mardi 16 février 2021

L’œuvre de chair

Bonne nouvelle : L’œuvre de chair, livre que Lionel Bourg a consacré à la peinture et à la vie de Paul Rebeyrolle, qui était épuisé depuis longtemps, est réédité par les éditions Fario. Ci-dessous, la note de lecture que j'avais consacrée en 2006 à la première édition.

Paul Rebeyrolle a souvent parlé de son premier contact avec ce qu’il nommait « un vrai tableau ». Cela se fit un peu par hasard, en 1944, boulevard Raspail, quand il fut attiré, passant devant la devanture d’un marchand de tableaux, par un Rouault exposé en vitrine... D’autres rencontres, lui permettant de voir « la grande peinture lui arriver en plein dessus, d’un coup », vont dès lors se succéder, en accéléré. Il y aura, outre Soutine et sa force brute, la découverte, dans le désordre, de chocs nommés Rubens, Delacroix, Courbet, Rembrandt...

De ces secousses, Rebeyrolle aime en ramasser les éclats. Il les loge dans son corps. Les frotte à sa propre histoire, à son présent, à ses paysages familiers - tout particulièrement à ceux d’Eymoutiers (en haute-Vienne) où il est né en 1926 - qui ne cessent de le nourrir. C’est ce cheminement - ouvrant sur la secrète alchimie qui en sort, faite d’énergie, de révolte, de hargne et de violence - que Lionel Bourg interroge et restitue avec fougue dans L’œuvre de chair.

« On ne se délecte pas de la peinture de Paul Rebeyrolle. Récusant toute posture, tout voyeurisme, toute contemplation sereine ou détachée des tableaux dont elle s’affranchit afin de plus énergiquement les investir, son impétuosité ruine les prétentions du spectateur. C’est que la regarder ne suffit pas. Qu’elle exige davantage. Plonge quiconque s’y confronte au sein de ses turbulences. »

Il suit cet homme, dont l’œuvre « s’insurge, s’enivre et jouit, s’arc-boute, dénonce », avec entrain et connivence. Ses phrases pivotantes s’intègrent aisément à « cet univers d’étreintes et de clameurs, de cris, d’œdèmes ou de tripailles jetées sur la toile » par le peintre pendant plus de cinquante ans.

Lionel Bourg s’affirme, par bien des côtés, proche de celui qu’il salue ici. Il y a dans sa façon d’écrire, dans son appétit de vivre, dans sa soif d’en découdre (et de se colleter le présent sans que le moindre compromis ne soit de mise) des affinités qui ne trompent pas... Il faut du souffle et de la puissance (il en a) pour suivre le peintre de série en série, de Guérilleros en Prisonniers en passant par Faillite de la science bourgeoise, pour le décrire au travail, en sueur près de ses Sangliers, de ses Nus, de ses Paysages, aux prises avec cette vitalité sauvage et primitive qui l’aura portée toute sa vie.

Rebeyrolle est mort dans son atelier en février 2005. Ce livre est bien plus qu’un hommage. C’est une incitation à aller à la rencontre de l’un des artistes majeurs, l’un des plus solitaires, de la seconde moitié du vingtième siècle.

Depuis 1995, un espace permanent est  consacré à ses œuvres, à Eymoutiers, au bord du ruisseau Planchemouton, là où ses cendres ont été dispersées.

Lionel Bourg : Paul Rebeyrolle, L'œuvre de chair, éditions Fario.

En fin 2020, Lionel Bourg a publié Victor Hugo, bien sûr. A lire, à découvrir. C'est aux éditions Le Réalgar.


vendredi 12 février 2021

Et puis prendre l'air

L’homme, dès l’origine, est un être du dehors. Il l’est resté mais différemment, aimant sa tanière au point de se faire souvent violence pour en sortir, pour prendre l’air en allant voir ce qui se trame en extérieur, ce qu’il en est du petit théâtre quotidien qui s’y produit sans relâche et dont Étienne Faure est l’un des spectateurs assidus. Il en est aussi parfois acteur. Et chroniqueur pointilleux. Rares sont les scènes qui lui échappent. Flâneur des quatre saisons, il lui arrive même de trouver ce qu’il ne cherche pas. Son imaginaire donne facilement corps à l’invisible. Il n’a pas besoin de coller son oreille sur les pavés pour savoir que ceux-ci gardent en mémoire le claquement des sabots des chevaux qui les faisait vibrer il y a un peu plus d’un siècle et n’éprouve pas plus la nécessité d’interroger le banc – autour duquel s’organise (soit dit en passant) une vraie vie sociale – pour deviner qu’il garde en lui des traces du temps où il était arbre.

« Sous leur peinture les bancs se souviennent qu’ils furent arbres, ressentent dans leurs nœuds les branches de naguère, comme l’estropié la douleur de son bras absent. C’est un peu ça qu’on voit quand la couleur s’écaille : des cercles s’éloignant, crevassés dans la fibre, où parfois les amours au canif se mêlent, des initiales, de la gravure sur bois où tant de fesses s’assoient, mettant les motifs de fleurs et de feuilles imprimés sous presse. »

Ses poèmes en prose, minutieux et malicieux, regorgent de promenades buissonnières. Il arpente les rues et s’arrête pour observer le tableau animé qui se présente à lui. Il le décrit en quelques phrases précises, finement cousues les unes aux autres, laissant apparaître assez de jour pour qu’un esprit volage s’y promène en se sentant en liberté. Quand il n’est pas en ville, c’est qu’il est à l’affût ailleurs, repérant d’autres scènes dans les champs, ou engagé sur des chemins de traverse, ou assis derrière la vitre d’un train, ou debout à la fenêtre d’un hôtel, ou prenant l’air d’un temps révolu en questionnant les murs d’un vieux monastère derrière lesquels prièrent des êtres volontairement confinés.

« Réfectoire, le mot date, on l’emploie comme si c’était le titre d’une histoire, une nouvelle, un roman qui hésiterait entre un austère monastère – celui-ci par exemple, qui sent le salpêtre et la suie –, un internat ou bien la taule carrément. Réfectoire, j’ai dû y manger quelquefois dans ma vie antérieure de moine, y parler sans doute avec moi. Parloir et mâchonnements. »

Parfois, il sort pour entrer. Dans un théâtre, une galerie, pour un cocktail, un vernissage. Il y observe des personnages en représentation qu’il portraiture en pointillés, sans méchanceté, sans mauvais goût. Avant de les abandonner pour retrouver les oiseaux, pour s’adonner à la cueillette des mûres, des noisettes, des noix, loin du brouhaha des villes, loin des motardes qu’il aime également croquer, en un éclair, lors d’un arrêt au feu rouge, juste avant que leur cheval d’acier ne se mette à hennir en se cabrant pour les emporter plus loin.

« Le harnachement des motardes en juin développe un hippisme léger, une occasion de défiler guillerettes en cuir, casque et robe assortis au scooter, fugace monture chromée qui stoppe au feu rouge, une jambe effilée à terre. Nouvelles chasseresses, crinière au vent, les amazones motorisées soudain accélèrent – vert – et filent à toute allure sur le boulevard Diderot puis Voltaire. Hue ! Verve des oiseaux. On dirait la campagne si folâtre au solstice d’été. Herbe et chevaux.

Et puis prendre l’air est un livre vivifiant. Une incitation à la promenade. En douceur, en lisière. En s’arrêtant régulièrement. Pour sentir la vie qui bruisse dans ces décors habités qui se succèdent et s’assemblent, nous invitant à faire retour sur nous-mêmes, sur nos mémoires collectives, sur tout ce qu’elles portent en elles (d’étrange, d’impalpable, d’émotions) et que ravivent la douceur et l’acuité du regard d’Étienne Faure.

 Étienne Faure : Et puis prendre l'air, éditions Gallimard.

vendredi 5 février 2021

Deuxième mille

Depuis de nombreuses années, Patrick Varetz s’est engagé dans un projet poétique de grande ampleur qui lui est dicté par l’impérieux besoin qu’il a d’écrire, de noter, de saisir – à coups de poèmes courts, composés de trois ou quatre tercets – ce qui peut surgir à l’improviste et occuper momentanément sa pensée. Ces poèmes aux vers brefs, répondant à un tempo régulier, faisant parfois songer au blues, reliant les jours les uns aux autres, mis bout à bout n’en forment finalement qu’un.
En 2003, après avoir conçu pendant quatre ans un ensemble qui tient du journal et de l’exploration de soi – mais en s’évertuant à passer par les autres, père, mère, proches, poètes ou écrivains de prédilection – paraissait un Premier mille. Mille poèmes numérotés rejoints aujourd’hui par ce Deuxième mille qui l’aura accompagné pendant sept ans.

