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mardi 4 juillet 2017

Le salut viendra de la mer

Ceux qui ont voulu fuir l’enfer de la crise dans les grandes villes grecques pour se réfugier sur une île de la mer Égée avec l’espoir d’y bâtir une vie meilleure en sont pour leurs frais. Là-bas aussi, dans ce paysage lumineux (qui leur semblait, vu de loin, être une destination idéale) ils sont irrémédiablement rejetés, considérés comme des intrus, des étrangers, des immigrés de l’intérieur.

« On est seuls, étrangers, qui va nous soutenir ? Mais le pire, c’est la mer. Tu t’attendais à ce que je dise une chose pareille ? Et pourtant c’est comme ça. L’île est une prison, la mer c’est les barreaux. »

Ce ne sont pas seulement les idées que la crise économique a réussi à faire entrer dans les têtes qui sont à l’origine de leur exclusion. Un fond de pensée bien plus ancien, qui se réveille quand tout autour les digues sautent, refait surface. Il a à voir avec la haine de l’autre, en particulier quand il s’avise d’expérimenter, qui plus est sur des terres où il ne possède aucune attache, un autre choix de vie. Ce vieux sentiment d’appartenance ancestrale au lieu s’exprime alors très librement, très sauvagement. Tassos, qui se révolte, qui croit au pouvoir des mots et à des jours meilleurs, va même y laisser sa peau.

« Tassos, pauvre con, tu vas en prendre plein la gueule. On va foutre le feu à ta baraque, mon petit vieux, on va brûler tes champs. Tringler ta gonzesse, massacrer tes mômes. La troisième fois, ils l’ont ligoté sur le capot de son pick-up et l’ont fait passer au lavage. Savon, brossage, séchage, toute la séquence. Une semaine à l’hosto, dents cassées, la peau ravagée par les brosses et les produits chimiques. »

Ensuite ce sera au tour d’Elvis. Puis suivra le fils Lazaros. Tous deux disparus, volatilisés, jamais retrouvés. Certains se cachent et s’en sortent. D’autres tombent, se relèvent ou restent définitivement couchés. Ce sont eux, les exclus, les déchus, les cabossés, eux qui espèrent malgré tout, eux qui se démènent en se battant souvent contre des vents contraires qui montent en première ligne dans les textes de Chrìstos Ikonòmou. Il dit leurs blessures, leurs galères, leur soif de vivre, de survivre sans courber l’échine.

« Même si nous sommes tous d’accord que désormais, dans l’état où se trouve ce pays, est un héros non pas celui qui lutte contre le mal, mais celui qui apprend à vivre avec le mal. »

Tous naviguent entre espoir et désillusion, entre résistance et résignation dans une société violentée que l’écrivain (auteur précédemment de l’excellent Ça va aller, tu vas voir) sonde en profondeur en s’attachant à suivre le parcours de quelques personnages en marge et en usant d’une prose rude, râpeuse, éruptive qui ne faiblit jamais, qui touche parfois à l’incantation et qui parvient à maintenir tout au long du livre un souffle impressionnant.

 Chrìstos Ikonòmou : Le salut viendra de la mer, traduit du grec et postfacé par Michel Volkovitch, Quidam éditeur.


dimanche 3 juillet 2016

Ça va aller, tu vas voir

C’est la chronique d’un pays ruiné et mis sous tutelle par les tenants de la finance internationale que tient ici Chrìstos Ikonòmou. Il centre ses textes sur les galères vécues en Grèce, en ce début de vingt-et-unième siècle, par tous ceux, et ils sont nombreux, constituant ce que l’on appelle d’ordinaire la majorité silencieuse, qui essaient de survivre en gardant intact un infime lien social. Ceux qui se retrouvent au centre des seize récits qui composent ce livre vivent dans les quartiers populaires du Pirée. Ce sont des solitaires sans travail, parfois malades, endettés, dégringolant inexorablement, buvant plus que de coutume, traînant derrière eux un passé douloureux, avançant au jour le jour ceinturés par la peur.

« Perdre son boulot c’est comme se casser la jambe.
Au début tu ne sens rien, a dit Àris, la fracture est encore chaude et ne fait pas mal. La douleur et la peur viennent quand ça refroidit. Quand tu penses au loyer aux factures aux petites annonces dans les journaux. Les coups de fil chaque matin, les voix dures. Un autre a pris la place. Rappelle demain. »

Ce que montre, entre autres, Ikonòmou, c’est la peur de perdre le peu que l’on possède (un travail souvent précaire) puis la lente dégringolade qui suit le licenciement. Tout s’enchaîne très vite et les coups pleuvent d’autant plus qu’il n’existe aucune protection, aucun garde-fou, aucune possibilité pour les éloigner ou les faire cesser, l’état ayant pour principale fonction de satisfaire l’appétit d’ogre des financiers étrangers en serrant toujours un plus la vis. Ses personnages tentent pourtant de tenir. Ils ne baissent pas les bras. Ont en eux une humanité qui ne pèse peut-être pas lourd face à la machine infernale qui est train de les broyer mais elle les aide néanmoins à affirmer leur personnalité et leur droit à exister et à s’exprimer. C’est l’élément-clé de tous ces récits. Usant d’une langue âpre, rude et ciselée, l’auteur réussit à saisir l’ intériorité chamboulée des êtres qu’il met en scène. Il parvient, à chaque fois et en quelques pages, à dresser un portrait, un décor, à poser bien à plat une situation particulière et à enclencher un dialogue vif qui emporte le lecteur là où il souhaitait l’amener : au cœur même d’un pays qui se fissure de toutes parts.

« Tous, plus ou moins, avaient en eux une haine profonde contre les politiciens les médecins les employés de la Sécu – tous ceux enfin à cause desquels ils étaient forcés de passer cette nuit-là comme des sans-abri dans une rue glacée loin de chez eux.
Deux ou trois avaient en eux une haine profonde contre eux-mêmes, d’être si petits et insignifiants.
L’un d’eux avaient en lui sa haine contre Dieu qui était sans doute possible plus cruel et plus injuste que les hommes.
Ils avaient en eux le poids de la faiblesse, du temps, de la maladie qui rongeait leur corps. »

Derrière toutes ces histoires souvent situées au sein d’un couple ou d’un groupe d’amis ou d’inconnus, il y a aussi le silence et l’isolement. L’impression, pour beaucoup d’entre eux, de se battre en solo contre une pieuvre invisible et déchaînée.

« Jour et nuit je vois des hommes brisés par le boulot. Des hommes fatigués, effrayés. On dirait qu’on ne peut plus travailler sans peur. On dirait qu’on n’est plus payé pour vivre mais pour avoir peur ».
Chrìstos Ikonòmou démontre une fois encore la vitalité et l’engagement d’une jeune littérature grecque (à laquelle appartiennent également des auteurs tels Christos Chryssopoulos et Yannis Tsirbas) bien décidée à s’impliquer et à redonner dignité et place dans l’histoire à tous ceux et celles que la plupart des médias occidentaux ignorent ou fustigent.


 Chrìstos Ikonòmou : Ça va aller, tu vas voir, traduit du grec par Michel Volkovitch, Quidam éditeur.