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samedi 4 février 2023

Olivier Hobé (1966-2023)

" Je me détache de moi-même

et ne m'attarde pas

plus longtemps "           

Olivier Hobé, Le tabac est ouvert

Poète et revuiste, Olivier Hobé est décédé ce mardi  31 janvier. Nous nous connaissions depuis longtemps, fréquentant les mêmes lieux, les mêmes revues, lisant souvent les mêmes auteurs. J'avais été heureux de pouvoir publier aux éditions Apogée, dans la collection « Piqué d'étoiles », Le Journal d'un haricot, un ensemble constitué de notes prises au quotidien (en 2007 et en 2008), quand il se tenait auprès de son fils Quentin, qui luttait alors contre la maladie.

Aujourd'hui, c'est lui qui part, vaincu par le cancer des poumons. Il n'est évidemment pas question de s'embarquer ici dans une longue et hasardeuse chronique nécrologique. Il serait le premier (lui qui préférait l'ombre à la lumière) à s'en offusquer et il aurait raison. Il reste ses livres pour poursuivre (ou entamer) la route à ses côtés. C'est vers eux que l'on peut désormais se tourner pour entendre vibrer sa voix fragile mais aussi coupante, ironique, ramassée, pleine d'énergie.

Olivier Hobé avait animé la revue « Quimper est poésie » dans les années 1990 et créé ensuite la revue « Trémalo » (il habitait à l'époque à proximité de la chapelle du même nom, à Pont-Aven), donnant à lire, dans l'une ou l'autre de ces publications, des entretiens avec des poètes qui lui étaient proches, tels Pierre Peuchmaurd, Anne-Marie Beeckman, Alain Jégou ou encore Louis-François Delisse.

Son dernier livre, Le tabac est ouvert, a été édité par Pierre Mainard en 2021. On lui doit également A présent dans l’œuf, linogravures de Jacky Essirard (Atelier de Villemorge, 1996), Carène, dessin au crayon à bille de Jean Tirilly (Blanc silex, 1999), Quelques phases critiques, dessin de Gil Refloch, (Gros textes, 2002), En pièces (Le Chat qui tousse, 2003), Le Journal d'un haricot (Apogée, 2011), Les jumeaux (Approches éditions, 2013) ainsi que des plaquettes à tirages limités dont, en novembre 2022, Que je n'ai pas commis (Atelier de Villemorge), avec une gravure de Jacky Essirard.


« Me voilà pas plus

que foi gerris aussi

rieur de trait

j'adresse des tempêtes et

la solitude même

ne souhaite pas me recevoir » 


(Que je n'ai pas commis, extrait)

mardi 16 novembre 2021

Le tabac est ouvert

Les tercets taillés au cordeau d’Olivier Hobé se situent quelque part entre le haïku et l’aphorisme. Ils naissent à l’improviste, se montrent tour à tour tendres, absurdes et ironiques et c’est leur diversité – en plus de leur pertinence – qui donne élan et légèreté à cet ensemble où la poésie a la part belle, même si l’auteur la fait volontiers descendre – de même que les poètes – d’un piédestal sur lequel elle n’a aucune raison de se percher.

« Pour pondre un poème
il faut être
une poule. »

Il flâne, prend l’air des rues de Quimper, respire amplement, donne des vitamines à ses pensées et agite ces mots qu’il apprécie tant et avec lesquels il aime jouer en s’appropriant un peu de leur pouvoir subversif. Il convoque de grands animaux (lions, crocodiles et rhinocéros), croise Hugo Chavez en sortant d’un bar (« matin midi et soir / viva la libertad dit-il »), se demande ce que fait la voix de Britney Spears à Cuba (« A Guantanano Britney Spears / poussée à 120 décibels torture / les gardiens eux-mêmes déchantent »), s’étonne du perroquet de Flaubert, apprend à la radio que l’on vend maintenant « des Rafales de vent », s’interroge sur le mode d’emploi de la vie, se sent parfois désabusé, continue néanmoins à égrener ses textes brefs.