« oui tout cela peut paraître
aride ce second mille à la
suite du premier comment

imaginer la fécondité d’un
tel projet disons que nous
traversons une période de

tension les pires craintes
se regroupent le propos se
densifie mais les forces de-

meurent contenues »

Ce qui se dit, se lit dans ce volume tourne autour du matériau autobiographique tout en allant bien au-delà. On y retrouve les thèmes que l’écrivain développe dans ses romans : la présence du père honni, de la mère (décédée) psychologiquement fragile, la colère qui s’empare de lui ou son pendant, la résignation, le ressassement, le sentiment d’imposture qui l’envahit, les multiples esquisses d’un autoportrait en idiot patenté, les voyages vers le soleil, le bleu du ciel et bien sûr la force vitale qu’il faut réactiver et déployer pour tenir le fil de l’écriture. En proie au doute, il ressent une perpétuelle sensation de vide et essaie de la combler (en partie) en donnant corps aux poèmes.

« s’abrutir de mots et
de chaleur avaler re-
cracher les livres tu

entres dans le bleu
entre deux mauvais
rêves l’insomnie se

prolonge tu respires
dans les mots dans
le bleu tu l’épuises l’

après-midi à dormir »

Il n’adopte jamais un ton plaintif mais agit au contraire avec une certaine hargne, désireux d’en découdre avec lui-même, posant le mal-être sur la feuille blanche et appuyant là où ça blesse, là où ça suinte. Il se tutoie, se rudoie et convoque ses compagnons les plus précieux, les mots. Qu’il aiguise, qu’il frotte les uns contre les autres, qu’il assemble avec dextérité. Peu à peu, une rythmique lancinante se met en place. Qui emporte le lecteur, l’aide à sinuer et à se familiariser avec cette étrange construction (véritable work in progress), vivante, monumentale, hautement poétique, ce long mille-pattes qui circule de page en page, conduit par son concepteur.

« comme tout cela est fragile
si l’ambition était un chien
lancé sur tes traces jamais

il ne pourrait te retrouver
tout te traverse y compris
l’affection et rien ne saurait

remplir le vide et le mépris
qui t’habitent oui c’est vrai
que tout cela est fragile »

Patrick Varetz n’est pas seul à bord. Il sait qu’il ne pourrait tenir en solo. Qu’il serait alors en précaire compagnie. L’acte d’écrire passe là encore par les autres. Qui sont triés sur le volet de ses affinités. Et qu’il célèbre en leur consacrant des séries de poèmes. Apparaissent ainsi, au fil de l’écriture, Villon, Mallarmé, Emily Dickinson, Fanny Chiarello, William Cliff, Lawrence Ferlinghetti, Omar Khayyam, Dominique Quélen (ami proche et "poète émérite", bien vivant, dont il célèbre la mort par anticipation en lui dédiant une élégie) et beaucoup d’autres, certains, certaines plutôt, n’écrivant pas mais l’ayant durablement marqué. Tous habitent, à un moment donné, quelques uns de ses mille poèmes. Il les célèbre, les imite, bouge, s’énerve, s’entretient avec eux, s’initie au vin avec l’un, à l’usage de la corde avec l’autre, donnant toujours plus d’ampleur et de résonance à ce livre dense où vibre une voix, à nulle autre pareille, qui s’inscrit pleinement dans le vaste champ de la poésie contemporaine.

 Patrick Varetz : Deuxième mille, éditions P.O.L


mercredi 27 janvier 2021

La vie brûle

Du temps où Jean-Claude Leroy rencontrait Albert Cossery, rue de Seine, à Paris, celui-ci lui conseillait d’aller vivre dans un pays pauvre, ajoutant que Là-bas seulement il peut se passer quelque chose. Partageant depuis longtemps le point de vue de l’écrivain égyptien, il n’a pas eu besoin de se faire prier pour suivre à la lettre ses recommandations. Il y eut une époque où il partait chaque année en Inde. Puis ce fut en Égypte. Avant d’alterner les destinations, économisant assez pour pouvoir voyager hors saison et passer l’hiver dans un pays ou dans l’autre.

« Dans les romans d’Albert Cossery (…) j’ai appris la noblesse d’être sans biens, sans attaches, appris la fraternité vraie, sans pitié, la vigueur salubre de l’humour et l’hostilité résolue à l’empire des ambitions et des honneurs. »

Il est à Alexandrie, logeant au Blue Riviera Hôtel depuis deux mois quand, fin janvier 2011, le Printemps arabe, qui vient de mettre fin au règne de Ben Ali en Tunisie, se propage dans les pays voisins, gagnant rapidement l’Égypte. Là-bas, il se passe en effet quelque chose. Un soulèvement qui s’amplifie en prenant des allures de révolution, les manifestants exigeant le départ du dictateur qui dirige le pays depuis trente ans.

« En fin d’après-midi, la manifestation se balade sur un nouveau parcours. La foule apparaît toujours aussi nombreuse et hardie, tout le monde est là, des jeunes enfants jusqu’aux gens les plus âgés. Une clameur impressionnante prononce : "Horreya ! Horreya ! (Liberté ! Liberté !)" . D’autres préfèrent crier : "Merci à la Tunisie de nous avoir appris quelque chose d’important". Je suis avec Nessim, il me traduit les slogans. Beaucoup sont bien sûr anti-Moubarak, tel que : "Jugez-le ! Jugez-le !" Et le plus courant, repris en cœur : "Chaâb yourid esquat ennidham (Le peuple veut la fin du régime"). »

C’est ce soulèvement d’une ampleur exceptionnelle qu’il s’attache à décrire jour après jour. Il participe aux manifestations. Prend des photos (ce qui lui vaudra quelques ennuis). S’informe en consultant les journaux. Suit, sur la chaîne Al Jezirah, les grands rassemblements qui ont lieu, simultanément, place Tahrir au Caire. Il est souvent accompagné par Nessim, un poète saoudien qui séjourne dans le même hôtel que lui. Il note simplement ce qu’il voit, ce qu’il ressent et se laisse porter par la soif de liberté émanant des impressionnants cortèges qui envahissent les rues d’Alexandrie. Il connaît bien le pays dont (et d’où) il parle. C’est en témoin avisé et attentif qu’il s’exprime. Il le fait en s’adressant, tout au long du livre, à une amie qui vit à Montréal et qui possède également une bonne connaissance de l’histoire, de la culture, de la politique et de la société égyptienne. Les mouvements en cours vont crescendo et aboutiront, le 11 février 2011, à la chute du président.

L’intensité du moment ne l’empêche pas de revenir sur quelques uns de ses précédents séjours en Égypte. Un personnage en particulier resurgit. Il s’appelle Pierre. Celle à qui il s’adresse l’a également connu et côtoyé au Caire. L’homme a disparu des radars. Nul ne sait s’il est encore de ce monde. Jean-Claude Leroy l’invite dans son récit. Sa présence y est d’ailleurs fort remarquée et ses humeurs, ses utopies, ses projets culturels et sa prestance y sont pour beaucoup. Il se souvient notamment du jour où il lui avait parlé de Jan Palach, l’étudiant tchèque qui s’était aspergé d’éther et d’essence avant de s’enflammer, place Venceslas, à Prague, en janvier 1969 et ne peut pas ne pas penser aux nombreuses personnes qui se sont transformées en torches vivantes depuis le début de ce Printemps arabe. La vie brûle. Des hommes brûlent leur vie. Cela a débuté avec Mohamed Bouazizi en Tunisie. Puis d’autres ont suivi. Se sont sacrifiés en Algérie, au Yémen ou ailleurs.

