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mercredi 6 mars 2024

La reposée du solitaire

Tous les jours, vers quatre heures du matin, un homme se lève, boit son café, caresse et nourrit son chat, allume son ordinateur, ouvre son Memento, note ce qui lui vient ou ce qui ressort d’une nuit qui fut agitée, composée de périodes de sommeil entrecoupés de bruits intérieurs (ceux provoqués par les mots qui ne veulent pas dormir) et extérieurs, où les animaux, délivrés de la diurne, désagréable et parfois redoutable présence des hommes, fouinent, fouissent, hululent, aboient, grognent, mâchent, mastiquent, chassent et s’adonnent à bien d’autres activités dont certaines touchent l’oreille sensible de celui qui débute sa journée avec douceur et lenteur, "loin des "excès de vitesse du monde"..

Cet homme, c’est Jean-Pascal Dubost. Il vit en forêt de Brocéliande où il a choisi de s’installer et où il se sent bien. Quand il se lève, la lumière de son bureau est l’une des premières à émettre dans la contrée et nul doute que beaucoup d’animaux la repèrent, s’en approchent ou s’en éloignent, Cela n’est pas pour lui déplaire tant il se sent proche d’eux, appréciant de les savoir libres et sauvages, à proximité de ce "balcon en forêt" à partir duquel il les voit parfois.

Comme eux, il s’est aménagé une maison-tanière, un repaire, un abri qui fait office de "reposée du solitaire", (l’expression est de Maurice Genevoix).

« Grâce aux animaux sauvages, j’entends les palpitations du silence. Ça paraît pompeux, dit comme ça, mais en tendant tous mes sens vers eux dans le silence matinal de la forêt, j’entends battre à l’unisson leur cœur à travers le silence. Les animaux fusionnent avec le silence. C’est à ça, que je me concentre extrêmement chaque matin. »

Peu après, il explique que sa forêt, si vivante, abritant une faune épatante, soumise aux aléas du climat, aux assauts des chasseurs et des coupeurs d’arbres, est imaginaire et cosmique mais aussi bien réelle. Foisonnante, très étendue, observée de sa fenêtre en levant les yeux de son écran ou du livre qu’il est en train de consulter, il y pénètre également quand il en a envie, s’y perd, s’y retrouve, froisse les feuilles mortes, avance nez au vent dans une odeur d’humus ou de terre malaxée par les groins des arpenteurs nocturnes.

« Quand je marche en forêt (hors sentiers), j’ai le sentiment très net d’être observé par des animaux. Qu’ils titillent ma nature non pas enfouie ou disparue, mais inexistée. »

Ce livre – posé, apaisant, grand ouvert sur la forêt – est composé de notes écrites au fil du temps (entre mai 2020 et février 2022) et parsemé de citations dues à ses auteurs de prédilection, est idéal pour saisir la solitude (assumée, plutôt heureuse) de l’écrivain Jean-Pascal Dubost au travail et pour comprendre le lien étroit qu’il entretient avec son lieu de vie.

Il n’est pas pour autant homme vivant hors du monde et du temps. L’ordinateur à portée de main, il va visiter les sites d’informations, prend connaissance des faits-divers, des drames, des guerres, des chaos en cours et réintègre prestement son ermitage, bien situé et ô combien littéraire (les légendes arthuriennes s’y régénèrent toujours), autour duquel bruisse une forêt de mots qui requiert toute son attention.

« Je vis en forêt de Brocéliande depuis 2005, j’y voulais vivre, y vivre au plus près mes lectures arthuriennes, et peu à peu la forêt est entrée en moi, mes moindres recois y sont, même ceux encore inconnus de moi. »

 Jean-Pascal Dubost : La Reposée du solitaire, notes de carnets, éditions Rehauts

samedi 11 juin 2022

Phrases de la mort

Pendant quinze mois, noircissant sans relâche, d’une écriture fine, pas moins de cinq carnets, Jean-Pascal Dubost s’est penché sur la mort, sur la place qu’elle occupe dans l’existence de ceux (nous tous) qui savent qu’ils n’y couperont pas, sur ses façons de procéder, parfois avec malice, en douceur ou avec cruauté, sur les phrases, qu’elle lui a soufflé à l’oreille et sur celles qu’elle a auparavant inspiré à nombre d’écrivains et de poètes. Il a collecté, inventé, assemblé ces mots, réflexions, aphorismes, citations et lieux communs qu’il est bon d’avoir à l’esprit, ne serait-ce que pour préparer, en toute humilité, l’inévitable rencontre qui nous attend au tournant. Elle ne vient qu’une fois, n’oublie personne, ne s’embarrasse pas de simagrées et remet tout le monde à sa place en pratiquant le nivellement par le bas.