« Je suis l’acteur
d’une mise en scène
qui n’aura pas lieu . »

« Le tourneur de pizzas
est noir
sa Carla est succulente. »

« Un lion en cage
a plus d’un tour
dans son sac. »

« Plus on galope dans l’âge
plus les ânes courent
dans les rues. »

« Je me détache de moi-même
et ne m’attarde pas
plus longtemps. »

Olivier Hobé met à profit cet art du raccourci qu’il maîtrise parfaitement en lançant ses tercets sur la page comme il le ferait, en bordure d’océan, de galets lisses capables de se coiffer d’écume en ricochant d’une vague à l’autre.

 Olivier Hobé : Le tabac est ouvert suivi de Je n’ai pas fermé l’œil de ta nuit, éditions Pierre Mainard.

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dimanche 12 février 2017

Disparition de Louis-François Delisse

"J'étais avec des yeux gris
ternis de tristesse quand je quittais l'occident
puis je donnai mes yeux à lécher
aux ânes croisés des confins des lacs
et ils bleuirent quand j'eus quarante ans
et vifs s'égayèrent azurés
frottés de roseaux noirs et dorés".

Louis-François Delisse,
Ode au Voyage et à Henri Michaux, Atelier de l'agneau, 2001.
 
En hommage à Louis-François Delisse, né en 1931 au hameau frontalier de Gibraltar, entre Néchin (Belgique) et Leers (France) et décédé le 7 février à Paris, voici l'entretien qu'il avait accordé à Olivier Hobé en 2007 et qui fut publié dans la revue Trémalo et sur le site des éditions Wigwam.

Olivier Hobé - Louis-François Delisse, on dit parfois de vous que vous êtes un des enfants terribles de la poésie française, on sait aussi que vos écrits ont pu consoler un René Char parfois désabusé, on dit beaucoup de choses…

Louis-François Delisse - J’ai deux prénoms que j’ai tenu à lier ensemble mais ils ont vécu chacun de leur côté. Louis était l’enfant sage, le bon élève ; François pour les filles et les 400 coups. Avec Jacky Dodin, nous avions en 44 retourné tous les panneaux de circulation de l’armée allemande en déroute, à Roubaix et à la frontière. François était aussi mon prénom d’enfant secret, d’amoureux précoce.
Puis j’ai volontairement scandalisé Roubaix en affichant mon amitié avec un repris de justice. Dans les cafés. Sur les places publiques. Louis passait son bac à 14 ans. François fuguait à Paris. A l’époque je signais François ma poésie, et Louis mes scénarii pour les journaux d’enfants illustrés.
Quant à René Char, il découvrit mes manuscrits chez GLM, à l’imprimerie et encouragea vivement l’éditeur à tirer mes poésies du Soleil total et du Vœu de la rose. Il envoya mes récits à Nadeau qui les a ensuite égarés, selon Denis de Rougemont, dont ces Lépreux souriants encore à paraître, à Rennes, aux éditions Apogée, écrits il y a juste 50 ans !
 
Olivier Hobé - Qu’est-ce qui fait de vous celui que l’on surnomme « Delisse l’Africain » ? Est-ce votre devoir, accompli, d’alphabétisation et d’enseignement à Niamey de 1954 à 1961, puis à Zinder jusque 1975 ; est-ce votre description des rues africaines dans vos poèmes ou notes, vos adaptations de poésie orale touarègue ?

Louis-François Delisse - Rappelé à l’ordre par mon service militaire en disciplinaire (pour insoumission à Metz), où par exemple on nous faisait tirer sur des cibles avec turbans, j’ai vite mis à ma libération, en avril 54, les bouts pour l’Afrique noire où je savais que je ne serais pas rappelé.
Niamey était un camp militaire à cette époque, du barbelé jusque sur ses arbres (pour les protéger des chèvres) mais ses enfants étaient si beaux, son fleuve si vaste que je finis par y rester sept ans. Les années où j’ai le plus écrit, tout en me refusant à vivre en colon, à jouir en colon et militant même pour leur indépendance.
Mais je découvrais aussi à la bibliothèque de Niamey, les poésies touarègues notées par de Foucauld de 1905 à 1917, je m’attachais à en reproduire le mot à mot si vert, si vif, érotique. Puis limogé par la politique scolaire, du côté de Zinder de 1961 à 1975, je recopiais également beaucoup de poésie des Haoussa, celle surtout de leurs ornements symboliques sur les demeures, les cuirs, l’orfèvrerie. Le Niger était désormais soumis à des présidents militaires, la poésie en péril.