« En Tunisie, un homme qui prend feu, puis d’autres. Une révolte qui devient révolution, un président qui prend la fuite. Un homme qui prend feu en Égypte, puis d’autres qui, par soutien, pareillement s’immolent. Alors, venant de jeunes gens, je crois, des appels surgissent, qui intiment de ne pas tous les imiter mais au contraire de rester vivants, et même... de le devenir. »

Tandis qu’il se trouve à Alexandrie – qu’il quittera bientôt pour rejoindre Le Caire – Jean-Claude Leroy apprend la mort, dans un accident de la route, de l’un de ses amis en Inde. La nouvelle le bouleverse. Et le ramène instantanément dans ce pays où s’était établi celui dont la vie s’est brusquement arrêtée.

« J’ai l’ami en tête, il vit et il occupe ma pauvre tête qui n’est plus nulle part ailleurs qu’en Inde du Sud. »

Cet événement tragique intègre naturellement le récit qui s’écrit au fil des jours. Il en sera de même, quelques semaines plus tard, quand interviendra la catastrophe nucléaire de Fukushima. Ce sera une autre brûlure. Qu’il ressentira au plus profond de lui et qu’il évoquera avec des mots précis. En propulsant à nouveau son texte dans un autre lieu.

Le récit de Jean-Claude Leroy est habilement structuré et bien documenté. Se rapprochant parfois du journal de bord, il foisonne de rencontres étonnantes et attachantes. Il suit la chronologie des événements et permet au lecteur, grâce à son regard avisé, à sa sensibilité en émoi, à son écriture juste, descriptive et narrative, de s’immerger dans cette période particulière qui aura vu, en quelques semaines, des millions de gens en quête de liberté et de démocratie marquer de leur empreinte l’Histoire de leur pays.

 Jean-Claude Leroy : La vie brûle, éditions Lunatique.

mercredi 20 janvier 2021

Attendu que

Layli Long Soldier est une jeune poète et artiste sioux oglala. Elle vit à Santa Fe, au Nouveau-Mexique. Très remarqué, son premier livre, WHEREAS, paru en 2017, a reçu plusieurs prix, notamment le National Book Critics Circle. Cet ensemble, traduit en français par Béatrice Machet, paraît aux éditions Isabelle Sauvage. S’y affiche une écriture concrète, souvent narrative, qui se déploie autour du quotidien et de ses réalités ordinaires.

Le livre comprend deux volets. D’abord les "préoccupations", textes qui disent ce qu’est la vie, au jour le jour, d’une jeune femme qui écoute, observe, travaille, materne, cuisine, se cultive, résiste, pose et pense ses actes, la poésie en étant un, primordial et salvateur. Celle qui s’avoue – par la force des choses et de l’Histoire – « pauvre en langue », en impose une autre. Elle appréhende celle de l’occupant, la façonne, saisit ses poèmes à bras le corps, les fait bouger, ne les laisse jamais en repos et ouvre un vaste champ d’investigation qui court de l’enfance à la terre, de la maternité au paysage, de la lumière à l’herbe ou encore du cosmos à la remémoration.

« Chaque cahot sur la route un labyrinthe de miroirs la maternité l’hôpital
au poste d’admission la femme préposée à l’ordinateur demanda
quel était mon numéro de téléphone fixe de portable où je travaillais quelle était mon adresse
je saigne j’ai besoin d’aide maintenant dis-je puis ses doigts martelant le foutu téléphone
dans la strophe clinique froide je suis allongée sur une table garnie de papier blanc propre
mes jambes rouges humides l’infirmière ne m’a pas regardée et elle me ressemblait je l’observais
comment elle tenait mon bras avec empathie nous deux femmes bouches cousues nous deux sachant »

Politiques, ses poèmes le sont forcément. Mais sans slogan, sans petites phrases médiatiques, sans éléments de langage. Les faits qu’elle énonce se suffisent à eux-mêmes. Elle appartient à un peuple colonisé que l’on a attaqué en lui prenant ses terres, sa langue, en bafouant sa conception d’être au monde, en harmonie avec le haut et le bas, en tuant parfois même ceux qui tentaient de résister en s’organisant pour combattre les colons. Ainsi les 38 du Dakota auxquels elle rend hommage dans un long poème.

« Vous avez peut-être entendu parler de Dakota 38, ou pas.
Si c’est la première fois, vous pourriez vous demander : "qu’est-ce que le Dakota 38 ?"
Le Dakota 38 fait référence à trente-huit hommes qui furent exécutés par pendaison sous les ordres du président Abraham Lincoln.
À ce jour, c’est la plus grande exécution de masse "légale" de l’histoire américaine.
La pendaison eut lieu le 26 décembre 1862 – le lendemain de Noël.
Cette même semaine le président Lincoln avait signé la proclamation d’émancipation.
Dans la phrase qui précède, je mets en italiques "même semaine" pour un effet d’emphase.
Un film intitulé Lincoln a été tourné qui traite de la présidence d’Abraham Lincoln.
La signature de la proclamation d’émancipation figure dans le film Lincoln ; la pendaison des 38 Dakotas n’y figure pas. »

Dans la seconde partie de son livre, Layli Long Soldier revient sur la résolution du Congrès qui, le 19 décembre 2009, disait présenter des excuses aux peuples premiers d’Amérique, sans qu’aucun représentant des nations indiennes n’ait été invité à assister à ses excuses et à les recevoir. Elle y répond en alignant ses propres déclarations, toutes introduites par ATTENDU QUE. Elle détricote ainsi le discours officiel pour lui substituer une réalité brute, palpable, vécue par ceux et celles qui n’attendent ni excuses ni réparation. Dans nombre de langues amérindiennes, il n’y a d’ailleurs pas de mot pour dire excuse.

« Les nations tribales et leurs membres eux-mêmes sont les guérisseurs de cette terre de ses eaux avec ou sans la reconnaissance présidentielle ils agissent selon ce droit. »

Les déclarations et résolutions qu’elle assemble sont éminemment subversives. Elle détourne, point par point, le langage présidentiel, dénonce sa façon de se dédouaner à bon compte en faisant table rase du passé et en prétendant parler au nom de tous sans avoir jamais consulté quiconque. Elle procède avec ironie et fermeté en montrant, à travers quelques scènes, conversations et rencontres, que rien n’est figé mais que beaucoup encore reste à faire.

« Je sors en me souvenant que pendant des millénaires nous nous sommes appelés Lakotas, ce qui signifie ami ou allié. Cette relation à l’autre. Un peu mais pas tout, néanmoins notre part du tout. »

  Layli Long Soldier : Attendu que, traduit de l’anglais (américain) par Béatrice Machet, éditions Isabelle Sauvage .

dimanche 10 janvier 2021

Les Singes rouges

Si Philippe Annocque a l’habitude de dire que ses textes interrogent d’abord l’identité – ce que ses précédents romans confirment – cela est également vrai pour ce récit, avec pourtant une différence de taille. Cette fois, ce ne sont pas des personnages fictifs qu’il suit mais des êtres qu’il connaît bien. Et tout particulièrement sa mère. En son enfance Outremer. C’est autour d’elle qu’il construit cette chronique qui débute au bord d’un fleuve, en Guyane, là où l’on percevait les bruits et bruissements venus de la jungle voisine.

« Sur l’autre rive du fleuve on entendait les singes rouges.

Il pourrait mettre des guillemets à cette phrase car elle n’est pas de lui.
Il ne se rappelle plus quand elle l’a prononcée. Il se dit qu’il a dû l’entendre plusieurs fois. Elle s’est détachée de tout contexte, elle est devenue un objet qui tient tout seul par sa propre force de gravité. Et dont la trajectoire à présent traverse sa page d’écriture. »

C’est à coups de tableaux simples et saisissants qu’il se propose de retracer le parcours de sa mère, d’abord en Guyane, où elle est née à la fin des années vingt, puis en Martinique où la famille s’installa sept ans plus tard. Pour ce faire, il lui faut se remémorer ce qu’il a entendu, remettre des confidences, des anecdotes et des conversations passées en perspective, visiter un arbre généalogique aux branches peuplées d’oncles, de tantes, de cousins et cousines plus ou moins proches, collecter des informations et interroger la principale protagoniste. Prendre le pouls de ces îles lointaines où sont quelques unes de ses racines et regarder grandir, comme s’il y était, celle qui, bien des années plus tard, allait lui donner vie n’est pas une mince affaire.

