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jeudi 2 février 2023

Itinéraires de délestage

Voici le livre idéal pour se familiariser avec l’œuvre foisonnante de Lionel Bourg. Ces chemins de traverses, empruntés durant les quinze dernières années pour aller vers les autres, en particulier les écrivains, les peintres, les poètes, les photographes, lui donnent l’occasion de se dévoiler plus amplement en offrant de nouvelles pièces au grand puzzle autobiographique qu’il construit inlassablement. Il s’appuie, pour cela, sur ceux (il n’a que l’embarras du choix) qui ont le don de le booster, de le faire sortir de la monotonie, de l’éclairer aussi, de le conforter dans ses choix, d’ouvrir de nouvelles brèches et de lui insuffler un peu de leur énergie.

Ses phrases sinueuses nous portent d’emblée au cœur du texte, ou plutôt des textes puisque ce volume en comporte 40, qui vont de l’essai au récit en passant par le poème. Parler des autres nécessite de dire d’où l’on s’exprime, qui on est et quel est le cheminement qui nous a conduit vers tel ou tel artiste. C’est ainsi que procède Lionel Bourg pour évoquer ceux qui sont devenus au fil du temps, qu’ils soient d’aujourd’hui ou d’hier, ses compagnons de route. Certains ne dorment que d’un œil sur sa table de chevet. C’est le cas du poète, essayiste et journaliste Charles Morice (1860-1919) dont il dresse un très beau portrait, redonnant vie à cet esprit curieux qui permit à Verlaine de découvrir Tristan Corbière.
Les livres de Léon-Paul Fargue, l’arpenteur des rues parisiennes, ne sont jamais loin. Ceux de Rousseau, de Proust, de Breton, de Nicolas Bouvier ou de Michèle Desbordes non plus. Leurs différents textes et leurs itinéraires de vie s’entremêlent et l’écrivain prend plaisir à y flâner pour mieux les retrouver.

« Inépuisable Proust.
Rouvrant Du côté de chez Swann, relisant avec délectation la préface à Sésame et les lys, on serait en droit de se demander pourquoi, après tant d’articles, d’exégèses ou d’analyses, de méditations, de controverses, l’œuvre du "petit Marcel" s’obstine à faire couler une telle quantité d’encre, l’inflation des études consacrées au plus célèbre des asthmatiques ne réussissant pas à provoquer le krach littéraire que bien des critiques s’étaient plu à pronostiquer. »

Plusieurs poètes contemporains sont également présents. Ils le sont parce qu’ils parviennent à l’émouvoir, à l’étonner, à le surprendre par la percussion de leurs poèmes et on se dit que c’est sans doute du côté de ces discrets qu’il faut aller voir, si l’on veut découvrir quelques voix fortes et singulières, comme le sont celles d’Olivier Deschizeaux, de Patrick Laupin, de Thierry Metz (1956-1997) ou encore de Werner Lambersy (1941-2021).

« Il y a, dans la poésie d’Olivier Deschizeaux, une telle intensité, un tel remue-ménage de sensations, physiques, spirituelles, une telle amplitude morale enfin que, de galopades phonétiques en embrasements, d’images tranchantes en brusques changements de cap – ruptures, convulsions au sein de la syntaxe, épiphanies brutales de contradictions aussitôt abolies – le langage semble passer sous nos yeux avec armes et bagages du côté du vertige. »

Si les poètes et les écrivains ont la part belle dans ce livre, (impossible de les citer tous), les peintres et photographes ne sont pas en reste. Ils se nomment Paul Rebeyrolle, Alain Bar, Alain Boggero, Yves Henry, Anne-France Frère, Thierry Azam, etc. Lionel Bourg les côtoie depuis longtemps, leur offre parfois ses mots, visite des ateliers, des expositions, y trouvent matière à explorer différemment l’acte créatif, à voir surgir l’inconnu.

S’il invite, tout au long de son livre, ces différents créateurs à l’accompagner, s’arrêtant sur leurs travaux achevés ou en cours, il note également ce qui, dans leurs réalisations, touchent et aiguisent, sans qu’ils s’en doutent, sa propre sensibilité, ses émotions impossibles à refréner et les éléments épars qui fondent sa personnalité et influent sur son écriture.

« "J’ai l’âme charbonneuse", ai-je confié dans un livre.
L’âme rétive. Chagrine.
Captive des bois touffus où je crus m’évader. Dans cette rue cafardeuse, aussi, désespérante, ne desservant qu’une succession de monotones vestiges industriels. Cette avenue sans joie, sans horizon qui, toujours, inéluctablement, débouchait sur l’entrée du cimetière. Jeudi. Ou samedi. Dimanche. La main dans celle de maman, j’obéissais à sa volonté déchirante, fleurissant de mes larmes la tombe de mon frère.
Écrire, c’est le fonder, l’enraciner ce lieu. »

L’écriture de Lionel Bourg naît tout à la fois du présent et de la mémoire. Elle est ancrée dans les paysages qui lui sont chers, notamment les monts du Forez et l’ancien pays minier. Elle dit la vie rude de ceux qui gardent la tête haute face à l’adversité, notamment les hommes et les femmes de la classe ouvrière à laquelle appartenaient ses parents. Elle exprime le combat, la révolte, la rébellion mais aussi la tendresse, la douceur, la bienveillance. Elle porte en elle de longs, lancinants chants qui se rapprochent parfois de ces blues percutants, nés dans les plantations de coton du delta du Mississippi, qu’il aime tant écouter.

« Bon voyage ! », dit-il en préface, nous invitant à emprunter ces multiples et passionnants Itinéraires de délestage pour côtoyer tous ceux, toutes celles qui le font vibrer , lui qui poursuit, depuis des décennies, l’écriture d’une autobiographie qu’il ne peut concevoir qu’en célébrant les autres.

Lionel Bourg : Itinéraires de délestage, Le Réalgar

mardi 16 février 2021

L’œuvre de chair

Bonne nouvelle : L’œuvre de chair, livre que Lionel Bourg a consacré à la peinture et à la vie de Paul Rebeyrolle, qui était épuisé depuis longtemps, est réédité par les éditions Fario. Ci-dessous, la note de lecture que j'avais consacrée en 2006 à la première édition.

Paul Rebeyrolle a souvent parlé de son premier contact avec ce qu’il nommait « un vrai tableau ». Cela se fit un peu par hasard, en 1944, boulevard Raspail, quand il fut attiré, passant devant la devanture d’un marchand de tableaux, par un Rouault exposé en vitrine... D’autres rencontres, lui permettant de voir « la grande peinture lui arriver en plein dessus, d’un coup », vont dès lors se succéder, en accéléré. Il y aura, outre Soutine et sa force brute, la découverte, dans le désordre, de chocs nommés Rubens, Delacroix, Courbet, Rembrandt...

De ces secousses, Rebeyrolle aime en ramasser les éclats. Il les loge dans son corps. Les frotte à sa propre histoire, à son présent, à ses paysages familiers - tout particulièrement à ceux d’Eymoutiers (en haute-Vienne) où il est né en 1926 - qui ne cessent de le nourrir. C’est ce cheminement - ouvrant sur la secrète alchimie qui en sort, faite d’énergie, de révolte, de hargne et de violence - que Lionel Bourg interroge et restitue avec fougue dans L’œuvre de chair.

