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lundi 4 octobre 2010

Onze rêves de suie

Manuela Draeger, auteur de romans pour adolescents à L’École des loisirs, est également l'une des voix du "post-exotisme".  Délaissant cette fois la littérature jeunesse et laissant au repos son héros récurrent Bobby Potemkine, elle publie Onze rêves de suie aux éditions de l’Olivier. L’histoire, portée par des acteurs très jeunes, permet de découvrir les liens fraternels et parfois même féeriques qui unissent spontanément les personnages en présence.

Le livre débute au moment où une opération gauchiste, organisée à l’occasion d’une manifestation interdite, "la bolcho pride", tourne mal. L’un des jeunes du groupe, Imayo Ozbeg, est en train de brûler dans un bâtiment en flammes où ses camarades orphelins se retrouvent également piégés.

« Ton nom est Imayo Ozbeg. Nous avons été élevés dans le même dortoir. Tu es en train de brûler. Je vais à toi. En ce moment nous allons tous vers toi. Mes souvenirs sont les tiens. »

Ce sont ces souvenirs accumulés durant les années passées à l’orphelinat qu’ils convoquent et racontent, allant parfois jusqu’à les réinventer pour redonner plus d’éclat aux images de fêtes colorées de rires et d’utopies qui jaillissaient jadis, vers la mi octobre, lors du défilé annuel de « la Fierté bolchevique ».

« Pendant une semaine ou deux, l’atmosphère changeait à l’intérieur du cadre familial et dans le ghetto. L’accablement était mis entre parenthèses. La sensation de n’avoir aucun avenir s’estompait. Nous avions tous soudain la certitude d’appartenir à une collectivité de braves, de prolétaires vaillants, lucides, optimistes… »

Maintenant que cela n’existe plus, et alors que leur ami Imayo Ozbeg brûle toujours, ils se remémorent ces morceaux d’enfance. Ils y mêlent les contes qui les faisaient vibrer, en particulier ceux attribués à Marta Ashkarot, une éléphante sans âge qui continue – et continuera – de se déplacer d’existence en existence.
Ces renvois au passé ont lieu au cœur du brasier, où ils finissent, envahis par les flammes, par échanger leurs identités. Un instant plus tard, alors que leurs mémoires et leurs corps s’assemblent, les métamorphosant en cormorans étranges, leur permettant de cheminer, sans se perdre, durant le « long trajet dans l’inexistence » qui les attend, le feu n’à plus grande importance pour eux.

« Les torches se froissaient et se défroissaient avec une grande lenteur. La température était agréable. Tout était immobile. Nous avions replié nos ailes le long de nos flancs et, conscientes que nous ne verrions jamais plus ni l’homme que nous aimions, ni la neige, ni la nuit, nous sentions des larmes couler sous le duvet de notre visage. »

Manuela Draeger : Onze rêves de suie, éditions de l'Olivier.