« La mort a une feuille de route très précise pour chacun.

Mort, qui accueille tous les humains de la même façon.

Mort, qui rend sa liberté aux asservis.

Mort, qui ne juge personne.

Mort, qui rend à chacun ce qu’il mérite : la mort.

Mort, qui réunit le meurtrier et sa victime.

Mort, qui fait chougner poètes et chanteurs.

Mort, qui ne fait rire personne.

Mort, qui est aux petits soins des humains.

Mort, qui garde tout, ne rend rien.

Mort, qui ne dévoile pas ses richesses.

Mort, qui ne fait pas semblant. »

Elle nous tient sous sa coupe, fière d’avoir déjà enlevé la vie à 108 milliards d’êtres humains. Elle débarque sans prévenir. Sonne l’hallali et terrasse le bon vivant aussi bien que le moribond. Il lui arrive d’être facétieuse. De rappeler quelques célébrités (y compris religieuses) en des moments particuliers.

« Adrien IV, étouffé par une mouche dans son vin.

Bertrand du Guesclin, mort d’un abus d’eau glacé.

Paul II, mort en sodomie.

Pie IV, mort dans les bras d’une courtisane.

Francis Bacon, mort à cause d’un poulet farci à la neige.

Pie XII, mort d’une crise de hoquet.

Jeff Chandler, mort à cause d’un bistouri oublié dans son ventre.

René Goscinny, mort d’une crise cardiaque en plein test cardiaque.

Tennessee Williams, mort étouffé par le bouchon d’un tube de médicament. 

Le cardinal Daniélou, mort d’épectase dans les bras d’une courtisane. »

Des centaines de phrases, dictées par la mort, et par l’emprise qu’elle exerce jusque sur le vocabulaire usuel, s’empilent, reliées entre elles par celui qui « exerce le métier de vivre » à temps plein en forêt de Brocéliande. Leur nombre et leur brièveté donnent un rythme haletant et une belle densité au livre. Le bon sens populaire y a toute sa place. L’acceptation d’un final en queue de poisson est quasi générale, ce qui n’exclut pas quelques pieds de nez adressés à la faucheuse. Qui ne s’en émeut pas.

Si la mort lui en laisse le loisir, Jean-Pascal Dubost aimerait « mourir sans agonie », si possible « au pied d’un chêne » et « aux côtés d’un sanglier ». Il regrettera quelques amis chers et tous les animaux qu’il considère comme ses frères mais sûrement pas les humains qui, siècle après siècle, tuent par milliers ou par millions en multipliant guerres, massacres de masse, attentats, assassinats et génocides.

« Je vais mourir, les morts, faîtes à moi un peu de place, je n’en prendrai pas beaucoup, je vais mourir ; »

De nombreux poètes et écrivains décédés circulent dans les Phrases de la mort. Leur départ fut surprenant, anodin, prévu, inopiné ou préparé de longue date. Certains ont devancé l’appel, d’autres ont résisté jusqu’au bout. Tous ( Villon, Pirotte, Laude, Mallarmé, Merlen, Léopardi, Laporte, du Bouchet, Corbière, Autin-Grenier, etc.) reviennent saluer, brièvement, leurs futurs congénères, autrement dit tous les vivants, et on les espère nombreux, qui ne peuvent que se sentir concernés par ce livre.

