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vendredi 3 mars 2017

La peinture à Dora

Arrêté par la Gestapo en 1944 et déporté au camp de Dora, François Le Lionnais (cofondateur avec Raymond Queneau de l’Oulipo) a auparavant résisté en sabotant le système de guidage des missiles qu’il était chargé de construire. Incarcéré, il lui faudra résister différemment. Et d’abord sauver son intégrité physique et mentale qui s’affaiblit de jour en jour. Le salut viendra de la peinture, le déclic ayant lieu un matin, lors d’une fouille générale sur la place d’appel où il se trouvait avec des milliers d’autres.

« Mon regard se porta machinalement sur la colline qui s’élevait du côté de l’infirmerie. L’automne y achevait son établissement. Alors ces grands arbres dépouillés fondirent sur moi sans crier gare et m’emportèrent avec eux. L’Enfer de Dora se métamorphosa subitement en un Breughel dont je devins l’hôte. »

C’est une démarche salvatrice, partagée un temps avec un autre détenu, puis poursuivie seul, qu’il évoque en quelques dizaines de pages dans ce texte rare. Chaque jour, il se met à décrire minutieusement, pendant la durée de l’appel, autrement dit pendant des heures, s’en remettant à sa mémoire, plusieurs des tableaux devant lesquels il aimait s’arrêter au Louvre.

« C’est ainsi que nous contemplâmes longuement avec les yeux de la pensée La Vierge au Chancelier Rollin de Van Eyck. Je projetais comme avec une lanterne magique le sévère regard du donateur, les lapins écrasés sous les colonnes, l’ivresse de Noé racontée sous un chapiteau, les petites touffes d’herbe qui poussent entre les pavés de la courette et les six marches de l’escalier qui conduit à la terrasse. »

Plus tard, quand son ami changea d’équipe, il alla plus loin encore, imaginant ses propres compositions en empruntant un détail d’un tableau pour le glisser dans un autre, faisant entrer, par exemple, un chevreuil de Courbet dans un sous-bois de Théodore Rousseau, ou subtilisant la pipe de Chardin pour « la dissimuler sous le coussin de La Dentellière de Vermeer ».

« Ainsi passèrent pour moi les jours à Dora, au milieu des interminables appels dans la neige et du vent froid de l’hiver. (…) Quelques semaines avant la libération, j’avais récupéré suffisamment d’élasticité intérieure pour pouvoir me livrer de nouveau à l’un de mes anciens vices : la Peinture mentale. »

La Peinture à Dora est un témoignage prenant. Nourri par la mémoire et l’abstraction, il est d’une grande lucidité. La publication du texte est suivie, en fin d’ouvrage, de détails des œuvres citées.

François Le Lionnais : La Peinture à Dora (Le Nouvel Attila).
La biographie de François Le Lionnais (1901-1984), Le Disparate, conçue par Olivier Salon, est simultanément publiée chez le même éditeur.