tag:blogger.com,1999:blog-11389038922816422962024-03-18T09:48:01.290+00:00jacques jossenotes de lectures, infos livres, éditions...jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.comBlogger593125tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-14189829323195246212024-03-14T09:42:00.023+00:002024-03-14T09:54:31.486+00:00Les labourables<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhj65X96o_SSNJU7_eU6nyo0sx-dwLWkd2jTkSk82SKytaXTa7rPE2OgZzTCrLu9T6QwTDvWOLWPNLsm-1GLzZErg-Czq5SHwJOio7M5tIiRMEXkockbP9D8aP1iZztodLN2GZoX3chwtCHeno5Gy6w_-l2bqU4BGynL0sm3JJIKDOmahaMiO_A1cQ48bvz/s812/21_les-labourables_lou-raoul.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="812" data-original-width="650" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhj65X96o_SSNJU7_eU6nyo0sx-dwLWkd2jTkSk82SKytaXTa7rPE2OgZzTCrLu9T6QwTDvWOLWPNLsm-1GLzZErg-Czq5SHwJOio7M5tIiRMEXkockbP9D8aP1iZztodLN2GZoX3chwtCHeno5Gy6w_-l2bqU4BGynL0sm3JJIKDOmahaMiO_A1cQ48bvz/w160-h200/21_les-labourables_lou-raoul.jpg" width="160" /></a></div><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjuj4YBGTYvnh91kNw4PCDRz5NOHncrdm1rU6ejO0hpSOVo_RKziIqTVHGfCQ0FxImeZgrNqTYHNWq2VTH1jHuiWxDQqx0TH4RvzrCcRZTxTYLvBa4s3un_lTFt6UiYTxecPhjE-nKYTKNgLU-fIbzxzywOVjz__c7hkr9XupVDOG5e7_9cvxHUwRiuW2Kh/s476/21_les-labourables_lou-raoul.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"> </a><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjuj4YBGTYvnh91kNw4PCDRz5NOHncrdm1rU6ejO0hpSOVo_RKziIqTVHGfCQ0FxImeZgrNqTYHNWq2VTH1jHuiWxDQqx0TH4RvzrCcRZTxTYLvBa4s3un_lTFt6UiYTxecPhjE-nKYTKNgLU-fIbzxzywOVjz__c7hkr9XupVDOG5e7_9cvxHUwRiuW2Kh/s476/21_les-labourables_lou-raoul.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"> </a></div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">Ce que Lou Raoul explore dans ce livre, c’est ce que fut pour elle la
période de confinement mise en place pendant la pandémie de Covid 19. Ce
repli imposé, elle l’a vécu à sa façon, en observant, en prenant des
notes, en se promenant au bord d’un étang ou d’un canal, en longeant des
champs qui se préparaient au repos hivernal. Le temps semblait figé
tandis que sa pensée la portait vers le monde extérieur. Exprimer cela
ne pouvait se faire sans le recours aux poèmes. Ceux-ci jalonnent les
mois de novembre et de décembre 2020 et se succèdent en « un journal de
terre », ce qui correspond en agriculture à la surface que l’on peut
labourer en une journée.</p><p></p>
<p>« ou cinquante ares dans nos villages<br class="autobr" />
cette mesure d’arpentage<br class="autobr" />
autrement dit une journée de charruage<br class="autobr" />
ou encore la surface labourable en un jour<br class="autobr" />
avec un cheval puissant<br class="autobr" />
de l’aube au crépuscule »</p>
<p>La feuille et le stylo remplacent ponctuellement la parcelle à
labourer et la charrue. À chaque jour, son poème, en un temps suspendu
où rien ne se passe et pendant lequel Lou Raoul se demande, chaque soir,
si ce jour doit être conservé ou rayé du calendrier. Elle finira par en
balafrer les dates, mentionnant quand même leur existence, certes
tronquée mais bien réelle.</p>
<p>« un texte par jour<br class="autobr" />
les dates n’auront probablement pas d’importance<br class="autobr" />
qui seront balafrées »</p>
<p>Rester cloîtrée dans l’appartement (ou dans la yourte) où a lieu
l’assignation à résidence, avec autorisation de sortie dûment signée
dans un espace géographique limité, n’est pas dans sa nature. Elle a
besoin du dehors, des oiseaux, du vent dans les arbres, besoin de
s’évader et s’il lui est impossible d’y parvenir, il reste quelques
échappatoires que personne ne peut lui enlever : la mémoire, le rêve, la
lecture, la musique et l’écriture.</p>
<p>« tu cherches à écrire non pas ce qui plairait<br class="autobr" />
tu cherches à écrire ce qui te tient debout<br class="autobr" />
c’est différent<br class="autobr" />
de l’autre côté des fenêtres<br class="autobr" />
murs lumineux du jour<br class="autobr" />
arbres aux branches dénudées<br class="autobr" />
les voici à présent<br class="autobr" />
tu lâches la bride »</p>
<p style="text-align: justify;">Lou Raoul, en ces semaines où elle se sent en « cage », en manque
d’espace (« tu ne sais pas vivre sans espace sans arbres et plantes »)
cherche ce qui peut l’aider à entrouvrir des portes, à la mener vers les
autres, à donner un peu de relief à son quotidien. Elle se saisit des
instantanés et des images fugitives qui s’offrent à son regard. C’est un
goéland qui tourne autour d’un quartier désert, ou une patrouille de
CRS qui procèdent à des contrôles, ou un hélicoptère jaune qui se dirige
vers le centre hospitalier ou simplement un coucher de soleil
rougeoyant.</p>
<p>« en sortie du samedi pour des courses alimentaires<br class="autobr" />
tu regardes au moment du passage à la caisse<br class="autobr" />
les denrées des personnes alentour<br class="autobr" />
il te semble un pays qui s’assoupit à l’alcool »</p>
<p style="text-align: justify;">Tout est noté avec retenue, sans fracas, sans que l’émotion
l’emporte, en une succession de poèmes qui expriment le désarroi mais
aussi la nécessité de le dépasser en veillant à ce que ces jours
(autrement promis à la monotonie) soient traversés par des éclats de vie
simple, rageuse et revigorante.</p>
<p style="text-align: justify;">Les photographies de Frédéric Billet (paysages de campagne, ciels
tourmentés, cabane, balcon, arbres agités) qui accompagnent l’ensemble
s’adaptent parfaitement aux poèmes et à l’univers de Lou Raoul.</p><div style="text-align: justify;"> </div><div style="text-align: justify;">Lou Raoul : Les labourables, photographies de Frédéric Billet, <a href="https://www.brunoguattariediteur.fr/boutique/cahiers-appareil/lou-raoul-les-labourables/">éditions Bruno Guattari</a>.<br /></div>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-7631182242610677082024-03-06T18:40:00.005+00:002024-03-06T18:41:42.652+00:00La reposée du solitaire<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjXGjRVWZ7ygQHrVYh-cCSW8S5doAOibS7_eXT1205Yr5X069daSpBpsFaD3dAqF0_z0VOISPxQWIa7SILV6_z7xj1Q5-brUp5es5Fnk43gO04cFovSqRomOxc5TfNu9xOCqaCkwBZ5xTaetGk6eMICJhJ7Idct_ko5h9yLsCcPteOOEwmmb6nnwLZcGR8l/s439/reposee_big.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="439" data-original-width="319" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjXGjRVWZ7ygQHrVYh-cCSW8S5doAOibS7_eXT1205Yr5X069daSpBpsFaD3dAqF0_z0VOISPxQWIa7SILV6_z7xj1Q5-brUp5es5Fnk43gO04cFovSqRomOxc5TfNu9xOCqaCkwBZ5xTaetGk6eMICJhJ7Idct_ko5h9yLsCcPteOOEwmmb6nnwLZcGR8l/w146-h200/reposee_big.jpg" width="146" /></a></div><div style="text-align: justify;">Tous les jours, vers quatre heures du matin, un homme se lève, boit son
café, caresse et nourrit son chat, allume son ordinateur, ouvre son
Memento, note ce qui lui vient ou ce qui ressort d’une nuit qui fut
agitée, composée de périodes de sommeil entrecoupés de bruits intérieurs
(ceux provoqués par les mots qui ne veulent pas dormir) et extérieurs,
où les animaux, délivrés de la diurne, désagréable et parfois redoutable
présence des hommes, fouinent, fouissent, hululent, aboient, grognent,
mâchent, mastiquent, chassent et s’adonnent à bien d’autres activités
dont certaines touchent l’oreille sensible de celui qui débute sa
journée avec douceur et lenteur, "loin des "excès de vitesse du monde"..</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">Cet homme, c’est Jean-Pascal Dubost. Il vit en forêt de Brocéliande
où il a choisi de s’installer et où il se sent bien. Quand il se lève,
la lumière de son bureau est l’une des premières à émettre dans la
contrée et nul doute que beaucoup d’animaux la repèrent, s’en approchent
ou s’en éloignent, Cela n’est pas pour lui déplaire tant il se sent
proche d’eux, appréciant de les savoir libres et sauvages, à proximité
de ce "balcon en forêt" à partir duquel il les voit parfois.</p>
<p style="text-align: justify;">Comme eux, il s’est aménagé une maison-tanière, un repaire, un abri
qui fait office de "reposée du solitaire", (l’expression est de Maurice
Genevoix).</p>
<p style="text-align: justify;">« Grâce aux animaux sauvages, j’entends les palpitations du silence.
Ça paraît pompeux, dit comme ça, mais en tendant tous mes sens vers eux
dans le silence matinal de la forêt, j’entends battre à l’unisson leur
cœur à travers le silence. Les animaux fusionnent avec le silence. C’est
à ça, que je me concentre extrêmement chaque matin. »</p>
<p style="text-align: justify;">Peu après, il explique que sa forêt, si vivante, abritant une faune
épatante, soumise aux aléas du climat, aux assauts des chasseurs et des
coupeurs d’arbres, est imaginaire et cosmique mais aussi bien réelle.
Foisonnante, très étendue, observée de sa fenêtre en levant les yeux de
son écran ou du livre qu’il est en train de consulter, il y pénètre
également quand il en a envie, s’y perd, s’y retrouve, froisse les
feuilles mortes, avance nez au vent dans une odeur d’humus ou de terre
malaxée par les groins des arpenteurs nocturnes.</p>
<p style="text-align: justify;">« Quand je marche en forêt (hors sentiers), j’ai le sentiment très
net d’être observé par des animaux. Qu’ils titillent ma nature non pas
enfouie ou disparue, mais inexistée. »</p>
<p style="text-align: justify;">Ce livre – posé, apaisant, grand ouvert sur la forêt – est composé de
notes écrites au fil du temps (entre mai 2020 et février 2022) et
parsemé de citations dues à ses auteurs de prédilection, est idéal pour
saisir la solitude (assumée, plutôt heureuse) de l’écrivain Jean-Pascal
Dubost au travail et pour comprendre le lien étroit qu’il entretient
avec son lieu de vie.</p>
<p style="text-align: justify;">Il n’est pas pour autant homme vivant hors du monde et du temps.
L’ordinateur à portée de main, il va visiter les sites d’informations,
prend connaissance des faits-divers, des drames, des guerres, des chaos
en cours et réintègre prestement son ermitage, bien situé et ô combien
littéraire (les légendes arthuriennes s’y régénèrent toujours), autour
duquel bruisse une forêt de mots qui requiert toute son attention.</p>
<p style="text-align: justify;">« Je vis en forêt de Brocéliande depuis 2005, j’y voulais vivre, y
vivre au plus près mes lectures arthuriennes, et peu à peu la forêt est
entrée en moi, mes moindres recois y sont, même ceux encore inconnus de
moi. »</p><p style="text-align: justify;"> Jean-Pascal Dubost : La Reposée du solitaire, notes de carnets, éditions<a href="https://rehauts.fr/livres/catalogue/reposee.html"> Rehauts</a> <br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-7314943703856012692024-02-29T09:39:00.001+00:002024-02-29T09:41:31.177+00:00En aveugle<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjdi6ivLKm0IRERwhuvNgb6ku6ZpL174_4LehPPhzMwXsOps351ifYMOe-m3ruSFDY2TzwG6U3qe2thyphenhyphenlis38ikMW2OYCx4nBjVCaepayAk7LefWHt4Ecqgw8IA2GmR-4u2_uat4WVxfISFCTNoX4KATcHrhhplcHEg_WoTmqKR3WPoxWYj_E5WDHNaRNaQ/s292/marten.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="292" data-original-width="195" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjdi6ivLKm0IRERwhuvNgb6ku6ZpL174_4LehPPhzMwXsOps351ifYMOe-m3ruSFDY2TzwG6U3qe2thyphenhyphenlis38ikMW2OYCx4nBjVCaepayAk7LefWHt4Ecqgw8IA2GmR-4u2_uat4WVxfISFCTNoX4KATcHrhhplcHEg_WoTmqKR3WPoxWYj_E5WDHNaRNaQ/w134-h200/marten.jpg" width="134" /></a></div><div style="text-align: justify;">Revoici Eugene Marten. Après le très déstabilisant et non moins remarquable <i>Ordure</i>, <i>En aveugle</i>
– qui fut le premier roman publié en 2003 aux U.S.A. par l’écrivain –
s’intéresse à nouveau aux parcours des hommes et des femmes qu’une
Amérique contemporaine mal en point a tendance à rendre invisibles.
Là-bas, comme ailleurs, les déshérités enchaînent les galères. Difficile
de trouver sa place, aussi précaire soit-elle, et plus encore quand
l’on revient, à peine sorti de prison, après six ans d’absence, dans une
ville que l’on ne reconnaît plus. C’est la situation que doit affronter
l’anti-héros taciturne et solitaire dont on suit ici la lente (et
zigzagante) reconstruction psychologique et sociale.</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">Il n’a plus rien et espère une seconde chance. Dans la chaleur
poisseuse de l’été, il finit par trouver refuge dans un hôtel miteux aux
chambres infestées de cafards. Ce n’est pas une cellule mais si ça y
ressemble un peu. Il lui faut en sortir, dénicher un travail au plus
vite. Son salut viendra de deux frères syriens, spécialisés dans les
clés et serrures, qui l’embauchent. Le salaire est bas mais il n’a guère
le choix et aucune expérience.</p>
<p style="text-align: justify;">« Parmi les gens qui venaient sans rien acheter, il y en avait qui
s’appelaient Bashir, Tariq, Fuad, Ayman. Ils remplissaient la boutique
de leurs "Salaam", de leur après-rasage ordinaire, leurs cheveux et
leurs yeux sombres. Leurs cartes de visite. »</p>
<p style="text-align: justify;">Il apprend les rudiments du métier, observe, prend ses marques et
retrouve un semblant de vie sociale au contact des clients qu’il reçoit
ou qu’il va dépanner à domicile ou dans la rue (quand il s’agit d’une
clé de voiture égarée ou oubliée à l’intérieur du véhicule). Leurs
portraits, brossés avec tact par Eugene Marten, forme une
impressionnante galerie. Tous cherchent la clé perdue. C’est également
le cas du narrateur.</p>
<p style="text-align: justify;">Marten déplie lentement son histoire. La personnalité de l’homme
qu’il met en scène est complexe. Elle s’éclaire au fil des chapitres.
Passé et présent s’entremêlent de façon volontairement elliptique,
laissant toute latitude au lecteur pour reconstituer le puzzle.