« La Martinique tout de suite ça a été une autre planète.
Quand ils sont arrivés au port, à la Transat, toute la famille les attendait ; et elle, elle ne connaissait personne. Sa tante, la sœur de sa mère, elle l’a prise pour sa marraine – sa marraine qui lui avait envoyé la poupée en porcelaine. Ce n’est que dans la soirée qu’elle a compris qu’elle se trompait, quand sa vraie marraine est arrivée. »

Celle qu’il suit dans ses dépaysements est une petite fille vive, éprise de liberté. Qui apprend, avec rudesse parfois, ce que lui réserve le monde des adultes. À Cayenne, on lui a fait comprendre qu’elle était trop colorée pour les bonnes sœurs blanches et en Martinique elle s’aperçoit qu’elle ne l’est pas assez quand elle rejoint l’école publique. On lui attribue, de plus, un nouveau prénom parce que l’une de ses tantes n’aime pas celui (Olga) que ses parents lui ont donné. Elle prend peu à peu conscience qu’il lui faudra, d’ici quelques années, pour vivre pleinement, s’extraire de cet univers aux dehors harmonieux.

« Un jour elle a repris le bateau. Elle a laissé la Martinique derrière elle. Et la Guyane, encore plus loin, tout au fond de ses souvenirs – où elle est restée. »

Le récit de Philippe Annocque est lumineux. On sent le plaisir qu’il prend à reconstituer ce jeu de pistes, à poser, pièce après pièce, les jalons d’un parcours fondateur. L’homme qui semble feuilleter en dilettante l’album familial est en réalité extrêmement rigoureux. C’est un archiviste subtil. Qui décrit avec méthode l’enfance et l’adolescence de sa mère en assemblant de courts fragments. Il tient les manettes tout en se maintenant en retrait. On le voit hésiter, retravailler son texte, se demander ce qu’il garde, ce qu’il rejette, ce qui, trop intime, ne doit pas être dévoilé. C’est un très bel hommage qu’il offre à sa mère. En se cantonnant volontairement à la jeunesse d’une vieille dame dont il vient d’apprendre, par téléphone, « au milieu de la nuit », qu’elle est tombée. Un livre entier, plein de tendresse et de chaleur humaine dans lequel il interroge également sa propre identité, lui qui se dit, quand on lui parle de ses origines, « picardo-artésien d’un côté, guyano-martiniquais de l’autre ».

Philippe Annocque : Les Singes rouges, Quidam éditeur.

 

 

samedi 2 janvier 2021

Café

Parution du n° 2 de la revue Café

La revue Café (Collecte Aléatoire de Fragments Étrangers) est dédiée à la traduction. Les textes qui y sont rassemblés proviennent de langues souvent minoritaires, malmenées, trop peu visibles. Le numéro 2, qui vient de paraître, donne à lire poèmes, nouvelles et fragments regroupés sous le thème du silence. Qu’il convient de respecter, de garder, d’atteindre ou de briser. Y cohabitent quatorze voix dont celle du poète tibétain Chen Métak, du breton Koulizh Kedez, de l’israélienne Adi Keissar, du nouvelliste polonais Mateusz Rosiki, du très percutant grec Dimosthenis Papamarkos ou encore de l’iranien Ahmad Châmlou. Beaucoup sont de jeunes auteurs, rarement traduits en français. D’autres, disparus, ont marqué leur passage en élaborant des œuvres publiées en marge des circuits officiels. Tous, et c’est l ’un des points forts de la publication, sont minutieusement présentés par les traductrices (qui sont ici en grand nombre) et les traducteurs. L’ensemble est propice aux découvertes.
Ainsi le poète géorgien Terenti Graneli (1897-1934), traduit par Eteri Gavashelli :

« Ce sera l’hiver...

Je mourrai la nuit, à l’aube, quand il y aura dehors la froide lune
de l’hiver et le gel. Avant de mourir, je me souviendrai des nuits
de Tbilissi et de ma sœur la plus douce : ces deux feux réunis qui
me consumaient sans cesse.

Ainsi s’achèvera la lumière, disparaîtra chaque seconde des souvenirs.

Je serais remis aux mains silencieuses de la mort. 

Mon corps martyrisé rejoindra les éléments de l’univers.

Et je sentirai le repos suprême.

Mon cercueil sera sobre
et la procession sans larmes.

On m’enterrera à quatorze heures près de Tbilissi. »

Le silence, subtilement mis en mots dans ce deuxième numéro (« torréfié à 550 exemplaires »), résonne sur 130 pages. S’il est bon de le partager, il faut aussi savoir le rompre. Pour en parler. Et inciter à le lire.

 Café n° 2. Le site de la revue est ici.

mercredi 23 décembre 2020

Le bruit de la liberté

Parvenue à un point de rupture, et décidée à changer le cours de sa vie, la narratrice, grande lectrice mais aussi romancière, décide de tout quitter : emploi, maison et compagnon. Elle part à l’aventure. Se lance dans un périple particulier. Au volant d’une 4L datant de 1975, elle roule en compagnie de son chien, fidèle copilote, et se laisse guider par la vie et l’œuvre de Pascal Quignard. L’écrivain, qu’elle admire, lui servira de boussole. Elle préfère, plutôt que de lui consacrer une biographie, se lancer sur ses traces et se rendre là où quelques indices de sa présence peuvent encore être perceptibles, ne serait-ce que dans certains des lieux où il a situé l’un ou l’autre de ses romans ou dans des villes où il a séjourné ou vécu.

« En mars 1997, l’écrivain séjournait à Saint-Malo. Une chambre dans la tour ancienne d’un hôtel étrange. Était-ce en ce début de printemps qu’il posa les premières pierres des Solidarités mystérieuses  ? Organisant mentalement un décor, puis des noms, des personnages, une trame narrative. »

C’est à proximité de la ville close qu’elle pose ses bagages. Elle s’arrête à Saint-Énogat. Flâne dans les ruelles qui mènent à la mer, cherche des paysages qui pourraient lui rappeler ceux qu’elle a imaginé en lecture. S’y retrouve parfois. Se perd aussi. Et doit convenir que l’écrivain aime détourner quelques éléments du décor et y greffer, quand ça lui prend, d’autres qu’il a glanés ailleurs.

« Pascal Quignard, j’en suis certaine, connaît ces passages resserrés entre les hautes maisons, ces escaliers secrets. La vérité, peu importe. L’essentiel de la géographie est là, mis en mots. Dans une anfractuosité de roche, il a glissé et bâti son histoire. Le pouvoir de sa langue m’a tractée jusqu’ici. »

Elle poursuit sa route. Se réserve de nombreuses haltes. Au cours desquelles elle se remémore scènes et paysages qu’elle tente de faire revivre en arpentant, bien des années plus tard, ces sites marqués du sceau Quignard. Elle passe ainsi plusieurs jours au Havre. Elle tente de deviner ce qu’était la ville après guerre. Et espère y croiser l’ombre d’un garçonnet qui découvrait, éberlué, maisons et immeubles éventrés.

« Il était resté moins de maisons debout au Havre qu’à Guernica. L’écriture des Petits traités et des volumes du Dernier royaume portait haut ce champ de décombres, cet amas de mémoire en morceaux. »

Ce voyage passionnant ne l’est pas uniquement parce qu’il offre de précieux points d’appui, et autant de références, pour pénétrer dans l’univers d’un écrivain qui a, lui aussi, en son temps, rompu nombre de chaînes. Il l’est également par l’incessante quête, l’abnégation même, d’une narratrice qui entend, en reconstituant un puzzle sans fin, acquérir assez de force pour vivre enfin tel qu’elle le souhaite. Son parcours est évidemment semé d’embûches. On ne s’en sort jamais seul et on ne se déleste pas si facilement de son passé. Celui-ci réapparaît régulièrement, provoquant un ressentiment (vis à vis de l’homme qu’elle a quitté) qui, comparé aux épreuves qu’elle va devoir surmonter, finira par s’atténuer.

« Du seuil je ne voyais qu’arbres et champs. Je pouvais me considérer comme rassasiée, la contemplation de l’espace m’aurait suffi, un secours pour les jours sans écriture ou sans amour. Pascal Quignard écrivait que dans toute passion existe un état de rassasiement qui est effroyable. À partir de ce point, deux voies : celle de l’amour ou celle de la chute.

