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vendredi 3 décembre 2010

Hommage à Georges Haldas

Ce n’est pas par hasard qu’il avait tenu à écrire La Légende des cafés. Il les connaissait bien. Il savait que se jouait là, dans l’antre, souvent à huis clos, entre le buveur et son reflet dans une vitre ou dans l’oeil d’un serveur, bien plus que du lien social. On pouvait encore le rencontrer, il n’y a pas si longtemps, à La Brasserie hollandaise à Genève, un peu perdu derrière des volutes de fumée en fond de salle, ou au café Chez Saïd où il aimait venir travailler tôt le matin, juste avant l’embauche des ouvriers.

Ici ou là, il y avait toujours sur sa table journaux et carnets en cours. Il en aura noirci plusieurs dizaines. Vivant « en état de poésie ». Cherchant continuellement à capter tous ces éclats et fragments de vie qui, mis bout à bout, permettent de trouver un équilibre précaire mais nécessaire pour traverser l’existence et comprendre les autres en restant éveillé, curieux, fraternel et surpris.

Son œuvre avoisine les cent titres. Si elle fait l’éloge de ses passions (des cafés, du football ou des repas), elle interroge également la lumière qu’il disait trouver (lui qui perdait peu à peu la vue) dans la religion et les liens très forts qu’il entretenait, par delà leur disparition, avec ses parents. Deux livres, l’un, Boulevard des philosophes, consacré à son père et l’autre, Chronique de la rue Saint-Ours, dédié à sa mère, se complètent et expliquent discrètement tout ce qu’il leur doit. Il avait coutume d’avouer que de son père, taciturne et secret, il avait hérité de la recherche du sens tandis que de sa mère, patiente et toujours prompte à répondre à ses questions, lui venait son besoin de dire.

« La démarche de mon père était à base de doute et de besoin de puissance (pour se rassurer, faute de se relier). Celle de ma mère, faite de confiance et de relation ».

Né à Genève en 1917 de père grec et de mère suisse, Haldas a toujours eu des relations contradictoires avec sa ville. Ce qui l’attire, c’est « la ville du dedans », celle des bords de l’Arve, de Plainpalais, de la Roseraie, celle qui dans les profondeurs de sa mémoire ne bouge pas. Il en parle comme d’une « patrie psychique » en précisant qu’une autre partie de lui à ses racines en Grèce et une autre encore en Italie.

« À chaque fois, une partie de nous-mêmes correspond à un lieu déterminé. Toutes ces choses s’amalgament et font un en nous, et c’est précieux. »

Curieusement, Georges Haldas, qui s’est éteint au Mont-sur-Lausanne où il vivait depuis quelques années, a peu publié en France, seuls La Légende des repas paru en poche en 2008 et L’échec fertile (livre d’entretiens), sonnent comme des exceptions. Son œuvre (poèmes, chroniques, carnets et essais) est essentiellement disponible chez L’âge d’homme.

mercredi 25 août 2010

La Légende des repas

À un moment donné, alors que le repas (non pas le gargantuesque mais l’un des plus simples et non moins salutaires rendez-vous quotidiens) bat son plein, Georges Haldas nous rappelle, opportunément, qu’en latin les mots saveur et savoir ont la même origine : sapere. L’un et l’autre demandent la même attention, la même curiosité, la même disponibilité. On peut finalement apprendre autant d’un repas que d’un livre. Et plus encore quand les deux se réunissent pour donner vie à ce que l’écriture d’Haldas transforme ici en légende.

« Quand je suis avec quelqu’un, je le sens dans son corps, dans sa gestuelle, dans le timbre de sa voix, et pas seulement par ce qu’il me dit, mais aussi aux contradictions qu’il y a entre le timbre de sa voix et la nature de ce qu’il me rapporte. Quand il s’en va, je vois en outre son dos qui est son inconscient, cela qu’il n’a pas pu cacher. »

Ces propos de l’écrivain suisse (né à Genève en 1917), extraits de L’échec fertile (Paroles d’aube, 1996), s’appliquent également à ces moments passés autour d’une table. Ce qui compte, ce n’est pas uniquement ce qu’il y a dans l’assiette mais aussi les êtres qui vivent un même moment au même endroit : patron, serveurs, serveuses, dîneurs solitaires ou en compagnie installés aux autres tables. Haldas jette un œil. Il prend le pouls du lieu. N’invente pas mais suggère assez pour que ceux et celles qui l’entourent s’échappent peu à peu du resto (ou du buffet de la gare, du wagon-bar, du zinc cuivré du coin) pour lui dévoiler quelques indices susceptibles de l’aider à les imaginer tout à fait ailleurs !

« Grand soleil. Près de la voie ferrée. Un cheminot. À l’écart des autres. La pause. Assis sur une poutre. À l’ombre de la cabane aux outils. Pas un festin pour lui. Mieux. Je veux dire : pain, fromage, saucisson. La bouteille. Mais la question, bien entendu, n’est pas là. Elle est dans l’espèce de recueillement où on voit notre homme s’apprêtant à manger. L’attention, la minutie même avec lesquelles il prépare le repas que, dans un instant, il va faire. »

Haldas est tout entier dans ce fragment. Regardant, il s’implique. Se rapproche. Et partage à sa façon le repas de l’inconnu qu’il accompagne ainsi, à distance. On se souvient, soudain, qu’il avait placé, naguère, en exergue au Boulevard des philosophes (le livre où il trace le portrait de son père) cette citation de Pascal : « Toute la suite des hommes n’est qu’un seul homme, qui subsiste toujours ». Et qu’il s’y tient. Epatant dans ses éloges. Très proche, dans celui-ci comme dans les précédents (dédiés aux cafés puis au football), des gens qu’il aime fréquenter, tôt le matin, à La Brasserie hollandaise à Genève ou un peu plus loin, attablé derrière ses feuilles ou son journal au café Chez Saïd, juste avant l’embauche des ouvriers et des employés qu’il salue et qui passent en coup de vent.

De la cuisine familiale des Philosophes à Genève à celle de Céphalonie où il passa ses premières années, il nous invite à partager des moments simples et toutefois presque cérémonieux. Cela va de la préparation (nappe, disposition des couverts, lumière ambiante) à l’après en passant par le déroulement (si possible lent, teinté de sagesse et de gourmandise) du repas. À chaque détail, son regard s’allume. Un rien le met en appétit. Sa curiosité et sa malice s’allient souvent. Il déguste. Il se recueille presque. Et procédant ainsi, c’est sa mémoire qu’il nourrit. Ce labyrinthe qu’il ne cesse d’arpenter, poursuivant une œuvre (plus de 70 livres à ce jour) qu’il serait, notamment en France (où La Légende des repas est sa première publication en poche), temps de saluer comme il se doit.

Georges Haldas : La Légende des repas, Motifs, éd. Le Rocher.

(La plupart des livres d'Haldas sont disponibles aux éd. L’âge d’homme. Certains sont également présents dans la collection « poche suisse », chez le même éditeur).