L’écrivain excelle dans l’éparpillement des pièces. Ici, la prison et sa
rude réalité, là, la clinique où est maintenue en vie une femme
inconsciente, là-bas, l’accident (dû à un excès d’alcool) sans lequel il
n’y aurait eu ni prison ni hôpital. C’est avec ce passé douloureux, où
il y eut perte de contrôle, choc violent et mort, que doit composer le
narrateur. La métaphore de la clé s’avère d’autant plus symbolique qu’il
est dans l’obligation d’en fabriquer une à sa mesure, s’il veut
échapper à sa prison mentale.</p>
<p style="text-align: justify;">« Rien qu’une fine tige de métal, pas plus longue que le doigt. »</p>
<p style="text-align: justify;"><i>En aveugle</i> est un roman ample et savamment architecturé. Un
roman social où la violence, qui survient par à-coups, voit ceux qui
souffrent s’en prendre à leurs congénères. Le texte, dense et minutieux,
avec ses non-dits, ses descriptions brèves et ses dialogues qui
s’entrecroisent, ses salvatrices pointes d’humour, sa noirceur qui
parfois s’écaille, son ancrage dans l’urbanité, est porté par une
écriture d’une grande virtuosité. Eugene Marten est un orfèvre en la
matière. Pointilleux, il ne laisse rien au hasard. Pas même les
subtilités et le lexique inhérents à la serrurerie. <br class="autobr" />
Le personnage qu’il façonne à sa main n’a nul besoin de posséder un nom
et un prénom pour exister. Il est bien présent. Le lecteur saisit sa
personnalité et le suit au quotidien en le regardant se mouvoir, s’en
vouloir, se colleter aux autres et se battre pour sortir de son
enfermement psychologique.</p><p style="text-align: justify;"> Eugene Marten : <i>En aveugle</i>, roman traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Vanderhaeghe, <a href="https://www.quidamediteur.com/catalogue/voix-d-amerique/en-aveugle">Quidam éditeur.</a><br /></p><p style="text-align: justify;"> <br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-22734180575465785622024-02-19T18:00:00.004+00:002024-02-19T18:01:21.122+00:00Le Spectateur<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgJlHd_MWe3mTrYZ06rQ0rsnS9gBMs_2wqrRKhuKrDpU0tsZKZyeosobXZD-e0BZr_Gu4vZRzvCOSnRYKSmDvy0Ipeigrf3sOqVqppf22DCnc6jH-y1QzPMEa4HPRKzjB6DizfBUvBWC3is4VLVyh8UkJUndRediuIGxijttBTPaOVcyoIgXddQwE12xlSn/s617/kertesz.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="617" data-original-width="489" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgJlHd_MWe3mTrYZ06rQ0rsnS9gBMs_2wqrRKhuKrDpU0tsZKZyeosobXZD-e0BZr_Gu4vZRzvCOSnRYKSmDvy0Ipeigrf3sOqVqppf22DCnc6jH-y1QzPMEa4HPRKzjB6DizfBUvBWC3is4VLVyh8UkJUndRediuIGxijttBTPaOVcyoIgXddQwE12xlSn/w159-h200/kertesz.jpg" width="159" /></a></div><div style="text-align: justify;">Pour Imre Kertész, le journal intime fut le compagnon de toute une vie.
C’est à travers les notes qu’il rédige de façon régulière qu’il
s’interroge sur son parcours hanté par la déportation à Auschwitz et à
Buchenwald à l’âge de 14 ans. À son retour, il apprend que son père est
mort en déportation. Rescapé, il le sera constamment et n’aura de cesse
d’observer, d’étudier, de chercher à comprendre et d’exprimer ses
réflexions en se montrant tout aussi rigoureux avec lui-même qu’avec
les autres. Il y a chez lui une exigence qui exclut les approximations.
Vu de la sorte, <i>Le Spectateur</i> s’avère parfois redoutable. Le
spectacle qui lui est donné de voir a lieu dans un pays, La Hongrie,
sous domination soviétique de 1948 à 1989, où son œuvre est pratiquement
ignorée.</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">« Je sais désormais que j’ai toujours été un étranger dans le pays où
je vis, dont je parle la langue, et je crois qu’il me faut l’admettre
et choisir l’émigration véritable. »</p>
<p style="text-align: justify;">Ce journal, qui vient après <i>Un autre</i> (Actes Sud, 1999) et <i>Journal de galère</i> (Actes Sud, 2010) est le dernier publié en Hongrie de son vivant. Il retrace la décennie 1991-2001. <br class="autobr" />
Le mur de Berlin est tombé. La Hongrie est devenue une démocratie
parlementaire et Kertész peut enfin voyager à l’étranger où ses livres
sont traduits, notamment en Allemagne où il se rend régulièrement. Mais
ce léger mieux reste fragile. Il sait que les leçons du passé n’ont pas
été retenues et que, partout, le nationalisme gagne du terrain, ce qui
ne présage rien de bon. Dans quelques mois, la guerre secouera à
nouveau les Balkans.</p>
<p style="text-align: justify;">« Le monde retentit d’innombrables explications, on parle, on
gesticule, on discourt – ne faudrait-il pas une fois, soudain, avec une
innocence d’enfant, s’étonner de ce que l’homme extermine l’homme ;
l’homme tue, massacre l’homme ; et en même temps il dit que tuer est
interdit – pourquoi ? »</p>
<p style="text-align: justify;">Pour ne pas se laisser submerger par une actualité qui s’autodétruit
au fil des jours, Kertész se tient à distance. Son « hygiène mentale »
lui commande de « se libérer de la politique, rester loin des
informations, se détacher du temps ». Il lit, relit les écrivains qui
lui sont chers : Kafka, Camus, Bernhard, Thomas Mann, Sandor Marai entre
autres. Ce retrait volontaire l’aide à saisir les faits essentiels,
ceux qui touchent à la création, à l’acuité du regard, à la connaissance
de soi en pratiquant sa propre analyse. Il entend poursuivre son œuvre.
Celle-ci capte toute son attention. Pour y parvenir, il lui faut de
l’’énergie. Et elle est bien là, réelle, présente malgré la dépression
qui rôde.</p>
<p style="text-align: justify;">« Un conseil important de Sandor Marai : entre tous les jours en
contact avec la grandeur, ne passe pas une seule journée sans lire
quelques lignes de Tolstoï ou écouter quelque grande musique, regarder
une peinture ou au moins une reproduction. »</p>
<p style="text-align: justify;">Durant cette décennie, Kertész, qui souffre de la maladie de
Parkinson, perd sa mère (en 1991) tandis qu’Albina, sa femme, meurt
d’une tumeur au cerveau en octobre 1995. De nombreuses pages émouvantes
lui sont consacrées. Il ne peut s’empêcher de se sentir coupable de
rester en vie alors qu’elle n’est plus. À nouveau, son passé de rescapé
le hante.</p>
<p style="text-align: justify;">« L’une des conséquences particulières de la perte et du deuil est
que je suis différent de moi-même ; comme si mon identité avait
changé. »</p>
<p style="text-align: justify;">Kertész note ici ses doutes, ses tourments, ses failles, ses
inquiétudes, notamment face à la montée d’un antisémitisme de plus en
plus ordinaire et décomplexé. Il n’est pas optimiste mais il garde en
lui une force qui le fait avancer, sans jamais perdre le fil. Ses
lectures et les réflexions qu’elles génèrent lui apportent beaucoup. La
reconnaissance de son œuvre à l’étranger, même s’il l’appréhende avec
une certaine réserve, lui montre que son long parcours d’écrivain en
exil dans son propre pays n’aura peut-être pas été vain.</p>
<p style="text-align: justify;">« A vrai dire, je n’ai jamais reçu autant d’affection qu’en Allemagne, ce pays où on avait voulu me tuer. »</p>
<p style="text-align: justify;">Les dernières notes du journal sont, et c’est très rare chez lui,
plutôt apaisantes. Il retrouve l’amour, se remarie, change
d’appartement. Un bien-être toutefois amputé par la maladie mais avec en
permanence cette ténacité qui lui permet de surmonter bien des
épreuves. Un an plus tard, en 2002, le prix Nobel de littérature lui
sera décerné. Il est loin de s’en douter. Ne peut même pas l’imaginer.</p>
<p style="text-align: justify;">« Camus s’est senti mal, puis a été malade pendant des mois après
avoir reçu le prix Nobel : c’est la seule réaction saine à une telle
mésaventure. »</p><p style="text-align: justify;">Imre Kertész : <i>Le Spectateur</i>, notes 1991-2001, traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsai et Charles Zaremba, préface et note de Clara Royer, <a href="https://www.actes-sud.fr/le-spectateur">Actes Sud</a>.<br /></p><div class="justifie"><p>.</p></div><p></p>
<p> </p><p style="text-align: justify;"> </p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-54016768887657633692024-02-10T10:18:00.010+00:002024-02-19T18:07:36.028+00:00Nikos Kavaadias n'est jamais loin<p style="text-align: left;"><span style="font-size: small;"><i></i></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-size: small;"><i><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgf9BX1EvIxFB_hPFXwSqLWXBdHeQlGr93KKHhHpB-bulSsOIS0gAvkF7lTeVA8dumd6qcAnkFy1Jboux5wJoSieYxaUV8723VzB4g-9EJBPs9INpGc7MnuTup75kVn-5Zh_RSGuI_aTd4IJLXcqZz9hvV65BOWosbuH_xYWKfTtusxrWg0JUUbIIJczK1r/s560/560x315_thessaloniki-tour-sailing-poet-nikos-kavvadias.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="315" data-original-width="560" height="113" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgf9BX1EvIxFB_hPFXwSqLWXBdHeQlGr93KKHhHpB-bulSsOIS0gAvkF7lTeVA8dumd6qcAnkFy1Jboux5wJoSieYxaUV8723VzB4g-9EJBPs9INpGc7MnuTup75kVn-5Zh_RSGuI_aTd4IJLXcqZz9hvV65BOWosbuH_xYWKfTtusxrWg0JUUbIIJczK1r/w200-h113/560x315_thessaloniki-tour-sailing-poet-nikos-kavvadias.jpg" width="200" /></a></i></span></div><div style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;"><i> "</i></span><span style="font-size: small;">J'ai
pris mon quart depuis deux heures à peine et je tombe désespérément de
sommeil. Mon coéquipier dort assis à côté de moi, il se réveille chaque
fois qu'il perd l'équilibre et se rendort aussitôt..."</span></div><p></p><p align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: small;"> Nikos Kavaadias : <i>Journal d'un timonier et autres récits</i>, traduit du grec par Françoise Bienfait, éditions Signes et Balises, 2018 </span></p><p align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: small;">De
retour à son poste de travail, debout derrière l'étal à la halle
aux poissons, il parle (à celui qui n'a pas assisté aux obsèques)
du vent léger qui soufflait sur Athènes le 13 février 1975 en fin
d'après-midi.</span> <br /></p>
<p align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: small;">Les
dockers du port du Pirée, réunis dans un café près du </span><i><span style="font-size: small;"><span style="font-style: normal;">stade
Apóstolos, buvaient </span></span></i><span style="font-size: small;">à la santé de
celui qu'ils venaient de porter en terre.</span></p>
<p align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: small;">Pour
eux, Nikos Kavvadias, l'officier radio de la marine marchande,
enroulé dans les draps chauds de l'océan, naviguait toujours en mer
de Chine.</span></p>
<p align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: small;">Apercevant
au loin les lumières de Shan Tou, il les entendait rire ou pleurer
et les remerciait d'avoir aspergé son cercueil à l''eau de mer.</span></p><p align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: small;">Note : pour suivre Nikos Kavvadias sur ce blog, c'est <a href="https://jacquesjosse.blogspot.com/search/label/Nikos%20Kavvadias">ici </a></span></p><p align="JUSTIFY" style="line-height: 150%; margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: small;"><br /></span></p>
jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-7117644263769439522024-02-01T18:25:00.005+00:002024-02-01T18:27:44.568+00:00Le visage du mot : fils<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj8OeqXBX8gJcuETp50Mky8OtZA9M4bnVU-Yq2KddxiXaACD5c0D-alaCkl-QEaixqbaCSGDRDj3F1Gsc8xP8d4w260RDo39MP-Uk2fLgUcAcSgc1wPDEqfsUMZHeX_rOl1V8HojtkeGWA3Hpp7dkltYaFb89kwcBQ-X87Ov6soSamxc_BQw2r9yLOt7dWm/s2560/Couv-LE-PENNEC_Le-visage-du-mot-fils-scaled.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="2560" data-original-width="1650" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj8OeqXBX8gJcuETp50Mky8OtZA9M4bnVU-Yq2KddxiXaACD5c0D-alaCkl-QEaixqbaCSGDRDj3F1Gsc8xP8d4w260RDo39MP-Uk2fLgUcAcSgc1wPDEqfsUMZHeX_rOl1V8HojtkeGWA3Hpp7dkltYaFb89kwcBQ-X87Ov6soSamxc_BQw2r9yLOt7dWm/w129-h200/Couv-LE-PENNEC_Le-visage-du-mot-fils-scaled.jpg" width="129" /></a></div> Auteur d’une douzaine de recueil de poèmes, Thierry Le Pennec
écrit toujours au plus près de ce qu’il vit. Habitant dans un village
des Côtes d’Armor, il est arboriculteur et passe la plupart de ses
journées au verger, où il y a en permanence beaucoup à faire.
Habituellement, il y travaille seul mais il arrive que son fils lui
apporte son aide. Celle-ci s’avère alors aussi précieuse que sa présence
au domicile familial. Et ça tombe bien puisque le voilà qui revient
tout juste d’Allemagne en stop avec l’intention de rester deux semaines
et demi sur place.<p></p>
<p style="text-align: justify;">« Quand le fils est là le temps s’accélère »</p>
<p style="text-align: justify;">C’est autour de lui que s’articule le livre. Par fragments, en une
sorte de journal. Qui débute par sa naissance, vingt ans jour pour jour
après la mort de Jimmy Hendrix (« il crie / sur ton ventre et déjà /
semble interroger le monde ») pour se terminer au moment où le fils
s’apprête à devenir père à son tour. Ce sont les années récentes qui
sont ici évoquées. Celles où il revient périodiquement à la ferme,
aidant son père à couper des branches fines, à clôturer le verger, à
charrier du bois, à défricher ou à ramasser les premières « Reines des
Reinettes » et celles aussi où il va prendre son envol.</p>
<p style="text-align: justify;">« Aujourd’hui c’est un grand jour<br class="autobr" />
pour le fils et sa compagne ils partent<br class="autobr" />
en roulotte à cheval de la ferme<br class="autobr" />
du Baden-Würtemberg où ils vivent<br class="autobr" />
depuis deux ans ils<br class="autobr" />
attellent pour l’Orient de l’Europe, ne savent<br class="autobr" />
quand reviendront pas avant<br class="autobr" />
d’avoir fait le tour d’eux-mêmes comme<br class="autobr" />
à leur âge je fis. »</p>
<p style="text-align: justify;">Bientôt, c’est en Autriche qu’ils cheminent et c’est là-bas aussi que
père et mère vont les rejoindre, leur donner un peu de présence et de
réconfort suite un accident qui vit les chevaux s’emballer après qu’un
camion les eut doublé, les faisant tomber dans la rivière et blessant la
Belle-Fille. <br class="autobr" />
S’en suit un carnet de route où l’on lit le cheminement de l’équipage,
les étapes, les faits quotidiens, les paysages traversés, les rencontres
inopinées, les réflexions d’un père qui apprécie pleinement la
simplicité et les subtilités d’une vie itinérante menée au rythme des
chevaux.</p>
<p style="text-align: justify;">« petit trot sur la route de Tulln – grande vallée mystérieuse,
châteaux perchés, treilles, oiseaux – et maïs passé l’affluent à
Traismauer – peintures naïves et pieuses sur maisons vigneronnes – à la
grappe dédiée – bulbes en plein ciel découpées, comme déjà l’Orient –
Byzance, l’influence – autos à toute vitesse – ab ! Ab ! Allez les
enfants – le fils dirige les rênes, le fouet – l’arrivée des autres
siècles en le nôtre – fou et fascinant »</p>
<p style="text-align: justify;">Thierry Le Pennec décrit minutieusement ce qui s’offre à son regard
et ce que cela lui rappelle. Son présent bouge tout autant que sa
mémoire. Il s’ouvre naturellement, comme dans ses livres précédents, au
monde et aux autres. <br class="autobr" />
Quand il rentre en Bretagne, ses pensées suivent toujours la route du
fils qui entre en Hongrie, poursuit son périple et ne reviendra que dans
quelques mois. Pour aider à nouveau son père, continuer à tisser les
liens qui les unissent, avant de repartir pour se poser enfin dans un
lieu à lui.</p>
<p style="text-align: justify;">« Cette fois ils partent<br class="autobr" />
attellent pour la toute<br class="autobr" />
dernière étape il y a<br class="autobr" />
de l’émotion pour le fils qui quitte<br class="autobr" />
symboliquement la maison de ses affaires<br class="autobr" />
mises dans la roulotte nous sommes<br class="autobr" />
désormais voisins à deux journées de cheval. »</p>
<p style="text-align: justify;">Si la relation père-fils est parfois difficile et cause de tracas et
de déconvenues, ce n’est pas le cas, bien au contraire, dans ce livre
construit autour de la personnalité attachante d’un fils vu par un père
qui revit, à travers lui, quelques-unes des aventures fondatrices de
son ancienne jeunesse.</p><p style="text-align: justify;">Thierry Le Pennec, <i>Le visage du mot : fils,</i> quatrième de couverture de Roger Lahu, éditions <a href="https://www.lapartcommune.fr/produit/le-visage-du-mot-fils/">La Part commune. </a><br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-37565275883755168312024-01-24T11:17:00.002+00:002024-01-24T11:17:49.068+00:00Tombeau pour un excentrique<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg8wAFV3KmfeIICb7AXvaiXKEOrMFmDtA8JRhHiAMBWX5eu5j68aORaMs5ajBdxepTkN4XLFeHaItsf633UaOzGC_sRt6sIu5mEPg2aF6jOYysop_QtGvhkzosy2IZ7ypfXiyoY7SycEelzCvUBm-U5UqxjhsPORVVlz0GPLyfIqMVtiIICJ24OPA4WFLZJ/s292/bulott.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="292" data-original-width="195" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg8wAFV3KmfeIICb7AXvaiXKEOrMFmDtA8JRhHiAMBWX5eu5j68aORaMs5ajBdxepTkN4XLFeHaItsf633UaOzGC_sRt6sIu5mEPg2aF6jOYysop_QtGvhkzosy2IZ7ypfXiyoY7SycEelzCvUBm-U5UqxjhsPORVVlz0GPLyfIqMVtiIICJ24OPA4WFLZJ/w134-h200/bulott.jpg" width="134" /></a></div><div style="text-align: justify;">Après le décès de son grand-père Wilfrid, le narrateur part, avec son
oncle Raphaël, vider la maison familiale qui va bientôt être vendue.