« On ne se délecte pas de la peinture de Paul Rebeyrolle. Récusant toute posture, tout voyeurisme, toute contemplation sereine ou détachée des tableaux dont elle s’affranchit afin de plus énergiquement les investir, son impétuosité ruine les prétentions du spectateur. C’est que la regarder ne suffit pas. Qu’elle exige davantage. Plonge quiconque s’y confronte au sein de ses turbulences. »

Il suit cet homme, dont l’œuvre « s’insurge, s’enivre et jouit, s’arc-boute, dénonce », avec entrain et connivence. Ses phrases pivotantes s’intègrent aisément à « cet univers d’étreintes et de clameurs, de cris, d’œdèmes ou de tripailles jetées sur la toile » par le peintre pendant plus de cinquante ans.

Lionel Bourg s’affirme, par bien des côtés, proche de celui qu’il salue ici. Il y a dans sa façon d’écrire, dans son appétit de vivre, dans sa soif d’en découdre (et de se colleter le présent sans que le moindre compromis ne soit de mise) des affinités qui ne trompent pas... Il faut du souffle et de la puissance (il en a) pour suivre le peintre de série en série, de Guérilleros en Prisonniers en passant par Faillite de la science bourgeoise, pour le décrire au travail, en sueur près de ses Sangliers, de ses Nus, de ses Paysages, aux prises avec cette vitalité sauvage et primitive qui l’aura portée toute sa vie.

Rebeyrolle est mort dans son atelier en février 2005. Ce livre est bien plus qu’un hommage. C’est une incitation à aller à la rencontre de l’un des artistes majeurs, l’un des plus solitaires, de la seconde moitié du vingtième siècle.

Depuis 1995, un espace permanent est  consacré à ses œuvres, à Eymoutiers, au bord du ruisseau Planchemouton, là où ses cendres ont été dispersées.

Lionel Bourg : Paul Rebeyrolle, L'œuvre de chair, éditions Fario.

En fin 2020, Lionel Bourg a publié Victor Hugo, bien sûr. A lire, à découvrir. C'est aux éditions Le Réalgar.


dimanche 8 décembre 2019

C'est là que j'ai vécu

Il se sait, comme tout un chacun, de passage, y compris dans la ville qu’il arpente tous les jours depuis plusieurs décennies. Cette ville, c’est Saint-Étienne, dont l’histoire s’imprime jusqu’en ses sous-sols crevassés d’ancien pays minier. C’est là que Lionel Bourg a ses repères. Sa mémoire y est attachée. Son regard, sa sensibilité et son imaginaire aussi. Nombreux sont les lieux qui font instantanément remonter en lui des émotions fortes. Il y pose ces jalons familiers et intimes qu’il assemble ici. En improvisant un jeu de pistes subtilement désordonné où on le voit cheminer d’un bon pas.

« Mes racines, que je saccage et, avec la vétilleuse application des renégats, dépèce, tronçonne, m’amputant des rhizomes comme des bulbes qui se cramponnent au no man’s land initial, s’immiscent par les fissures du béton ou rampent sous les poutrelles d’une salle des pas perdus... »

Il flâne, nourrit sa promenade en y insérant ce qu’il voit, ce qui lui revient et ce que sa pensée volage caresse ou triture tandis qu’il avance. Ces rues, ces venelles, ces quartiers, il les connaît comme sa poche. Il les contourne ou les traverse en se frottant à leur propre histoire. Parfois, la peau des murs se fissure. Il écoute alors ce que ces vieilles pierres ont à lui dire d’un passé qui fut plus noir que rose. Sa sensibilité est à fleur de peau. Sa colère intacte. Quelques personnages peu recommandables ont laissé de pénibles traces (citations, statues ou plaques de rue) en ville. Ceux-là, qui furent jadis roitelets de la place, il les rembarre en deux, trois phrases, guère plus. C’est que le temps presse et qu’il a fort (et mieux) à faire. Il y a des dizaines d’oublis à réparer. De nombreux discrets à évoquer. Ce sont eux qui l’accompagnent tout au long de son arpentage. Eux qui l’aident à lire la ville autrement, en y entrant par ses interstices.

Il y a là Henri Simon Faure, l’électricien-poète, créateur de revues, qui a offert une parfaite sépulture d’encre et de papier Au mouton pourrissant dans les ruines d’Oppède, Marc Stéphane, l’auteur de Ceux du trimard, à nouveau disponible grâce aux éditions de L’Arbre Vengeur, Jean Duperray, dont Les harengs frits au sang (Grand Prix de l’humour noir, 1955) ont été récemment réédités chez le même éditeur, Laurence Iché, qui posa pour son père sculpteur mais aussi pour Picasso et qui, poète, intégra le groupe "La Main à plume" aux côtés (entre autres) de Maurice Blanchard et de Robert Rius (dont elle fut amoureuse et qui fut exécuté en 1944). Et bien d’autres encore, tel le coureur cycliste Roger Rivière, qui dut mettre fin à sa prometteuse carrière après une chute dans un ravin dans la descente du col de Perjuret lors du Tour de France 1960 et qui devint toxicomane à force d’absorber du Palfium pour calmer sa douleur. Ou Charles Morice, qui fit tant rire Verlaine en lui lisant du Tristan Corbière et à qui Lionel Bourg a consacré un ouvrage l’an passé. Ou encore Jean-François Gonon « l’inventeur de La Gaieté gauloise et du Caveau » . Sans oublier Rémy Doutre.

« Rémy Doutre, roi des " goguettes " où les poivrots trinquaient avec les internationalistes, chez Frachon, et chez Paulet, chez Coignet, qui dirigèrent un cabaret interlope à la jonction de la rue des Creuses et de la rue Badoullière, chez Picon, rue du Palais de Justice, ou chez Lanery, rue Praire, chez Duchêne, place Romanelle, au Café Coste plus tardivement, rue de la Loire (l’actuelle rue Georges Tessier) quand il devint l’idole des pochtrons comme des métallos et des mineurs... »

La tournée des grands ducs, dissimulés dans l’ombre des portes cochères, ne s’arrête pas là. Lionel Bourg la poursuit en invitant dans ses balades des visiteurs venus d’ailleurs, des irréguliers qui l’accompagnent depuis toujours, les Breton, Ferré, Rousseau, Ginsberg, Gaul, Ravachol (pour n’en citer que quelques uns). Il trouve auprès d’eux, quand ça ne va pas fort, quand le blues devient plus pesant, quand les lendemains pleurent à chaudes larmes, cette force, cette énergie, cette fougue qui le portent (en ses longues phrases ondoyantes) et qui embarquent le lecteur dans de stimulantes et toniques traversées.

Lionel Bourg : C’est là que j’ai vécu, Quidam éditeur.
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vendredi 8 septembre 2017

Watching the river flow

Il a 15, 16, 17 ans. Se laisse porter par le bus qui cahote de Saint-Chamond à Saint-Étienne. Rêve, les yeux grands ouverts et la joue contre la vitre, à ces points d’appui qu’il a découverts depuis peu, à ces poèmes, ces fulgurances concoctées par de jeunes dynamiteurs de langues venus du hameau de Roche dans les Ardennes ou de la ville industrielle de Paterson en Amérique. Il sait que ceux-là (ce Rimbaud, ce Ginsberg) ont assez d’envergure pour l’aider à s’éjecter d’un univers familial dont la routine et la désespérance le plombent.

