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mardi 21 février 2017

Partition noire et bleue

Le poète martiniquais Monchoachi continue d’explorer la vitalité et la profondeur de l’héritage africain. C’est l’extraordinaire fonds – en partant des rituels et des mythes – du continent noir qu’il sonde et magnifie dans ce second volume du cycle poétique Lémisté. Conçue en huit parties, cette nouvelle partition interroge les mystères, les traditions, les mémoires en sachant que les réponses ne viendront pas uniquement de la parole des seuls êtres humains. Les plantes, les pierres, les animaux, les éléments et les astres ont également leur mot à dire. Tout comme les morts. Qui ne le sont jamais tout à fait et qui parlent (en un langage approprié) à qui sait les entendre.

« Les paroles claires marchent devant nous,
les paroles claires sont nos ancêtres,
les paroles sont nos enfants,
elles nous regardent de derrière :
nos enfants sont nos ancêtres. »

L’axe premier de sa quête est la voix. « Voix des sans-bouches qui sourd des rhombes, / Voix qui court sur les eaux, ébranle la montagne. » L’écoute est essentielle. La collecte des sons, des chants, des contes ne peut se concevoir sans que s’en suivent interprétation et transmission. Il s’intéresse parallèlement à ce que peuvent dire les danses et les masques. Il lui faut tout capter, être totalement disponible. En accord permanent avec la nature. C’est elle qui filtre l’essentiel. Elle qui donne parole à l’eau, aux racines, aux vents et aux esprits. Elle que l’on célèbre dans des cérémonies que Monchoachi parvient à restituer. C’est ainsi qu’il emporte, embarque son lecteur en se donnant totalement, entre transe et incantation, dans un véritable corps à corps avec son poème.

« Mâle le feu qui ravage, fimelle l’eau qui rafraîchit
Mâle l’eau du ciel, fimelle l’eau de la terre
Mâle l’eau-semence de l’animal mâle,
Fimelle l’eau semence de la belle,
Mâle le ciel du sommet (...)
Fimelle la terre qui s’ouvre à la semence,
Mâle l’oiseau qui se perd dans l’éther, l’esprit de la brousse,
Fimelle le coquillage nacré, le poulpe »

Il manie la langue avec une rare virtuosité. Ne laisse aucune sonorité au hasard. Si un mot, ou une expression, en créole permet de donner plus de vitalité et de percussion à son poème, il n’hésite pas. Le chant doit être intense et rythmé. Il doit porter en lui le souffle de présences visibles et invisibles qui ont l’habitude de communier ensemble en ne se payant jamais de mots mais en donnant toujours beaucoup de sens à ceux qu’ils emploient.

« Que le corps magique chamantise le murmure
Qu’il laisse river le monde
Que les étoiles infatigables le convoient. »

Monchoachi : Partition noire et bleue (Lémisté 2), éditions Obsidiane
Entretien avec Monchoachi pour île en île

lundi 9 septembre 2013

Lémistè

La voix de Monchoachi (André Pierre-Louis) ne vient pas seulement de la montagne Vauclin, là où il vit, en Martinique. Elle prend source et souffle bien plus loin, dans l’espace et le temps, dans les profondeurs de la terre ou dans celles de l’océan, au contact des mémoires, à l’écoute des éléments, dans le scintillement d’un rai de lumière ou dans le tranchant d’une ombre coupante. Elle s’emplit du roulement des cascades. Elle s’associe aux murmures des morts. Elle n’oublie pas ce qui se transmet et passe par faune et flore... En réalité, cette voix en capte d’autres et s’en nourrit pour prendre forme polyphonique. Elle porte une parole multiple, scandée, qui déjoue – et transcende – celle ordinairement proférée par le seul être humain.

« Il faut chuchoter sans cesse avec les morts, il faut
Sans cesse leur parler
Ils sont là autour de nous, merveilleux conteurs
Accordés à faire grincer et bruisser le destin
Dans les gorges sombres des bambous
Dans les langues de l’arbre musicien. » 

Convoquant mythes et rituels ancrés et activés puis réactivés au fil de différentes cérémonies, et ce dans des lieux du monde qui savent encore perpétuer et renouveler ce qu’ils doivent aux ancêtres, il replace l’homme au milieu de tout ce qui respire à ses côtés. L’eau, la pierre, la terre, les choses (et la mort même) vivent et s’emboîtent dans un ensemble où tous les éléments, tous les souffles, toutes les périodes d’un temps plus vaste que celui connu et morcelé par l’homme s’accordent pour trouver une unité. Celle-ci est harmonieuse ou violente, soumise à la brise ou à la tempête, parée de fleurs ou de suie et dépend, quoiqu’il arrive, des turbulences naturelles et élémentaires qui battent par saccades sous le vernis du corps ou de la terre. Tout (de l’homme, des esprits, des cercles et rotations magnétiques, invisibles, tracés au sol ou en l’air) est lié et relié par des fils infimes et ténus, nous dit Monchoachi.

« Nous parlons de choses toutes proches
Si difficiles maintenant à imaginer
Tant le temps fou
Les ont profondément enfouies. »

Ses poèmes, posés ou (plus fréquemment) rapides, très proches de l’oralité, traversés par de fulgurantes variations rythmiques, bougent et se servent tout à la fois du français et du créole pour affiner leur sonorité et rendre très visuelles des scènes narratives.

« En ségret avons peint nos faces
Toutes nos faces avons peint en rouge en ségret
Le corps taqueté blanc
Autour du visage un cercle noir
Peint dessus les yeux jusqu’oreilles
Une bande blanc taqueté rouge

Avons fait ça en ségret
puis avons la tête bouc peinte en rouge »

Les thèmes qu’il développe et qui s’entrecroisent sont ceux de la mort, du temps, de la terre, de la parole, de la vérité, de la liberté et du mystère de la création. Il s’empare de ces questions en y répondant dans des poèmes où se succèdent rituels, danses, contes, offrandes, sacrifices, initiations et chants. La présence des enfants (entre autres textes : L’enfant et le dieu tatouéL’enfant à la mère rendueLa fillette et le magicien,  L’enfant et la graine bleue, L’enfant fronté et la vieille femme) est prégnante mais n’occulte pas les étapes suivantes de la vie. Tous sens en éveil, Monchoachi multiplie les tableaux vivants, très imagés, en pénétrant dans des territoires secrets, habités par les choses et par les hommes, ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain, embarqués dans un cycle infini, dicté par les roulements permanents des astres en mouvement.

 Monchoachi : Lémistè (1. Liber América), éditions Obsidiane.