Olivier Hobé - Vous êtes né à Gibraltar, près de Roubaix. C’était prémédité ? Je veux dire par là que votre lieu de naissance unifiait déjà, en quelque sorte, l’Afrique et l’Espagne…

Louis-François Delisse - Cette évocation du hameau de douaniers et fraudeurs où j’ai grandi, est la source de la poésie en moi. Dès 5 ans, j’y écrivais des lettres à ma mère éloignée, très vivantes. Puis au Collège on me mettait en retenue pour lire « mes inventions » littéraires. Mais il y avait un croisement dans ma famille, entre ma mère alsacienne et mon père frontalier…

Olivier Hobé - Oui, ce croisement c’est vous…

Louis-François Delisse - La frontière passait au milieu de leur lit, où me concevant, ils allièrent mes deux prénoms. Mais aussi, dans le pré de cette fermette il y avait une borne de l’empire de Charles Quint, du temps où les Flandres furent espagnoles. Je n’ai pas pu apprendre l’allemand mais, voyageant en chemin de fer en Espagne, l’espagnol me fut presque aussitôt une seconde langue, au moins à l’écrit où je me suis occupé à le traduire avec passion dès 1954.
J’emmenais Alberti en Afrique pour le traduire, j’emmenais toutes les traductions de poésie espagnole de GLM, avec la poésie grecque des Hymnes homériques et des Epigrammes. Quand j’eus à enseigner la philosophie au Niger, c’était les Héraclitéens et Plotin mes phares, et Césaire, Camus.
Mais je me passionnais davantage pour la poésie des Touaregs et les merveilleuses poésies des Peuls et autres négro-africains, dans les versions d’Hampaté Bâ, de Lyliane Kesteloot (une native de mon village belge !) et de Marguerite Dupire pour les Bororos.
Celle-ci devenue « l’hirondelle du Désert » pour les colons qu’elle scandalisait, vivant sous les tentes des nomades, venait du côté François de ma vie, de cette école des filles des Sœurs de Roubaix où j’envoyais mes premières poésies aux plus jolies.

Olivier Hobé - A la lecture de vos dernières Notes d’Hôtel récemment parues aux éditions Apogée, on vous voit au bord des lavoirs du Niger, près du cinéma Cokino de Zinder ou bien encore emmailloté du textile flamboyant de la ruelle du Galon d’eau ; votre nourriture c’est celle du chant des andalous, celle de ce soleil qui parfois descend très rouge…tout ceci paraît d’ailleurs très naturel au sein même de l’écriture, par son tissage même.

Louis-François Delisse - J’ai écrit ces Notes par association mentales de 3 ou 4, en une suite immédiate qui me venait à la lecture des premières que Jimmy Gladiator publiait dans son brûlot L’hôtel Ouistiti. Puis j’ai poursuivi de la même manière, je dactylographiais chaque série, mes doigts s’embrouillent depuis mais j’ai certainement encore beaucoup de suites à en donner !
La chronologie est fournie à la fin, et le lieu, je suis un disciple de Gilbert Lely ici, et de sa poésie sadienne où il s’agissait de rapporter le lieu, l’heure, l’image et l’émotion vécue, de chaque poésie. Mes éditeurs refusent ces précisions, qui selon eux alourdiraient le texte. C’est pour moi condition d’authenticité.
Tous ces récits ont été vécus, même les plus banals, et au passage François Delisse conte aussi sa part de l’ombre, braque une lumière sur certains de ses démons. Tels dans les chants andalous noirs du Cante Jondo que je ne cesse de traduire.

Olivier Hobé - Au bout du compte, il y a chez vous François et Louis, la poésie et la traduction de la poésie, des déserts et des voies pavées, des possessions, des processions même, cela fait un parcours…