Jean-Pascal Dubost : Phrases de la mort,  dessins de Hervé Bohnert, lecture de François Boddaert, L'Atelier contemporain.

samedi 26 juin 2021

Assemblages & Ripopées

Dès le prologue, le ton est donné. Le poète Dubost fait flèche de tout bois et l’imparable mécanique de la langue qui est sienne chauffe, bruisse, frémit, se cabre, respire amplement, s’embrase et emporte le lecteur. À lui de prendre la mesure de ces agapes joyeuses, savantes et gourmandes qui lui sont offertes. Il y a, comme annoncés, des assemblages, « composés après fermentation en fût céphalique », et d’épiques ripopées en Centre-Val de Loire, mais aussi des mets et des saveurs raffinés qui réclament des breuvages appropriés, des corps en émoi qui ne souhaitent pas en rester là, des vins issus des meilleurs cépages qui roulent dans la bouche et des larmes de vie qui glissent sur le rebord des verres. Il y a, servi sur table copieuse, tout ce qu’il faut pour étancher les soifs et pour rassasier les estomacs quémandeurs. Le festin se déguste page à page, chacune comportant son texte, qui court d’un seul tenant, trouvant sa tonalité, son rythme, sa dynamique noueuse, nerveuse et tendue sans point ni retour à la ligne, un tiret annonçant, simplement, la fin du poème.

« poèmes faits d’assemblages de différents terroirs lexicaux et champs sémantiques favorisés cependant par une bonne exposition aux dictionnaires, aux documents et aux dires d’hommes du cru ; ainsi beuvez toujours, vous ne mourrez jamais – »

Les textes réunis dans cet ouvrage ont été élaborés et écrits suite à des séjours en différents lieux, là où Jean-Pascal Dubost, invité en résidence, a questionné la terre, les hommes, l’histoire, les sous-bois, les ceps, les vignes, les humeurs du ciel ou du sol et l’apport des mémoires collectives pour mieux s’en imprégner. Ce fut le cas dans la Drôme, aux alentours de Montélimar, ou au prieuré Saint-Cosme, où vécut Pierre de Ronsard, qui, vingt ans durant, en fut le prieur et qui finit par y mourir avant d’être enseveli dans la crypte de l’édifice.

« Cher Ronsard, je vous adresse la cy-ripopée qui ne sera goutte un bas mélange de restes vinâtres, mais qui, sous la forme du porte-manteau-mot, "ripopée", fait de ri(bote) et d’(é)popée, sans que ça soit tip top, sûrement pas hip hop, ni beat ou bop, sera sans doute ribaude et laide et pas grave, et qui, plutôt que conter vos hauts faits, que narrer vos grands gestes ou louer votre vaillance offensive et guerrière, se servira de vos lauriers, de votre souffle et de vos trouvailles pour tranche-tailler dans la non franque franche langue nôtre de France amellée de choses estranges, et d’emprunts et de calques et de métissages »

Jean-Pascal Dubost travaille la langue. Il s’en délecte, s’en nourrit, aiguise sa curiosité en élargissant son champ d’investigation. Le lire, c’est se réserver de nombreuses incursions dans les recoins les plus subtils du langage, c’est pénétrer dans ses incroyables potentialités, s’immerger dans la richesse des lexiques, tournures et expressions orales passées ou présentes en se laissant guider par les poèmes, les écrivains (Rabelais, jamais loin), les poètes (notamment ceux du dix-septième siècle) et par cet appétit de vivre qui l’anime et qui ne peut qu’inciter au partage.

  Jean-Pascal Dubost : Assemblages & Ripopées, éditions Tarabuste.

 

mercredi 1 mai 2019

Du travail

« D’où vous vient votre inspiration ? » C’est à cette question récurrente que Jean-Pascal Dubost entend se consacrer pendant la résidence d’écriture qui lui est proposée en Ardèche. Il sait que la question ne peut être balayée d’un simple revers de main et qu’une réponse sèche et définitive serait inopérante. Pour bien cerner le sujet, il entreprend deux chantiers complémentaires. D’une part, un journal d’approche et de réflexion, où il note et mesure l’avancée de ses travaux, et de l’autre, vingt poèmes qui lui semblent ouvrir autant de pistes possibles pour tenter de comprendre ce qui fait naître le texte.

« J’ai établi une liste de titres de poèmes en bloc que je veux écrire ; écrirai ; dont il importera que chacun réponde à la question très moult fois posée, et, quoique lancinante et à la longue irritante, attachante : d’où vient votre inspiration ? »

Il précise d’emblée qu’il ne croit pas à la notion d’inspiration poétique. Le poète n’est pas un être prédestiné qui serait doté d’un don qui n’aurait pas été donné aux autres.