Elle est pour lui chargée de souvenirs vivaces et plus il ouvre de
tiroirs, de placards, d’armoires, de commodes, plus il circule de pièce
en pièce et plus les scènes de la vie passée affluent. Wilfrid surgit à
tout bout de champ. Il faut dire que l’homme ne laissait personne
indifférent. Très actif et volubile, il s’enflammait au quart de tour,
avait la parole fluide, s’avérait curieux de tout, s’adonnait à de
multiples passions, lisait beaucoup, possédait une bibliothèque fournie,
consultait régulièrement le Kama-Sutra, marchait avec des chaussures
appartenant à deux paires différentes, collectionnait des tas d’objets,
cuisinait en inventant des recettes parfumées d’épices, était féru
d’histoire locale, traversé de rêves et de visions, aussi à l’aise en
souffleur de verre qu’en archéologue amateur sondant de nuit une
sépulture au cimetière.</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">« Quand je sortis du ventre de ma mère, tout barbouillé de sang,
humecté de salive et de sel, les tempes perforées des pinces du forceps
qui se brisa entre les mains de l’accoucheur, mon grand-père, à cent
lieues ce soir-là sur une départementale en lisière de Chauny, perdit de
joie le contrôle de sa voiture à l’idée d’une filiation nouvelle. Deux
agriculteurs le découvrirent le lendemain matin, dans le lait tiède d’un
jour d’hiver,. »</p>
<p style="text-align: justify;">Wilfrid est un excentrique de haute volée. Impossible de l’oublier
quand on a côtoyé, enfant, un tel énergumène. Impossible également de le
croire tout à fait mort. Il erre dans la maison et n’a rien d’un
fantôme. Il assiste à l’inventaire et met un point d’honneur à
apparaître là où on ne l’attend pas.</p>
<p style="text-align: justify;">« Il s’est photographié devant la cheminée hermétique du salon,
égyptien, hiératique, crevant de son pinceau la toile blanche, un pied
en retrait, le buste décidé, ému en traversant l’écran de rosée qui le
vitrifie. Portrait, autoportrait (au dos de la photo, il a écrit : <i>Soi-même</i>).</p>
<p style="text-align: justify;">C’est un portrait littéraire, conçu par petites touches, et dans le
désordre, au fil de ses souvenirs, que s’attache à construire Erik
Bullot. Les facéties, les humeurs changeantes, les rêves éveillés et les
contradictions assumées du grand-père traversent son roman. Il leur
redonne vie en les déployant grâce à une écriture dense, fouillée et
visuelle.</p>
<p style="text-align: justify;">Ce grand-père picard, auquel le petit-fils offre un tombeau
hors-normes, ne dort, ne meurt que d’un œil. L’autre, vif et
attentionné, l’aide à regarder par dessus l’épaule de
l’écrivain-narrateur (qu’il appelle "cadet") pour s’assurer de
l’exactitude des faits relatés.</p>
<p style="text-align: justify;">Plus la maison se vide et plus Wifrid, personnage attachant, y
retrouve sa place. C’est lui qui mène la danse, lui qui bondit sur
scène, lui qui demande à son petit-fils de ne surtout pas le
portraiturer en vieux bonhomme.. Ses vœux, ce livre en atteste, ont été
exaucés de la plus belle des manières.</p><p style="text-align: justify;">Erik Bullot : <i>Tombeau pour un excentrique</i>, <a href="https://www.quidamediteur.com/catalogue/made-in-europe/tombeau-pour-un-excentrique">Quidam éditeur</a>. <br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-30850796736169180822024-01-11T11:03:00.002+00:002024-01-11T11:03:42.747+00:00Mon corps de ferme<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhgro1doWhpW3B3NSNP1UPkMng_ORBAggO6AhEKfC9EwK9la6xcsejNRoTRATpSl_IVxKxlS58Z4nQUB3URNnzzeXvymScJn4vM6QDNFxLoGUWXCJ7pa4mcGBcuWGFtDyOAH59HFUEIhcjLvtKuuxSfez3wNtsV555_21AERwSqowBRhk51mDrKZa4ta5hH/s2480/couverture-moncorpsdeferme-WEB.webp" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="2480" data-original-width="1417" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhgro1doWhpW3B3NSNP1UPkMng_ORBAggO6AhEKfC9EwK9la6xcsejNRoTRATpSl_IVxKxlS58Z4nQUB3URNnzzeXvymScJn4vM6QDNFxLoGUWXCJ7pa4mcGBcuWGFtDyOAH59HFUEIhcjLvtKuuxSfez3wNtsV555_21AERwSqowBRhk51mDrKZa4ta5hH/w114-h200/couverture-moncorpsdeferme-WEB.webp" width="114" /></a></div><div style="text-align: justify;">Ce n’est pas à une balade bucolique à la campagne avec en fond sonore
des chants d’oiseaux et le bruissement léger des feuilles frissonnant
sous la brise que nous convie Aurélie Olivier mais à une exploration
profonde et soutenue d’un corps de ferme qui peut aisément et par
ricochets devenir le sien. Les 18 ans passés dans l’exploitation
familiale où elle est née ne s’effacent si facilement.</div><p></p>
<p style="text-align: justify;">« s’éloigner d’une ferme d’élevage<br class="autobr" />
s’éloigner d’une ferme laitière<br class="autobr" />
même très loin<br class="autobr" />
n’est pas y échapper »</p>
<p style="text-align: justify;">Quand elle voit le jour, en 1986, tout est déjà en place. Le
remembrement a fait son œuvre, supprimé les talus, coupé les haies, les
arbres, agrandi les champs. Les tracteurs, de vrais mastodontes qui
coûtent plus cher qu’un grand appartement en ville et leurs attelages
rutilants vrombissent dans la campagne en mordant le bord des routes.
Les pulvérisateurs arrosent de pesticides les parcelles cultivées.
L’élevage intensif (dont celui du cochon roi) bat son plein. Le lisier
caché sous terre roule aux rivières. Les poules ne sortent plus mais
pondent deux œufs par jour. Les vaches laitières doivent produire selon
les normes en vigueur et être nourries en conséquence.</p>
<p style="text-align: justify;">« Après six vélages, le vache disparaît<br class="autobr" />
l’abattoir assure sa traçabilité »</p>
<p style="text-align: justify;">C’est au plus près de cette réalité, celle de l’agriculture intensive
dans une région (la Bretagne) où l’agro-alimentaire s’est beaucoup
développé, qu’Aurélie Olivier ancre ses poèmes. Tous sont reliés au
travail, à la vie sociale, au quotidien, à ses à-cotés, festifs ou
déprimants, à ses drames, ses dos courbés, ses corps abîmés. Le Christ
en croix n’est jamais loin. Il veille au carrefour ou en miniature dans
de nombreux foyers.</p>
<p style="text-align: justify;">« Le privé fournit aux parents démunis<br class="autobr" />
le cadrage de leur descendance<br class="autobr" />
ils mettent le prix pour honorer<br class="autobr" />
le catéchisme des générations</p>
<p style="text-align: justify;">Dans la chapelle et la salle de classe<br class="autobr" />
prêtres et directeurs se succèdent<br class="autobr" />
les commandements commandos<br class="autobr" />
propagent la parabole béate bébête »</p>
<p style="text-align: justify;">C’est aux conséquences simples, souvent tues et acceptées à force de
résignation, aux répercutions morales et physiques de ce modèle
agricole imposé de force aux paysans d’après-guerre qu’elle se frotte.
Beaucoup d’agriculteurs n’ont pu s’y faire. Certains ont dû vendre,
D’autres se sont suicidés. D’autres encore sont morts prématurément,
victimes des produits toxiques qu’ils répandaient sur leur terre. La
plupart vivent à crédit.</p>
<p style="text-align: justify;">Ce monde, pas facile et déconsidéré, ou magnifié par ceux qui n’y
vivent pas, Aurélie Olivier le saisit avec ses mots, l’empoigne presque,
en une suite de poèmes simples et efficaces qui frappent par leur
concision et leur justesse. Parfois le corps se rebiffe, à la ferme ou
ailleurs. Lui aussi se souvient et le fait savoir à sa manière.</p>
<p style="text-align: justify;">« Malheureusement les résultats d’analyse sont formels,<br class="autobr" />
j’ai surestimé ma stratégie : c’est un mélanome. On va<br class="autobr" />
devoir faire une seconde opération à l’hôpital du cancer. »</p>
<p style="text-align: justify;">Ce livre porte en lui une nécessité de dire, de décrire, de témoigner.</p><p style="text-align: justify;"> Aurélie Olivier : <i>Mon corps de ferme</i>, <a href="https://www.editionsducommun.org/products/mon-corps-de-ferme">éditions du commun</a>. <br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-11022694040992135982024-01-02T18:04:00.006+00:002024-01-02T18:07:25.089+00:00La Reverdie<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgEOQaniinLa0gQmqgEyauncB9S3tnuY1W_jrML-pYss3VKgX6fWPspIr8FLCSD5ZyvLJSO1K_0Hj7110BecQ3qSn6JaGoTHX4jz3q0zj0aeq3nbVpRhCOwDHB4Csc56nVZayS1KKWhzzE6nAtDDER2N4ILXnUX5_CoW2PWiUU4pRW_DS-k823qpTK3uqbg/s1023/domerg-3.webp" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1023" data-original-width="716" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgEOQaniinLa0gQmqgEyauncB9S3tnuY1W_jrML-pYss3VKgX6fWPspIr8FLCSD5ZyvLJSO1K_0Hj7110BecQ3qSn6JaGoTHX4jz3q0zj0aeq3nbVpRhCOwDHB4Csc56nVZayS1KKWhzzE6nAtDDER2N4ILXnUX5_CoW2PWiUU4pRW_DS-k823qpTK3uqbg/w140-h200/domerg-3.webp" width="140" /></a></div><div style="text-align: justify;">Olivier Domerg poursuit inlassablement ses marches et ses
observations, en quête de paysages vivants et rassurants, la couleur
verte s’avérant être, la plupart du temps, un signe de bonne santé.
Cette fois, c’est la réapparition de cette couleur qu’il guette, la
retrouvant, jeune et tendre au printemps ou fragile, perçant à peine la
terre brûlée par le cagnard estival, en début d’automne, quand un peu
de l’eau aspirée par l’air brûlant décide enfin de renouer avec son
attraction terrestre.</div><p></p>
<p style="text-align: justify;">« Pluie, soleil, cela suffit ! L’herbe repousse, la campagne
reverdit. Le sol, humide et meuble, paraît plus noir, comme couvert
d’humus. »</p>
<p style="text-align: justify;">Ce sont ces très perceptibles changements qu’il débusque et transmet,
par notes ou poèmes brefs. Il est de ceux (ils ne sont pas si nombreux)
qui écrivent sur le motif en pénétrant dans le paysage et en
s’emparant de tout ce qui s’offre à leur regard (herbes, plantes,
arbres, feuilles, fleurs, fruits), tout ce qui les aide à trouver un
accord,, une harmonie, un équilibre intérieur.</p>
<p style="text-align: justify;">« La question du poème est indissociable de celle du regard. Voir
traverse le poème. Voir transperce le poème pour saisir sa langue ».</p>
<p style="text-align: justify;">Il faut être sur le qui-vive. Le poète l’est constamment et son
lecteur se doit de ne pas être en reste. Les détails fourmillent,
saisis délicatement, amenés à vivre ensemble, au fil des pages, de façon
à offrir une lecture concrète du paysage. Cela ne peut se faire sans
obstination, il le sait, s’en explique et dit la force que constitue
pour lui la répétition. Elle est essentielle dans sa démarche. Il faut
fouiller, tourner autour, creuser, repérer ce qui bouge, ce qui change,
selon la météo, la lumière, les saisons, l’angle de vue, l’acuité du
regard.</p>
<p style="text-align: justify;">« La répétition est la première discipline. Face aux choses, à leur
permanence. Y revenir encore et encore. Pour provoquer leur expression.
Pour pousser plus avant l’écriture. Pour poser sur elles un œil neuf. »</p>
<p style="text-align: justify;">Cet arpentage minutieux des lieux, vastes ou plus restreints, Olivier
Domerg l’enrichit, de livre en livre, dans une grande exigence, qui
peut parfois déboucher sur une saine colère vis à vis de ceux qui s’en
prennent au paysage en le défigurant, en le malmenant. Quand son regard
est blessé, il le dit, s’y arrête un instant avant et poursuit sa
route. Il note, cherche, précise, trouve et assemble les mots justes
(usuels, ceux de tout un chacun) pour exprimer au mieux ce qu’il voit,
surprend et ressent, en une succession de fragments, de séquences
presque visuelles,</p>
<p style="text-align: justify;">"Mais il ne s’agit pas de <i>descriptions</i>, plutôt d<i>’inscriptions</i> !"</p><p style="text-align: justify;">Olivier Domerg : La Reverdie, <a href="https://atelierruedusoleilcom.wordpress.com/">Atelier rue du soleil</a>. <br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-40842197028036397202023-12-22T10:57:00.005+00:002023-12-22T10:58:27.902+00:00Dieu leur dit<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgDdK-NG9Z50IvSel7pOQcbYi795YnLsccMgGbTfKvovB7WWglFKreBLTE2tHxAOFTYKCQhmcZSzBMx-50ntolasnZtY7Y0tDF7mpktcrQw9cd13H_VqobeUyBfDoeaS38WW5fpo2yFLzI07YcJstOve-NC1US4d9Iepp0JyL3bbf5gWSEu_gaJ5jRgh04q/s915/dimitriou.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="915" data-original-width="696" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgDdK-NG9Z50IvSel7pOQcbYi795YnLsccMgGbTfKvovB7WWglFKreBLTE2tHxAOFTYKCQhmcZSzBMx-50ntolasnZtY7Y0tDF7mpktcrQw9cd13H_VqobeUyBfDoeaS38WW5fpo2yFLzI07YcJstOve-NC1US4d9Iepp0JyL3bbf5gWSEu_gaJ5jRgh04q/w152-h200/dimitriou.jpg" width="152" /></a></div><div style="text-align: justify;">Retour en Épire, du côté grec, tout près de la frontière albanaise, là où Sotiris Dimitriou situait déjà <i>Heureux soit son nom</i>,
son précédent livre, publié aux éditions Quidam en 2022. L’histoire
compliquée et douloureuse de cette région montagneuse, dont une partie
fut annexée par l’Albanie, a façonné l’existence des maçons et des
ouvriers qui partagent ici leurs secrets et leurs tourments, chacun
dévoilant une part de lui-même, au cours d’une seule journée, au début
des années 2000. Ils sont une douzaine, grecs, albanais, grecs
d’Albanie, embauchés pour construire la maison de « l’émigré », « un
coucou solitaire » qui rentre d’Allemagne après des années d’exil.</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">« Au bout de cinq mois pas sûr qu’il ait ouvert la bouche pour parler
d’autre chose que de ciment, de briques et de fers à béton. Quand il ne
faisait pas ses comptes sur un calepin il regardait par terre plongé
dans ses pensées. À Povla son village il ne mettait jamais les pieds. »</p>
<p style="text-align: justify;">Le décor est austère. Une route précaire, ouverte au bulldozer,
permet d’accéder au chantier. Ils y sont depuis cinq mois mais ce
jour-là, la pluie, qui tombe sans discontinuer, les oblige à faire
relâche. Et à parler, à dialoguer, à s’exprimer enfin, à raconter ce que
tous (à commencer par les plus anciens) ont dû subir (prison, travaux
forcés, immigration, etc) du fait de leur appartenance à la minorité
hellénophone d’Albanie, sous le régime du dictateur Hodja.</p>
<p style="text-align: justify;">« En 75 ils m’envoient à Spaç dans les mines de pyrite et de cuivre
qu’y a pas plus profond, jusqu’en 85 à la mort de Hodja. Là-bas j’étais
wagonnier. Je devais faire mes sept wagons par jour. Je rentrais sous
terre le matin et je ressortais la nuit. Là-bas je l’ai vue dans les
yeux la malemort. Je trimais dans la zone mortelle, ça faisait que de
s’ébouler. »</p>
<p style="text-align: justify;">L’un après l’autre, ils se racontent, utilisent le seul dialecte
qu’ils connaissent, celui, imagé, direct et inventif, que les
générations précédentes leur ont transmis et que Dimitriou maîtrise à la
perfection. La traductrice n’est pas en reste, qui parvient à lui
rendre sa tonalité et sa spécificité. Cette langue se prête à l’oralité.
