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lundi 2 avril 2018

Armaguédon strip

Pas facile de croquer la vie avec un appétit d’ogre quand on a été élevé par une mère éprise de religion, surtout quand la dévotion s’attache à l’une des branches les plus radicales de la chrétienté, celle qui regroupe les Témoins de Yahweh, une congrégation de prêcheurs, adeptes du porte-à-porte, qui prédisent et préparent la prochaine fin du monde.
Comment se construire quand on a baigné là-dedans depuis son plus jeune âge, avec en prime un père absent ? C’est bien ce que se demande Christophe Cordier, auteur de BD plus connu sous le nom d’ÉphèZ.

« Mon premier souvenir remontait à mes trois ans, un sale souvenir malgré toute l’eau qui l’entourait : le baptême de ma mère. J’avais vu des hommes l’empoigner au bord d’une piscine, la forcer à s’enfoncer jusqu’à la taille. J’avais cru qu’il la noyait sous mes yeux. Je n’avais pas compris son sourire triomphant quand ils l’avaient ressorti du piège toute mouillée. »

Trente ans plus tard, alors qu’il pensait en avoir à peu près fini avec Yahweh, la fin du monde et l’arrivée imminente de l’énigmatique Armaguédon, plusieurs événements imprévus vont venir lui démontrer le contraire. L’influence de sa mère n’a pas faibli. Elle infuse en secret. Elle le corsète, détermine quelques unes de ses décisions et continue d’empoisonner ses réflexions.

L’élément déclencheur est un accident de la circulation. Un jour, sa mère, s’en allant prêcher, est heurtée par une voiture. Elle se retrouve au sol. Ses papiers de prédicatrice voltigent dans la rue et finissent dans le caniveau. À l’hôpital, la décision de faire une transfusion se pose très vite. Or, chez les Témoins de Yahweh, on ne rigole pas avec ce genre de chose.

Ils « étaient connus pour leur refus de toute transfusion. C’était leur spécialité, leur façon de se démarquer des autres sectes. »

Si les circonstances vont aider ÉphèZ, le narrateur, à se sortir de ce mauvais pas sans trop se mouiller, d’autres faits vont s’enchaîner, à rythme soutenu, lui confirmant que sa vie, même auréolée d’une petite aura de dessinateur reconnu, prend tout simplement l’eau. Il n’a pas la sagesse de son chat Franquin. Il voit rouge à tout bout de champ. Les relations qu’il entretient avec le monde extérieur et avec les rares personnes qui lui sont proches ne sont pas au beau-fixe. Et l’instabilité qui s’empare de lui ne va pas aller en s’arrangeant.

C’est cette lente descente – et ses soubresauts irrationnels – que Frédérick Houdaer suit pas à pas. Il le fait avec méthode, en choisissant le détail qui fait mouche et en usant d’une narration très vive, très maîtrisée, avec humour et esprit caustique, en multipliant les portraits au vitriol et les situations cocasses (et parfois violentes) tout au long de ce roman diablement efficace.

Frédérick Houdaer : Armaguédon strip, Le Dilettante.

mercredi 2 mars 2016

Pourquoi je lis "Les Amours jaunes" de Tristan Corbière

" Allons ! Tristan ! Bon chien sans race, / Croisé de guigne et de dégoût, / Donne ta chaîne et prends ma place : / J’aboierai contre les matous ! ", Tristan Corbière.


Tristan Corbière est mort à Morlaix, dans le Finistère, le premier mars 1875. Son seul livre, Les Amours jaunes, composés de 101 poèmes, avait été publié deux ans plus tôt, à compte d’auteur, chez les frères Glady, imprimeurs à Paris. 140 ans plus tard, le livre est toujours bien présent. Et la figure du poète également. Ni l’un ni l’autre n’ont été aspirés par l’invisible pompe, pourtant vorace, qui alimente jour après jour la grande fosse où gisent des dizaines de milliers de disparus de la littérature.

Si Corbière doit sa survie à l’originalité de ses textes, à ses raccrocs, à ses rognures, à ses cassures, à ses chants et dé-chants, à ses tangages, à ce ressac brisé qu’il rend si haletant, à sa faculté d’embarquer, au quart de tour, le lecteur pour un cabotage insensé, par temps de chien, à bord d’un rafiot d’infortune à quelques encablures à peine de la côte, il doit également une fière chandelle à Verlaine qui, en l’incluant en 1884 dans le volume Les poètes maudits (aux côtés de Rimbaud et de Mallarmé, entre autres) fut l’un des premiers à le faire connaître. L’étonnant, c’est que, depuis, et régulièrement, d’autres passeurs (ainsi Tristan Tzara, Henri Thomas, Gérard Macé, Emmanuel Tugny) ont régulièrement pris le relais, expliquant ce qui, dans une œuvre restreinte mais foisonnante, les aidait à aller de l’avant et à se sentir quelques affinités avec cet auteur à la plume redoutable (et à la santé fragile) qui aura pauvrement ri (de lui) et maladroitement aimé (jaune) durant son bref passage sur terre.

Cette fois, c’est Frédéric Houdaer qui dit comment et pourquoi Les Amours jaunes continuent de l’accompagner. Il lui arrive d’ailleurs de croiser l’ombre du poète à l’improviste. Cela se passe dans des territoires infimes et imaginaires. Il peut également percevoir quelques traits de sa personnalité créative chez tel ou tel musicien, cinéaste ou poète contemporain. Ce sont des concordances qui ne peuvent être détectées que par un lecteur averti. Ce qu’il est, assurément, lui qui glisse, au fil d’un essai qui oscille entre récit et critique littéraire, de judicieuses citations qui éclairent le parcours escarpé du « poète contumace ». Il en retrace les grandes étapes. Rappelle ce qu’il doit, dans sa recherche, à ceux qui, avant lui, s’y sont collés, notamment Jean-Luc Steinmetz, l’auteur d’Une vie à peu près, qui reste, de loin, la meilleure biographie publiée à ce jour. Il montre combien Les Amours jaunes demeure un livre actuel. Insiste sur le bienfait qu’il y a à s’y replonger régulièrement. Et, ce faisant, ouvre (en toute subjectivité) de nouvelles portes pour inciter ceux qui ne le connaîtraient pas encore à entrer dans ce « monstre de livre ».

« Trente ans après sa découverte, Corbière reste un événement inouï dans mon parcours de lecteur. Seules mes découvertes (plus tardives) de Richard Brautigan et de Réjean Ducharme peuvent lui être comparées. Qu’ai-je trouvé dans ce recueil ? Une planche de salut, pour commencer. »

L’ouvrage de Frédérick Houdaer est le troisième titre de la collection Les Feux Follets, constituée de courts essais « critiques et élogieux » où des écrivains contemporains parlent de l’attrait que continue d’exercer sur eux tel ou tel livre.

Frédérick Houdaer : Pourquoi je lis Les Amours jaunes de Tristan Corbière, Le Feu Sacré éditions.

Le blog de Frédérick Houdaer s’ouvre ici.