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mardi 13 août 2013

Daniel Biga

Un jour, il y a bien une vingtaine d'années, je reçois une carte. Quelques mots, guère plus : « salut, c'est Biga. Ce serait bien qu'on se rencontre avant l'an 2000. » Ni une, ni deux, je lui réponds dans la journée. Biga, ses livres m'accompagnent depuis longtemps. Ma première lecture doit se situer aux alentours de 1974 quand je faisais de fréquentes haltes à la librairie La Joie de lire, rue Saint-Séverin, là ou j'ai découvert des textes écrits par des auteurs qui s'appelaient Franck Venaille, Paol Keineg, Pierre Tilman, Yves Martin, William Cliff. Parmi eux, donc : Daniel Biga. Impossible de passer outre. Remis dans le contexte de l'époque, les textes décapants, rapides, révoltés, sensuels, qui bondissaient de Kilroy was here à Oiseaux Mohicans donnaient l'impression de vouloir bomber le cercueil flambant neuf du vieux monde de graffitis célestes et de slogans écolos avant l'heure.

Voyage, urgence, amour, petite fumée, paresse et instantanés fulgurants écrits en un éclair. Une écriture en mouvement. Qui allait pourtant bientôt cesser de se cogner à la seule réalité d'un dehors désossé pour s'émouvoir, s'étoffer, s'enrichir de ce tourbillon intérieur qui pousse l'être tout entier à créer un frêle (mais nécessaire) équilibre entre lui et le monde immédiat. C'est ce passage-là qui me plaît, ce passage et ce qu'il sous-entend de travail sur soi.

Comment un poète en vient, après avoir beaucoup crié, fugué, dénoncé, vitupéré, à bouger assez profondément pour que sa révolte instinctive ne le mange pas totalement et pour, ensuite, réussir à la transformer en art de vivre. Donner assez de corps au poème pour que les émotions fusent, pour que le bien-être ne soit pas seulement un agréable état mental mais aussi, et surtout, une sensation physique capable de transcender celui qui en bénéficie.

Biga, à partir de Moins ivre (Revue Aléatoire, 1983), en passant par Pas un jour sans une ligne (Fonds école de Nice, 1983) et Histoire de l'air (éditions Papyrus, 1984) – tous ces textes rédigés en prose – laisse filer les ambulances. Il ne leur tire plus dessus. Il abandonne ces longs cortèges qui font route vers le cimetière pour vivre autrement et ailleurs, ici ou là, sur les bords de la Méditerranée, dans l'arrière-pays niçois ou à proximité de l'océan Atlantique. Il se déplace avec ses racines. Au besoin, en crée d'autres. Je vois peu d'équivalent en France. Il reste un grand solitaire. Ses frères en poésie, il faudrait les rechercher du côté de Gary Snyder ou de Nanao Sakaki.

Je n'ai plus la date précise en tête mais je sais que notre première rencontre se fit peu après la réception de la carte postale évoquée plus haut. À Nantes, à la médiathèque. Ou plutôt à la terrasse d'un bar situé à un jet de pierre de celle-ci. Devant un demi, au soleil dans le calme et la douceur d'un samedi après-midi d'octobre dégagé. D'autres rencontres suivirent. À Nantes encore, puis à Paris, à Lorient, à Rennes, au gré de nos déambulations (bien moins urbaines qu'il n'y paraît) avec, à chaque fois, le plaisir renouvelé de partager un peu de temps, des mots simples et une réelle quiétude avec un homme qui vit résolument loin des agapes littéraires. Les ambitieux le mettent mal à l'aise. Sa tasse de thé – ou disons, l'amertume bien maltée d'une bonne bière – il a choisi de la déguster en compagnie des anonymes... Routiers, chemineaux, voyageurs en escale au café du coin. Ceux-là se (et lui) ressemblent.

Comme eux, il privilégie l'instant, ce qui ne veut pas dire qu'il a la mémoire courte. Il possède, au contraire, assez de recul pour se mouvoir dans le quotidien tout en posant un regard vif sur son passé. Sa faculté d'aimer la vie ne vire jamais à l'optimisme béat. Les illusions, il les laisse s'éteindre d'elles-mêmes.

« Nos traces vont se perdre
comme toi
bientôt je ne serais plus qu'atomes
dans la lumière froide des étoiles. »

Ce flâneur qui dessine, livre après livre, les contours d'un chemin où les lignes droites n'existent pas, je l'imagine, certaines nuits de mai, donnant encore son ombre à manger aux reinettes vives des marais de Brière (où il eût un temps une maison), manière pour lui de saluer, le sourire aux lèvres et le col de la veste remonté, les habitants de l'entre-deux eaux, vite, très vite, en fin de promenade, juste avant de confier à ses carnets sa joie d'être présent de ce côté-ci de la terre.

L'Amour d'Amirat suivi de Né nu, Oiseaux Mohicans et Kilroy was here ont été réédités en un seul volume, paru en mai 2013, aux éditions Le Cherche-Midi.