Les ouvriers l’affectionnent. Rocailleuse, subtile, populaire, émaillée
de dictons, elle constitue leur bien commun et donne une résonance
particulière à leurs propos.</p>
<p style="text-align: justify;">Tous ont derrière eux une vie pas facile. De lourds fardeaux qu’ils
portent comme ils peuvent, s’en allégeant ponctuellement en les
partageant avec les autres. Parfois, la parole laisse place aux chants.
Les non-dits se colorent alors d’un peu de douceur. Ils entonnent
quelques strophes, s’accordent des pauses, sortent les verres et
l’alcool, accueillent des gens de passage, des bergers, des musiciens
gitans qui reviennent d’une noce. Les langues se délient de plus en
plus. Des choses trop longtemps tues sortent enfin. L’émigré taciturne
va, lui aussi, s’ouvrir comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Il
se dit coupable de la mort d’un homme.</p>
<p style="text-align: justify;">Au fil des heures, au bout du compte (des contes), les récits
s’assemblent, se recoupent et donnent corps à un roman polyphonique
extrêmement vivant, dynamique, chargé de terribles souvenirs mais
également ponctué d’anecdotes plus légères et de traits d’humour bien
sentis. Ce sont les humbles, les invisibles, les travailleurs manuels,
les laissés pour compte, ceux qui n’ont (ordinairement) pas droit au
chapitre qui s’expriment dans la montagne. Ils détachent des pans de
leur rude histoire en la frottant à l’autre, la grande, la faucheuse,
l’avaleuse des langues et des cultures minoritaires qui n’aura pas
réussi à les faire taire.</p><p style="text-align: justify;">Sotiris Dimitriou : <i>Dieu leur dit</i>, traduit du grec par Marie-Cécile Fauvin, <a href="https://www.quidamediteur.com/catalogue/made-in-europe/dieu-leur-dit">Quidam éditeur</a>.<br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-5325918664064189442023-12-13T10:59:00.006+00:002023-12-13T11:00:22.506+00:00Lumières sur Maldoror<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgEU6yBIZq-CrGww8RcEGM_Zbk48xyQ_uK5ctpe1CMUaClGzPoAJVUF3wywODLaHQ5r549Lol19EtSVSnHFeIb-zYt6nMxxN4JRSD4KaMEijz6hVEpa9tXj2cgHVStTrtYzJRFmH1mLrcaB_huSufrjWVqrpoKSuLQWDhYNQrvrLJQ7VDgahUnIJ-KnHCp3/s441/184587850.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="441" data-original-width="296" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgEU6yBIZq-CrGww8RcEGM_Zbk48xyQ_uK5ctpe1CMUaClGzPoAJVUF3wywODLaHQ5r549Lol19EtSVSnHFeIb-zYt6nMxxN4JRSD4KaMEijz6hVEpa9tXj2cgHVStTrtYzJRFmH1mLrcaB_huSufrjWVqrpoKSuLQWDhYNQrvrLJQ7VDgahUnIJ-KnHCp3/w134-h200/184587850.jpg" width="134" /></a></div><div style="text-align: justify;">Sa vie fut brève (avril 1846 - novembre 1870), son œuvre ne comporte que deux titres : <i>Les Chants de Maldoror</i>, publié à compte d’auteur sous le pseudonyme de Comte de Lautréamont en 1869 et le second, <i>Poésies I</i> et <i>Poésies II</i>,
(deux fascicules – avril et juin 1870 – qui seront ensuite rassemblés),
signé de son vrai nom, Isidore Ducasse. De lui, ne subsiste qu’une
photo, découverte plus d’un siècle après sa mort. Il est né à Montevideo
et mort à Paris Son corps est enterré dans une fosse commune du
cimetière Montmartre. De son vivant, il n’eut que de rares lecteurs et a
laissé peu de traces hormis ses textes. Tous ces éléments, mis bout à
bout, réduisaient ses chances d’accéder un jour à la postérité, d’autant
que les exemplaires des <i>Chants de Maldoror</i>, imprimés en
Belgique, ne furent mis à la vente, de façon confidentielle, (dans une
librairie Bruxelloise) qu’en 1874 avant d’être réédités à Paris en 1890.</div><p></p>
<p style="text-align: justify;">Et pourtant, un siècle et demi après la disparition du poète, l’œuvre
de Lautréamont /Ducasse est toujours bien vivante. Présente,
déconcertante, fascinante, iconoclaste, elle interroge des générations
de lecteurs. Elle est étudiée, analysée, commentée, recommandée. De
nombreux ouvrages lui sont consacrés. Des historiens et des chercheurs
s’en emparent, qui ne peuvent s’en séparer, y trouvant sans cesse de
nouvelles pistes à explorer. Henri Béhar est l’un d’entre eux. Son
parcours (il a édité les œuvres complètes de Roger Vitrac, de Tristan
Tzara et d’Alfred Jarry), sa connaissance des avant-gardes, en
particulier le surréalisme et Dada, qu’il étudie depuis des décennies,
ainsi que son regard vif et pertinent s’avèrent précieux pour nous
guider, avec méthode et efficacité, dans les méandres créatifs d’un
alchimiste du verbe qui n’appartint à aucune école.</p>
<p style="text-align: justify;">Rien ne lui échappe de l’étonnant parcours des <i>Chants de Maldoror</i>
qui ne seraient jamais parvenus jusqu’à nous si quelques poètes, et non
des moindres (Jarry, Soupault, Breton, Aragon, Tzara), ne les avaient
repérés, les sortant de l’oubli, y puisant de quoi alimenter leur propre
cheminement poétique et se relayant pour qu’ils perdurent. Auparavant,
en 1885, les poètes de "La Jeune Belgique", faisant la même découverte,
avaient alerté leurs amis symbolistes français et Remy de Gourmont fut
d’emblée séduit par ces <i>Chants</i> qui détonnaient et donnaient un sacré coup de fouet à la poésie qui, jusqu’alors, n’avait jamais encore vibré de la sorte.</p>
<p style="text-align: justify;">Henri Béhar a lu les nombreux essais, études et préfaces consacrés aux <i>Chants de Maldoror</i> et aux <i>Poésies</i>.
Il entreprend ici une analyse fouillée (soulignant ses accords ou ses
réserves, y ajoutant ses convictions) des différentes approches d’une
œuvre qui a toujours suscité débats et passions. Il avance
chronologiquement, débute par la vie et le cheminement du poète, (grand
lecteur, au courant de tout ce qui s’écrit, ne supportant pas plus le
romantisme que le lyrisme souffreteux), s’arrête sur l’édition de ses
textes, poursuit avec leur réception critique et passe ensuite à leur
découverte par ceux qui vont la faire connaître et, souvent s’en
inspirer, en particulier Philippe Soupault, qui a vraiment sorti
Lautréamont de son long purgatoire, en 1917.</p>
<p style="text-align: justify;">« J’ai rencontré Philippe Soupault à la fin de l’année 1962. Je
venais de soutenir un mémoire sur "l’Esprit Dada", le premier du genre à
l’université, et lui-même achevait le chapitre "Les pas dans les pas"
pour le recueil <i>Profils perdus</i>, qui devait paraître aux éditions
du Mercure de France en mars suivant. Il me dit alors quel effort cela
avait représenté, pour lui, de retrouver l’état d’esprit exact qui
l’animait, avec ses amis, une quarantaine d’années auparavant. »</p>
<p style="text-align: justify;">Aragon, a, lui aussi trouvé en Lautréamont un précurseur littéraire qui l’accompagnera tout au long de sa vie.</p>
<p style="text-align: justify;">« Philippe Soupault fut le premier d’entre nous à posséder un exemplaire des <i>Chants</i>.
Il nous le prêta et c’est dans un décor invraisemblablement maldororien
que nous le lisions, Breton et moi, l’un à l’autre, à tour de rôle, à
haute voix. »</p>
<p style="text-align: justify;">Nombreux sont ceux qui furent bousculés par ces <i>Chants</i> (comme
le souhaitait d’ailleurs leur auteur) et qui, surtout, ne se contentant
pas du simple plaisir de la lecture, voulurent la prolonger en
s’intéressant de près aux effets que ces proses produisaient sur eux.
Il est impossible de les mentionner de façon exhaustive mais Henri
Béhar, au fil de son ouvrage, précis et remarquablement documenté, prend
le temps de s’arrêter sur chacun d’entre eux, d’entre elles (de Guy
Debord à Marcellin Pleynet en passant par Julia Kristeva, Sollers, Le
Clézio et beaucoup d’autres)) en démontrant, exemples et citations à
l’appui, combien l’écriture d’Isidore Ducasse peut agir comme un aimant,
capter l’attention (voire même l’imaginaire) de qui décide de
s’immerger dans ses proses.</p>
<p style="text-align: justify;">« Pour nous, il n’y eut d’emblée pas de génie qui tint devant celui de Lautréamont. » (André Breton) <br /></p>Henri Béhar : <i>Lumières sur Maldoror</i>,<a href="https://classiques-garnier.com/lumieres-sur-maldoror.html">Classiques Garnier</a>,, bibliothèque de littérature du XX ième siècle.<p></p>
<p> </p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-22501664233206705322023-12-03T10:29:00.005+00:002023-12-03T10:29:45.618+00:00Le canevas sans visage<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEheuy-5Vj6-EH9OzWZOgN4AQiMPJwG6QsmdvADo7T3XhIplb7_Fi_Xpb1WqHuGGz3AmCopBt5wE3mkJDtqZCESyehaCBoYlafvkR65p4maiZrm_MJ81o9WEInr7P17jJMKoPNtg2gWztWXbwjx7ngB-wS3UtvzPUXC2VmsH_PBJyUA_TRKLLqWhF8s6xlVM/s270/varetz.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"></a><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjtO6R3CVhMluhkQ_pudhkB35iDBH-J_uC5tqPWInBvXOhB2VrNdcfOrHzGSP7sH3cMekNmPD6luBXprQCo2Za0LruVKoCQrt2IryUVa82AZU2DdOIvaZxxEMxbOFVmCapmaRRHQx9aDjMOSSz_eU7_9CfQPj1d2t56-9Nxai5f98crSpMGASq2ehqxW5X2/s270/varetz.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="270" data-original-width="195" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjtO6R3CVhMluhkQ_pudhkB35iDBH-J_uC5tqPWInBvXOhB2VrNdcfOrHzGSP7sH3cMekNmPD6luBXprQCo2Za0LruVKoCQrt2IryUVa82AZU2DdOIvaZxxEMxbOFVmCapmaRRHQx9aDjMOSSz_eU7_9CfQPj1d2t56-9Nxai5f98crSpMGASq2ehqxW5X2/w144-h200/varetz.jpg" width="144" /></a></div><div style="text-align: justify;">Léona, 66 ans, infirmière-auxiliaire en retraite, veuve, mère et
grand-mère a la dent et le cuir plutôt durs. La tendresse n’a jamais
été son fort et ce n’est pas la vieillesse, dans laquelle elle glisse
inexorablement, qui va l’inciter à mollir. Après avoir manié la seringue
pendant des décennies et piqué la peau rude des mineurs des puits de
Marles et de ses environs, la voici reconvertie dans la broderie, en
train de couvrir de laine un canevas qui lui donne du fil à retordre.</div></div><p></p>
<p style="text-align: justify;">« Qu’est-ce qui lui a pris aussi de se mettre à broder ce portrait,
comme pour défier le temps et amoindrir le poids de la solitude ? Cela
lui ressemble si peu cette occupation de bonne femme. »</p>
<p style="text-align: justify;">Ce qui la caractérisait, au temps de sa splendeur, quand elle entrait
chez un patient, torse bombé et seins en avant, c’était sa froideur,
sa brutalité, son manque d’empathie, son instinct de femme autoritaire
et déterminée et une certaine animalité à laquelle elle donnait libre
cours lors de ses ébats furtifs, et vite expédiés, avec le gros et
libidineux docteur Caudron.</p>
<p style="text-align: justify;">« Quel beau salaud, quand on y songe. Leur histoire, si on peut
appeler cela une histoire, avait duré jusqu’au début de l’année 1953.
Léona avait alors quarante-cinq ans et son tour de poitrine ne suffisait
plus à faire oublier son tour de taille. »</p>
<p style="text-align: justify;">Ses doigts brodent un portrait de mineur mais ses pensées sont
ailleurs, tournées vers les hommes de sa vie, à commencer par François,
son mari, « un doux, une sorte d’intellectuel, qui se révélait plus à
l’aise le nez plongé dans les livres que l’œil pendu dans le décolleté
des femmes », François, mort en février 1968, puis Caudron, l’ultra
rapide, puis Monsieur Alphonse, l’amant précautionneux. Dans son
entourage immédiat, il y a également Daniel, son fils (qu’elle
n’apprécie guère et qu’elle tient toujours plus ou moins sous sa coupe)
et Pascal, son petit-fils (qui, selon elle, marche dangereusement sur
les traces de son père). Tous ces hommes qui s’enchevêtrent dans son
présent et dans sa mémoire l’accompagnent et la perturbent. Seul
François, sans doute parce qu’il est le seul à ne plus être de ce monde,
semble sortir du lot en éveillant en elle de tardifs regrets. Peut-être
aurait-elle pu le sauver de sa septicémie si elle avait été un peu plus
attentive ? Ou peut-être pas. Elle préfère pencher pour la seconde
option.</p>
<p style="text-align: justify;">Si Patrick Varetz brosse le portrait d’une femme rêche et revêche
qui n’aime pas ses proches mais peut néanmoins se montrer généreuse,
son récit va plus loin en s’ancrant au plus profond de cette région
minière qu’il connaît parfaitement et dont il restitue des fragments
d’histoire, s’attachant aux hommes, à la dureté de leur travail, aux
maladies, aux accidents, aux répercussions que cela produit au sein même
des familles et au lent déclin puis à la fermeture définitive des
puits.</p>
<p style="text-align: justify;">Léona (placé ici sous le regard d’un narrateur qui n’est autre que
son petit-fils) ne parvient pas à finir son canevas, butant sur le
visage du mineur qui y est représenté. Peut-être parce qu’elle n’a
jamais pris le temps de s’attarder (ne perçant que leur peau, leurs
fesses) sur les visages pourtant très expressifs de ces dizaines de
milliers d’hommes (les gueules noires) qui ont passé une grande partie
de leur (souvent courte) vie sous terre.</p>
<p style="text-align: justify;">Les lecteurs des textes de Patrick Varetz retrouveront dans ce court
roman plusieurs des personnages présents dans ses précédents livres.