Nul doute, j’avais pris la seconde. »

Le bruit de la liberté est constitué de courts chapitres aux titres brefs et suggestifs. Ce sont les étapes d’un cheminement qui n’a rien de linéaire et que Frédérique Germanaud balise à sa façon. En une écriture qui allie finesse et limpidité, elle décrit des paysages surprenants, réconfortants ou inquiétants, brosse des portraits, s’arrête sur les rencontres, fait des retours en arrière, se garde d’un excès d’introspection, sonde simplement les émotions, les doutes, les incertitudes de la narratrice, papillonne de livre en livre et fouille minutieusement dans la biographie d’un écrivain qui devient à son tour (juste retour des choses) personnage de roman.

Frédérique Germanaud : Le bruit de la liberté, éditions La clé à mollette


mercredi 16 décembre 2020

Les sept mercenaires

De temps à autre, Thomas Vinau saute les frontières. Il s’en va avec pour seuls passeports les textes de quelques écrivains qui l’appellent. Cette fois, ils sont sept, nombre magique, qui l’emportent outre-Atlantique. Ce sont des errants, des irréductibles, d’imprévisibles solitaires qui ne sont plus mais qui, tout au long de leur existence, ont bravé nombre d’intempéries et de coups du sort pour bâtir une œuvre digne de ce nom. Il se doit de leur rendre hommage. Il ne part pas seul. Régis Gonzalez l’accompagne, qui crayonne traits, visages et vastes paysages en suivant le fil des mots. Les mercenaires se nomment, par ordre d’apparition : J.D. Salinger, Richard Brautigan, Charles Bukowski, Henri Miller, John Fante, Jim Harrison et Raymond Carver. Autant dire du beau monde. Des francs-tireurs qui forcent le respect et qui ont tracé leur route sans rien demander à personne.

« Y’a toujours quelqu’un quelque part
qui a des airs de J.D. Salinger
du genre à disparaître de la
circulation
après deux ou trois chefs-d’œuvre
et qu’on retrouve 20 ans plus tard
en train de finir une bouteille
dans un parc anonyme »

Des légendes se tissent qui trouvent leurs origines dans les vies agitées et plutôt bien remplies de ces écrivains. Thomas Vinau s’en empare tout en s’en méfiant. Il s’attache d’abord aux textes. Il y repère pratiquement tout ce qu’il cherche. Ce sont eux qui l’aident à esquisser des portraits de biais en remettant en situation les sept bonhommes qu’il apprécie tant. Il honore leur mémoire. Il ne n’égare pas sur des routes trop sinueuses. Il s’autorise quelques balades avec eux. Qu’ils soient en vie, sur le départ ou déjà partis. Il s’arrête à Big Sur. S’étire près d’une rivière à truites dans le Montana. Se gare près d’un resto d’où émane une odeur de sanglier farci qui lui signale que Jim Harrison est sans doute déjà en train de consulter la carte. Ses poèmes sont simples et pertinents. Tous recèlent leur lot de subtilités glanées au hasard des livres. C’est là que se niche la vraie personnalité de chacun des protagonistes d’un ensemble qui incite au voyage et à la lecture.

« Il cueillait les touffes de laine
que les moutons abandonnent
sur les barbelés des clôtures

Le reste du temps
il restait là
les pieds dans l’eau
assis sur un canapé déglingué
près de la mare »

Ce livre est, de plus, superbement édité. Tout est pensé : format, caractères, impression, papier, mise en page des textes et des dessins et couverture cartonnée font des Sept Mercenaires un très bel objet.

 Thomas Vinau : Les sept mercenaires, dessins de Régis Gonzalez, éditions Le Réalgar.


 

mardi 8 décembre 2020

L'obstination du perce-neige

Françoise Ascal tient son journal depuis de nombreuses années. Ne souhaitant pas le publier dans son intégralité, elle choisit d’en extraire régulièrement des notes, qui couvrent une période donnée et qu’elle rassemble ensuite en un volume. Ainsi, après Cendres vives (1980-1988), Le carré du ciel (1988-1996), La table de veille (1996-2001) et Un bleu d’octobre (2001-2012) (tous ces titres parus aux éditions Apogée), voici L’obstination du perce-neige, notes prises entre 2012 et 2017. On y retrouve ce qui fait la force et la singularité de ces carnets de bord, à commencer par une attention constante à tout ce qui l’entoure et la nourrit.

 « L’attention a toujours été au cœur de mes projets, l’attention est ma "religion" et je constate tant de zones inattentives, tant d’ombre par ma faute, trop de distraction de l’œil, trop de paresse de conscience. »

Elle aspire à être, autant que possible, en capacité de recevoir ce qui s’offre à elle. Il peut s’agir du dégradé d’un ciel de traîne, de la douceur d’un regard, du frémissement de la prairie qu’elle apprécie tant, d’une réflexion née d’une lecture ou d’un souvenir réapparaissant soudainement. Ces moments fragiles, qui intègrent son quotidien et qui peuvent également venir d’une actualité dramatique ou de la disparition d’un être proche, elle les découpe, les note, les cisèle. Cela se passe là où elle vit, en Seine-et-Marne ou à Melisey, en Haute-Saône, où elle fait de fréquents séjours dans la maison où sont ses racines familiales.

« En ce lieu propice, même sans rien faire, il y a de l’intensité. De la contemplation active. J’écris dans l’ancienne chambre d’Abel, fenêtre fermée malgré le beau temps car passe et repasse l’engin agricole qui fait les andains. Troublant de penser à Adèle, à mon père, qui longtemps firent le même travail, râteau de bois en mains. Ici j’ai l’âme virgilienne. Je suis installée dans un temps d’antiquité. »

Ce lieu reste son havre de paix. C’est là qu’elle s’isole (avec les siens) pour se retrouver, pour faire à la fois le vide et le plein, pour tenter d’apprécier le présent en évitant de se laisser envahir par un avenir qu’elle sait terriblement incertain.

« 2 décembre 2012
Ma rémission aura duré un an et demi. L’année s’achève avec une batterie d’examens. »

La maladie, qui affecte ses reins et qui la contraint à recourir à des séances de dialyse, à l’hôpital ou à domicile, crée en elle un bouleversement qu’elle exprime avec franchise et pudeur. Elle encaisse le coup. Ne se décourage pas. Essaie de tenir. Résiste, accepte la maladie, met en route un lent et long processus intérieur qui passe, inévitablement, par des périodes de doute, de lassitude et de crainte mais aussi par des moments plus apaisés, des sursauts salvateurs où elle sent poindre, au fil des mois, une énergie latente, une forte abnégation et le besoin impérieux de faire, d’écrire, de bouger, de rencontrer, de se lancer dans de nouveaux projets.

« 24 mai 2014
Centrée sur ce que j’ai et non sur ce que je n’ai plus. Traversée par la pensée : "dialyse / tuyau / artifice". Ne pas s’attarder.

Chantier de décapage dans la maison. Cela me soulage et participe de la métamorphose. Vieux planchers pourrissants, pierres noircies de cheminée, poussières incrustées, je veux venir à bout des signes d’abandon et de misère. Travail de renaissance. »

C’est ce travail sur soi, réalisé en s’appuyant sur les autres, en plongeant dans les livres (poésie, philosophie, essais et journaux) où il y a tant à apprendre, en s’immergeant dans l’univers de quelques peintres, en particulier Corot et Constable, en écoutant ses interprétations préférées de Schubert, Bach, Beethoven ou Mendelssohn, en restant sensible aux bienfaits du paysage, en entretenant un dialogue fécond avec ses amis et en poursuivant lectures et rencontres publiques, c’est ce subtil et sinueux cheminement qu’elle nous invite à partager. L’obstination du perce-neige se place, en douceur, avec élégance, du côté de la vie. Depuis toujours, que ce soit dans ses poèmes, ses récits, ses carnets, Françoise Ascal a les mots chevillés au corps. C’est une question de respiration, d’équilibre. Elle leur fait confiance. Travaille, avance en leur compagnie. En gardant intacte en elle – et ce malgré les vents contraires – cette flamme créative qui l’habite et qui éclaire son parcours.

« 9 décembre 2017
Paysage de neige. Ciel dégagé, lumière tonique. Je poursuis la lecture passionnante de Billeter sur Tchouang-Tseu. La proximité qui se révèle avec Montaigne me réjouit. »

 Françoise Ascal : L’obstination du perce-neige, carnets 2012-2017, encres de Jérôme Vinçon, éditions Al Manar.

