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dimanche 25 janvier 2015

Pas dans le cul aujourd'hui

Celle qui s’exprime ici s’appelle Jana Černá. Elle est la fille de Milena Jesenska, la destinataire des lettres de Kafka. Elle fut, au milieu du siècle dernier, l’une des figures marquantes de l’underground pragois. On la croise parfois (sous le nom de Honza) dans les textes de Bohumil Hrabal et bien sûr dans ceux du philosophe et poète Egon Bondy. C’est à lui qu’elle s’adresse.

« Pas dans le cul aujourd’hui
j’ai mal

Et puis j’aimerais d’abord discuter un peu avec toi
car j’ai de l’estime pour ton intellect.

On peut supposer
que ce soit suffisant
pour baiser en direction de la stratosphère. »

Ce poème écrit en 1948 ouvre le livre. Il résume à peu près ce qu’elle demande à Bondy à travers la longue lettre enflammée qui suit. Si elle le désire de tout son corps, elle n’en demeure pas moins aimantée par sa réflexion philosophique.

« Le fait que je t’aime et que je veuille coucher avec toi est lié à ma passion pour ton travail. Il est vraiment difficile de faire la part entre l’excitation due à ton corps que je connais si intimement, et celle qui vient de n’importe laquelle de nos discussions. C’est vraiment difficile : quand je suis au lit avec toi, je peux parler philosophie, et quand on en parle à table, ma chatte peut se tenir au garde-à-vous, car on ne ne peut pas séparer les choses et les abstraire l’une de l’autre. »

Momentanément éloignée de lui, elle revient sur les moments intenses qu’ils ont partagés, sur ce qui a fonctionné mais aussi sur quelques erreurs qui les ont empêchés d’être totalement (corps et esprit) liés. On y retrouve cette soif de liberté qui l’anime et ce besoin de la partager avec le seul être capable, à ses yeux, de ne pas la lui subtiliser. Sa lettre est simple, spontanée, fougueuse, émouvante. La figure de Bondy la traverse en permanence. Se dessine en filigrane un portrait du philosophe qui réfléchit, doute et travaille tout en parvenant à lâcher prise pour que son corps vibre en même temps que celui de Honza.

« J’ai toujours besoin de savoir que tu partages avec moi ce qui compte, jusqu’à la limite où cela peut se partager, et même un peu au-delà. »

Tous deux ont été extrêmement proches, comme en témoigne le Journal de la fille qui cherche, livre dans lequel Egon Bondy, prenant la plume à la place de Jana Černá, décrivait en 1951 la folle épopée champêtre et sexuelle, avec haltes dans le chœur des chapelles ou au pied des tracteurs, de celle qu’il imaginait alors en train de batifoler avec légèreté au bras des cultivateurs ou des brasseurs vivant dans les faubourgs de Prague. Une traduction un peu différente de cette lettre clôturait d’ailleurs l’édition française de ce texte (paru chez Urdla).

Jana Černá, née Jana Krejcarova en 1928, est décédée dans un accident de la route en 1981 et Egon Bondy, né en 1930, est mort à Bratislava en 2007. Habitué à fumer au lit, il mit une nuit le feu à son pyjama et succomba à ses brûlures.

Jana Černá : Pas dans le cul aujourd’hui, traduit du tchèque par Barbora Faure, éditions La Contre-Allée.

jeudi 4 novembre 2010

Journal de la fille qui cherche

Il faut revenir en arrière, retourner à Tendre barbare (disponible en Poche/Biblio), le livre de Bohumil Hrabal (1914-1997) pour retrouver, cavalant dans les rues et les environs de Prague, en compagnie du célèbre palabreur, raconteur, coupeur et dénicheur d’histoires, deux autres protagonistes cherchant, comme lui, des repères dans une Bohême (celle des années 50) bien cadenassée.

Ces deux-là se nomment Vladimir Boudnik (1924-1968), artiste, graphiste, graveur, auteur de nombreux manifestes - autour de « l’explosionalisme », mouvement qu’il inventa - et Egon Bondy, poète, écrivain, philosophe peu connu en France mais néanmoins présent, et c’est une chance, grâce au Journal de la fille qui cherche, traduit par Marcela Salivarova .

Egon Bondy (de son vrai nom Zbynek Fiser) est né en 1930 à Prague. Il fut l’une des figures légendaires de la ville avant de la quitter pour s'installer à Bratislava où il est décédé en avril 2007. Il fut durant de longues années, très actif sur la scène littéraire (c’est lui qui a créé l’une des premières maisons d’éditions clandestines, Pulnoc - Minuit -) et musicale (le groupe de rock « The Plastic People of the Universe » a souvent mis ses textes en musique).

Hrabal l’a toujours placé au plus haut dans ses rencontres. En route pour ses « virées à la bière », l’extravagance, la folie, les coups de gueule ou de cafard de Bondy l’ont plus d’une fois mis en appétit.

« Nous sommes allés aux champignons dans les bois de Brdy. Ce n’était pas seulement pour les champignons, nous voulions suivre la voie de chemin de fer sur laquelle Egon Bondy, abruti par des opiacés, s’était couché pour se faire écraser sans douleur - mais cette nuit-là, la voie sur laquelle Egon était couché était hors service et le matin il s’était réveillé non pas dans l’empire de l’ontologie mais bel et bien sur les rails, pendant que les trains roulaient sur la voie d’à côté ».

C’est cet imprévisible Bondy, poète à la recherche de lui-même, que l’on côtoie tout au long du Journal de la fille qui cherche Egon Bondy. Le livre, on s’en doute, est écrit à la troisième personne du féminin. 

« Cette année en été je suis enfin partie en toute liberté
à la sortie de la ville aussitôt je me suis déshabillée
et maintenant je me balade dans les champs autour de Prague nue
sauf pour traverser les villages j’enfile un sac avec des trous
pour la tête
et pour les mains »

Suivent 44 séquences débridées et autant d’épopées champêtres qui forment une seule et même quête :

« On m’a raconté que Bondy aussi se balade à travers le pays
complètement déshabillé
et qu’il porte de la bière avec lui
J’aimerais le rencontrer ! »

C’est en fait une histoire d’amour vrai - et torride - que Bondy met ici en scène.
« Jadis quand j’étais jeune et fou je suis tombé amoureux de la femme fatale de ma vie qui était la fille de la femme fatale du poète le plus connu de mon pays »

Celle-ci s’appelle Jana Krejcarova. Quand il la rencontre, à la fin des années 40, elle est un peu plus âgée que lui. Son père était un architecte d’avant-garde. Sa mère, c’est Milena Jesenska, autrement dit la Milena des Lettres de Kafka, traductrice, journaliste et résistante morte au camp de Ravensbrück...

Bondy et Jana Krejcarova ont un commun désir d’écrire et de n’accepter aucun ordre ni dogme établi. Ils composent l’un et l’autre plusieurs séries de poèmes. Qu’ils échangent, coupent ou juxtaposent. Ce livre constitue l’un des éléments du puzzle. Si dans la première partie, Bondy flâne et écrit en lieu et place de celle qui a pris l’habitude de signer Honza (on la retrouve également sous ce nom dans plusieurs textes de Hrabal), dans la seconde c’est elle qui s’exprime à travers une longue lettre - fougueuse et enflammée - qu’elle adressa au poète en 1962, et dans laquelle elle fait part au dédicataire des effrénés désirs sexuels qui la tourmentent, lui demandant de venir, (il n’y manquera pas) expressément, et sur le champ, les satisfaire.

Egon Bondy : Journal de la fille qui cherche, éditions URDLA.