La grande fresque familiale, avec ses heurts, ses déflagrations, ses
éclats coupant,s qu’il manie avec dextérité afin de les rassembler en un
puzzle intime, littéraire et salvateur, se poursuit ici de belle
manière.</p><p style="text-align: justify;">Patrick Varetz : Le canevas sans visage, éditions <a href="http://courstoujours-editions.com/">Cours toujours</a>. <br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-77679130511955570602023-11-21T10:25:00.002+00:002023-11-21T10:25:56.865+00:00Le Pair<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj5hxYQ-f7_TjMT54FyYL5LI2PGN4BN17-1mcrST1V9SVvurUD7v0mf6lvcINnc1mA0L0-8BiffDUvtbx9R-yixNmlBkEk4QTX1txw3BpmdOrgjAIXDbanGqaF-9o_c5jaDF27eIjb2GzaEF62e1gzN-1mosBfyZtOSn3yXRsx2X1aX7qcxw3O98MYOKK1G/s295/51SJWtCQ0PL._SX195_.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="295" data-original-width="195" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj5hxYQ-f7_TjMT54FyYL5LI2PGN4BN17-1mcrST1V9SVvurUD7v0mf6lvcINnc1mA0L0-8BiffDUvtbx9R-yixNmlBkEk4QTX1txw3BpmdOrgjAIXDbanGqaF-9o_c5jaDF27eIjb2GzaEF62e1gzN-1mosBfyZtOSn3yXRsx2X1aX7qcxw3O98MYOKK1G/w132-h200/51SJWtCQ0PL._SX195_.jpg" width="132" /></a></div><div style="text-align: justify;">Elle porte, depuis ses dix-huit ans, un lourd secret dont il lui faut se
défaire avant qu’il ne soit trop tard mais elle n’a plus personne, ou
presque, à qui se confier. Elle, c’est Jeanne, une vieille dame
originaire des Vosges qui retrace les principales étapes de son
existence en s’arrêtant sur ce jour de 1943 où tout à basculé, quand
Paul, son frère jumeau, a été arrêté par les allemands avant d’être
déporté au camp de concentration du Struthof d’où il n’est jamais
revenu. Un pacte les unissait : tous deux s’étaient promis de ne rien se
cacher. Promesse qui ne peut être tenue quand on entre dans la
résistance et qu’on s’éclipse discrètement la nuit pour aller combattre
l’armée d’occupation.</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">« Nous devions tout nous dire, les mots nous ont manqué. Notre
serment envolé dans le bois. Quel sens aussi la promesse candide de nos
sept ans ? Nos vies en grandissant ont noué leurs secrets. Nous nous
sommes perdus, un peu, ce n’est pas anormal. »</p>
<p style="text-align: justify;">L’ombre de Paul, telle qu’elle se l’imagine, et si elle existe, ne
peut se trouver qu’au camp du Struthof où elle se rend une dernière fois
pour lui parler, lui délivrer cette vérité qu’elle lui doit, en une
longue confession où elle avoue enfin ce qu’elle n’a jamais divulgué, à
savoir sa relation intime avec un jeune soldat allemand et les
répercutions terribles que cela a provoqué.</p>
<p style="text-align: justify;">« J’ai eu le pouvoir terrifiant de dire ou de me taire. Par lâcheté
sans doute je me suis maintenue dans l’entre-deux le moins
inconfortable : j’ai attendu. Ce n’était pas vraiment un choix. J’ai
laissé à la vie le soin de décider quand et à qui je devais raconter. Il
a toujours été trop tard. »</p>
<p style="text-align: justify;">Quelques années auparavant, Jeanne avait noirci les pages d’un cahier
pour tenter d’y voir plus clair mais en pure perte puisqu’elle avait
fini par le déchirer avant de jeter ses mots dans l’eau du ruisseau Le
Pair, celui que les jumeaux fréquentaient durant leur enfance.</p>
<p style="text-align: justify;">Son secret, elle l’a gardé tout en menant une vie apparemment
normale, celle d’une sœur, d’une épouse, d’une veuve, d’une mère, d’une
grand-mère. C’est ce qu’elle explique en revenant sur son passé, juste
avant de prendre congé, avant de dire adieu à ce frère auquel elle
s’adresse, saluant sa mémoire en le faisant revivre dans l’enceinte même
du camp où il est mort.</p>
<p style="text-align: justify;">La force de ce livre réside dans sa concision et dans sa belle et
impeccable architecture. C’est un poing fermé qui s’ouvre lentement,
libérant ce qu’il cachait. Le texte est sûr, prenant, incisif, empreint
d’une certaine douceur. Moins de cent pages suffisent à Catherine
Litique pour bâtir un roman sensible où la vérité, humainement
douloureuse, ne se dévoile qu’avec délicatesse, en un lancinant murmure,
en une succession de séquences courtes et efficaces portées par un fil
narratif tenu avec grande maîtrise.</p><p style="text-align: justify;">Catherine Litique : <i>Le Pair</i>, éditions <a href="https://lerealgar-editions.fr/portfolio/le-pair/">Le Réalgar</a>. <br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-91253995427874433122023-11-11T10:07:00.007+00:002023-11-11T10:12:44.226+00:00Nina Simone<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgTj3bC9ztk9Byw3qQjF4GTf-K6HQDvZnlUIvCzKxX1JtdAqL1WzrIm2TTA-j_Gwe5fNK-uEHI3D8NE_i8ndSJSpLpx3YkiGdIkaaw-4Ye-OvFcXx-fliTu_76eEzWfZ3_mr_vPS6MS-wwTCEaFfvQ9NbGonNHVQTVkfh9yj_VVlSk3alxUYYguehAUE8UX/s500/9791094642702-475x500-1.webp" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="500" data-original-width="404" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgTj3bC9ztk9Byw3qQjF4GTf-K6HQDvZnlUIvCzKxX1JtdAqL1WzrIm2TTA-j_Gwe5fNK-uEHI3D8NE_i8ndSJSpLpx3YkiGdIkaaw-4Ye-OvFcXx-fliTu_76eEzWfZ3_mr_vPS6MS-wwTCEaFfvQ9NbGonNHVQTVkfh9yj_VVlSk3alxUYYguehAUE8UX/w162-h200/9791094642702-475x500-1.webp" width="162" /></a></div><div style="text-align: justify;">Ce n’est pas une biographie de Nina Simone (1933-2003) que proposent
Valérie Rouzeau et Florent Chopin dans ce livre publié dans la belle
collection Supersoniques mais une évocation sensible de l’œuvre et du
parcours de vie de l’une des plus grandes chanteuses de jazz.</div><p></p><p></p>
<p style="text-align: justify;">Valérie Rouzeau débute son texte en partant de l’enfance de celle qui
est née Eunice Waymon en Caroline du Nord, dans une famille de
révérends méthodistes. Possédant l’oreille absolue, elle savait jouer à
l’harmonium, dès ses trois ans, le gospel préféré de sa mère. Deux ans
plus tard, « elle subjugue les fidèles dans toutes les églises où sa
mère l’assoit, coussin sur la chaise de paille, devant l’orgue ».</p>
<p style="text-align: justify;">Son rêve, et elle travaille dur pour le réaliser, est de devenir
pianiste-concertiste. Mais la pauvreté et le racisme vont l’en empêchée.
Passionnée par Chopin, Mozart, Beethoven, donnant son premier concert
classique à huit ans, l’entrée au prestigieux Curtis Institude de
Philadelphie lui sera refusée et cela bouleversera sa vie.</p>
<p style="text-align: justify;">Elle va alors faire entendre la magie de sa voix et c’est par elle,
unique et envoûtante, « dont on a pu dire que c’était tantôt du gravier,
tantôt du café crème », que la reconnaissance viendra. Elle passe du
classique (ne l’abandonnant pas pour autant) au jazz sans jamais se
détourner de son piano. Elle joue, compose, écrit, adapte des morceaux
anciens, met en musique des textes (notamment ceux de Langston Hughes et
James Baldwin), reprend (en y ajoutant sa griffe) des titres connus
tels <i>Just Like a Woman</i> de Bob Dylan ou My Sweet <i>Lord</i> de
George Harrison et étoffe peu à peu son répertoire. Elle n’oublie pas
ses racines. Le gospel, dit-elle, lui a enseigné l’art de
l’improvisation et si le Sud profond, d’où elle vient, est celui des
ségrégationnistes et des esclavagistes blancs, il demeure également le
lieu où est apparu le blues à la fin du dix-neuvième siècle. Cela, la <i>Little Girl Blue</i> (titre de son premier album) le sait et l’exprime.</p>
<p style="text-align: justify;">« Et l’aria peu à peu varia<br class="autobr" />
De plus en plus noire se fit la voix »</p>
<p style="text-align: justify;">C’est pour ne pas être reconnue par ses proches, qu’elle prend en
1954, alors qu’elle se produit dans un bouge d’Atlantic City, le
pseudonyme de Nina Simone. C’est le prélude à la carrière qu’on lui
connaît, le succès arrivant dès la fin des années cinquante à Greenwich
Village puis à travers tout le pays et bientôt dans le monde entier.</p>
<p style="text-align: justify;">Cela, Valérie Rouzeau l’écrit en choisissant de s’arrêter sur des
moments-clés, la présentant telle qu’elle était, en femme libre,
militante des droits civiques, défendant les droits des femmes, à
commencer par les noires, s’engageant dès qu’il le fallait, luttant avec
sa voix, son chant, ses textes, se battant également avec une maladie
(sa bipolarité) qui lui rendra la vie difficile.</p>
<p style="text-align: justify;">« C’est le monde que tu t’es créé, Nina, et maintenant tu dois
accepter d’y vivre », Nina Simone se répétait les paroles de son ami
James Baldwin dans les moments difficiles ».</p>
<p style="text-align: justify;">Florent Chopin, par ses collages, son travail sur le papier, y
compris le papier peint, et sur les objets, raconte Nina Simone en
empruntant les chemins qu’il affectionne. Il déplie ses cartes marines
ou terrestres, zèbre ses toiles de notes de musique, crée d’intenses
mouvements, dessine ou peint, perçoit le timbre de la voix jusque dans
son corps et impulse de la profondeur (et des envies de voyages) aux
murs. Les reproductions, pleine page, du peintre (et poète) dont
l’antre, "l’atelier des brousses", se trouve dans un ancien garage à
Saint-Ouen, attirent, aiguisent et font du bien au regard et à
l’imagination.</p>
<p style="text-align: justify;">Tous deux, par des voies différentes mais complémentaires,
s’associent pour rendre un bel hommage à Nina Simone, décédée dans le
Sud de la France, à son domicile de Carry-le-Rouet, en 2003, dix ans
après la parution de son dernier album, <i>Single Woman</i>.</p><p style="text-align: justify;">Valérie Rouzeau et Florent Chopin : <i>Nina Simone</i>, éditions Philharmonie de Paris, collection <a href="https://librairie.philharmoniedeparis.fr/supersoniques/nina-simone">Supersoniques</a></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://librairie.philharmoniedeparis.fr/supersoniques/nina-simone"> </a></div><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://librairie.philharmoniedeparis.fr/supersoniques/nina-simone"> </a></div><a href="https://librairie.philharmoniedeparis.fr/supersoniques/nina-simone"><br /></a> <br /><p></p><p style="text-align: justify;"> </p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-91044075383909910502023-11-02T09:22:00.005+00:002023-11-02T09:22:43.506+00:00MURmur<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjPlbiC61UczSeyMsYXvHuvEZKusZ65l6pbB9th_f2URcxt63P5s0isqrEDRrNnfYI6hbvaib1t5rQN9AHVXzaBKAv4Ag7j6ihUWOiNGp_b6SHIPVMFhXKe3MT9OKIoDMJcDmQVzsHDjlUHM4eRWe4m3n-cNPUIUOiMnDJIZybBFjv6Bd5EcGpwBCudgPKm/s292/MURmure.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="292" data-original-width="195" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjPlbiC61UczSeyMsYXvHuvEZKusZ65l6pbB9th_f2URcxt63P5s0isqrEDRrNnfYI6hbvaib1t5rQN9AHVXzaBKAv4Ag7j6ihUWOiNGp_b6SHIPVMFhXKe3MT9OKIoDMJcDmQVzsHDjlUHM4eRWe4m3n-cNPUIUOiMnDJIZybBFjv6Bd5EcGpwBCudgPKm/w134-h200/MURmure.jpg" width="134" /></a></div><div style="text-align: justify;">MURmur est composé de deux récits, tout aussi percutants l’un que
l’autre. Le premier est le témoignage d’une femme qui s’exprime de
derrière les barreaux, emprisonnée parce que vivant dans un pays où
toute interruption de grossesse, volontaire ou pas, est sévèrement
réprimée. Elle, c’est une fausse couche qui lui a fait perdre sa liberté
en même temps que l’enfant qu’elle désirait. Double peine qui décuple
sa rage, sa révolte, sa résolution à tout mettre en œuvre pour que les
choses changent dans un monde où se succèdent des générations d’hommes
qui décident du rôle et de la place des femmes dans la société.</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">« j’écris d’une époque et d’un pays délirants qui entérinent des lois
punissant de prison toute femme dont la grossesse a été interrompue.
D’un endroit où une moitié de la population accepte de n’être bonne qu’à
porter les générations suivantes et sanctionnée pour y faillir. Moi, je
sais, je connais l’histoire effacée et l’effacement de l’histoire.</p>
<p style="text-align: justify;">je sais. À une certaine époque, il n’y a pas si longtemps en vérité, on a dépossédé les femmes de leur corps. »</p>
<p style="text-align: justify;">La révolte gronde, enfle derrière les murs où certaines des détenues
s’organisent et entendent bien fissurer les briques de leurs cellules
pour que leurs voix portent, parviennent à sortir et soient relayer par
d’autres, au dehors.</p>
<p style="text-align: justify;">Le second récit, plus long, est également porté par des femmes qui
s’organisent quand la plus jeune d’entre elles (GrandeEnfant, 16 ans),
abusée par Garçon, un jeune type du quartier, se retrouve enceinte. Les
faits sont exposés de façon factuelle, par paliers, à coups de phrases
nerveuses, avec minutie et efficacité. <br class="autobr" />
Après la stupeur et le désarroi, place à l’action. GrandeEnfant ne veut
pas de cet enfant. Mère, sa mère (seule au foyer avec deux autres
gamines à charge) prend les choses en main. Elle contacte Collègue, puis
Secrétaire, puis Intermédiaire, puis Faiseuse, les différents maillons
d’une grande chaîne de femmes solidaires qui ont toutes souffert dans
leur chair, leur tête, leur quotidien.</p>
<p style="text-align: justify;">« Secrétaire accepte de devenir momentanément Faiseuse. Accepte, elle
en temps habituel si craintive et obéissante, de défier la loi. Et tant
pis pour les cauchemars qui s’ensuivent, paniques de la dénonciation et
des complications. C’est un risque à prendre pour guérir les enfances
désastreuses, passées ou futures. »</p>
<p style="text-align: justify;">Toutes seront dénoncées (par Garçon qui, pactisant avec les flics
après un vol de voiture, monnaie ainsi son impunité), poursuivies,
jugées, défendues par MaîtreAvocate (on pense inévitablement à Gisèle
Halimi) lors d’un procès retentissant (en réalité celui de Bobigny en
automne 1972) qui fera date dans la lutte pour le droit à l’avortement. <br class="autobr" />
Caroline Deyns ne cite aucun nom. Ce n’est pas l’identité d’une telle ou
d’une autre qu’il faut retenir mais l’action collective qu’elles ont
initié. Elle retrace avec précision le long combat de ces femmes
anonymes. Son écriture incandescente, concise, haletante, nous plonge au
cœur de la lutte. Celle-ci, âpre et prenante, reste d’actualité.
