que douteuse des breuvages qu'il avait ingurgités au Niger. Il allait bientôt devoir subir une intervention « à corps ouvert ». Plus tard, dans une lettre, il m'écrivit que c'était fait, il s'était allongé sur le billard, on l'avait ouvert et il se remettait tout doucement, touchant du bout des doigts sa peau balafrée et désormais ornée de « 78 agrafes ». Notre rencontre précédait la publication dans la collection Wigwam d'un ensemble intitulé De fleur et de corde. Je fus surpris par la vivacité de sa mémoire. Celle-ci le ramenait au quart de tour bien des années en arrière et les mots qu'il employait pour décrire une scène, un paysage, une salle de classe, un groupe d'enfants n'étaient pas choisis au hasard. Ils sonnaient justes et possédaient un pouvoir d'évocation qui rappelait la force et la percussion de ses poèmes. L'écrit et l'oral restaient chez lui étroitement adossés l'un à l'autre.

Nous nous sommes ensuite revus au moment du marché de la poésie, place Saint-Sulpice, d'abord pour préparer la publication des Notes d'hôtel dans la collection que j'animais alors aux éditions Apogée et quelques années plus tard pour l'édition d'un nouvel ensemble, Les Lépreux souriants, que m'avait transmis Laurent Albarracin, et qui fut publié chez le même éditeur. Puis il y eut les lettres, les livres, avec de vraies et longues dédicaces et, pour finir, le silence durant les dernières années de sa vie.

Louis-François Delisse est décédé le 7 février 2017. Ce texte a été publié peu après sa mort sur Poézibao, dans un dossier (préparé par Laurent Albarracin). que l'on peut consulter ici.

En logo : Ode au voyage et à Henri Michaux, éditions Atelier de l'agneau.

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