« Maman tremblait. Abattue. Furieuse.
Daniel, mon aîné, souriait dans le cadre barré de crêpe qui se détachait sur le papier peint du vestibule, une photo diaphane rehaussant sa blondeur et celle d’André, le cadet, sous un verre où mourait la lumière de la salle-à-manger. Penaud dans mon coin, je me ratatinais. M’étiolais. »

Il sait que ces types qui tordent à leur façon le cou du vieux monde des années 1870 ou 1950, qui hurlent, qui assènent des coups rudes à une poésie trop sage, qui se rebellent, inventent, vitupèrent, invectivent, ne sont pas seuls. Ils ne représentent que la partie visible de l’iceberg. D’où ne peuvent que jaillir, tête froide et sang chaud, beaucoup d’autres. Qui leur ressemblent. Et qui vont l’aider à donner de tonitruants coups de pieds dans ces portes qu’il lui faut ouvrir pour libérer le vent de révolte qui ne cesse de monter en lui.

Parmi eux, sortant du lot, découvert grâce au transistor puis aux 45 tours, il y a ce chanteur ébouriffé à la voix éraillée, un dénommé Robert Zimmerman, né à Duluth, Minnesota, le 24 mai 1941, qui traîne du côté de Greenwich village, qui a débuté au café Wha ?, qui a joué en première partie d’un concert de John Lee Hooker, qui donne voix aux exclus, aux délaissés, aux déclassés, aux révoltés, aux noirs, aux invisibles. Il susurre des textes âpres, taillés au couteau, et des blues lancinants ou énervés. Il s’accompagne à la guitare et à l’harmonica et n’a pas peur de se montrer frondeur et provocateur.

« Il l’avait assez crié, murmuré, miaulé sur les toits et dans les basements, empruntant aux récits bibliques ou à Woody Guthrie, à Melville comme à Kerouac, et à Ginsberg, au Dylan Thomas auquel il devait son pseudonyme, les paraboles et les tournures métaphoriques dont il truffait d’interminables refrains psalmodiés d’une voix râpeuse ou nasillarde. »

Celui que Lionel Bourg suit à la trace, expliquant en quoi de nombreux morceaux créés et interprétés par Dylan lui furent essentiels, le rassurant parfois dans les très bas de son toboggan de vie, a assez de biographes de haut vol pour qu’il s’y mette à son tour. Son propos (qui n’est pas, non plus, celui d’un essayiste) est tout autre. Il s’agit de revenir sur un compagnonnage (qui court sur plus d’un demi-siècle) en notant combien il a compté (et compte encore) pour lui, qui s’en est imprègné tout en gardant son esprit critique intact.

« Des pleurs, des larmes, il y en a tellement dans les chansons de Dylan ! On y va, on s’y rend, là où les gouttes salées tombent »,

là où elles rejoignent le flux de la rivière que Lionel Bourg longe en captant ses tumultes et en gardant ses écouteurs, reprenant, au fil d’un récit où se mêlent fragments autobiographiques et références à de multiples personnages. Les extraits de textes qui jalonnent l’ensemble atténuent ou amplifient quelques uns des épisodes douloureux vécus par l’auteur. Qui mixe cela avec habileté, en un récit exigeant, extrêmement bien tissé, où la présence de Dylan se faufile, en constant fil rouge.

Lionel Bourg : Watching the flower flow, sur les pas de Bob Dylan, illustrations de Olivier Fischer, éditions La passe du vent.

Un autre livre de Lionel Bourg vient de paraître aux éditions Le Réalgar : Demain sera toujours trop tard. Il s’agit d’un ensemble de lettres ouvertes adressées à ses contemporains. Un livre alerte, tonique et réconfortant jusqu’en ses vivifiantes sautes d’humeur.

lundi 2 mai 2016

Un nord en moi

Pour qui ne connaît pas (encore) le travail du peintre Jérôme Delépine, ce livre est plus que précieux. Lionel Bourg dit ce qui l’attire dans le parcours de l’artiste en s’appliquant à bien cerner sa démarche. Il débute par les portraits étranges et inquiets de jeunes enfants (puis d’adultes esseulés) peints en s’inspirant de vieilles photos de famille.

« Des gamins (…) émergent, qui se frottent les prunelles, captifs d’une stupeur d’autant plus carcérale qu’elle obéit à sa conscience végétative. »

Il y a dans le regard de ces êtres étonnés, égarés et mélancoliques, une réelle proximité avec les reclus chers à Jean Rustin. Lionel Bourg souligne ces affinités tout en notant ce qui s’avère unique ici. Jérôme Delépine n’a qu’un œil valide. Et encore : deux petits dixièmes font que sa vue se trouble rapidement, lui offrant un champ de vision rétréci. Ceci explique en partie le halo lumineux toujours un peu flou qui apparaît derrière ses portraits et ses paysages, ces lieux qui semblent flotter dans une clarté pâle où prennent place arbres, terres bosselées, ciels tourmentés, feux lointains et silhouettes perdues. Un monde fascinant vu (prolongé et imaginé) par le regard blessé d’un peintre qui œuvre sans discontinuer.

« Jérôme Delépine n’en fait pas mystère : "Je, c’est celui que je cherche en moi, celui dont je porte la mémoire". »

Et si cette recherche passe par le travail et la création, elle passe également par les autres, et tout particulièrement par les grands peintres que cet autodidacte considère comme ses maîtres : le Caravage, Turner, Rembrand. Lionel Bourg y ajoute, fort à propos, de nombreux autres, qui vont des fresquistes de Lascaux à Paul Rebeyrolle en passant par Goya, Bacon, Munch ou Fautrier, qui, eux aussi, et de tous temps, « n’ont brossé que ça : de l’inaudible, des corps dépenaillés, des délabrements, des apothéoses, des vertiges. »

Circulant de toile en toile, glissant dans les méandres, y trouvant autant de fraîcheur que d’incandescence, s’appuyant régulièrement sur son itinéraire, sur ses découvertes et ses émotions, Lionel Bourg explique aussi comment ces lavis couverts de givre, « ces mousselines pailletées de pollen », ces éclats constellés de perles, ont le don de réveiller en lui une grande part de nord.

« Nord des marées en loques remontant les estuaires jusqu’aux confluences hanséatiques des épices et des thés de Chine. Nord des trafiquants. Des diamants. Nord du délire, des pierres de folie dans les boîtes crâniennes.
Nord d’Ostende à Dunkerque, où je crus pouvoir lapider le ciel.
Nord d’un cri qui résonne toujours. »

Nord vers lequel se dirigent inexorablement le peintre et l’écrivain, chacun à sa manière, tous deux nomades, avançant en se référant à la plus précieuse des boussoles : celle dont le magnétisme se trouve directement relié à leur propre mémoire.