Partout des êtres redoutables, mus par des idéologies qui le sont
autant, s’activent, peaufinent des projets de loi, préparent de
terribles retours en arrière en se trouvant souvent des allié(e)s de
circonstance.</p>
<p style="text-align: justify;">« - N’oublie pas, jeune fille, que nous veillons. Et rappelle bien
aux autres salopes qui te ressemblent, que toute loi est réversible. »</p><p style="text-align: justify;"> Caroline Deyns : <i> <i>MURmur</i> </i>,<a href="https://www.quidamediteur.com/catalogue/made-in-europe/murmur">Quidam éditeur</a><br /></p>
<p style="text-align: justify;"><i> <i>Trencadis</i> </i>, le précédent, très remarqué (et
remarquable) roman de Caroline Deyns (autour de la vie, du parcours et
de l’œuvre de Niki de Saint Phalle) ressort dans la collection Les
Nomades (Quidam éditeur)</p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-77237399414451710962023-10-22T11:45:00.003+01:002023-10-22T11:51:37.059+01:0010 x 10 Anthologie de la poésie allemande contemporaine<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhFZ-r8R3vAH0A7-OPiRy3VZywdN1p8CHqRvr6CxYSm7Ej-DQ-ZXZ4EDxA5x0d7JTounayGvoAAcuEQVc8PJ8FDEZO4A2KHdQwgV_877gfSSnKJOlvs6QBNop5LuHl-XjuuIxBEu9le7JtbOa5qJw2hZv-KfyYDkWsNqGhwJfwjYFH8IN3b95azo8d7-Omr/s623/allemande.png" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="623" data-original-width="600" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhFZ-r8R3vAH0A7-OPiRy3VZywdN1p8CHqRvr6CxYSm7Ej-DQ-ZXZ4EDxA5x0d7JTounayGvoAAcuEQVc8PJ8FDEZO4A2KHdQwgV_877gfSSnKJOlvs6QBNop5LuHl-XjuuIxBEu9le7JtbOa5qJw2hZv-KfyYDkWsNqGhwJfwjYFH8IN3b95azo8d7-Omr/w193-h200/allemande.png" width="193" /></a></div><div style="text-align: justify;">10 poètes (six femmes et quatre hommes), tous nés après 1960, 10
poèmes pour chaque auteur, une édition bilingue et la volonté de
privilégier la diversité culturelle et la polyphonie contemporaine de la
poésie allemande au vingt-et-unième siècle : tel est le pari audacieux
proposé (et tenu) par José F.A. Oliver qui a choisi les voix présentes,
les traductions étant signées Gérard Tessier et Tim Trzaskalik.</div><p></p>
<p style="text-align: justify;">Né(e)s en Roumanie, en Turquie, en Pologne, en Bulgarie ou en
Allemagne, ils/elles ont leur propre histoire tout en ayant en commun
une expérience de la migration. Cela les façonne et l’on repère dans
leurs textes des points sensibles dus à leurs origines, à leur enfance, à
leurs déplacements, à leur manière de s’approprier et de faire bouger
une langue avec laquelle ils se sont peu à peu familiarisés.</p>
<p style="text-align: justify;">Ils se nomment Alexandru Bulucz, Safiye Can, Zehra Çırak, Özlem
Özgül Dündar, Dinçer Güçyeter, Lütfiye Güzel, Dagmara Kraus, Martin
Piekar, Tzveta Sofronieva et Mikael Vogel, sont parfois traducteurs,
animent des ateliers d’écriture, travaillent avec d’autres artistes et
vivent pleinement leur poésie. L’avantage d’une telle anthologie,
comparée à celles qui, bénéficiant d’un inestimable recul, s’organisent
autour d’œuvres déjà closes, ou sur le point de l’être, est de donner
un état des lieux d’une poésie en train de s’écrire, conçue par des
poètes et des poétesses qui cherchent, expérimentent diverses formes,
creusent certains thèmes (parmi ceux qui traversent les sociétés
occidentales), s’inscrivent dans leur époque, se montrent solidaires,
sont rarement auto-centrés, ont lus leurs prédécesseurs,</p>
<p style="text-align: justify;">Il y a là des voix prenantes, des découvertes étonnantes, des poèmes
qui frappent par leur instantanéité ou leur profondeur. Ainsi Alexandru
Bulucz, né à Alba Iulia, en Roumanie, où il a vécu jusqu’à ses treize
ans :</p>
<p style="text-align: justify;">« Il s’agissait<br class="autobr" />
d’avoir assez à manger à la fin de la journée<br class="autobr" />
de rester en vie, donc de rester auprès de la vie pratique,<br class="autobr" />
de ne pas se laisser décontenancer<br class="autobr" />
par ce qui se passait en dehors de la ferme,<br class="autobr" />
ils ne la quittaient que pour faire quelques provisions élémentaires.<br class="autobr" />
La grande routine était plongée dans un silence étrange,<br class="autobr" />
le langage du corps se substituait aux paroles,<br class="autobr" />
les travaux tiraient leur signification de la richesse des signes,<br class="autobr" />
des changements de couleurs de la nature,<br class="autobr" />
des bruits des animaux<br class="autobr" />
du gonflement du pis des vaches sur lequel les veines ondulaient. »</p>
<p style="text-align: justify;">Ainsi Safiye Can, née en 1977 à Offenbach, dans une famille Tcherkesse :</p>
<p style="text-align: justify;">« Ce soir tu n’es pas venu<br class="autobr" />
ni cette semaine<br class="autobr" />
ni ce mois<br class="autobr" />
ni cette saison.</p>
<p style="text-align: justify;">Même cette année tu n’es pas revenu<br class="autobr" />
et tu n’es pas non plus revenu<br class="autobr" />
les années précédentes.</p>
<p style="text-align: justify;">Une petite partie de moi attend toujours<br class="autobr" />
une partie de moi est une petite fille<br class="autobr" />
assise sur une chaise en bois<br class="autobr" />
elle regarde vers la porte. »</p>
<p style="text-align: justify;">ainsi Mikael Vogel, né en 1975 à Bad Säckingen :</p>
<p style="text-align: justify;">« Le castor, écrit Dante, dans <i>Inferno</i><br class="autobr" />
Se préparerait pour sa guerre : contre les poissons.</p>
<p style="text-align: justify;">Depuis la rive, selon la zoologie médiévale<br class="autobr" />
Il laisserait pendiller dans l’eau sa queue qui sé-</p>
<p style="text-align: justify;">Crèterait une substance graisseuse laquelle attirerait <br class="autobr" />
Irrésistiblement les poissons – puis <br class="autobr" />
Le castor se retournerait pour attraper son repas avec sa bouche. »</p>
<p style="text-align: justify;">Ces 10 voix aident à saisir la diversité de la poésie qui s’écrit
outre-Rhin. Dynamiques, elles s’ajoutent à beaucoup d’autres, se donnent
à lire telles qu’elles sont, certaines en devenir, d’autres déjà bien
posées, participant toutes à un vaste mouvement d’ensemble.</p>
<hr class="spip" style="margin-left: 0px; margin-right: 0px; text-align: left;" />
<p style="text-align: justify;"><i>10 X 10 Anthologie de la poésie allemande contemporaine</i>, choix et présentation de José F. A. Oliver, traductions de Gérard Tessier et Tim Trzaskalik, <a href="http://www.leshauts-fonds.fr/">Les Hauts-Fonds</a>.<br /></p>
<p style="text-align: justify;">Chez le même éditeur, et dans la même collection, paraît une autre anthologie, tout aussi passionnante : <i>9 poètes d’Écosse – 1920-2000 –</i>
avec des traductions de Camille Manfredi et Paol Keineg. S’y côtoient,
entre autres, Hugh MacDiarmid, Edwin Muir et Muriel Spark.</p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-91006548747272343502023-10-12T09:34:00.001+01:002023-10-12T09:35:14.751+01:00La troisième voix<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj68M7xZhQn2ai9QOSgcup0rb8WfSQFI0jZifZvYWTCvrIgk6JBCxnGc8n-sDYTF2p1GBQ-Hgov_5w_3Mm-t1brUfiHP7BAB2WCdJdgmuTDw3PGpWe92H_YPGvJmp9mxN0gTI05Q3JYv9NJXbimdY2StiDf8KfiWOAP1gUAU_9X6sSj-ujKjKz_d2P2FDH2/s710/levesque-la-troisieme-voix.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="710" data-original-width="472" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj68M7xZhQn2ai9QOSgcup0rb8WfSQFI0jZifZvYWTCvrIgk6JBCxnGc8n-sDYTF2p1GBQ-Hgov_5w_3Mm-t1brUfiHP7BAB2WCdJdgmuTDw3PGpWe92H_YPGvJmp9mxN0gTI05Q3JYv9NJXbimdY2StiDf8KfiWOAP1gUAU_9X6sSj-ujKjKz_d2P2FDH2/w133-h200/levesque-la-troisieme-voix.jpg" width="133" /></a></div><div style="text-align: justify;">Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut entretiennent depuis de nombreuses
années une correspondance assidue. Celle-ci leur a déjà permis d’écrire
<a href="https://remue.net/La-grande-annee">un livre</a>, dans lequel le second intervenait à partir des photographies de la
première. Cette fois, leur démarche est différente. Ils ont pris
l’habitude de glisser, chacun leur tour et quand ils en éprouvaient
l’envie, un poème dans l’enveloppe, se répondant, ou plutôt dialoguant
ainsi, à partir d’un mot (le mot « neige » par exemple), d’un choix de
voyelles, de consonnes ou d’initiales, du lieu où ils habitent, des
couleurs du ciel au bord de la Seine ou à proximité du littoral, du
climat, des mois, des saisons, du paysage (faune, flore, terre, craie,
rocaille, etc) et de cet étrange (attendu et recherché) « état de
poésie », si cher à Georges Haldas, qui les surprend à certains moments
du jour. Ce sont les poèmes issus de ces allers-retours par voie postale
qui sont ici rassemblés</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">« Nous savons que les heures s’effacent,<br class="autobr" />
nous seuls pouvons disperser<br class="autobr" />
les lettres des noms.</p>
<p style="text-align: justify;">La craie sur le tableau du jour<br class="autobr" />
couvre blanc l’horizon, novembre<br class="autobr" />
approche ses légions pâles.</p>
<p style="text-align: justify;">À Dunkerque, tu avances<br class="autobr" />
les signes d’un pays<br class="autobr" />
silencieux.</p>
<p style="text-align: justify;"><i>Ici</i>, d’un bord à l’autre,<br class="autobr" />
dès que s’ouvre le poème,<br class="autobr" />
l’adverbe réduit le mot distance. »</p>
<p style="text-align: justify;">Il leur faut beaucoup de complicité et une belle amitié pour parvenir
à accorder leurs voix afin d’en créer une troisième. Le lecteur, porté
par la teneur, la densité, la délicatesse et la générosité des
correspondances, oublie peu à peu qui écrit quoi. Les poèmes viennent,
se répondent, se nourrissent les uns les autres et la magie opère,
générant un dialogue fécond.</p>
<p style="text-align: justify;">« Souvent nous retournons le livre<br class="autobr" />
sans avoir atteint le bas d’une page,<br class="autobr" />
nous nous cachons la face avec les paumes<br class="autobr" />
et nous fixons l’écran intime, peu à peu,<br class="autobr" />
translucide, et nous continuons de lire.<br class="autobr" />
C’est ainsi que la vue se régénère<br class="autobr" />
dans un ciel rayonnant d’étoiles. »</p>
<p style="text-align: justify;">Pour finir,, tous deux reviennent sur l’échange des poèmes et sur ce lent cheminement qui leur a permis de donner sa tonalité à <i>La troisième voix</i>.</p>
<p style="text-align: justify;">« La contingence temporelle, devenue notre alliée, nous a offert un
nouveau territoire, une nuit peut-être pour que les mots l’habitent »
(Isabelle Lévesque)</p>
<p style="text-align: justify;">« Comprendre, c’est se surprendre, ce n’est pas se contenter de faire écho, c’est accroître. » (Pierre Dhainaut)</p><p style="text-align: justify;"> Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut : <i>La troisième voix</i>, peinture de Fabrice Rebeyrolle, éditions <a href="https://lherbequitremble.fr/">L'herbe qui tremble.</a><br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-4201799914670202022023-10-02T15:06:00.003+01:002023-10-02T15:06:56.665+01:00Une fin d'après-midi continuée<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiB1HJnxa9O9J1PgNyoga0FYeB6R6RpsjzNevTFdAWdOnda8g1mvXw3ntIkx36S9B9Yd9by6tC5QA9KqWVIy6iZv8wMGtDf3tAjgB9X4ZxFD6WFpViR6nP6r71L3M_au06F0mX6jjlfX2ZqYpCKyp4RNy2qxLhb2SydQh3qGw55oyXKEyP1KyI6QHdcUpeH/s428/JS.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="428" data-original-width="290" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiB1HJnxa9O9J1PgNyoga0FYeB6R6RpsjzNevTFdAWdOnda8g1mvXw3ntIkx36S9B9Yd9by6tC5QA9KqWVIy6iZv8wMGtDf3tAjgB9X4ZxFD6WFpViR6nP6r71L3M_au06F0mX6jjlfX2ZqYpCKyp4RNy2qxLhb2SydQh3qGw55oyXKEyP1KyI6QHdcUpeH/w136-h200/JS.jpg" width="136" /></a></div><div style="text-align: justify;">Belle initiative des éditions Tarabuste qui réunissent en un seul volume
trois livres « marocains » de James Sacré. Tous ont été publiés
auparavant par André Dimanche :<i> Une fin d’après-midi à Marrakech</i> (1988), <i>Viens, dit quelqu’un</i> (1996) et <i>Un paradis de poussières</i>
(2007). Ces trois livres sont écrits dans la compagnie d’une même
personne, son ami Jillali Echarradi, peintre avec lequel il a souvent
collaboré. Beaucoup de ces poèmes lui sont adressés.</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">« J’aimerais écrire des poèmes très figuratifs<br class="autobr" />
Qu’on verrait dedans sans pouvoir se tromper<br class="autobr" />
La couleur de Marrakech par exemple avec au loin la Koutoubia<br class="autobr" />
Elle permet qu’on s’oriente en parcourant la ville et la campagne environnante.<br class="autobr" />
À une terrasse de café on aperçoit, fugitivement, mais de façon précise<br class="autobr" />
Ton visage inquiet qui va sourire<br class="autobr" />
Après justement qu’on aura marché, beaucoup de silence et des paroles qui préparent à des gestes vrais,<br class="autobr" />
La légèreté du soir et du monde à Marrakech. »</p>
<p style="text-align: justify;">Au Maroc, à Marrakech mais aussi à Sidi Slimane, à Kénifra ou dans
de plus petites bourgades, près des étals des marchands de menthe, de
figues, d’escargots, ou au café, dans des campagnes à vocation agricole
ou sur les routes où circulent les camions qui sillonnent le Magreb,
James Sacré va à la rencontre, note, écrit dans la proximité des autres,
amis peintres, écrivains ou anonymes, dans un décor changeant au gré
des nuances et des variations de couleurs, guettant les gestes les plus
infimes de ceux, de celles qui l’entourent. Il ressent une sorte de
bonheur à se trouver là, au milieu de gens si naturellement vivants,
découvrant leurs lieux, leurs rites, leurs méthodes de travail tout en
se découvrant parfois lui-même, surpris de retrouver dans ce pays des
façons de vivre (de peu) qui ressemblent à celles qu’il a connu durant
son enfance et sa jeunesse en Vendée.</p>
<p style="text-align: justify;">« Je retrouvais dans ce pays des chemins<br class="autobr" />
qu’on a détruit dans le mien <br class="autobr" />
Bientôt personne qui s’en souvient. »</p>
<p style="text-align: justify;">Rien ne paraît pouvoir lui échapper (des détails, par dizaines, qui
s’offrent à lui) tant on le sent curieux, attentif, disponible, prêt à
s’abandonner. Son poème débute dans la présence des autres, qui le font
vibrer et dont il ressent les soubresauts du corps jusque dans le sien.