 

mardi 1 décembre 2020

Nous avons la mer, le vin et les couleurs

La correspondance de Nikos Kavvadias n’avait jamais encore été traduite en français. C’est désormais chose faite. Cette somme épatante – 131 lettres couvrant quatre décennies – révèle la personnalité attachante de celui qui se cache derrière le poète et l’écrivain. Cet homme, qui a longuement sillonné les mers à bord de cargos et de paquebots, ne mettant définitivement pied à terre que trois mois avant sa mort soudaine (en février 1975) a constamment maintenu un contact étroit avec ses proches. Le besoin de partir était toujours le plus fort mais une part de son être restait à terre. Ses lettres en témoignent. Il les adresse à sa sœur Tzénia, à sa nièce Elga mais également à ses amis écrivains (M. Karagatsis, Stratis Tsirkas, Georges Séféris, Marlen Pitta, Thrasos Kastanakis) . Il leur donne de ses nouvelles en leur demandant de lui écrire en retour. Il note ce qu’il fait, ce qu’il remarque, ce qui l’attire lors de ses escales.

« À Tzénia

Cardiff
1er septembre 1935

Dimanche. Pluie et brouillard. Hier je me suis promené toute la journée à Cardiff. Dans les grandes rues, les parcs magnifiques, les immenses magasins de Queen Str., et dans les quartiers maltais où les Maltaises, les Portugaises et les femmes de San Vincenzo offrent une bouffée d’amour pour half a crown. Là, à l’extérieur des Cocos Shops crasseux, déambulent des noirs du Maroc, d’Aden et du Sénégal, avec leurs chapeaux melons et leurs chemises à col cassé. Dans une boutique maltaise, je t’ai trouvé une boîte en métal avec des serpents incrustés. »

Après avoir débuté comme matelot en 1928 (il avait alors dix-huit ans), il deviendra, après l’obtention de son diplôme en 1939, radiotélégraphiste. Il officie à bord du Corinthia, du Cyrenia, du Lydia, du Media, du Romelia... Dès qu’il se pose dans un port, il s’adonne à la rédaction de ses missives. Il a auparavant arpenté les lieux, s’est mêlé aux gens qui vivent à proximité des quais (dans les bars, dans les bordels, dans les échoppes). Il en fait part a ses correspondants tout en revenant sur ce que fut la traversée, sur les tempêtes, les cyclones, les chaleurs torrides ou les froids polaires. Il a ses habitudes dans plusieurs cités portuaires. Il en saisit l’ambiance en quelques lignes. On le suit ainsi à Melbourne, Colombo, Aden, Marseille, Gênes, Venise, Singapour, Beyrouth, Lübeck, Brest, Bergen ou Bombay.

« À M. Karagatsis

Colombo
21 novembre 1949

Mon frère !
Ta lettre arrive à point ! Je viens tout juste de dévaler l’échelle de coupée. Et je suis remonté à bord pour t’écrire. Nous sommes arrivés ce soir et repartons à l’aube. Traversée un peu difficile d’Aden à Colombo. Des quarts pénibles. De la chaleur. Un jour, je parlerai de cette traversée. »

Il fait ici référence à son grand projet. Qui est de consacrer un livre à sa vie de marin en le centrant sur l’histoire d’une traversée particulièrement éprouvante. Avec ses hauts, ses bas. Ses personnages tourmentés. Leurs anecdotes racontées lors des veilles nocturnes. Les aléas météorologiques. Les escales mouvementées. Les maladies vénériennes contractées dans les ports. Les hommes en proie à leurs démons. La solitude et les diverses façons de la combattre ou de la contourner. Ce sera Le Quart, son unique roman. Il le commencera à Melbourne, le 15 août 1951 (il travaille alors sur le Cyrena) et le terminera en mer tyrrhénienne, le 21 décembre 1952, dans sa cabine, à bord du Corinthia. Quand il est publié en 1954, il semble mitigé quant à sa réelle portée. Il faudra plusieurs notes de lecture dans les journaux et les avis enthousiastes de ses pairs pour qu’il l’accepte totalement.

« À Stratis Tsirkas

Melbourne
23 mai 1954

« Le livre... Je ne l’ai même pas avec moi. Je m’en moque. Il m’est venu comme une envie de vomir, et je l’ai écrit. Comment faire autrement ? Maintenant, ce sont les autres qui vomissent en sa compagnie. Je n’ai qu’une envie, c’est de me retrouver le plus vite possible avec Antigoni et toi autour d’une table. »

Kavvadias revient fréquemment sur son lien à l’écriture. Il lui arrive de joindre quelques poèmes à ses envois. On le sent, tout au long de ces années, généralement de bonne humeur, extrêmement curieux, heureux de courir les musées, d’acheter des cadeaux à offrir, s’arrêtant sur ses nombreuses lectures, goûtant intensément le moment présent. Il ne manque jamais de s’enquérir de la santé des siens. Il préfère parler d’eux que de lui-même. Ses amitiés le nourrissent. Il en va de même des ports qu’il explore, des mers qu’il sillonne, des gens qu’il côtoie en mer ou qu’il rencontre à terre, des infos qu’il capte ou diffuse depuis son local radio. Celles-ci le relient aux différents points de l’imparable carte marine qu’il déplie au fil du temps, y punaisant missives et cartes postales qu’il signe de ses différents pseudonymes ou surnoms : Marabout, Kolias ou Mavris...

Nous avons la mer, le vin et les couleurs est un livre précieux. Il fourmille de détails, de précisions, de pistes pour cerner au mieux l’incessant travail de l’écrivain. Il ouvre également une porte secrète. Derrière laquelle se trouve l’homme Kavvadias. Un mètre cinquante-trois. Une énergie peu commune. Un poète d’envergure. Auteur d’une œuvre incomparable au sein de laquelle ces lettres prennent évidemment toute leur place.

« À présent, je ne reverrai plus la minuscule station radio de Surat, ni le phare de Ras al Hadd déchirer la nuit. Je n’entendrai plus de voix éraillées par l’alcool, stard board. Je n’aiderai plus jamais les pilotes ivres morts à descendre l’échelle de coupée. »

 Nikos Kavvadias : Nous avons la mer, le vin et les couleurs, correspondance 1934-1974. Avec dix lettres de M. Karagatsis. Traduit du grec par Françoise Bienfait et Gilles Ortlieb, éditions Signes et balises.

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dimanche 22 novembre 2020

L'arrachée belle

D’elle, on sait ceci : vit dans une ville côtière. Partage un appartement avec un homme qu’elle n’aime plus. Supporte de moins en moins cette vie réductrice et décide un beau jour, sans crier gare, de tout quitter, de rompre, de s’arracher, de se faire la belle pour se réapproprier ce corps qui s’ankylose, ce cerveau qui tourne à vide et ce présent qui n’en est plus un. C’est l’âpre cheminement, physique et intérieur, de cette femme qui part se réoxygéner ailleurs et autrement, que Lou Darsan raconte dans son premier roman.

« Si elle l’a quitté, vraiment, si la route et les visages croisés sont vécus, si leur empreinte modifie son corps et son esprit autant qu’elle le pressent, cela signifierait que son absence n’a fait que se matérialiser après avoir longtemps envahi leur vie de couple de sa présence désincarnée. »

Cette jeune femme que l’on suit à la trace possède en réalité une force insoupçonnée. Elle n’a aucun mal à se frotter aux éléments, à contourner les obstacles, à vivre à l’air libre, à se mouvoir dans un monde végétal, minéral et animal qui attise ses émotions et réveille ses sens. Elle fait aisément (ou, parfois, plus durement) corps avec ces paysages inconnus qu’elle traverse. Elle y adapte ses mouvements et poursuit sa route en se dépouillant toujours un peu plus. Bientôt, elle abandonne sa voiture sur une aire de péage et décide de continuer son périple en prenant place dans d’autres véhicules. Elle y rencontre des familles en transit, des chauffeurs qui ont besoin de parler, quelques silencieux en partance pour nulle part.

« C’est ça qui revient, chaque fois qu’ils lui parlent. Leur travail qui n’a plus de sens, le mur qu’on va se prendre. Faudrait savoir sauter, ou partir. Quand ce n’est pas le travail, c’est leur passé qui s’accroche, les misères, les galères, les violences subies. L’intervalle pendant lequel ils se confient, où ils rêvent, alignent les si. ».