Lionel Bourg : Un nord en moi, peintures de Jérôme Delépine, éditions Le Réalgar


lundi 25 janvier 2016

J'y suis, j'y suis toujours

Ce n’est pas parce que le corps – forcément usé par des années qui furent loin d’être de tout repos – connaît en vieillissant de fâcheux ratés, que l’on se doit de battre en retraite, de s’exclure, de se ratatiner en ne s’en remettant qu’à de vagues souvenirs qui, de toute façon, finiront par s’éroder et par disparaître.
Cette stratégie du piteux repli sur soi n’a pas cours chez Lionel Bourg. Et pas plus la sagesse que certains, passé un certain âge, vénèrent tant. Son charme anesthésiant, il le laisse volontiers griller les neurones de ceux qui ont décidé de rentrer définitivement les griffes. À cela, à cet état de fait assez désespérant, il préfère opposer une saine colère, celle d’un homme debout. Et même vent debout. Disant simplement, avec ses mots, sa verve, son énergie, ses flèches bien acérées, bien décochées, ce qui doit être dit, écrit, dénoncé, d’abord littérairement, et avec force, à propos d'un monde terrible, injuste, impitoyable qui continue de broyer sans ménagement.

« Je suis des régions grises.
Des scories, du mâchefer, des laves assouvies et de la crasse industrielle.
Du granit comme des gneiss, du grès primitif, des schistes délités dans l’obscurité que les miens creusèrent. »

Il n’oublie pas d’où il vient et sait de quoi il parle. Il le fait en prenant un minimum de distance pour exprimer au mieux les affres d’une désespérance dont les racines s’entortillent au plus profond d’un peuple bafoué. Il espère que celui-ci finira par relier en réseau toutes ces craquelures et fissures qui ne sont encore qu’à peine visibles en surface. Ce serait une belle revanche que de contraindre les représentants d’une élite intellectuelle franco-française toujours aussi prétentieuse (lesquels se relaient, à coups de livres et de plateaux télé, pour expliquer à peu près tout et n'importe quoi, en culpabilisant, au passage, ceux qui souffrent) à rabattre enfin leur inépuisable caquet...

« On parle de piété. D’extase et de sacré. Du "mal". De la simplicité. Un bénédictin du sérail encense la pauvreté. À d’autres ! L’indigence, j’y suis né : ce n’est pas folichon à voir. Quant à s’en réclamer, légitimant le principe d’une vérité supérieure, chaste, évangélique, ne comptez pas sur moi, la pire abjection, qui se complaît à salir toute beauté justement, rejoignant sur la scène de leur pseudo conflit la feinte humilité du "Très-bas" et les roueries, les pièges ou les caresses d’une habile théologie négative. »

Lionel Bourg met le doigt là où ça fait mal. Il appuie et ne relâche pas la pression. Non seulement pour dénoncer l’effroyable « ordre des choses » que cimentent en partie finance et religions mais aussi pour mettre en lumière les quelques motifs d’espoir qui permettent d’entrevoir de vifs et salutaires sursauts.


Lionel Bourg : J’y suis, j’y suis toujours, éditions Fario.



mardi 9 septembre 2014

L'échappée

On le surnommait l’Ange de la montagne. Roland Barthes, dans ses Mythologies, le voyait en "Rimbaud du Tour" . Il était frêle, taciturne, solitaire. Il appréciait tout particulièrement la pluie et parvenait, dès qu’une route en lacets atteignait des pourcentages respectables, à créer de grands écarts dans les étapes de montagne. Charly Gaul gagna ainsi le tour de France en 1958 et s’imposa dans le tour d’Italie en 1956 et en 1959.

« Quand il domine un Tour de France d’anthologie, en 1958, le champion luxembourgeois est déjà mon héros.
Je ne jure, ne respire que par lui, qui rougit, bredouille au micro lorsque l’un des reporters des actualités cinématographiques l’abreuve de compliments. »

Lionel Bourg n’a pas dix ans quand il reconnaît en ce coureur cycliste un être capable de donner, à distance, un peu plus de fierté, de couleurs et d’optimisme à son quotidien d’enfant vivant dans une famille en souffrance. Comme dans presque tous ses textes, la part autobiographique est ici la matière même du récit. La présence de Charly Gaul, et ses exploits, sa fougue, son panache, viennent opportunément rétablir l’équilibre dans un univers plombé par la tristesse, le mal être et les visites hebdomadaires au cimetière sur la tombe du frère aîné (mort noyé) en compagnie de la mère qui pleure, fond, psalmodie, se révolte.

« Maman, qui, jusqu’à l’effondrement dont elle allait mourir, ne sut qu’avec outrance et comme gonflée de colère porter un deuil infiniment destructeur. »

C’est dans ces moments de douleur, vécus au cœur d’une ville ouvrière où la plupart des hommes bossent à la mine ou aux aciéries, que la présence virevoltante du cycliste en démonstration dans les cols mythiques des Abruzzes, des Alpes, des Dolomites et des Pyrénées devient réconfortante. Le fabuleux grimpeur rétablit, sans le savoir, un point d’équilibre qui permet à celui qui en a fait son idole de supporter l’insupportable.

« Un soir, à l’étape, il me semble que tu parlas du ciel et des hérons, des grues occupées à cisailler les bancs de brume. J’écoutais. Engrangeais tes paroles ou celle que j’entendais en secret dans ma tête. L’enfance n’a de recours qu’en elle-même. »

Gaul était un rêveur. Il aimait vivre à l’écart, loin des convenances sociales et autres obligations d’usage. Sitôt sa carrière terminée, il se retira dans les bois et s’arrangea pour qu’on ne vienne pas le déranger. Il s’effaça, coupa les ponts, se réserva une vie intérieure et la préserva jusqu’à sa mort en 2005. C’est à cet homme taciturne et secret, grâce auquel il a pu s’échapper et vibrer, que Lionel Bourg rend hommage en le suivant tout particulièrement de la fin des années cinquante au début des années soixante.

Lionel Bourg : L’échappée, éditions L’escampette.
Logo : Charly Gaul en 1957.

* Lionel Bourg publie parallèlement Ce serait du moins quelque chose, récit où l'on retrouve ces balises autobiographiques qu'il pose, comme autant  de passerelles sensibles, entre l'enfant qu'il fut et l'écrivain qu'il est devenu. Elles  jalonnent une œuvre de plus en plus dense. Le livre, superbe, est l'un de ceux que concoctent les belles éditions Le Réalgar, avec des dessins de Christine Guinamand.

jeudi 17 janvier 2013

Lire Lionel Bourg

Décider de suivre à la trace Lionel Bourg – pour accompagner l'homme et l'écrivain sur ses sinueux chemins de traverse – c'est à coup sûr s'embarquer dans une déambulation hors norme. Il faut tout d'abord ne pas hésiter à se perdre tout en prenant soin de jalonner sa route de points de repères. Précaution fort utile pour se situer, revenir sur ses pas si besoin est et repartir pour se retrouver peu à peu en pays de connaissance en compagnie d'un être qui va vite nous en apprendre tout autant sur nous-mêmes que sur lui.

Il ne ménage pas son lecteur. Il lui arrive même de le titiller, voire de le brusquer en débutant son texte à toute allure et en demandant à qui veut le suivre d'adopter d'emblée un rythme soutenu. C'est un passage obligé pour entrer de plain-pied dans son univers, dans ses livres, ses poèmes, ses récits, ses lettres, son journal, ses essais, ses carnets, ses humeurs, ses coups de gueule, ses périples (de Bucarest à Douala avec fréquents retours à Saint-Étienne – où il habite – ou à Saint-Chamond – où sont ses racines).

