mardi 24 septembre 2013

Else avec elle

Dès le premier poème de cet ensemble, construit en forme de triptyque, Lou Raoul s’adresse à celle qu’elle nomme Else en lui donnant, en offrande, son intégrité, son regard, son présent, sa mémoire, son calme apparent, ses souffrances intérieures et ce quotidien qui est sien et qu’elle ne peut concevoir sans nouer d’infimes mais solides liens avec le monde (humain, animal et végétal) qui l’entoure.

« un jour tu es
et tu me dis que c’est ton nom
alors comme j’ouvre toutes les fenêtres à l’air nouveau
et au bel air
je touche tes yeux qui ne s’émiettent et je te donne, Else, ma vie »

Passé ce poème inaugural, le « je » n’aura plus lieu d’être (il ne réapparaîtra que dans le dernier volet) et c’est à travers Else que l’auteur va avancer en gardant toujours une salutaire bienveillance vis à vis de celle en qui elle met évidemment beaucoup (si ce n’est tout) d’elle-même. Elle lui parle, l’accompagne dans des voyages où, tout exotisme étant exclu, il faut saisir la rugosité du territoire découvert et les pratiques ancestrales de ceux qui y vivent.

« ils chassent écureuils, zibelines pour la chair et la peau
les peaux lustrées qu’ils troquent contre thé, café, tabac, vêtements, tissu
les peaux qu’au village d’autres assemblent pour confectionner des chapeaux très chauds »

Ces incursions dans le grand nord ou ailleurs, au pays des rennes et « des toiles tendues sur les armatures de bois » en suscitent d’autres, plus proches, et presque toutes ancrées en Bretagne, où la frontière entre les vivants et les morts devient souvent presque invisible. Ainsi cet homme qui sort du bois, à l’heure où ses congénères, par milliers, dans des villes « se coiffent, se rasent ou se maquillent, se vêtent, se chaussent », cet homme qui boîte et qui s’en va, chaque jour, se placer au cimetière près des siens. Ainsi Else, elle-même, qui, au centre du livre, se porte au chevet de Yuna qui va mourir et restera, pour toujours, « la femme morte quand elle est vivante ».

« Un jour, Yuna montre à Else son nouveau sein droit, reconstitué. Il a un peu de cicatrices et pas de mamelon. Son dos porte aussi une longue cicatrice. Le mamelon est prévu pour plus tard. Comme tout va vite ou faire comme si Yuna n’est pas malade. Else est étonnée. »

Treize tableaux en prose, où la vie va, continue et contourne l’inévitable en s’y appuyant pourtant, attestent, au centre du livre, du lien très fort qui unit ces deux femmes que la mort ne réussira pas à séparer. Passé et présent ne sont ici que l’endroit et l’envers d’une même pièce que l’on ne peut couper en deux.

La façon d’écrire de Lou Raoul, tour à tour allusive, elliptique, précise et tranchante, lui permet de traverser, outre les frontières, ce miroir si prompt à lui renvoyer un double qui ne demande qu’à vivre pleinement. Cette écriture est portée par une langue qui sait ce qu’elle doit à l’oralité. Certains poèmes, qui se déploient et s’enroulent, contant tel ou tel épisode de vie, s’avèrent à cet égard assez proche de la complainte. D’autres, plus compacts, resserrent les boulons de la grande mécanique du monde. Pour en saisir les nuances et les subtilités, il faut rester (ce qu’elle fait) en éveil, en attente de ce qui va advenir ou revenir. D’autres enfin, qui constituent le dernier volet du livre, viennent, plus légers, plus brefs, dire que ce qui devait être écrit, en puisant dans l’ordinaire ou dans le douloureux, l’a été. La respiration se fait plus calme. Else, ce personnage, ce double qui va et vient d’un livre l’autre de Lou Raoul, peut alors s’éclipser, non sans entendre, au loin, la voix de l’auteur qui, hésitant un peu entre langue bretonne et française, lui parle et la remercie.

