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lundi 7 juin 2010

Un homme si simple

La vie et l’œuvre de l’écrivain belge André Baillon (né à Anvers en 1875 et mort à Saint-Germain-en-Laye en 1932) sont étroitement liées. Ce qu’il vit, il l’écrit. Non pas à l’identique mais en insérant dans ses fictions ce que lui dictent ses troubles, ses émotions, ses sentiments, ses désirs. Il y ajoute les portraits brefs et ciselés de ceux qu’il rencontre, quelques fragments de discussions, les extraits d’un quotidien tourmenté et la valse des malentendus qui marquent son itinéraire.
« J’écris : mes personnages sont des gens de tous les jours, pas de ceux qui se campent avec des gestes d’acteur au bout des bras : de pauvres bougres avec leur cœur. »
Ceux qui circulent en zigzag dans Un homme si simple et dans Chalet 1, premier volume des œuvres complètes que publient les éditions Cambourakis, sont ses compagnons d’infortune, ceux dont il a partagé la vie lors de son séjour à La Salpêtrière. Il y évoque son internement, ce qui l’a amené derrière les grilles, sa façon de s’y accommoder et d’y côtoyer la folie tout en gardant cette étonnante distance qui lui permettra, dès sa sortie de l’hôpital, de noter ce qu’il y aura vécu.
Le diptyque est construit de façon claire et efficace. Le premier livre, Un homme si simple (Baillon lui-même, alias Jean Martin) est une succession de confessions durant lesquelles le malade doit expliquer au médecin, à l’interne, au psy ce qui l’a amené en ces lieux. Baillon s’y astreint. Il dit ses tourments d’homme qui écrit et qui aime à la fois sa femme (la pianiste Germaine Lievens à qui est dédié le texte) et la fille de celle-ci. Une histoire qu’il a déjà connue auparavant : quand il a rencontré Germaine, il était marié avec Marie, une ex-prostituée flamande qu’il voulait néanmoins continuer à fréquenter. Presque toute sa vie, Baillon aura tenté d’inventer une sorte de ménage à trois. A chaque fois, il y aura perdu un peu de sa santé psychique. En 1932, une ultime tentative, une liaison avec Marie de Vivier, alors jeune lectrice passionnée par ses écrits, le mènera au suicide.
Le second livre, Chalet 1, lieu où il est transféré et où il va passer la majeure partie de son séjour à La Salpêtrière, est une galerie de portraits des malades et du personnel soignant. Ce monde inquiétant et parfois enjoué, qu’il décrit avec brièveté et force (pas d’effets de style, pas de voyeurisme, des mots justes, des dialogues rapides, percutants), il le restitue de l’intérieur, montre qu’il y est à sa place, lui qui oscille entre Martin 1 et Martin 2, deux lui-même qui s’affrontent et l’empêchent souvent de savoir qui, de l’un ou de l’autre, mène sa pauvre barque d’écrivain naufragé en cet océan intérieur houleux et féroce.
« Quand tu liras ces lignes, je serai sans doute couché dans un petit lit entre mes frères les pauvres. Ne t’inquiète pas. Je serai sage. Je me laisserai soigner en simplicité comme un enfant, en confiance comme un enfant, sachant que les mains auxquelles tu me confies sont douces au service de l’Intelligence et de la vraie Bonté. »
Le volume II des œuvres complètes regroupera les « romans de Marie ». On y retrouvera le célèbre Zonzon pépette, fille de Londres, livre qui ne doit toutefois pas faire oublier l’ensemble des publications de Baillon qui, outre l’écriture, exerça de nombreux autres métiers. Un temps, il fut cafetier à Liège. Puis éleveur de poules, vendeur de charbon, journaliste… Une vie tourmentée qui transparaît dans tous ses écrits. Ceux-ci, publiés entre 1920 et 1933, ont longtemps été indisponibles. Ces dernières années, quelques titres ont été réédités mais de façon sporadique et désordonnée. C’est dire si cette initiative (publier en cinq volumes l’intégrale des textes en prose) tombe à pic pour donner enfin un peu de lumière à un écrivain de l’ombre.

André Baillon : Un Homme si simple et Chalet 1, éditions Cambourakis, préface de Bérangère Cournut.