« Dehors la ville est morte. De jeunes désœuvrés s'agglutinent sur la place puis se séparent, les uns tripotant leur téléphone portatif, les autres, qui se dandinent, s'éloignant à l'intérieur du gel ou du défaut du monde qu'il leur faut accepter. »

On le voit vaquant dans l'humidité froide des rues. Certains soirs, c'est au plus secret des venelles, près des chats, dans des recoins, sous les gouttières, entre ronces et fossés qu'il préfère s'isoler, assemblant, au fil de la marche « des lieux, des journées en souffrance. Enfouis sous les gravats de l'habitude ou dont les échardes soudain déchirent la mémoire. »

Rythme lancinant, blues étiré, mélopée lente et précise... Ce sont d'autres points d'appui. Omniprésents d'un bout à l'autre de cette balade au long cours où l'on prend plaisir à marcher, à crapahuter, à trébucher dans les méandres du texte en repérant les multiples présences qui traversent l'imaginaire de Lionel Bourg. Il y a là, en vrac, des peintres, des poètes, des coureurs cyclistes, des musiciens, des chanteurs, tous acteurs d'une époque (1950-1965) à laquelle il se réfère souvent et qui reste pour lui fondatrice.

« Je suis né sur un sol charbonneux. Tout était noir dans la région minière. Les murs, la boue dans les squares, les arbres et les façades des immeubles, les eaux grumeleuses des rivières comme les fumées que crachaient les usines, l'humeur maussade des hommes rentrant chez eux le soir, la colère des femmes, les joies fiévreuses, la misère. »

Il vient de là. Ne peut s'empêcher d'y retourner en pensée, promenant son ombre entre les lignes et revoyant, plus vrai que nature, celui qu'il fut alors : ce môme atterré, hébété, oscillant entre la peur et le refus, vivant entre un père taiseux, ouvrier chez Creusot-Loire, qui à l'occasion défaisait son ceinturon pour cogner (j'vais t'dresser, moi) et une mère au verbe vert et haut perché, chargé de métaphores sexuelles, qui l'emmenait fréquemment au cimetière visiter la pierre tombale du frère mort, le héros vénéré, celui que personne (ni lui ni son autre frère) ne pourra jamais dépasser.

« Mon frère s'était noyé après avoir porté secours à l'un de ses amis dans l'eau trop froide du lac de Nantua. On vit mal dans l'aura d'un cadavre. »

Alors on cherche, on fouille, on capte ici ou là, dans l'immédiat, dans le réel ou le rêve, dans les livres, ceux de Villon, de Nerval, de Baudelaire, ce qui peut donner de l'éclat, du nerf, du sens à ce monde où l'on étouffe. Pour Lionel Bourg, ces lumières, multiples, blafardes ou aveuglantes mais, quoiqu'il arrive, toujours promptes à éclairer son chemin, jaillissent d'autant plus facilement qu'il s'avère toujours très sensible, très ouvert, disponible, en attente, prêt à vibrer et à recevoir.

Des éclats divers forment un puzzle hétéroclite et original. Où se cognent, pêle-mêle – via les flâneries, la radio, l'arrivée de la télé, un livre volé, une escapade au ciné ou une marche dans le Forez dans l'ombre de Rousseau – des morceaux d'anthracite, l'assassinat de Lumumba, le vacarme des forges, Charlie Gaul planant sur les hauteurs alpestres, le brouhaha du fond d'un bar, Stan Ockers retrouvé mort à la une de L'équipe, des trottoirs couverts de poudreuse, Marylin en « pin-up alcoolique », Dylan sur les traces de Woody Guthrie, Cochran se tuant sur la route, Gagarine parti au ciel, Mitchell chantant Be bop a lula, le cadavre d'Ernesto Guevara exposé, les yeux ouverts, sur une table en Bolivie...

Mille autres détails viennent et s'emboîtent dans des phrases aux méandres mouvants. Tous disent des êtres, des itinéraires, des fragments de vie d'abord isolés puis amenés à se frotter à la réalité ambiante. Tous sont sentis, entrevus, saisis, écrits, mixés, travaillés, recadrés livre après livre. On touche ici à l'un des aspects essentiels du travail de l'écrivain. Cette quête autobiographique, qui s'inscrit dans une vie vouée à l'écriture et à la réflexion, restitue une histoire directement reliée à celle des autres, tous ceux qui, de près ou de loin, apportent leur pierre à l'édifice. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si, de temps à autre, Cochise côtoie Rimbaud. Ou si, d'aventure, la proue du Kon Tiki se met à briller un soir dans la brume au-dessus du Mont Pilat. Rien n'est laissé au hasard. L’œuvre ne cesse d'explorer et de s'adjoindre de nouvelles ramifications. Elle est là, devant nous, grande ouverte. Branchée sur la mémoire – qui ramène en surface, parfois avec des décennies de retard, des séquences enfouies – et le présent, alimenté non seulement par un insatiable appétit de savoir et d'aimer s'entourer mais aussi par cette énergie, cette tension, cette force ramassée qui l'aide (par delà les pépins de santé, les drames, la mort des proches) à garder intacte sa capacité de révolte.

Lionel Bourg : récentes publications : Le Chemin des écluses (Folle Avoine, 2008), Comme sont nus les rêves (Apogée, 2009), L'Horizon partagé (Quidam, 2010), L'Irréductible (La Passe du vent, 2011), La Croisée des errances (La Fosse aux ours, 2012), A hauteur d'homme (La Passe du vent, 2012).

Logo : couverture de Contre-nuit (éditions Jacques Brémond, 1980).

dimanche 8 juillet 2012

La croisée des errances

Invité à suivre, trois siècles après sa naissance (le 28 juin 1712 à Genève), Jean-Jacques Rousseau dans sa vie nomade en s’arrêtant plus particulièrement sur ses nombreux séjours dans ce que l’on appelle aujourd’hui la région Rhône-Alpes, Lionel Bourg a choisi de s’appuyer sur les textes en les associant (en les frottant même) aux paysages qui les traversent et aux émotions vives que ressentait à leur contact celui qui aimait tant mêler son monde intérieur et ses longues marches en terrains escarpés. Cela lui permettait de penser, de rêver, de composer, d’herboriser, de botaniser et d’éclaircir un quotidien que sa grande aptitude à vagabonder hors des sentiers battus se chargeait par ailleurs d’assombrir assez souvent.

« Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à monter et à descendre, des précipices à mes côtés qui me fassent bien peur ».

C’est ce Rousseau indépendant, libre, un rien casse-coup, multipliant les découvertes et les rencontres, voulant satisfaire son insatiable appétit de vivre et de savoir que Lionel Bourg nous aide à redécouvrir. Il préfère partir sur les traces d’un homme qui, par bien des côtés, lui est proche, sûr d’y retrouver des itinéraires qui lui sont également familiers, plutôt que d’entreprendre une énième biographie.

C’est le touche-à-tout sensible, l’orphelin fugueur (il a neuf jours lorsque sa mère meurt) qui ira parfaire son éducation sentimentale chez sa tutrice et maîtresse Madame de Warens aux Charmettes avant d’assouvir plus encore ses désirs chez Madame de Larnage (à qui il sera redevable, dira-t-il, « de ne pas mourir sans avoir connu le plaisir »), c’est cet écrivain subtil, qui parvient à mettre des mots simples sur les émotions les plus contradictoires, qu’il prend pour guide.