« La question est moins de savoir d’où vient l’inspiration que d’exposer clairement les moyens de la trouvure. »

Il cherche, fouille, s’interroge et nous propose de le suivre en nous ouvrant son atelier. Les livres y sont en bonne place, notamment ceux des écrivains qui se sont déjà attelés au sujet. Il les relit, donne quelques extraits, dit son accord, son désaccord ou l’énigme que tel ou tel propos fait surgir en lui. Ce qui l’intéresse, ce sont les divers éléments qui peuvent susciter le poème. En ce qui le concerne, ils sont multiples. Il les note. Cela va de l’énergie à la ponctuation en passant par le rythme, la tension, la langue, le maniérisme, la prose ou l’humour. Pourtant cela ne suffit pas. Reste l’élément moteur. Et c’est le travail. Et plus encore : la rêverie au travail.

« Le travail d’écrire quotidiennement et soucieusement, sans vacances ni repos et avec cure, n’en demeure pas moins un haut plaisir (non dissimulé) (sinon revendiqué) et très peu lucratif, ne souffrant d’aucune ordinaire pénibilité. Pour ce, je vis de peu, et travaille beaucoup. »

Cela n’empêche pas les pannes. Dont il parle clairement. Et qui peuvent parfois se réparer par les contraintes qu’il s’impose. Cela s’intègre à la tâche. Où l’ennui, les ratures, les doutes, les intuitions, les achoppements, les tâtonnements ont également leur mot à dire.

« Écrire , aller chercher sa propre présence ; ne pas attendre passivement. »

Du travail est un livre stimulant. Porté par une écriture narrative, sinueuse et inventive. Rythmé par une respiration ample (inspirer/aspirer est une question de souffle). Jean-Pascal Dubost aime manier la langue française et ça se sent. Il en est un fin connaisseur, lisant tout autant les anciens que les modernes.

« Je contiens difficilement mon plaisir à mâcher de la langue afin de m’emplir l’être de volupté intemporelle. »

Jean-Pascal Dubost : Du travail, dessins de Francis Limérat, L’Atelier contemporain


Du même auteur, chez le même éditeur, paraît simultanément Lupercales, récit érotique et joyeux qui conte les aventures joueuses, amoureuses et fougueuses de Luperca et de Lupercus, deux entités mi-divines mi-humaines qui vivent dans une maison-louvière au cœur de la célèbre forêt de Brocéliande.

Le titre fait référence à la fête païenne (l’ancêtre de la Saint Valentin) qui avait lieu chaque 15 février à Rome dans l’antiquité en l’honneur de Luperca, la déesse-louve qui allaita Romulus et Rémus.

mercredi 29 août 2018

& Leçons & Coutures II

C’est son Grand Livre de Dettes. Jean-Pascal Dubost l’alimente régulièrement, comme il le ferait d’un feu qu’il faut entretenir pour garder les braises vives et la chaleur ardente. Un premier volume avait déjà vu le jour en 2012. Voici le second, dédié, comme le précédent, à quelques uns de ceux, poètes et écrivains, qui ont compté, et comptent toujours, pour lui. Menant « vie hermitaine à Saint Barthélémy », en Brocéliande, il les lit assidûment et peut aisément sortir de leurs textes et les faire entrer dans les siens.

Ils sont 99. Ne tiennent pas en place. S’échappent souvent de sa bibliothèque. Viennent d’horizons différents. On y croise Andrea Zanzotto, Gregory Corso, Denise Levertov, Charles Olson mais aussi Jean Sénac, André du Bouchet, Valère Novarina ou Jean Tortel. Ils ont vécu dans des époques lointaines (Pernette du Guillet, Christine de Pizan, Guillaume de Machaut), ou plus proches, au dix-neuvième ou au vingtième siècle (Hugo, Artaud, Gracq, Perros, Tzara) et certains, gardant bon pied, bon œil, (Roger Lahu, Lambert Schlechter, Ariane Dreyfus, Dominique Poncet et bien d’autres) sont toujours de ce monde.