La route défile, et avec elle une série de décors, de reliefs, de paysages qui changent au fur et à mesure qu’elle avance. Le lieu où elle décidera de s’arrêter importe peu. Ce sera probablement au bord de l’eau, élément qu’elle apprécie beaucoup. Mais ce qui compte, c’est le chemin parcouru. C’est celui-ci, avec ses méandres et ses imprévus, avec la liberté qu’il procure, qui la fera renaître, reprendre confiance, redécouvrir sa tonicité. En accord avec son corps, ses pulsions, ses désirs.

Ce parcours initiatique est porté par une langue étonnante. Vivante, nerveuse, inventive. Une langue juste, qui sait tordre la syntaxe et alterner les rythmes pour rester au plus près des sensations éprouvées par celle qui s’éloigne d’un passé rabougri pour se reconstituer. Il y a, dans L’arrachée belle, outre un vocabulaire précis qui permet de bien nommer les choses, une sorte de vibration continue qui ne s’interrompt jamais, une respiration ample et maîtrisée. La poésie n’est jamais loin. Elle pousse régulièrement la porte du roman et y entre subrepticement.

Lou Darsan : L’arrachée belle, éditions La Contre-Allée.

 

 

vendredi 13 novembre 2020

Hemlock

À travers les destins épiques et tragiques de trois meurtrières parvenues, avec méthode et expertise, au sommet de leur art, Gabrielle Wittkop nous embarque dans un incomparable et flamboyant roman qui se déploie tel un triptyque hors-normes au sein duquel les personnages, issus de diverses époques, reprennent vie dans des décors qui leur furent jadis familiers. Il y a là Béatrice Cenci, italienne de la post-renaissance, la marquise de Brinvilliers, française du dix-septième siècle, et Mrs Fulham, anglaise qui s’exila en Inde au début de l’époque edwardienne. Elles s’activent à tour de rôle, de l’enfance à l’âge adulte, sous le regard acéré de Hemlock. Celle-ci, en villégiature à Rome, à Paris ou en Inde, autrement dit sur les lieux mêmes où vécurent les femmes dont il est ici question, dévoile, entre chaque chapitre, quelques éléments de son existence. Elle, dont le nom en anglais signifie ciguë, vit en compagnie de H., son mari, qu’elle aime éperdument mais qui souffre d’une maladie incurable.

« Quelquefois, H dit vouloir mourir mais si du moins son esprit le veut, son corps semble le refuser encore.
Eh bien, est tentée de répondre Hemlock, hé bien, tu sais où se trouve la chose, n’est-ce pas ? Il y a dans l’armoire de la salle de bains un bocal de verre roux bien fermé, petite colonne luisante évoquant quelque gadget de cuisine ou l’un de ces jouets pour adultes qui sont objets de pure gratuité. »

Le présent perturbé d’Hemlock n’est pas sans rappeler, comme l’explique Karine Cnudde dans sa lumineuse préface (Gabrielle en ses labyrinthes) celui que vivait Gabrielle Wittkop quand elle écrivait son roman, à la fin des années 1960. Elle partageait à l’époque la vie de l’historien et essayiste allemand Justus Franz Wittkop, qui avait vingt-et-un ans de plus qu’elle et qui souffrait de la maladie de Parkinson à un stade avancé. Elle l’avait rencontré pendant la guerre, alors qu’il était déserteur, et l’avait caché dans une chambre de bonne à Paris avant de l’épouser en 1946.

Si l’idée du poison fait plus qu’effleurer l’esprit d’Hemlock, elle l’effraie plus encore. L’histoire regorge, sur le sujet, de faits divers qui ont défrayé la chronique et les trois femmes qui occupent sa pensée en sont de probantes figures tutélaires. Toutes souhaitent se libérer d’un joug particulier. Béatrice Cenci va tuer son père parce qu’elle n’en peut plus de subir ses coups, ses fureurs, ses viols, sa folie destructrice. Marie-Madeleine de Brinvilliers va anéantir son père, ainsi que toute sa famille, parce que la dangereuse passionnée qu’elle est peu à peu devenue entend faire le vide autour d’elle en prenant plaisir à glisser subrepticement quelques gouttelettes de mixtures magiques et raffinées, que lui procurait son amant Saint-Croix, dans l’alcool ou les mets de ses futures victimes.

« Elle savait aussi que produisant plus de poison qu’il n’en pouvait utiliser, Saint-Croix vendait quelquefois à des personnes sûres un peu d’une poudre de succession dont il s’appliquait sans cesse à perfectionner la subtilité et l’absence de trace. »

Quant à Augusta Fulham, plus terne, plus effacée, c’est avec l’aide d’un médecin dont elle s’était éprise, qu’elle décida de mettre fin aux jours d’un mari devenu trop encombrant. Ils utilisèrent un produit qui possédait des qualités tout aussi radicales que la fameuse « poudre de succession » concoctée par Sainte-Croix.

« Cette passion qui excitait les secrètes envies n’était pourtant comparables ni à la flamboyante révolte de Béatrice Cenci ni au rut de tigresse animant la Brinvilliers. Augusta avait glissé dans une situation qu’inconsciemment elle avait préparée de longue main ; asphyxiée par sa propre enveloppe, par ce qu’il y avait en elle de fermé, de plié, se débattant aveuglément dans l’étroitesse de sa chrysalide, elle avait essayé de se faire les ailes mais, trop pauvre, la substance l’avait trahie et abandonnée. »

Les trois diaboliques ont, on s’en doute, plutôt mal bouclé leur séjour sur terre. Béatrice fut décapitée en public, à Rome, à l’aide d’un tranche-tête qui avait l’aspect d’une grande hache le 11 septembre 1599. Marie-Madeleine mourut sur l’échafaud, en place de Grève, le 17 juillet 1676, et Augusta, condamnée à être pendue, tomba raide morte, le 29 mai 1914, dans son cachot à Allahabad.

Leurs destinées sont ici restituées, avec force détails, par Gabrielle Wittkop. Elle procède avec minutie, en s’arrêtant sur les paysages, sur les nombreux personnages secondaires, sur les perturbations psychiques, sur les passions menées à leur paroxysme, sur les perversités décomplexées ou encore sur les tableaux de maîtres ornant les hôtels particuliers en usant de cette langue incomparable qui est la sienne, baroque, somptueuse, éclatante de vie, prompte à éclairer les ténèbres et à maintenir sur une ligne de crête un sens du suspense qui, de fait, ne retombe jamais. Hemlock, sous titré « à travers les meurtrières », est un grand livre. Il était indisponible depuis plus de trente ans.

« Si La mort de C. est le livre le plus proche de mon cœur, Hemlock est certainement celui que je considère comme le mieux fait, le mieux écrit, le mieux construit », avouait Gabrielle Wittkop, qui est décédée en décembre 2002 et dont on célèbre cette année le centenaire.

Les Héritages, roman inédit de celle qui disait se sentir plus qu’en affinité avec Sade et Lautréamont, paraît simultanément chez Christian Bourgois. Plus ramassé mais tout aussi envoûtant, on y retrouve le même univers, le même rythme, les mêmes vibrations. L’histoire est celle d’une villa racontée à travers les vies plus ou moins agitées de ceux et de celles qui l’ont occupée, durant un siècle marqué par deux guerres mondiales.

« Célestin Mercier avait fait construire la maison pour la louer, la louer cher car elle était jolie. Il y parviendrait sans peine, pensait-il en sirotant son café, les pouces passés dans les entournures d’un gilet beurre-frais trop étroit sur un torse qui bedonnait. »

Nombre de portraits brefs apparaissent au fil des chapitres, constituant une galerie de personnages hauts en couleur. S’y succèdent un bibliophile adepte de la roulette russe, une artiste peintre, un inspecteur et sa femme, un fossoyeur imbibé d’alcool, un déserteur allemand et sa compagne cachés dans les combles (on pense évidemment à Gabrielle et à Justus Wittkop), un pharmacien exhibitionniste, un égyptologue anglais ou encore un jeune homme accompagné d’un rat facétieux nommé Astérix. Les murs de la maison parlent. Non seulement de l’ombre jetée sur eux par le suicide (par pendaison) de leur premier propriétaire mais aussi de toutes les scènes dont ils furent les témoins privilégiés. Assemblées, elles composent un petit théâtre tragi-comique où l’humour noir et la verve carnavalesque font bon ménage.