Leur périple se fait au présent, dans des territoires où les chemins creux et les monts ou montagnes possèdent cet inestimable avantage de retarder au maximum l’arrivée dans les grandes villes (Annecy, Chambéry, Valence, Grenoble ou Lyon) en étirant d’autant leur impérieux besoin de solitude. Les retours en arrière et les moments-charnières qui marquent l’existence et l’œuvre de Rousseau sont fréquents et documentés. On ne peut faire route avec l’écrivain, le philosophe, le musicien, l’auteur des Confessions ou des Rêveries d’un promeneur solitaire mais aussi celui du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ou Du contrat social sans expliquer ce qui, dans le parcours de cet autodidacte, a pu générer de tels textes. Lionel Bourg, pour ce faire, prend le temps de se replonger dans les livres, de les replacer dans leur contexte en s’attardant sur les liens, non pas permanents mais réguliers et ponctuels, qui créent une solide passerelle entre la vie et la création.

Si Rousseau fut toujours itinérant, la région Rhône-Alpes reste celle où il aura passé le plus de temps. Entre 1728 et 1742, il y séjourne longuement. En 1768, « proscrit, indésirable à Genève même, où l’on brûle ses livres », il y revient, s’arrêtant en divers endroits, notamment à Bourgoin et à Monquin avant de poursuivre sa route...

« L’homme qui, le 13 août 1768, prend pension à La Fontaine d’Or, maison calme, réputée de Bourgoin, a franchi le cap des cinquante-six ans.
Il est las. Déprimé.
Plus malheureux que ces pierres qu’il martyrise du bout de sa chaussure. »

Il lui reste dix ans à vivre. Et ces années-là lui seront souvent pénibles...
C’est le parcours précédent, celui des promenades solitaires, celui où le sentiment géographique rejoint le questionnement social et politique, que Lionel Bourg entend d’abord saisir, y insérant avec parcimonie des fragments relatifs à son propre cheminement, y ajoutant quelques pages pour dire son empathie et d’autres encore, extraites d’un carnet de route qu’il a tenu pendant son périple.

Parallèlement à ce volume, L. Bourg publie L’Irréductible, un texte bref, également consacré à l’auteur de La Nouvelle Héloïse, plus précisément situé dans les « villages rudes, composés d’ingrates maisons bâties de schiste ou de granit » où ses pas le mènent régulièrement. L’’empathie fait ici corps avec la hargne, la colère, l’envie d’en découdre, de taper du poing sur la table et de remettre, tant au dix-huitième siècle qu’au vingt-et-unième, les choses en place et en perspective. Cette prose, menée à train d’enfer, brosse en moins de trente pages un portrait vif et réussi, celui d’un homme à qui il aura manqué un peu plus d’une décennie pour atteindre 1789 mais dont l’ombre, parfois incarnée, n’a pas fini de hanter, certains soirs, les esprits de ceux qui s’en iront flâner du côté du Mont Pilat et d’ailleurs.

 Lionel Bourg : La croisée des errances, dessins de Géraldine Kosiak, Éditions La Fosse au ours, L’Irréductible, Éditions La Passe du vent.

mercredi 28 septembre 2011

Où le songe demeure

En 2006 et 2007, les bibliothèques françaises ont réalisé de nombreuses expositions et manifestations autour du thème "Une ville, une œuvre". C’est dans ce cadre que Lionel Bourg a été invité par la FILL (Fédération interrégionale du livre et de la lecture) pour partir à la découverte de sept de ces expositions. De ce périple est né Où le songe demeure, une série de flâneries dont il a le secret et qu’il nous fait partager à son rythme, c’est à dire avec lenteur et feinte nonchalance.

« Répondant à la proposition qui m’était faite et qui, de ville en ville, m’incitait à une sorte de vagabondage affectif, je n’ai pas cru devoir dissimuler mes inclinations personnelles.
On écrit avec ce que l’on est, ce que l’on devient, sa sensibilité, son histoire. »

Que ce soit à Grenoble sur les pas de Stendhal ou à Metz à la recherche de Verlaine, ou à Bordeaux avec Bernard Delvaille, à Montpellier sur les traces de Léo Malet ou encore en compagnie de Michèle Desbordes à Orléans, chaque escale est chargée d’émotions, de présences indicibles et d’ombres mouvantes. Lionel Bourg ne vient pas se recueillir en mémoire de tel ou tel auteur. S’il se déplace, c’est pour le côtoyer, interroger son oeuvre, lui dire ce qu’il en pense (de bien, ou pas), ce qu’il éprouve en s’imprégnant du lieu et en tentant d’y frotter ses propres recherches.

Ce passant ordinaire s’avère exigeant. Être proche de celui ou de celle que l’on visite ponctuellement ne veut pas dire qu’on va tout lui passer, être d’accord avec l’intégralité des textes, des idées, des trajectoires. Ainsi Léo Malet : impossible de dire ce que l’on aime dans ses poèmes de braise, ce qui nous rapproche de celui qui écrivit Le frère de Lacenaire sans y ajouter un bémol de taille (Bourg ne s’en prive pas, ici comme ailleurs, à chaque fois qu’il débusque le dérapage) en dénonçant celui (le même) qui, dans ses vieux jours, en creux dans Nestor Burma revient au bercail, se laissait aller à écrire des choses de ce genre : “Je bois ferme pour faire descendre cette saloperie (du couscous), vraisemblablement inventée par les arabes pour engendrer le racisme.”

L’un des moments les plus intenses du livre, belle proximité littéraire, humaine, tragique, intervient avec Un blues pour Verlaine, placé - et ce n’est sans doute pas un hasard - au centre de l’ouvrage.

« Il pleut ou il fait beau. On s’étend sur un lit sans se dévêtir. Que faire ainsi, que dire ce soir, dans cet hôtel de Metz ?
Je suis allé voir la maison natale du poète. J’ai regardé ses livres, son visage. Tôt le matin, j’ai regagné la gare. On vit en suspension quelquefois, fredonnant un vague couplet :

Je suis venu, calme orphelin,
Riche de mes seuls yeux tranquilles,
Vers les hommes des grandes villes :
Ils ne m’ont pas trouvé malin
. »

Le train, l’hôtel, les bars déserts, les venelles grises ou ensoleillées, les rues que l’on longe tard la nuit lors de ce fameux Retour sur soi cher à Yves Martin, autre piéton, autre marcheur, c’est tout cela que l’on frôle en accompagnant Lionel Bourg dans son périple de ville en ville.

L’ouvrage, fort bien documenté, est doté d’une riche iconographie. Celle-ci permet de retrouver de nombreuses traces des expositions. Portraits, reproductions (par exemple les sanguines d’Hubert Robert à Valence), textes manuscrits, enluminures (en particulier les Trésors de Troyes) et photos (notamment celles prises au bord de la Loire, au Bas de la Mouche, là où habitait Michèle Desbordes) incitent à découvrir encore un peu plus intensément les lieux et les œuvres visités.