Chacun / chacune est évoqué dans un texte bref : un neuvain en prose se terminant par un tiret. Ces poèmes sont amples et ramassés. Nerveux et pleins de trouvailles, ils sont riches d’une substance particulière, d’une matière extrêmement travaillée où apparaissent, çà et là, quelques détails précis et traits essentiels touchant aux écrits de l’auteur choisi.

Pour ce faire, cet insatiable lecteur butine, triture, frotte, manipule, emboîte, enchâsse les mots. Il sollicite également son corps, y puise une belle énergie qui s’ajoute à celle qui provient de ce souffle continu, presque haletant, qu’il maîtrise à la perfection et qui permet à sa phrase de se maintenir constamment sur la crête des vagues Il adapte son lexique en fonction du poète nommé, va volontiers s’approvisionner en vieux français, y bouture des pépites venues d’autres langues, y « lance des trolls farceurs », se montre facétieux, donne joyeusement de ses nouvelles, invente, joue avec les sons et les sens, stimulé par la contrainte qu’il s’impose et subjugué par la fougue du rythme qui, chez lui, ne faiblit jamais.

Jean-Pascal Dubost : & Leçons & Coutures, éditions Isabelle Sauvage.

samedi 7 mars 2015

Continuation de détails

L’auteur l’écrit en préambule et  son conseil est bien utile : il faut se rendre, avant de commencer à lire Continuation de détails, à la page 68 du présent livre pour savoir de quoi il s’agit et comment est né (et s’est construit) ce "journal fantasque" qu’il a extrait de sa malle à carnets et qui sort quelques années après avoir été conçu. Ce sont les notes qu’il a accumulées au jour le jour, au fil de l’année 2007, qui servent de matériau à ce qui fut ensuite revu, relu, corrigé, annoté, raboté et retravaillé.

« C’est un journal rapide, sans raison et faux ; infinitif pour vite aller. »

Et c’est effectivement la rapidité, l’envie irrépressible de sauter du coq à l’âne, selon l’humeur, sans jamais s’attarder, en contournant le « je », en suivant le cours du temps qui file, en sauvant quelques uns des moments saillants qui entrent à l’improviste dans l’histoire des journées, c’est cette multitude de détails transcrite avec fougue et enthousiasme qui frappe et séduit. Passer du coq à l’âne permet en outre d’assembler, ainsi que le fait continûment la mémoire, des fragments de vécu qui n’ont pour plus petit dénominateur commun que d’être entrés en contact avec celui qui s’en empare. Tous figurent dans le journal, guidés et articulés par une écriture qui recherche (et trouve), d’une séquence l’autre, une respiration ample et maîtrisée.

« Dans un total dérèglement qui détraque le jour avec le soleil et la douceur, il est bon de s’inquiéter pour rien, aussi donc qu’une chose à faire, lever le stylo, sans aucune logique, il n’y a de logique en rien, comme une anguille le texte est tronçonné afin que les tronçons bougent dans la poêle pendant la cuisson. »

Ce que note Jean-Pascal Dubost touche à l’infime et à l’infini. Il dit le quotidien, évoque ses rencontres, ses lectures, parle des lieux où il se trouve (chez lui, au calme, en forêt de Brocéliande ou dans le brouhaha des villes, au Brésil ou au Maroc, ou quelque part en France) tout en restant volontairement un peu en retrait. Ce qui l’intéresse, c’est cette continuation, cette avancée qui jamais ne doit s’interrompre  et qu’il porte grâce à l’énergie qu’il donne à sa langue. Il la brasse, la nourrit, lui procure une cadence inouïe.

Il n’oublie pas, ne peut pas, tant il vit avec intensité (en lui-même mais aussi avec les autres), ce qui bouge, se fracture, fait peur et parfois honte, tout autour, dans le monde ou dans l'hexagone en cette année 2007.

« L’Irakien traîné en laisse comme un chien est une victime qui émeut le monde entier des écrivains choqués ; c’est un syndrome, mais quel nom porte ce soleil qui vieillit ? »

Il prend à bras le corps cette matière abondante, puis il la condense et la relie en blocs de prose fluides qui, mois après mois, offre une belle densité au millésime en question.