Il avance en donnant à son texte – dont on a l’impression, agréable,
qu’il s’écrit sous nos yeux – un rythme posé, une continuité qui
privilégie les sinuosités, un peu comme s’il avait besoin de bifurquer,
de corriger un brouillon ou de revenir sur ses pas pour préciser sa
pensée, pour ajouter des éléments à la séquence qu’il est en train de
construire.</p>
<p style="text-align: justify;">« Poème qui s’en va, de passage,<br class="autobr" />
Entre le monde et le bruit des mots.<br class="autobr" />
On s’invente un désert en parlant parce qu’on oublie<br class="autobr" />
Qu’on est au paradis.<br class="autobr" />
Je suis là que de passage, un pied<br class="autobr" />
Dans le vivant, l’autre pris<br class="autobr" />
dans le bruit du vivant. »</p>
<p style="text-align: justify;">Il voit, surprend telle attitude, tel geste, tel sourire ou regard,
sort parfois son appareil photo pour mémoriser un instant, pour le faire
bouger ensuite dans son poème. Toute la vie simple, habituelle,
silencieuse ou tumultueuse qui bruisse autour de lui l’attire.</p>
<p style="text-align: justify;">« Je voudrais m’en aller dans un poème<br class="autobr" />
Pour être comme à côté du corps<br class="autobr" />
De quelqu’un d’autre, un corps<br class="autobr" />
Où la parole ne trahit pas le silence.<br class="autobr" />
Mais le poème est trop de ruse et rien<br class="autobr" />
Qu’on pourrait caresser. »</p>
<p style="text-align: justify;">Ce volume (de 360 pages) est plein de paysages, de mouvements, de
haltes, de moments de vie, de partages, d’amitié, de recueillement dans
certains cimetières, de gestes, de visites, de dons, d’offrandes, de
retenue, de découvertes et c’est son auteur qui en parle le mieux :</p>
<p style="text-align: justify;">« Ces livres sont des gestes d’écriture, qui ne veulent rien
expliquer, qui veulent seulement rencontrer, et continuer de s’étonner
(heureusement ou pas), de découvrir et de se découvrir dans la compagnie
de l’autre, qui est l’hôte, ce mot qui met superbement ensemble l’autre
et le même. »</p><p style="text-align: justify;">James Sacré : <i>Une fin d'après-midi continuée</i>, postface de Serge Martin, éditions <a href="https://www.laboutiquedetarabuste.com/LES-COLLECTIONS.a/b0l/Tous">Tarabuste</a>. <br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-15344696466742070452023-09-23T09:45:00.005+01:002023-09-23T09:46:03.890+01:00Nouvelles notes sur les noms de la nature<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjc_ZitmcpkVd-85LeWrz3Ejhkoq3-Xx_PewD-SH9yNBN3u0GMby6DLUGXmRdBSpHb1_cupMegHbBfhARIxg1lQC2xCQRPhbJghG8UkvRWjoRxUSLRvOOuddK3jN3k3Si6a5kNfbxKqUnM-11qQPMxa7967m5kOjEUvRE2PLjIF_tZFeamd9XN8vSJPipAs/s400/annocque.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="400" data-original-width="248" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjc_ZitmcpkVd-85LeWrz3Ejhkoq3-Xx_PewD-SH9yNBN3u0GMby6DLUGXmRdBSpHb1_cupMegHbBfhARIxg1lQC2xCQRPhbJghG8UkvRWjoRxUSLRvOOuddK3jN3k3Si6a5kNfbxKqUnM-11qQPMxa7967m5kOjEUvRE2PLjIF_tZFeamd9XN8vSJPipAs/w124-h200/annocque.jpg" width="124" /></a></div><div style="text-align: justify;">Six ans après leur avoir consacré un premier recueil de notes,
Philippe Annocque récidive en se penchant à nouveau sur les étonnants
noms de la nature. Il apprécie leurs bizarreries, les confusions qu’ils
ne manquent pas de provoquer et le décalage qui existe parfois entre
leur appellation d’origine et leur apparence ou leur lieu de vie..</div><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: left;">« Grison d’Allemand est un drôle de nom pour qui ne vit qu’en Amérique latine. »</p>
<p>« Certains distinguent lièvre et lapin à leurs oreilles.<br class="autobr" />
En effet, l’oreille de lapin est une plante<br class="autobr" />
alors que l’oreille de lièvre est un champignon. »</p>
<p>Il nous donne rendez-vous dans les sous-bois ou dans la prairie, en
haut des arbres ou dans les eaux turquoises des mers chaudes pour
rencontrer quelques-unes de ces plantes, bêtes et bestioles dont les
noms autrefois savants, issus souvent du latin, l’étonnent, le laissent
perplexe et l’incitent aux jeux de mots.</p>
<p>« Je me suis renseigné, mais non :<br class="autobr" />
la nonnette voilée ne pousse pas sur les mêmes terrains<br class="autobr" />
que le phallus impudique.</p>
<p>L’impudeur n’étant pas suffisamment <br class="autobr" />
attirante,<br class="autobr" />
on l’appelle aussi parfois satyre puant. »</p>
<p>Des noms souvent peu connus apparaissent dans ce recueil où la
nature reste secrète et discrète, ne se dévoilant qu’en fragments
poétiques et malicieux, On y croise la tourte voyageuse et le chevrotain
porte-musc, la tégénaire géante et l’ours à collier, le serpent à
lunettes et la vesse-de-loup, le moqueur polyglotte et le maquereau
espagnol,</p>
<p>« L’ambre liquide<br class="autobr" />
donne son autre nom<br class="autobr" />
au copalm d’Amérique.</p>
<p>Car c’est le copal,<br class="autobr" />
une résine fossile,<br class="autobr" />
qui donne son autre nom<br class="autobr" />
au liquidambar ».</p>
<p>Philippe Annocque s’aventure sur les traces de ces spécimens rares ou
communs, participant tous de la diversité d’une nature soumise à rude
épreuve, accompagné, à nouveau, par Florence Lelièvre qui illustre,
dessine, croque, d’une main vive et sûre, fleurs, feuilles, écorce,
oiseaux, araignées, champignons, serpent, poissons, etc, donnant ainsi à
voir ce qui se cache derrière plusieurs de ces noms.</p><p>Philippe Annocque : Nouvelles notes sur les noms de la nature, illustrations de Florence Lelièvre, <a href="https://editionsgrandschamps.fr/catalogue">éditions des Grands Champs.</a> <br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-49004383983831173622023-09-12T11:22:00.002+01:002023-09-12T11:24:13.323+01:00Ils restent<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjtUDq-LlhVfzvjxALhPIr2ntFuvC7TBoCyxk6LdyLMxS0eIz8kKPTqbQnUyRVvPBMMgNNUP-y-V1-I83JLBKyr7J94lWDVgmcpJ2fLMAkCfMa8x6Ji6ynohZn5TcrL2nBVH0_b6ocIcyCR2gZmZhViFWI8sDUbHcWSofzaR7vzVnu1FbiywEBbTNKIsMaL/s640/Lafon_couv-Ils_restent.jpeg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="640" data-original-width="383" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjtUDq-LlhVfzvjxALhPIr2ntFuvC7TBoCyxk6LdyLMxS0eIz8kKPTqbQnUyRVvPBMMgNNUP-y-V1-I83JLBKyr7J94lWDVgmcpJ2fLMAkCfMa8x6Ji6ynohZn5TcrL2nBVH0_b6ocIcyCR2gZmZhViFWI8sDUbHcWSofzaR7vzVnu1FbiywEBbTNKIsMaL/w120-h200/Lafon_couv-Ils_restent.jpeg" width="120" /></a></div><div style="text-align: justify;">Ils ne se parlent pas, posent ensemble, côte à côte ou l’un derrière
l’autre, regardent l’objectif ou l’évitent, sont au travail dans les
champs ou dans la grange, parfois en promenade dans la forêt ou au bord
de la mer. Tous apparaissent deux par deux, à chaque fois un père et un
fils photographiés par Eric Courtet. Ils sont calmes, ne sourient
pas, semblent porter en eux une certaine mélancolie ou tout au moins une
tristesse indéfinissable. Ils ne sont pas figés, loin s’en faut. Ces
hommes saisis en un moment particulier nourrissent une relation
père-fils plutôt secrète et les textes courts de Marie-Hélène Lafon
sont là pour nous le rappeler. Pour suggérer, pour inventer aussi.</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">« Aujourd’hui encore, à presque quarante ans, quand il voit des pères
et des grands-pères porter sur le dos ou sur les épaules des petits
garçons de cinq ou six ans, il retrouve aussitôt l’odeur de la nuque et
des cheveux de son père et il a envie de pleurer. »</p>
<p style="text-align: justify;">Les émotions qu’elle fait passer dans ses proses émanent des fils.
L’un n’a jamais osé dévoilé son homosexualité à son père, un autre a
choisi de pratiquer le rugby plutôt que le football pour faire plaisir à
son paternel, un autre encore a porté, après la mort du père, "sa
dernière paire de chaussures montantes, fourrées, chaudes et souples,
quasiment neuves et a utilisé aussi les grands mouchoirs à carreaux
verts et rouges, une douzaine, marqués à son nom qui se trouvaient dans
son trousseau revenu de la maison de retraite."</p>
<p style="text-align: justify;">En quelques phrases, Maie-Hélène Lafon s’approprie, en toute liberté,
les photographies d’Eric Courtet. Elle y grave des portraits simples et
saisissants, ceux des fils en quête d’une indépendance qu’ils
n’acquièrent que difficilement.</p>
<p style="text-align: justify;">« Son père lui a dit, <i>je ne veux pas te voir<br class="autobr" />
à mon enterrement</i><br class="autobr" />
Il n’est pas allé à l’enterrement de son père<br class="autobr" />
Il a obéi à son père.</p>
<p style="text-align: justify;">Quand on lui a téléphoné pour lui annoncer<br class="autobr" />
la mort de son père, il a dit, <i>au moins comme ça<br class="autobr" />
il fera plus chier personne</i> »</p>
<p style="text-align: justify;">Les mères n’apparaissent pas mais leur présence est perceptible dans certains textes.</p>
<p style="text-align: justify;">Cet ensemble (beau format 15 X 25 cm) interroge la relation à la
filiation, à la mémoire, à sa fragilité, à sa subjectivité, à sa
transmission, à son enracinement dans les lieux où vivent ces hommes..</p>
<p style="text-align: justify;">« Du côté des arbres<br class="autobr" />
Quand ils sont nus, contre le ciel.</p>
<p style="text-align: justify;">Dans la lumière et dans le vent, au bord<br class="autobr" />
de la nuit, en ses lisières. »</p><p style="text-align: justify;"> Marie-Hélène Lafon (textes et poèmes) et Eric Courtet (39 photographies couleur) : <i>Ils restent</i>, éditions <a href="https://editionsisabellesauvage.fr/catalogue/ils-restent/">Isabelle Sauvage</a><br /></p><p style="text-align: justify;"> <br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-43049375030585281112023-09-03T10:32:00.005+01:002023-09-03T10:33:01.152+01:00Georges Perros La vie est partout<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi6YChrvH1_xMokemYLpAcR_EXOVrTRht5ixwCXID4_3pBJ2Qtqms9wOyH77bPir1gsIsgJqyTrpb9V2apuh1no73i5aUFXhDPRuR0DB94BvbTGUUQezzLSAhbhp6oygLw0JZVyqcQT_rvvqdQUqRRDmU9ciPslzt-t0zC7J4isOz4mz47oHp6yKQLpYqdF/s500/I-Grande-130954-georges-perros-la-vie-est-partout.net.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="500" data-original-width="350" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi6YChrvH1_xMokemYLpAcR_EXOVrTRht5ixwCXID4_3pBJ2Qtqms9wOyH77bPir1gsIsgJqyTrpb9V2apuh1no73i5aUFXhDPRuR0DB94BvbTGUUQezzLSAhbhp6oygLw0JZVyqcQT_rvvqdQUqRRDmU9ciPslzt-t0zC7J4isOz4mz47oHp6yKQLpYqdF/w140-h200/I-Grande-130954-georges-perros-la-vie-est-partout.net.jpg" width="140" /></a></div><div style="text-align: justify;">Georges Perros aurait eu 100 ans cette année si la maladie ne l’avait
pas fauché en janvier 1978. Il n’aura vécu que 54 années pleines. C’est
ce nombre de poèmes qu’Hervé Carn a choisi de lui dédier, en un éloge
simple et amical, en retraçant quelques-uns des moments forts partagés
avec l’auteur des <i>Papiers collés</i>, d’<i>Une vie ordinaire</i>, des <i>Poèmes bleus</i> ou encore de <i>L’Ardoise magique</i> (dont il fut le premier éditeur au sein de la revue Givre).</div><p></p>
<p style="text-align: justify;">« Le pli, la traverse, la délicatesse, la finesse. Voilà, tout cela,
c’est vous, tel que je vous vois si vivant, si malicieux, si heureux de
porter votre triomphant désespoir. J’ai pensé à vous chaque jour depuis
votre mort. »</p>
<p style="text-align: justify;">Hervé Carn revient sur les cinq années durant lesquelles il côtoya
Georges Perros. À Douarnenez, pour la rencontre initiale, à Quimper, à
Brest, à Rosporden, à la Pointe du Raz ou à Paris, à l’hôpital Laënnec
où s’est éteint celui qui, né dans le quartier des Batignolles ("<i>Ici naquit Georges Machin / qui pendant sa vie ne fut rien / et qui continue"</i>),
s’était épris des ciels changeants et tourmentés d’une ville de bord
de mer peuplée d’êtres taciturnes qui lui ressemblaient beaucoup et où
il décida de jeter définitivement l’ancre.</p>
<p style="text-align: justify;">« Il en avait assez des Parigots<br class="autobr" />
Qui venaient vers lui pour meubler<br class="autobr" />
Ensuite les conversations au Lipp<br class="autobr" />
Ou au Pont Royal tiens tiens Perros<br class="autobr" />
Vous les avez donc vues sa bouille<br class="autobr" />
Et sa moto comment fait-il<br class="autobr" />
Disaient-ils vaguement honteux<br class="autobr" />
De le demander et de donner<br class="autobr" />
Tant d’importance à ce type<br class="autobr" />
Qui les méprisait de jouer à la marelle<br class="autobr" />
Entre coups de chapeaux et d’encensoir<br class="autobr" />
Et d’articulets ciselés dans l’encre<br class="autobr" />
De la célébration de l’entre-soi »</p>
<p style="text-align: justify;">Ses vrais amis restaient discrets et respectaient son intimité, ses
silences, ses jardins secrets. Hervé Carn était l’un des plus jeunes.
Les liens tissés entre eux l’amenèrent à fréquenter sa famille, sa
femme, ses enfants. Il les évoque dans ces séquences pleines d’humanité
où l’on voit peu à peu se dessiner un autre Perros, l’homme du
quotidien, de la « vie ordinaire », abandonnant sa mansarde et ses
livres, devenant piéton du port de Douarnenez ou motocycliste s’enivrant
de l’air iodé du littoral. On découvre celui qui va au match soutenir
la Stella Maris, l’équipe locale, qui flâne au marché et qui boit son
coup au café du coin.</p>
<p style="text-align: justify;">« Lorsqu’il s’en va serpenter dans la forêt sombre<br class="autobr" />
Assis au pied du vieux chêne je le regardais<br class="autobr" />
Se mirer dans l’eau noire puis il s’éloigna<br class="autobr" />
Et sans le moindre mot s’assit dans la voiture<br class="autobr" />
Se saisit de son calepin où il balança une note<br class="autobr" />
De retour à Ploné il n’est plus tout à fait le même »</p>
<p style="text-align: justify;">Plus qu’un éloge de Perros, <i>La vie est partout</i> est une
incitation à relire l’œuvre (notes, poèmes, récits brefs et
correspondance) de cet homme pour qui l’écriture était essentielle même
s’il savait que l’on "<i>n’écrit jamais que pour personne par personne interposée</i>"
(1). De nombreux écrivains traversent le livre. Jeunes ou moins jeunes.