« tremen ’ra an amzer un jour c’est tard le temps passe et d’un vol ralenti lent au-dessus de ce champ de ce petit bois de saules mon ange tu voles »

Lou Raoul : Else avec elle, éditions Isabelle Sauvage.
(Le prix PoésYvelines 2013 a été attribué à Lou Raoul pour ce livre).

mardi 17 septembre 2013

Décembre m'a ciguë

« C’est pour bientôt, on m’a dit : pour décembre ». Et décembre est là. Froid, pâle, métallique. Presque cassant de certitudes. Tout près, il y a le canal gelé, des corbeaux à l’écluse, un écureuil qui ose encore quelques allers-retours du pied de l’arbre à sa réserve secrète, le bois qui craque comme de vieux os dans la maison où elle vit, travaille, attend et redoute ce qu’elle ne peut concevoir. La nouvelle viendra par le téléphone. Le danger, le déclencheur de douleurs, est en permanence en veille, ou en pré-alerte, à ses côtés. Elle lui parle sèchement, lui intime l’ordre de se taire, de ne pas se mêler de ce qui ne le concerne pas.

« Non, pas toi pas toi. Dring, dring, je l’entends déjà ta sonnette, et tout mon sang se fige. Veux pas veux pas, tu ne peux pas m’appeler pour ça, t’entends, t’entends, t’entends le téléphone, va-t’en ! Va-t’en, viens pas me faire carnage au corps. »

Pour éviter de ne penser qu’à l’échéance, puis à l’absence, à la béance qui suivra, ou plus simplement pour tenir, pour offrir du contenu à son temps, elle s’invente des rituels de sauvegarde. Ce sont des douceurs au corps et à l’esprit. Des gestes simples : allumer une bougie, fumer une cigarette puis une autre et une autre, boire une tisane, dessiner, graver, s’emplir de nuit claire, regarder la lune au-dessus du cyprès qui fait face à la chambre et se dire, instantanément, que la grand-mère qui, au loin, respire si mal en ces derniers jours de vie, la voit elle aussi et que le moment est idéal pour bouger, pour s’adresser à elle et ne pas rater leur rendez-vous quotidien par courrier.

« Alors à nouveau mon urgence, le cerveau fait sourdine j’écris n’importe quoi, tout ce qui passe dans ma main pourvu que tu m’attendes, pourvu que ton regard, pourvu que... : “Ma petite Mamie, avec tout cet hiver surtout, ne prends pas froid. Ne pars pas à New York courir le Marathon, repose-toi, bouquine, prends soin de toi, prends en bien soin...” »

Au présent s’ajoutent des scènes qui reviennent du passé et particulièrement de l’enfance. Leurs bienfaits restent lumineux dans la mémoire de celle qui rassemble ses forces, réfléchit à ce qui la lie à l’espace et au temps, interroge les grésillements qu’elle perçoit sur sa ligne intérieure, écoute son corps douloureux et essaie d’apaiser ce qui dans sa chair palpite et souffre de trop anticiper les effets de celle (la mort) qui là-bas approche.

« Je ne dirai pas son nom, je n’avalerai pas sa ciguë, jamais, tu m’entends : JAMAIS. Je lui tiendrai tête, oui, j’appliquerai mon front à son masque funeste, je me ferai à sa hauteur. Lui maintiendrai la dragée haute. »

C’est une voix forte, tenue, tendue, jaillissant du plus secret d’elle-même, que celle que donne à entendre Édith Azam. Une voix qui passe par tout le corps, qui fonde texte pour prendre corps à son tour, une voix qui caresse ou aiguise les muscles, les tendons, les articulations, les os, une voix qui emplit les poumons, qui monte du ventre à la cage thoracique, qui trouve son souffle et la bonne dose d’oxygène pour maintenir sa cadence, une voix qui vibre, résonne, met en route une mécanique nerveuse, souple et fragile. Elle agit par saccades, trébuche, se reprend, poursuit avec ténacité sa lente, implacable exploration de ces territoires intimes et familiers qui portent en eux ses peurs, ses hantises mais aussi son imparable énergie à résister, à être, à vivre, à créer, à écrire.