Il publie, parallèlement, Sur le métier, un ouvrage qui reprend les « entretiens infinis » qu’il avait accordés à Florence Trocmé pour le site Poezibao. Ils sont ici revus et retravaillés. On y retrouve, en différents chapitres (« de l’extraction », « du baroque », « du travail », « du défait », « du compost », etc) ce qu’est le métier d’écrire pour celui qui a su se forger une langue extrêmement singulière. Il rappelle également la nécessité qu’il ressent à tenir en permanence ses carnets ouverts.

« J’ouvris des carnets pour l’essentiel dessein d’écrire sans fin, tout et n’importe quoi, pourvu que l’esprit fit son exercice : des notes de lectures, du lexique, des textes délirants, des recensements d’objets échappés, des proses ferroviaires, ou de voyage, ou de résidence, horticoles, anthologiques, des recopiages, etc. Le premier janvier 2000, j’ouvris un cahier-total : que j’ai appelé « mémento », (en latin : « souviens-toi »).

Jean-Pascal Dubost : Continuation de détails, dessins de Jean-Claude Saudoyez, éditions L’âne qui butine.
Sur le métier, entretiens avec Florence Trocmé, éditions Isabelle Sauvage.

 Jean-Pascal Dubost était en résidence d’écriture à la bibliothèque Saint-Nicolas à Angers en automne 2014. On peut découvrir le blog de la résidence ici. (le cliché qui sert de logo à cet article en est extrait).

samedi 3 septembre 2011

Terreferme

Terreferme est, après Fondrie (Cheyne, 2002), le deuxième volet de la tétralogie « La rêverie au travail » à travers laquelle Jean-Pascal Dubost entend écrire, décrire, percer, interroger les quatre éléments présents « dans la vie réelle » ainsi que leurs rapports directs « sur les activités humaines dans certains secteurs économiques dont ils sont ressource, matière ou énergie ».

Si Fondrie s’attachait au feu de la fusion, Terreferme, comme son titre l’indique, est tournée vers la terre, celle que l’on ouvre, que l’on laboure, celle où l’on sème, sue, récolte. Autrement dit la terre liée à la ferme et plus précisément à ce que l’on nommait « ferme modèle », concept apparu dès le dix-huitième siècle mais qui ne vit le jour qu’au dix-neuvième, faisant en particulier une belle incursion aux alentours de Segré. C’est là, dans le pays du Haut-Anjou Ségréen, que Jean-Pascal Dubost fut, il y a quelques temps, en résidence d’écriture. Il en profita pour arpenter la contrée en quête des vestiges encore visibles de ces fermes dont l’une, située à Bourg d’Iré, vit le jour sous l’impulsion du comte Alfred de Falloux (auteur de la loi du même nom) lorsqu’il rentra au pays « en homme politique déchu par le coup d’état du 2 décembre 1851 ».

« De Falloux fit supprimer fossés et chemins creux, fit terrasser, niveler, drainer, assainir, irriguer et imagina cette ferme régulière et symétrique, sans fantaisie, reposant sur un principe énoncé dans son idylle historico-philosophique Dix ans d’agriculture. »

Dans ces fermes, chaque bâtiment a une affectation distincte. Hommes, bêtes, fourrage et matériels ont chacun leur espace. Les constructions se font souvent en U. Parfois, un système ferroviaire avec « wagonnets facilitant l’évacuation du fumier et diminuant la pénibilité du travail » traverse les bâtiments. Impératifs sanitaires, économiques et industriels sont extrêmement liés.

J.P. Dubost sillonne la campagne en voiture. Il prend notes et photos. Il écrit de courtes biographies des personnages ayant marqué les lieux. Il consulte les registres, repère les failles, scrute le paysage et finit par rencontrer l’un des derniers témoins d’une époque révolue : Alfred Liaigre, commis chez l’éleveur Huet de 1939 à 1945. Ce qu’il dit, et que l’auteur enregistre puis retranscrit, nous plonge au cœur du bocage, de ses us et coutumes, de ses duretés à la tâche, des exigences des patrons et châtelains d’époque.