Lionel Bourg : Où le songe demeure, éditions Créaphis.

jeudi 27 janvier 2011

Le Chemin des écluses

« C’est tout ce que je n’ai pas vécu, tout ce qui ne me fut pas donné qui soudain se saisit de moi, m’étreint, me bouleverse : on ne guérit pas de ses jeunes années. »

Invité à la villa Beauséjour (Maison de la poésie de Rennes) durant les mois d’avril et mai 2007, Lionel Bourg s’est emparé du mot « résidence » avec aplomb. Il l’a bien calé dans sa tête, l’a fait bouger à sa façon en le laissant travailler en douceur, dans le studio aménagé à l’étage, avec vue plongeante sur le parc (où des enfants, il y a quelques décennies encore, s’égaillaient sans doute) puis sur l’eau grise (ou verte) qui file en rencontrer une autre, tout aussi sombre, aux abords du centre ville. C’est dans ce havre qu’il a jeté l’ancre, décidant d’y rester soixante jours d’affilée et de noter, d’annoter, au fil de son séjour au bord du canal, tout ce qu’il ramènerait de ses nombreuses balades, escapades, virées, découvertes et rencontres alentour.
Cela donne aujourd’hui un livre, Le Chemin des écluses, publié par les éditions Folle Avoine.

Après une visite au cimetière voisin, celui du nord, le plus ancien de Rennes, et le plus chargé d’histoire, place au chemin de halage qui file entre berges et peupliers le long d’une « lame d’étroit silence ». Là coule le canal. Le canal et ses étranges dénivelés. Ses éclusiers absents. Ses bateaux fantômes. Ses portes d’eau qui grincent et s’ouvrent en déchirant un bon millier de rideaux tissés de plusieurs millions de gouttelettes à la seconde.

« C’est un long chemin, une manière de route où, comme en Chine, on souhaiterait avoir l’occasion de méditer l’enseignement de certaines bornes, (...) celui de marques plus triviales au besoin, de repères enfin fiables... »

Au total, quatre-vingt kilomètres « d’eaux captives » s’en vont ainsi rejoindre la Manche après passage obligé (et parfois mouvementé) de 48 écluses. Un fil que l’on peut suivre pour aller à la rencontre de paysages inconnus. On peut également s’en écarter... Lionel Bourg ne va d’ailleurs pas s’en priver. Il aime trop les imprévus, les intervalles, les brisures, les brusques envies d’aller voir ce qui se trame à côté, à quelques encablures, sur l’autre versant du talus d’en face pour se maintenir (en pilotage automatique) sur une route trop balisée.

S’il y a Le Chemin des écluses, il y a aussi, pêle-mêle, à portée de main et de regard, présents dans les parages, le Nouveau-né de Georges de La Tour au musée, l’ombre de Léo Ferré à l’anse Du Guesclin ou celle de l’abbé Fourré sur les rochers de Rotheneuf. Il y a Châteaubriand gisant de tout son long au Grand Bé. Il y a les poèmes du trop méconnu Gilles Fournel (1931 - 1981) en embuscade et les Gueules de Fort d’Elice Meng à découvrir au Fort Saint-Père.

« Les toiles d’Elice Meng, rageuses, apaisantes n’empêche, travaillées à vifs coups de couteau dont la lame gratte, coupe, tranche, incise ou souligne au gré du visage une bouche, un rictus, une paupière, ces toiles noires, dont les traits se détachent sur l’ocre jaune d’une couche elle-même éraflée, scarifiée, rendent justice à ces personnages longtemps exclus de la mémoire commune. »

Sans oublier virées et déambulations à Cancale, à Dinan, à Combourg ou dans la vaste et proche forêt de Brocéliande… Il faut vite multiplier les rencontres. À chaque fois s’approcher, toucher, découvrir, s’émouvoir. Y mettre son corps, son être, sa mémoire, ses lectures. Donner autant que l’on reçoit. C’est ce que fait Lionel Bourg dans ces pages où, prenant ses « aises avec le tracé du canal », il réussit à contourner les écluses (et bien d’autres obstacles : abandonnant ici un « affreux crucifix », s’insurgeant là contre le manque de respect des livres dont font preuve certains vendeurs officiant à Bècherel, « cité du livre ») pour aller, résolument, avec force ou nonchalance, vers ce qui vit, souffle, ouvre et incite au partage.

Lionel Bourg : Le Chemin des écluses, éditions Folle Avoine.
Le logo reproduit ci-dessus est  tête nue écorchée sans visage, l'une des Gueules de fort, de Elice Meng.

mardi 23 novembre 2010

Paul Rebeyrolle, L'oeuvre de chair

Paul Rebeyrolle a souvent parlé de son premier contact avec ce qu’il nommait « un vrai tableau ». Celui-ci eut lieu un peu par hasard, en 1944, boulevard Raspail, quand il fut attiré, passant devant la devanture d’un marchand de tableaux, par un Rouault exposé en vitrine... D’autres rencontres, lui permettant de voir « la grande peinture lui arriver en plein dessus, d’un coup », vont dès lors se succéder, en accéléré. Il y aura, outre Soutine et sa force brute, la découverte, dans le désordre, de chocs nommés Rubens, Delacroix, Courbet, Rembrandt...
De ces secousses, Rebeyrolle aime à en ramasser les éclats. Il les loge dans son corps. Les frotte à sa propre histoire, à son présent, à ses paysages familiers - tout particulièrement ceux d’Eymoutiers (en haute-Vienne) où il est né en 1926 - qui ne cessent de le nourrir. C’est ce cheminement - ouvrant sur la secrète alchimie qui en est sortie, faite d’énergie, de révolte, de hargne et de violence - que Lionel Bourg interroge et restitue avec fougue dans L’œuvre de chair (éd. Urdla).

« On ne se délecte pas de la peinture de Paul Rebeyrolle. Récusant toute posture, tout voyeurisme, toute contemplation sereine ou détachée des tableaux dont elle s’affranchit afin de plus énergiquement les investir, son impétuosité ruine les prétentions du spectateur. C’est que la regarder ne suffit pas. Qu’elle exige davantage. Plonge quiconque s’y confronte au sein de ses turbulences. »

Il suit cet homme, dont l’œuvre « s’insurge, s’enivre et jouit, s’arc-boute, dénonce », avec entrain et connivence. Ses phrases pivotantes s’intègrent aisément à « cet univers d’étreintes et de clameurs, de cris, d’œdèmes ou de tripailles jetées sur la toile » par Rebeyrolle durant plus de cinquante ans.

Lionel Bourg s’affirme, par bien des côtés, proche de celui qu’il salue ici. Il y a dans sa façon d’écrire, dans son appétit de vivre, dans sa soif d’en découdre et de se colleter le présent sans que le moindre compromis ne soit de mise, des affinités qui ne trompent pas... Il faut du souffle et de la puissance (il en a) pour suivre le peintre de série en série, de Guérilleros en Prisonniers en passant par Faillite de la science bourgeoise  avant de le décrire au travail, en sueur près de ses Sangliers, de ses Nus, de ses Paysages, aux prises avec cette vitalité sauvage et primitive qui l’aura portée toute sa vie.

Rebeyrolle est mort dans son atelier en février 2005. Ce livre est plus qu’un hommage. C’est une incitation à aller voir l’un des artistes majeurs - et sans doute l’un des plus solitaires - de la seconde moitié du vingtième siècle de plus près.
Depuis 1995, un espace permanent est  consacré à ses œuvres, à Eymoutiers, au bord du ruisseau Planchemouton, là où ses cendres ont été dispersées.