« Aimer réside dans cet effort-là : écrire, autrement dit se vivre. »

 Édith Azam : Décembre m’a ciguë, éditions P.O.L.

lundi 9 septembre 2013

Lémistè

La voix de Monchoachi (André Pierre-Louis) ne vient pas seulement de la montagne Vauclin, là où il vit, en Martinique. Elle prend source et souffle bien plus loin, dans l’espace et le temps, dans les profondeurs de la terre ou dans celles de l’océan, au contact des mémoires, à l’écoute des éléments, dans le scintillement d’un rai de lumière ou dans le tranchant d’une ombre coupante. Elle s’emplit du roulement des cascades. Elle s’associe aux murmures des morts. Elle n’oublie pas ce qui se transmet et passe par faune et flore... En réalité, cette voix en capte d’autres et s’en nourrit pour prendre forme polyphonique. Elle porte une parole multiple, scandée, qui déjoue – et transcende – celle ordinairement proférée par le seul être humain.

« Il faut chuchoter sans cesse avec les morts, il faut
Sans cesse leur parler
Ils sont là autour de nous, merveilleux conteurs
Accordés à faire grincer et bruisser le destin
Dans les gorges sombres des bambous
Dans les langues de l’arbre musicien. » 

Convoquant mythes et rituels ancrés et activés puis réactivés au fil de différentes cérémonies, et ce dans des lieux du monde qui savent encore perpétuer et renouveler ce qu’ils doivent aux ancêtres, il replace l’homme au milieu de tout ce qui respire à ses côtés. L’eau, la pierre, la terre, les choses (et la mort même) vivent et s’emboîtent dans un ensemble où tous les éléments, tous les souffles, toutes les périodes d’un temps plus vaste que celui connu et morcelé par l’homme s’accordent pour trouver une unité. Celle-ci est harmonieuse ou violente, soumise à la brise ou à la tempête, parée de fleurs ou de suie et dépend, quoiqu’il arrive, des turbulences naturelles et élémentaires qui battent par saccades sous le vernis du corps ou de la terre. Tout (de l’homme, des esprits, des cercles et rotations magnétiques, invisibles, tracés au sol ou en l’air) est lié et relié par des fils infimes et ténus, nous dit Monchoachi.

« Nous parlons de choses toutes proches
Si difficiles maintenant à imaginer
Tant le temps fou
Les ont profondément enfouies. »

Ses poèmes, posés ou (plus fréquemment) rapides, très proches de l’oralité, traversés par de fulgurantes variations rythmiques, bougent et se servent tout à la fois du français et du créole pour affiner leur sonorité et rendre très visuelles des scènes narratives.

« En ségret avons peint nos faces
Toutes nos faces avons peint en rouge en ségret
Le corps taqueté blanc
Autour du visage un cercle noir
Peint dessus les yeux jusqu’oreilles
Une bande blanc taqueté rouge

Avons fait ça en ségret
puis avons la tête bouc peinte en rouge »

Les thèmes qu’il développe et qui s’entrecroisent sont ceux de la mort, du temps, de la terre, de la parole, de la vérité, de la liberté et du mystère de la création. Il s’empare de ces questions en y répondant dans des poèmes où se succèdent rituels, danses, contes, offrandes, sacrifices, initiations et chants. La présence des enfants (entre autres textes : L’enfant et le dieu tatouéL’enfant à la mère rendueLa fillette et le magicien,  L’enfant et la graine bleue, L’enfant fronté et la vieille femme) est prégnante mais n’occulte pas les étapes suivantes de la vie. Tous sens en éveil, Monchoachi multiplie les tableaux vivants, très imagés, en pénétrant dans des territoires secrets, habités par les choses et par les hommes, ceux d’hier, d’aujourd’hui et de demain, embarqués dans un cycle infini, dicté par les roulements permanents des astres en mouvement.