Louis-François Delisse - Je suis parti des décadents, des Noctes pour la Dent d’or, ma première publication en 1951 (éditions Debresse), où le symbolisme côtoie Verlaine et Rimbaud. Puis la jeune poésie que je découvrais à Paris, de banale à brillante, de la papoésie et l’apoésie à Malcolm de Chazal et Césaire, m’aurait découragé sans ma décision d’aller l’exercer au Niger, où j’ai écrit Soleil total presque d’un trait, en 16 mois.
Je l’adressais à GLM dès 1956, GLM qui m’avait été révélé pendant mon service militaire par un libraire de la place ducale à Nancy. Puis j’écrivis, presque possédé, au fleuve, où je vivais mes nuits, à Yentalla, « dieu-tige » en somme, mais ce grand manuscrit m’a longtemps échappé. Je l’avais recopié en 3 exemplaires à Roubaix, chez Albert Derasse qui était mon agent pour la publication de Soleil total chez GLM. Mon exemplaire à Niamey était au deux tiers brûlé par une grenade lancée dans ma case par l’OAS en 1960.
Celui de GLM, qu’il prêta, ne lui fut pas rendu (Gallimard, à qui j’avais refusé Soleil total ?) Et Derasse, partant pour l’Afrique à son tour, cacha si bien son exemplaire qu’il ne le retrouvait qu’en 1997, à Roubaix, et il fut aussitôt publié à Brive, chez Myrddin, par Pierre Peuchmaurd.
L’anthologie de mon Vœu de la rose, poésies de 1950 à 1960, chez GLM, n’empêcha pas le manque de « dieu-tige » comme cause de mon silence éditorial jusque 1990, où je publiais mon dernier recueil préparé au Niger, Paysages avec bestiaire et pierres tombales, à l’Embellie roturière.
Mon retour du Niger, en 1975, m’a été imposé, arraché. Ma poésie a failli en disparaître, sauf en anglais ou espagnol…J’ai presque plus traduit qu’écrit, depuis.

Olivier Hobé - Louis-François Delisse, quels sont aujourd’hui vos projets d’édition, d’écriture, de voyages peut-être ?

Louis-François Delisse - Hélas, je ne puis plus voyager que dans ma tête –on m’a hospitalisé chez moi, et retiré même ma carte de bus, je suis souvent au jardin Simone Weil, avec les enfants et les oiseaux, avec des personnes très âgées mais qui ont beaucoup vécu, Lucienne qui fut modèle de Matisse et secrétaire de Neruda ; ses cendres viennent d’être dispersées, avec son long passé d’anarchiste, au Mur des Fédérés, à ses 101 ans.
C’est donc dans ce jardin que je voyage, tandis que 2008 verra enfin paraître mes Lépreux souriants, les cinq récits de ma vie à Niamey (1954-61) et ma deuxième anthologie (après Aile elle mon « livre nègre » composé de neuf recueils écrits au Niger) Le Logis des Gémeaux, autres poésies d’avant et d’après le Niger, mon « livre blanc » si l’on veut.
Et puis, je pourrai m’étendre, publier cette Fable de Polyphème et Galatée, ou encore de nouvelles notes de voyage…
Étendu, au jardin ou au lit, j’écrirai encore des lettres et chacune de ces lettres aura sa poésie épistolaire originale, comme Myrddin vient d’en publier la première suite dans sa collection La part de l’eau.

Olivier Hobé - Louis-François Delisse, je vous remercie. Puisse le dieu-tige vous animer de longs jours encore.

Louis-François Delisse  - Je vous le fais ?

Olivier Hobé - Le dieu-tige ?

De Louis-François Delisse, les éditions Wigwam ont publié De fleur et de corde (2006) et les éditions Apogée  Notes d’hôtel (2007) et Les Lépreux souriants (2009) (dans la collection "Piqué d’étoiles").

Parmi les autres publications de L.F. Delisse : Soleil total (GLM, 1960), Le Vœu de la rose (GLM, 1961),  Procès de la fleur (Myrddin, 1993), Paysages (L'embellie rôturière, 1994), D'un désert l'autre (Le Grand Hors-jeu, 1995), Dieu-tige (L'Air de l'Eau, 1998), Poésie amoureuse des Touaregs - avec Zahara Ag Mouddour, (Le Corridor bleu, 2000), Aile, elle (Le Corridor bleu, 2002) Tombeaux (Myrddin, 2005), De la mort du lion (Les Vanneaux, 2005), Le Logis des gémeaux (Le Corridor bleu, 2011)

Olivier Hobé, auteur, entre autres, du Journal d'un haricot, (éditions Apogée) a animé la revue Trémalo

Lire : Louis-François Delisse de Laurent Albarracin (éditions Les Vanneaux),