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mercredi 22 février 2023

Les Fulgurés

Chaque parution, livre ou plaquette, de Pierre Drogi, reste un moment rare et précieux, une fenêtre qui s’entrouvre sur des paysages fragiles et habités qui bougent à peine, frémissent, attirent le regard, émoustillent les sens. Les oiseaux sont ici chez eux. Ils sont nombreux, de toutes tailles, toutes couleurs, jacassent, se partagent des morceaux de ciel, de branches ou de troncs coupés, abattus, recouverts de mousse. C’est en ces lieux, où la vie animale et végétale bruisse sans discontinuer, que l’on retrouve ce promeneur qui se glisse « entre les prunelliers lentement posément lourdement suivant les sentiers d’ourlures des îles talus escaladés ou dévalés ».

Tout ce qui attire son attention est noté, précisé par touches brèves, ou suggéré. Il a l’allure d’un peintre qui travaillerait sur le motif mais sans se poser.

« J’ai vu des corneilles retourner systématiquement de vieilles lunes afin d’examiner les insectes qui se trouvaient au-dessous. »

Plus loin dans le livre, en seconde partie, après Les Fulgurés, succédant au décor chamboulé des arbres morts et des haies où s’ébouriffent des volées de moineaux, s’ouvre un « cahier de berce » où circulent d’autres flâneurs, des quêteurs d’ombre qui observent renards ou chevreuils en croquant des baies de sureaux ou en se mirant dans « un miroir d’eau claire / sans tain ».

Les poèmes de Pierre Drogi étonnent par leur fraîcheur, leur faculté à se nicher là où on ne l’attend pas, à privilégier les sensations en nous invitant à pénétrer dans un monde proche et secret, que l’on pourrait aisément arpenter et qui, pourtant, par paresse ou par inadvertance, nous échappe trop souvent.

« Le trouble de l’air saisit les troncs, leur caresse est violente. »

 Pierre Drogi : Les Fulgurés, Les Lieux-dits, Cahiers du Loup bleu.

jeudi 12 juin 2014

Animales

L’étonnement qui semble animer en permanence Pierre Drogi est déroutant et stimulant. Il le renouvelle de page en page avec subtilité, offrant à la poésie ce qu’on est parfois en droit d’en attendre : du souffle, des fulgurances, des impulsions qui piègent la conscience et des émotions qui traversent le corps fébrile du promeneur aux aguets. Il se frotte au monde extérieur. Touche des yeux la martre et le renard. Se sent démuni face à l’oiseau. Un peu décontenancé par le regard de la hulotte mais heureux de pouvoir néanmoins l’imiter en privé. C’est un adepte du contre-pied. Un virtuose du coq à l’âne assumé.


« joué à l’homme
- à la cervelle de bois -
toute une année
tout un an
loin du but. »

Tout ce qui respire, bouge, s’anime (un arbre, un animal, une rivière ou un être, une conscience, une parole, etc) noue une relation avec son double, son contraire ou son semblable mais ceci ne s’érige pas pour autant en vérité immuable. L’imaginaire apprécie la surprise et aime la provoquer. L’imprévu guette au carrefour. Il peut ainsi arriver qu’un distrait en virée dans un chemin de terre enfile des digitales en guise de gants, ou qu’un soir d’orage un chien fidèle rapporte une boule de feu à son maître, ou que des « oisifs en partance dans un ciel déserté » surprennent et rejoignent dans les vallons « des rouleaux de lièvres » en liesse. Il peut tout aussi bien advenir qu’un mot en appelant un autre puis un autre voit rappliquer sur la page celui qu’il n’attendait pas. Cet heureux contretemps va, incidemment, faire bifurquer le poème en le propulsant dans un monde onirique où fleurs, lumière, sauterelles et bottes du pêcheur égaré (par exemple) scelleront l’instant en apportant chacun sa part de rêve et de réalité. Le matériau reste très friable. Drogi le manipule en conséquence.

« les mots ne sont que les petits captifs d’autre chose (sourcement) qui coule cache et délivre une moisson d’étranges bulles ? »

Les suites et séquences qui composent Animales s’entrelacent et réservent de multiples surprises. Il y a là un souffle, un ton, une légèreté qui tiennent tout à la fois de l’aérien et du terre-à-terre. Ce que Pierre Drogi détecte niche souvent dans l’infiniment petit ou dans l’infiniment grand. Ce sont goutte de rosée ou forêt, libellule ou gros gibier. Il considère, à juste titre, que tout ceci (et mille autres signes précis, visibles ou pas) participe au foisonnement des vies en cours, simultanément, dans des lieux proches, et que les uns, les unes, les autres ne cessent de se frôler, de se toucher, voire de s’interpénétrer sans s’en douter. Il cherche (et trouve et rassemble) des traces de connivence. Il en saisit les contours flous, devine leur fantaisie et les cale dans son livre à ciel ouvert.

« le roi est un corps / il est nu. sur la prairie rase rouge / de belettes / avec bouleaux et saules / encagés. »

 Pierre Drogi : Animales suivi de Suite azyme & Porte-lune, Le clou dans le fer.