 Monchoachi : Lémistè (1. Liber América), éditions Obsidiane.

lundi 2 septembre 2013

Le Ravin

« Aujourd’hui la guerre a commencé. À moins que ce ne soit il y a longtemps. Je ne comprends pas très bien quand les choses commencent. Elles m’environnent d’un seul coup et ressemblent à des personnes que j’aurais toujours connues. »

Celle qui prend la parole – et qui la gardera jusqu’au terme du récit – est une petite fille qui voit son monde basculer en quelques heures. Cela se déroule chez son grand-père qui est bourrelier à La Laguna, aux Canaries. Dans le vacarme de la rue, cris et coups de feu se mêlent aux tremblements des vitres et des fenêtres. Des hommes appartenant aux forces franquistes viennent, fusil à l’épaule, fouiller la maison, l’atelier et le hangar dans l’espoir d’y trouver Santiago, le père de la narratrice, journaliste républicain qui finira par être arrêté puis emprisonné. Débutent alors, pour celle qui se plaisait à vivre en harmonie avec ses rêves au sein d’une famille très unie, des heures et des jours qui vont la faire « grandir brusquement de plusieurs années ». Elle va découvrir de nouveaux mots (gardes, prison, parloir, salle des actes, juges, procureur), se frotter à des décors inconnus, les visualiser, les intégrer à son propre univers et activer son imagination en créant des associations étranges entre les lieux et les êtres.

« La prison est au fond, elle nous attend, elle est devenue notre maison, et peu importe que nous rentrions, puisqu’elle fait partie du corps de papa, puisqu’ils ne sont plus qu’un seul être. Leur unique préoccupation est de veiller l’un sur l’autre, et un jour viendra où la prison sera l’intérieur de papa, où il ne pourra plus en sortir, où il devra la garder au fond de lui-même. »

Habitée par des sentiments contradictoires et par des émotions qu’elle ne parvient pas à faire partager à ses proches, elle cherche en permanence ce point d’équilibre qui l’aidera à adapter sa vie à la réalité de la guerre civile tout en s’inventant des moments de répit pour s’en détacher. Pour cela, elle a ses souvenirs, ses rêves, ses pensées, sa façon bien à elle d’interpréter les gestes répétitifs du chien (« je crois que la peur est dans l’air et que Yoli, avec ses pattes, la déplace ») et d’envier la manière de vivre du chat.

« J’aime te regarder. Tes yeux ressemblent à une horloge. Si tu t’avances seul et que personne ne t’effarouche, tu marques des heures lointaines, très lointaines, tu deviens une longue rue, un couteau, un soulèvement. »

Cette propension à lâcher prise grâce à une intériorité très créative génère également sa part de cauchemars. Ceux-ci se nourrissent de la peur qu’elle emmagasine chaque jour et qui culmine avec le passage fréquent des camions qui transportent les prisonniers au Tanqueabajo, un ravin immense « où l’on jette les cadavres des animaux et les ordures de toute la ville » et près duquel la famille a auparavant habité.

« Penser que j’ai vécu près de l’endroit où papa est peut-être en train de pourrir me donne des sueurs froides. Mais ce n’est pas possible. Son nom ne figure sur aucune liste. »

Le Ravin, qui fascine et emporte par son ton haletant et ses images spontanées, a été publié une première fois en 1958 par Maurice Nadeau. Il a ensuite connu une deuxième édition en 1986 chez Actes Sud. Il occupe une place à part parmi les nombreux romans consacrés à la guerre civile en Espagne. Celle-ci, vue à travers le bouleversement et les drames qu’elle engendre au sein d’une seule famille, est transmise par le regard d’une enfant qui dit sa solitude, ses peurs, ses angoisses. L’itinéraire de Nivaria Tejera ressemble beaucoup à celui de la narratrice. Née en 1930 à Cuba, de mère cubaine et de père espagnol, elle a passé son enfance à Tenerife, aux îles Canaries, et son père a été emprisonné pendant plusieurs années dans les geôles franquistes.