Lionel Bourg : Paul Rebeyrolle, L'œuvre de chair, éditions Urdla.

mercredi 1 septembre 2010

Les chiens errants de Bucarest

Invité à se rendre en Roumanie pour participer à une série de rencontres littéraires, Lionel Bourg revint de ce périple lointain, de ce voyage dans d’ « inquiètes Transylvanies intérieures » avec, collé sur la fibrine gaufrée de ses valises, l’haleine rugueuse des chiens errants de Bucarest.
Le livre, à peine entamé, fascine. Bourg nous y embarque avec frénésie. On part au quart de tour, pris, dès la très sinueuse première phrase, dans le tourbillon d’un texte qui, se lisant langue pendante, n’autorise nulle pause en cours de route, serait-ce pour boire, laper ou même se mirer dans l’une des nombreuses flaques de pluie qui trouent les pavés de l’étrange capitale…
C’est à une longue déambulation, presque toujours nocturne, dans une « ville froide, brumeuse », qu’il nous convie. Ses guides, ce sont les bandes de chiens qui traînent aux abords de la gare, stationnent aux carrefours, se retrouvent près des murs et des gravats, courent « sur » les automobiles et finalement s’esquivent, fiers ou infirmes, tirant la patte ou babines retroussées, frôlant de leur « démarche oblique » de hautes palissades.
Entre les discussions tenues en intérieur feutré le jour et les escapades nocturnes au dehors, dans la proximité fiévreuse des chiens, son choix est rapide.
« Je suis des leurs », dit-il.
Sorti, lui aussi, d’une meute d’éclopés.
Perdu, comme eux, sur des trottoirs bordés par la brume neigeuse des Carpates. Et intégrant, de fait, la horde de ces trois cent mille paumés, jetés à la rue au terme d’un « ubuesque chamboulement immobilier » et dont les aboiements plaintifs ou furibards, ne cessent de réveiller douleur, solitude et tendresse au fond de sa mémoire.
Lionel Bourg voyage en portant des sacs chargés de vives mythologies. Son dépaysement, poussé du coude par une réelle nostalgie, lui permet souvent de toucher du doigt quelques unes de ses racines secrètes.
Il en suit les contours avec humour. En profite pour lâcher du lest à son texte, de façon à ce que toutes les émotions puissent s’y enrouler… Des ombres se déplacent qui rappellent ici la présence pas si lointaine d’un sinistre Tintin chez les Soviets, là celle d’un fils de comte devenu empaleur de Valaquie, ailleurs celle, plus floue, d’un as du ballon rond attifé un temps du titre de « Maradona des Carpates » ! Ce sont quelques unes des figures du petit théâtre d’ombres de Bucarest. Lionel Bourg, fumant une cigarette sur les marches de la Bibliothèque Nationale des collections, les évoque avant de poursuivre sa route… Avant de filer place Romana ou, plus loin, rue Polona, rue Dumbrava Rosie, dans « la poésie des noms propres » avec, pour alliés, ces errants honnis et plaintifs à qui il rend, en ces pages, un bel et vibrant hommage.

« Dehors, le froid relevait le col des promeneurs. Un vent cinglant décapitait les fleurs naissantes des magnolias. Je pensais aux chiens. J’avais, qui le vrillaient, dans un recoin du crâne l’aboi des animaux et le silence famélique des hommes. »


Lionel Bourg : Les chiens errants de Bucarest, éditions Fata Morgana.

lundi 24 mai 2010

L'Horizon partagé


Durant près de deux ans, entre juillet 2007 et mars 2009, Lionel Bourg a adressé un certain nombre de lettres à ses proches. Onze d’entre elles sont ici rassemblées. Elles invitent à se remémorer des faits marquants, des épisodes souvent fondateurs, des moments où le mal être débordait (entre l’enfance et l’âge adulte) et à se repérer dans un présent qui, s’il ne répond pas, loin s’en faut, à ce que tous espéraient, oblige néanmoins à regarder droit devant soi pour détecter un horizon capable de receler de vraies zones de partage. Le parcours proposé court sur un bon demi siècle. Il a ses points d’ancrage dans le Forez, là où se trouve l’origine de la famille, là où vit, où résiste encore Claudius Gay, le vieil oncle devenu unique témoin d’une époque certes révolue mais bien gravée dans la mémoire collective.
« Tiens, je t’entends déjà, l’usine à en vomir tous les matins quand tu partais avant le jour, et le Parti, les cris, les insultes, les humiliations à n’en plus finir. »
Lui, comme les autres, parle par bribes, chante, chantonne, transmet des bouts de son maigre paquetage de vie rude aux plus jeunes. Lionel Bourg y est particulièrement sensible. Il en capte de brefs éclats en espérant ajouter de nouvelles pièces à cette grande et tortueuse autobiographie qu’il a toujours en chantier et à laquelle il ne cesse d’adjoindre des indices susceptibles de répondre aux questions restées sans réponse.
C’est pour cela qu’il écrit à Claudius et aux autres. Pour revisiter des pans d’existence fracassée entre un petit frère mort et une mère ivre de douleur.
« Maman ! non maman ! J’les ai pas pris, les sous, dans ton porte-monnaie, j’l’ai pas tué, mon frère…
Rien ne valait rien. Tout avait la même importance.
La charrette du laitier dans la rue. Le cadavre d’un écureuil sur la route de Chavanol. Les feulements de douleur de celle qui, pique-feu ou couteau à la main, se labourait la poitrine sous le néon de la cuisine. Le cimetière. Le garde-fou du pont enjambant la voie ferrée, qui tremblait au passage d’interminables trains de marchandise. »
Les remèdes pour s’en sortir, il les trouve en se plongeant dans l’itinéraire et l’œuvre fragmentée d’êtres se donnant sans compter à ce qui les fait vibrer. Ce peut être la poésie, la lutte sociale, le sport, la musique ou le cinéma. Peu importe. Charly Gaul, André Breton, Rosa Luxembourg, Garry Cooper, Black Eagle, Eric Burdon et Bob Dylan réunis aident à combler un sacré vide et à découvrir d’autres territoires.
A ces voyages immobiles se greffent des périples bien réels. Restitués par morceaux dans des lettres qui disent combien Lionel Bourg est avant tout un écrivain du dehors. Son aventure intérieure, il la porte en plein vent. Il la cisèle, la construit et l’enrichit en convoquant Pétrarque en déséquilibre sur les pentes du Ventoux, Saint Pol Roux penché côté mer sur son bout de lande à Camaret ou Roger Vitrac, l’auteur du Faune noir, enfoui et presque oublié sous l’écorce et « la rudesse du causse ».
Les lettres vagabondes de Lionel Bourg ne visitent pas seulement la mémoire lointaine. Le passé immédiat s’y inscrit en filigrane dès qu’il s’adresse à sa fille ou à ses petits-enfants. Il le fait (« Grand père. Une espèce de vieux gamin. Ou cet enfant rêvé dont je ne fus qu’à peine ») pour toucher aux origines et pour donner, mine de rien, en plus de sa mythologie personnelle, beaucoup de tendresse, de hargne, de rage, d’espoir à partager à ceux qui, un jour, poursuivront la route sans lui.
« Si demain, après demain, cela viendra, quelqu’un – quelqu’une – vous incite à mêler mes cendres au terreau du Crêt de la Perdrix ou à la steppe autour de Pierre-sur-Haute, que cela s’accomplisse avec les mêmes rires, les mêmes larmes qui m’agitaient, adolescent, quand je courais comme un nigaud sur la lande. »

Lionel Bourg : L'Horizon partagé, Quidam éditeur.