Des noms familiers et d’autres moins connus. Tous ont croisé sa route
et quelques-uns (dont Michel Butor) ont fait un bon bout de chemin à ses
côtés. Ce solitaire, fidèle en amitié, aimait l’échange (ses lettres en
témoignent), le silence, la bonne compagnie et le tempétueux vent
d’ouest qui le revivifiait dès qu’il enfourchait sa bécane pour aller se
changer les idées dans les parages du cap Sizun et de la pointe du Van.</p><div style="text-align: justify;">
(1) Citation reprise par Thierry Cecille dans l’excellent dossier qu’il a consacré à Georges Perros dans <a href="https://lmda.net/numero_125">Le Matricule des anges n° 125</a></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Hervé Carn : <i>Georges Perros La vie est partout</i>, éditions <a href="https://www.lapartcommune.fr/produit/georges-perros-la-vie-est-partout-eloge/">La Part commune</a>.<br /></div>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-55576907612483158482023-08-24T09:52:00.001+01:002023-08-24T09:53:06.150+01:00Le texte impossible<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;"></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-size: small;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgOZ8LCbWXGYD-gztMzDBI2I2Mu7Flgi74oY3AKiFron1HZj1jlLUbASxPIFYweTt3cjDkVjY_eHWdEj6xVriqMROEy2QI5qmyWwwMjEtrLCn5P8gvKjrqpjgCp5MHjJWAGt_X0O_ApZ28oHBguMNlrqP8eRUsBMk8pl9tYwyplHhdOD5kfeTGIvfBTAXSk/s500/livreroussecouv.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="500" data-original-width="331" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgOZ8LCbWXGYD-gztMzDBI2I2Mu7Flgi74oY3AKiFron1HZj1jlLUbASxPIFYweTt3cjDkVjY_eHWdEj6xVriqMROEy2QI5qmyWwwMjEtrLCn5P8gvKjrqpjgCp5MHjJWAGt_X0O_ApZ28oHBguMNlrqP8eRUsBMk8pl9tYwyplHhdOD5kfeTGIvfBTAXSk/w133-h200/livreroussecouv.jpg" width="133" /></a></span></div><div style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;">Lire Alain Roussel requiert une certaine disponibilité d’esprit, une
sorte de lâcher prise afin de se laisser guider par ce flâneur qui
s’aventure, subjugué par les lettres et les mots, dans les lacis et les
broussailles de la langue, se demandant ce qu’il fait là, continuant
néanmoins de cheminer en mettant sa promenade à profit pour entremêler
le réel et l’irréel, le dit et le non-dit, l’imaginaire et
l’autobiographie, l’immobilité et le mouvement. </span><br class="autobr" /><span style="font-size: small;"><i>Le Texte impossible</i> naît d’un vide, d’une communication rompue entre l’auteur et l’univers qui ne peut être rétablie que par l’écriture.</span></div>
<p></p>
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;">« J’ai soudain la conviction que l’écriture, s’insinuant dans le
monde, va chasser la banalité. Je vais m’installer à demeure au cœur des
choses, vivre dans l’érection du temps. »</span></p>
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;">Cela se passe à Arles, à sa fenêtre, avec au loin les contreforts des
Baux-de-Provence, ou dans les rues de la ville où il aime se ressourcer
entre deux séances d’écriture, sa marche l’amenant à faire halte dans
un café, d’abord pour se désaltérer en buvant une bière et bientôt pour
regarder vivre et bouger les consommateurs qui s’y trouvent. C’est là
que son imaginaire s’emballe. Une femme est assise au bar, jupe
légèrement relevée au-dessus du genou, avec, près d’elle, son sac à
main. Curieusement, il n’observe que cet objet entrouvert « comme une
bouche qui murmure », ne peut s’en détacher, en fait le véhicule de sa
pensée. Sa vision le propulse ailleurs, autrefois, à Boulogne-sur-Mer
(où il est né), porté par cet impérieux besoin d’écrire qui le "déchire
comme une décharge électrique".</span></p>
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;">« Que tout cela ne soit qu’illusion ne m’apparaît qu’après, quand j’ai cessé d’écrire. Mais sur l’heure, j’y crois vraiment. »</span></p>
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;">Il y a entre Alain Roussel et les mots une belle complicité. Il leur
donne beaucoup. Ils le lui rendent bien. Ce qu’il leur demande dans <i>Le texte <i>impossible</i></i>,
en plus de leur survenue déroutante, c’est de l’aider à redonner corps
à la femme aimée et, semble-il, perdue. Pour ce faire, le récit va vite
basculer et quitter la ville, ses rues, ses remparts pour se resserrer
autour d’une absente à laquelle il va désormais s’adresser,</span></p>
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;">« C’est étrange : écrivant vers toi, c’est tout le procès de
l’écriture qui s’accomplit sous mes yeux, l’impossibilité pour le texte
de te rejoindre dans la vie même, la défaillance de toutes les
métaphores devant l’absolue nudité de ton corps. »</span></p>
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;">Ce que l’auteur interroge, c’est son incapacité à renverser une
réalité douloureuse – l’absence d’une femme aimée, désirée – en
essayant de la réinventer par l’écriture. Dans un récent poème
autobiographique, que l’on peut lire à la suite du <i>Texte impossible</i>, il revient sur ce récit qui n’a cessé de l’accompagner depuis sa conception, au milieu des années 1970.</span></p>
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;">« J’écrivis <i>Le Texte impossible</i> à Arles dans la clarté provençale<br class="autobr" />
l’œil rivé sur l’abbaye de Montmajour et la blancheur aveuglante des Alpilles<br class="autobr" />
c’était comme une lettre d’amour et de révolte<br class="autobr" />
à une femme réinventée<br class="autobr" />
celle avec qui je vivais alors dans l’éloignement et dans la perte<br class="autobr" />
j’aurais voulu qu’elle traverse les mots pour venir me rejoindre<br class="autobr" />
qu’elle quitte enfin le grand mutisme blanc<br class="autobr" />
qui l’habitait douloureusement. »</span></p>
<p style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;">Il termine en précisant qu’il a échoué. Une quête impossible qui lui
était alors d’une nécessité vitale. Sans elle, ce texte empli de vie, de
vigueur, de visions et d’espoir n’aurait pu exister. Et c’eût été
dommage. D’autant qu’il contient déjà en germe la plupart des thèmes que
l’écrivain – qui donne la part belle à un imaginaire sensuel et
lumineux – n’a, depuis, cessé d’explorer.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: small;">Alain Roussel : <i>Le texte impossible</i> suivi de <i>Le vent effacera mes traces</i>, éditions <a href="https://editionsarfuyen.com/2023/04/16/le-texte-impossible/">Arfuyen</a>. </span><br /></p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-11800827234626843682023-08-13T11:48:00.010+01:002023-08-13T12:32:33.550+01:00Béakoak n°3 / Alain Jégou<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhHU94NF5g34sE_2SyVggzSQ97zCezQ-MoWQhXmC04AIvvwYgyuif-ixv4OZ3eqC4rGglca9Cz2pvztRi6mQD1dENja6DrjGHkBN6qEJZOLtMRfmDLfgKNqpDEWff4aT70vLlQwgeZhdsPl-v8EAWcq0Qow1Ad90oeCSMVo_46SV6Ijz2ak-8PMCGZAokrr/s1590/p1.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1590" data-original-width="1124" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhHU94NF5g34sE_2SyVggzSQ97zCezQ-MoWQhXmC04AIvvwYgyuif-ixv4OZ3eqC4rGglca9Cz2pvztRi6mQD1dENja6DrjGHkBN6qEJZOLtMRfmDLfgKNqpDEWff4aT70vLlQwgeZhdsPl-v8EAWcq0Qow1Ad90oeCSMVo_46SV6Ijz2ak-8PMCGZAokrr/w141-h200/p1.jpg" width="141" /></a></div><div style="text-align: justify;"> <span style="font-size: medium;"><i>« La
nuit tombe et la mer peinarde se laisse dorloter la surface par un
soleil hivrnal qui s'est fardé rougeaud pour faire croire à sa
bonne santé radieuse. Ne trompe personne. Surtout pas moi qui me
caille les miches chaque jour au large de tout.</i></span></div><p></p>
<p style="margin-bottom: 0cm;">
<span style="font-size: medium;">Alain Jégou, lettre du
13 décembre 1996</span></p>
<p align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">La revue
buissonnière Béakoak, animée par Gwenn Audic et Jean-Claude
Leroy, consacre son numéro 3 à Alain Jégou, décédé il y a
maintenant 10 ans. </span>
</p>
<p align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Témoignages,
extraits de lettres, poèmes et brève bibliographie permettent de le
retrouver et de réentendre la voix claire, claquante et dynamique de
l'auteur de <i>Passe Ouest,</i> de <i>Totems d'ailleurs</i>, de <i>La
Suie-robe des sentiers suicidaires</i> (et de nombreux autres
titres). </span>
</p>
<p align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Ayant
définitivement largué les amarres, il fait route vers des contrées
invisibles, loin derrière la ligne d'horizon, et nous donne,
ponctuellement, de ses nouvelles, avec ses livres restés à quai.</span></p>
<p align="JUSTIFY" style="margin-bottom: 0cm;"><span style="font-size: medium;">Béakoak se lit en ligne et c'est <a href="https://www.calameo.com/books/000855949fe0e2d856cd5"> ici </a></span></p>
jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-83314108920380991262023-08-03T09:41:00.001+01:002023-08-03T09:42:18.269+01:00Projet Delta(s)<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjgA36AktyT333kVH0Idl497iRNuwr4LkklsSYT9tlfPul9VSKg6GIv_WJTAVzqLV65vugkd7gcp48HwXyRhZQdFBMzFGPZgPHkD3mXiPdH1heZ2averqsMNOikaxTAg9QYggrm6aN7i9QXTQTIU3jlcJqxbPUydGcOvUZwz2rc9IyOZstbjlmW3cCRHzzm/s1334/4974ef_9dd1c9d7e8204b2fbf103caa56a52618mv2-airtheme-standard-thumb-big-950x1334.webp" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="1334" data-original-width="950" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjgA36AktyT333kVH0Idl497iRNuwr4LkklsSYT9tlfPul9VSKg6GIv_WJTAVzqLV65vugkd7gcp48HwXyRhZQdFBMzFGPZgPHkD3mXiPdH1heZ2averqsMNOikaxTAg9QYggrm6aN7i9QXTQTIU3jlcJqxbPUydGcOvUZwz2rc9IyOZstbjlmW3cCRHzzm/w143-h200/4974ef_9dd1c9d7e8204b2fbf103caa56a52618mv2-airtheme-standard-thumb-big-950x1334.webp" width="143" /></a></div><div style="text-align: justify;"><i>Projet Delta(s)</i> est un voyage initié par le poète Pierre
Soletti et son frère Patrice, guitariste et compositeur, partis sur les
traces de leur grand-oncle maçon Francisco Fito, âgé de 92 ans
aujourd’hui, qui, bon pied, bon œil et résolument de bonne humeur, les
accompagne du delta de Camargue, où il s’est installé après avoir dû
fuir l’Espagne de Franco en 1947 à celui de L’Èbre, où il est né et où
vit toujours une partie de sa famille. Les deux frères l’ont embarqué en
van dans un road movie poétique, musical et graphique qui donne
naissance à un livre, à un cd et à un documentaire.
</div><p style="text-align: justify;">Pendant le voyage, Pierre Soletti a tenu un carnet et un journal de
bord, à la fois écrit et dessiné, saisissant, en griffant le papier avec
cette graphie particulière qui est la sienne, en peu de mots, de
manière nerveuse et percutante, les différentes étapes de ce périple
plein d’humanité où rayonne la présence rassurante de l’oncle Fito.</p>
<p style="text-align: justify;">« Nous lisons la nuit, les étoiles, les frontières, les passages, les
cuivres, le vent, pour ne pas oublier la source des racines. Bruits de
vie qui s’entrechoquent. »</p>
<p style="text-align: justify;">Peu à peu, au fil du parcours <i>Projet Delta(s)</i> s’affine et
devient une création collective qui déborde d’énergie communicative.
Livre, CD, DVD retracent un voyage sensible et généreux. Sous le soleil
ou la bruine, dans des paysages traversés avec lenteur, pour ne rien
rater de l’émouvant retour aux sources.</p>
<p style="text-align: justify;">Pierre Soletti a également, et tout récemment, publié <i>Clap hands</i>, un ensemble de poèmes brefs, intuitifs, dédiés à Tom Waits.</p>
<p style="text-align: justify;">« le chat ébahi<br class="autobr" />
regarde son reflet<br class="autobr" />
dans la glace</p>
<p style="text-align: justify;">comme lui<br class="autobr" />
nous nous<br class="autobr" />
regardons<br class="autobr" />
dans le miroir</p>
<p style="text-align: justify;">étonnés</p>
<p style="text-align: justify;">de qui nous<br class="autobr" />
ne sommes</p>
<p style="text-align: justify;">pas »</p>
<p style="text-align: justify;">En début d’année, publiant <i>Shakespeare dans une baignoire</i>, il
suivait d’autres traces, plus lointaines, plus énigmatiques, celles du
grand dramaturge en questionnant quelques-uns de ses personnages et en
dialoguant nonchalamment, par delà les siècles, avec ses contemporains,
se rendant en imagination là où est né, à Stratford-upon-Avon, et
enterré celui qui serait mort, dit-on, « après une soirée bien arrosée
avec son ami Ben Jonson ».</p><p style="text-align: justify;"> Patrice et Pierre Soletti : <i>Projet Delta(s</i>), Musique, Poésie, Vidéo, préface de Serge Pey, poèmes catalans de Laia Claver, Sandra Artigas et Rosa Pou pour la chanson <i>Fil de mar</i>, .<a href="https://www.mazeto-square.com/product-page/projet-delta-s-musique-po%C3%A9sie-vid%C3%A9o-livre-cd-dvd">Mazeto Square</a>.<br class="autobr" />
Pierre Soletti : <i>Clap hands, a tribute to Tom Waits</i>, <a href="https://www.atelierduhanneton.fr/">Atelier du Hanneton</a><br class="autobr" />
Pierre Soletti : <i>Shakespeare dans une baignoire</i>, <a href="https://www.derniertelegramme.fr/">Dernier Télégramme</a><br /></p><p></p>
<p> </p><p style="text-align: justify;"> </p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1138903892281642296.post-32991609783515842912023-07-22T09:31:00.002+01:002023-07-22T09:35:04.794+01:00Plus vivant que la vie<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhA213mM1n2FGnEfAmunGphzsT5uGrBWpI8fmHqGCeIKf591lFQo36sa_JljA0HxPmiMCz_zsZlWEMwg_jVKpn0cj2POL_GsFOg4DigYcHVgAnNwdKVgEeFr2bG-bAp7HmybDqaCLai89BX39qWT6eXvC4h474vnFhtZi7z0Z73x5PFCG2PRzgbL31MBy-f/s435/Anna%20Dubosc.jpg" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="435" data-original-width="290" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhA213mM1n2FGnEfAmunGphzsT5uGrBWpI8fmHqGCeIKf591lFQo36sa_JljA0HxPmiMCz_zsZlWEMwg_jVKpn0cj2POL_GsFOg4DigYcHVgAnNwdKVgEeFr2bG-bAp7HmybDqaCLai89BX39qWT6eXvC4h474vnFhtZi7z0Z73x5PFCG2PRzgbL31MBy-f/w133-h200/Anna%20Dubosc.jpg" width="133" /></a></div><div style="text-align: justify;">Il y a quelques années, Anna Dubosc racontait, dans un récit intime et
palpitant, son quotidien de jeune femme bousculée par la lente
dégradation de l’état de santé de sa mère Koumico. Celle-ci perdait peu à
peu la mémoire et ses repères. Il fallait lui venir en aide, rafistoler
les fils de ses souvenirs, la maintenir debout dans un présent auquel
elle appartenait de moins en moins. Le texte, émouvant, donnait corps et
vie à une vieille dame énergique et attachante, nullement décidée à
s’en laisser compter, et surtout pas par la mort. Mais celle-ci, à force
de rôder, et c’est ainsi que débute ce nouveau livre, a fini par gagner
la partie. Koumico est décédée.</div><p></p><p style="text-align: justify;"></p>
<p style="text-align: justify;">« Je sais et je ne sais pas que ma mère est morte. Je sais qu’elle
est morte depuis une semaine, mais je ne sais pas ce que ça veut dire.
C’est fini, elle est morte. J’ai beau me le répéter, ça ne rentre pas. »</p>
<p style="text-align: justify;">C’est dans cet entre-deux que se faufile Anna Dubosc pour dire ce
qui n’est plus mais ce qui, pourtant, subsiste toujours, par-delà la
mort. L’absente ne l’est pas vraiment et celle qui n’a pas voulu la voir
sur son lit de mort la voit désormais réapparaître régulièrement. Elle
semble résister à sa propre disparition en confiant aux bons soins de sa
fille, qui saura les agencer, quelques épisodes de son passage sur
terre. De nationalité japonaise, elle était née en Mandchourie, s’était
adaptée à la vie parisienne, aimait le cinéma, les livres. Écrivaine,
elle avait publié deux ouvrages et continuait de prendre des notes. Elle
s’était, au fil des années, aménagée un univers bien à elle dans son
appartement de la rue Ganneron, près du cimetière Montmartre. Elle
appréciait les cafés, les rencontres, les voyages.</p>
<p style="text-align: justify;">« Dans <i>Sans Soleil</i>, Chris Marker dit que la cloison qui sépare
la vie de la mort est plus fine en Orient qu’en Occident, et que les
petits Nippons s’en approchent parfois avec curiosité pour tenter de
voir au travers. J’aimerais voir la mort de ma mère avec ces yeux
d’enfant, ceux qu’elle a d’ailleurs gardés tout au long de sa vie. »</p>
<p style="text-align: justify;">Ce qu’écrit Chris Marker (qui a, par ailleurs, consacré un film court – <a href="https://www.unifrance.org/film/49414/le-mystere-koumiko"><i>Le mystère Koumico</i></a> – à la femme libre qui l’avait beaucoup impressionné, lors d’une
rencontre au Japon, en 1965), évoquant cette fine cloison qui attise
la curiosité de ceux qui aimeraient apercevoir ce que personne n’a
jamais vu, Anna Dubosc l’expérimente en se servant de son aptitude à
quitter momentanément le monde urbain et agité dans lequel elle vit pour
s’inventer des escapades dans un passé plus ou moins récent. C’est en
ces moments privilégiés qu’elle se remémore quelques séquences vécues en
compagnie de sa mère. Elle lui rend ainsi hommage, de la plus belle des
manières, en la faisant se mouvoir dans une réalité qui n’est plus la
sienne, au contact de ses amis, de sa famille, bougeant dans ses lieux
de prédilection ou de passage.</p>
<p style="text-align: justify;">« Parfois, j’en peux plus, j’ai envie de tout arrêter, d’écrire autre
chose, une fiction. Puis je me ressaisis ; c’est ma douleur, elle
m’appartient. C’est même la chose dont je suis la plus sûre, la seule
qui ne se dérobe pas sous mes pieds. »</p>
<p style="text-align: justify;">L’acte(pris hors concours 2016) est réédité en poche chez le même éditeur. d’écrire, de poser des mots justes sur ce qui la fait être
intensément vivante, à l’écoute des autres, est questionné tout au long
du roman. Anna Dubosc y répond de façon imparable, avec son « parler
vrai », l’incroyable dynamisme de son écriture et son envie
irrépressible d’être toujours, y compris quand elle revoit des scènes
antérieures, du côté de la vie. Elle mord dedans. Et c’est tonique et
bouleversant.</p><p style="text-align: justify;">Anna Dubosc : <i>Plus vivant que la vie</i>, <a href="https://www.quidamediteur.com/catalogue/made-in-europe/plus-vivant-que-la-vie">Quidam éditeur.</a> </p><p style="text-align: justify;"><i><a href="https://www.quidamediteur.com/catalogue/poche/koumiko">Koumico</a></i>, (prix hors concours 2016) est réédité en poche chez le même éditeur.</p>jacques jossehttp://www.blogger.com/profile/06316713153884406478noreply@blogger.com0