 Nivaria Tejera : Le Ravin, traduit de l’espagnol par Claude Couffon, éditions La Contre Allée.

dimanche 25 août 2013

La Chèvre noire

On retrouve souvent, dans les textes poétiques que François Rannou a publié ces dernières années, des voix qui se croisent ou se répondent. Il y a là une parole fragmentée qui résonne dans une chambre d’échos où semblent cohabiter des timbres venus de lieux et de temps différents. On pressent que l’enjeu de ce travail éprouvant touche de près des zones sensibles qui ont à voir avec le parcours de l’auteur. Livre après livre, celui-ci retrouve les morceaux d’une histoire, la sienne, dont divers épisodes ne lui parviennent que parcimonieusement. Le lecteur qui le suit, en quête de clés lui aussi, pour s’immiscer dans ces rais de lumière qui transpercent régulièrement l’ombre, collecte çà et là des indices qui l’aident à avancer. Cela se faisait jusqu’à présent à pas comptés. Jusqu’à ce que La Chèvre noire, récit d’une centaine de pages, vienne, ces jours-ci, bien à propos, ouvrir des portes qui résistaient.

« Voici donc La Chèvre noire. Celle qui est sacrifiée à quelque prédestination en espérant, malgré tout, faire remonter du vent aveugle la parole qui libère, affranchit. »

La chèvre noire (ou la brebis) reste, dans L’Odyssée, cet animal que l’on sacrifie après avoir « prié l’illustre nation des morts » afin de retrouver sa route pour revenir à ses lieux d’origine. Et c’est justement pour bien saisir ce qu’il en est de sa propre origine que François Rannou se met en chemin. Il doit, pour cela, fouiller dans sa mémoire, tenter de se rappeler ce que mère et grand-mère, désormais disparues, lui ont transmis par gestes, paroles ou omission, reconstituer l’album familial au sein duquel la place du père est vacante, revisiter les lieux de vie, revenir sur le parcours de l’enfant qu’il fut, interroger, outre son passé, celui de ces deux femmes seules dont l’une porte un secret qu’elle ne dévoilera pas, pas même dans la chambre d’hôpital où elle vit ses derniers instants avec, assis à son chevet, celui qui, inlassablement, attend et espère.

« “Vous ne saurez rien. Personne. Même toi” — et c’est à ce moment-là que s’interpose une mouche, bleu aléatoire vacillant bourdonnement. Il regarde la lumière. Il écoute.

Qu’une respiration. Le ventre qui bouge. Les appareils, bien sûr. “Vous ne saurez rien”. Personne. »

C’est un long cheminement que celui qu’entreprend François Rannou. Il remonte le cours des vies de celles et de celui qui l’ont précédé pour mieux poser et consolider la sienne. Ces voix qui ne lui ont pas dit l’essentiel, il les capture par bribes, leur attribuant, après coup, des propos précis, ciselés au scalpel, entrecoupés de blancs qui symbolisent les non-dits. Piochant ainsi, sans s’épancher, dans le livre d’une famille qu’il voit s’éteindre, en suivant une chronologie volontairement désordonnée, il parvient à créer une percutante suite narrative réduite, comme il le souhaitait en ouverture, à « une tête de jivaro incandescente qui brûle à froid ». Savoir d’où (de qui) l’on vient pour mieux s’orienter et trouver sa propre voix (puis libérer sa parole) est au centre du texte.

« Ce matin-là, le boy parti, il l’avait saisie contre la penderie tandis qu’elle avait tout fait pour le faire jouir en elle. C’est le lendemain qu’elle avait posé pour lui. Point de fuite. Leur échappée n’aurait été qu’heureux déboires ?

Elle a eu soudain le ressort nécessaire. Stylo. Ces photos sur la table de chevet. Derrière chacune d’elles : “Mon petit garçon avec son papa, à la clinique, août 1963.” »

Avançant avec concision et fermeté, Rannou, renouant les liens fragiles qui éclairent son passé, évoque brièvement cette autre famille qu’il s’est, peu à peu, choisi. Et devenant « fils, frère de ceux qu’il lit », il emprunte à certains d’entre eux des citations qui introduisent chaque section en servant de points d’appui à son récit, où vibre une parole à la tonalité juste.

 François Rannou : La Chèvre noire, publie.net.