« L’homme a d’évidence ici cherché à construire un “paysage modèle” et notre rêverie notera le bocage lentement défait par l’action agricole, les talus arasés, les souches mortes, les émousses mourantes, les racines déchaussées, les champs ouverts… »

Dans ce livre, écrit « en vers injustifiés », la poésie n’est pas là où on l’attend. Elle est dans les interstices, dans la matière, dans la densité de la langue, dans la respiration soutenue, dans les proses sinueuses où circulent réflexions, descriptions, repères économiques, architecture, histoire, économie. Un livre plein d’herbe, de terre, de tuffeau, de schiste noir, d’odeurs, de cadastres, de boue, de borriques débondées et de cidre frais, un livre que l’auteur, qui parle de « paresse travaillée », verrait bien étincelant de « bouésie ».

Jean-Pascal Dubost : Terreferme , éditions  L’idée bleue.
Logo : Carrière de Misengrain, photographie de Jean-Pascal Dubost.

mercredi 9 février 2011

Fatrassier

« "Fatrassier" est un mot disparu ; il désignait celui qui aime le fatras (l’hétéroclite) ; on peut l’entendre ici comme une invention sémantique de recueil. »

On peut même aller plus loin et admettre que celui qui s’active aux manettes du dit recueil, celui qui en assemble les différentes pièces, en l’occurrence Jean-Pascal Dubost, peut lui aussi se prévaloir du titre de fatrassier.
On le retrouve en plein chantier, aux prises avec les animaux (d’abord les corbeaux, les sangliers) qui s’invitent fréquemment dans ses textes, y poussant leurs cris ou leurs grognements, laissant planer leurs ombres à ras de terre. Un peu plus tard, on le retrouve à table, prêt pour des "mangeries" grandioses et raffinées, assis sur un banc entre le fantôme rieur d’un Rabelais aux anges et celui d’un Marcel Rouff occupé à servir continûment le gourmet Dodin-Bouffant sur un plateau.

« N’est pas gourmand nécessairement celui qui est fourni d’un pourpoint conséquent et d’un nez court et d’un visage rond et de lèvres charnues, qui sachant se nourrir avec délectation des plats succulents et boire les boissons les plus délicieuses (entendons-nous bien : celles distribuées par Bacchus), qui excellant dans la préparation d’une bonne chère, qui ayant religion dans la science gastronomique ; car je considère qu’il peut se classer dans cette catégorie d’hommes, n’en déplaise, tel, cacographe, d’éthique constitution, simple cuiseur d’aliments, fouille-au-pot, qui, bien qu’il puisse se nourrir d’une soupe déshydratée knorr (de préférence au cresson ou aux cèpes et bolets) trempée de pain et arrosée d’un vin guinguet et adoucie de crème fraîche, peut se réjouir à l’extrême d’une accumulation de fricatives... »

Dubost, avec son écriture rugueuse, son utilisation si précise de la virgule, sa syntaxe ramassée, ses textes qui forment bloc et tiennent souvent d’un seul tenant, ouvre sa table à tous ceux qui veulent bien le suivre et saliver avec lui sur la façon de bien cuire, accommoder, servir les viandes de ces animaux que, par ailleurs, il vénère et salue avec joie. Des yeux aux mains puis des mains aux lèvres et du gosier au ventre, il les honore, hache, mélange, rôtit, farcit, goûte, fricasse et procède de même avec les mots, les verbes et le riche lexique qui accompagne chacune de ses suggestions.

« C’est à la caroncule, au camail, à la patte, au bréchet, à l’ergot, sanguine, gonflé, brillante, flexible, long, qu’il faut choisir parmi les membres avifaunes de la cour et, au détail près, à sa taille, pour l’exercice ardu de les farcir en abyme comme je le propose. »

L’ironie n’est jamais loin. La dérision non plus. L’une et l’autre avancent de concert, sur la pointe des pieds, dans les sections intitulées Le Belluaire satirique (voir, entre autres, l’auto-portrait de l’auteur en crocodile) et Morric, Morruc, heureuses rêveries lexicales (Ah, céphalophore, Tréhorenteuc, cucurbite et prosimetrum !) qui redisent combien Jean-Pascal Dubost apprécie, vénère et associe avec une même fougue, un même bonheur, les mets et les mots.

Jean-Pascal Dubost : Fatrassier, éditions Tarabuste (Rue du Fort - 36170 Saint-Benoît-du-Sault).