Gabrielle Wittkop : Hemlock, préface de Karine Knudde, Quidam éditeur. Les Héritages, éd. Christian Bourgois.

La plupart des autres livres de Gabrielle Wittkop ont été publiés par les éditions Verticales.
 
Le Matricule des anges n° 218 (Novembre / décembre 2020) comporte un important dossier consacré à Gabrielle Wittkop.

jeudi 5 novembre 2020

Proëlla

Chez Erwann Rougé, la mer n’est jamais loin. Cette fois, c’est sur l’île d’Ouessant qu’il la retrouve. Un rite religieux, jadis en vigueur là-bas, donne son titre à cet ensemble de poèmes. Sur ce bout de terre battu par les vents, « le corps du marin disparu en mer est symbolisé par des petites croix de cire (proëlla) veillées au domicile du défunt, ensuite portées à l’église et transférées au cimetière ».

« sur un linge blanc
une croix de cire
veille sur le va-et-vient des morts et des vivants. »

Une longue nuit débute. Elle va s’étirer du dimanche soir au lundi matin. En mer, un homme ballotté par le ressac, sent la force de l’eau le tirer vers les bas-fonds. Bientôt, il ne sentira plus rien. Ses os, ses tendons, ses muscles, ses vertèbres ne seront plus reliés à son cerveau. Il vit ses derniers instants. Revoit défiler des morceaux de vie, des bribes de paroles, des décors ébréchés. Pendant ce temps, à terre, l’angoisse monte crescendo. Toutes les disparitions se ressemblent. Quelqu’un attend des nouvelles qui ne viendront plus. Ou qui seront portées par un messager qui annoncera l’irréparable.

« ils ont frappé à la porte avant l’aube
tant abîmé les mots. »

Dans bien des endroits du monde, personne ne vient frapper aux portes. L’angoisse s’empare tout aussi durement des proches qui savent évidemment que leur disparu, qui était peut-être l’un des innombrables qui, après avoir traversé le désert, étaient partis s’embarquer à Sabratha ou ailleurs, gît maintenant au fond de la Méditerranée, entre la Libye et la Sicile. Lui, elle, tout ceux dont les corps jonchent cet immense cimetière marin n’auront de « proëlla » que celle qui leur est ici dédiée par Erwann Rougé.

« deux chaussures deux morceaux de pain
rien d’autre ont dit les passeurs.
on ne comptera pas.

il faut juste couler le jour
dans l’après des jours

chacun avec sa salive
mettre à l’usure la prière folle. »

Chants et contre-chants ponctuent les heures d’une nuit fragile, à la fois marine et terrestre, éclairée par des éclats de poèmes brefs et incisifs qui incitent à garder en soi le souvenir de ceux qui reposent sous l’écume, sans nom, sans sépulture, sans linceul.

« au large les morts ne sont nulle part. »

 Erwann Rougé : Proëlla, éditions Isabelle Sauvage.

mercredi 28 octobre 2020

La nuit féroce

Promenadia, village perdu des Asturies, novembre 1936. Homero, le maître d’école, n’est pas originaire du lieu, ce qui ne peut que susciter de l’hostilité au sein de cette communauté où l’on apprécie peu les étrangers. Il vit chichement et mange chaque jour dans une famille différente. Ceci explique le surnom, peu enviable, de « pique-au-pot » qui lui a été attribué. L’homme qui le reçoit à sa table ce soir-là est un paysan rustre, père d’un fils idiot, d’une grande fille enceinte et d’un autre fils plutôt rêveur. La fin du repas et le retour à l’école marquent le début d’une nuit qui ne ressemblera à nulle autre. Le meurtre d’une fillette, qui a été violée et dont le corps a ensuite été jeté dans un puits, est venu fracasser l’apparente tranquillité du village. La colère est palpable. Une chasse à l’homme a d’ores et déjà débuté. L’instituteur va rencontrer en quelques heures, sans le vouloir, et à tour de rôle, tous les protagonistes du drame qui est en train de se jouer.

« Quand il ouvre la porte, le vent se faufile jusqu’au dernier recoin de la maison. C’est un vent venu du cœur même de la montagne ; un vent si atroce qu’il est impossible de ne pas penser à la mort.
C’est alors qu’il les voit.
Accroupis près des balançoires, sous une couverture, il y a deux corps tremblants. »

Ce sont ceux de deux hommes apeurés qui tentent d’échapper à la battue en cours. Ils sont itinérants. Ils cherchent du travail et viennent de se faire traiter d’assassins par une vieille qui ne manquera pas de signaler leur présence aux chasseurs qui tirent sur tout ce qui bouge. Les aboiements des chiens et les coups de fusil résonnent alentour. La traque est menée par un curé fou furieux, le père Aguirre, qui jouit d’une grande influence et qui a embarqué avec lui deux sbires capables du pire.

« Le père Aguirre aspire avec force, crache un brin de tabac et s’enfonce son chapeau jusqu’aux oreilles. Il ne porte pas son habit. Il a une croix de Calatrava tatouée sur la main droite et une petite médaille d’argent avec la légende Tempus fugit sur la poitrine. Son nez fait penser à un bec d’aigle ; ses yeux à deux petits poignards. »

Le curé harangue la meute. Hommes et chiens obéissent à ses ordres. Et suivent, dans la neige qui commence à recouvrir la terre, les traces des deux fugitifs qui n’ont aucune chance de s’en sortir. Ce qui les attend dépasse l’entendement. Ils devront payer pour un crime qui ne peut rester impuni. Épuisés, ils se retrouvent bientôt cernés et livrés au féroce ecclésiastique. Qui dicte la sentence et décide de son exécution immédiate. Homero, qui a suivi les évènements à distance, se sachant aussi lâche que les autres, incapable de stopper cette folie meurtrière, n’arrive sur les lieux que plus tard.

« Les hommes pendent comme des draps noirs. Ils portent tous les deux des capuchons de pénitents. Le vent les balance de côté, comme s’ils leur mordait les genoux. Bleuis de sueur, les chiens se disputent leurs chaussures. »

C’est cette terrible histoire, ce conte cruel, qui a lieu sur fond de guerre civile, que déroule, en séquences brèves, Ricardo Menéndez Salmón. Il procède de manière implacable, en une écriture fulgurante. Il dresse le décor, souligne l’atmosphère ambiante et brosse le portrait de ces différents personnages en maintenant une tension communicative. Un mal qui semble venir de loin et traverser les époques en contaminant les hommes guide ces justiciers qui exécutent sans vergogne.

« L’homme lance des ponts, domestique des forêts ou résout des problèmes mathématiques posés voilà des centaines d’années, mais tout son génie, toute sa patience et toute sa ferveur pâlissent devant l’énigme de sa méchanceté. »

 

 Ricardo Menéndez Salmón : La nuit féroce, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, éditions Do.

 

samedi 17 octobre 2020

L'exercice de la disparition

Il est des livres dont on sort chamboulé. À ne pas savoir comment dire l’émotion ressentie en lecture. On sait d’emblée que l’auteur est descendu jusqu’au fond du puits qu’il avait lui-même creusé. Qu’il s’est agrippé à une corde invisible, qu’il est parvenu à remonter et à recoller les morceaux. Que les blessures sont toujours apparentes. Et qu’il a marché en aveugle sur le fil d’un équilibre devenu précaire à force d’addictions.

« Je me souviens l’avoir risqué tant de fois cette vie, à brutaliser mon corps, à organiser sa destruction, à lutter contre la douleur, à aimer fièrement l’insensibilité physique et morale. »

C’est en partie de cela qu’il est question dans L’exercice de la disparition. Mais pas seulement, puisque ce livre, construit en deux volets, l’un en prose (écriture blanche sur fond noir) et l’autre, constitué d’une suite de poèmes (imprimés en noir sur blanc), est la preuve indubitable d’une présence au monde. Celle d’un homme qui revient de loin mais qui ne peut occulter les épreuves qu’il a vécues.

« Pour la gueule d’homme que j’étais, c’était la faiblesse sensible de ma glotte idiomatique que je voulais offenser, traverser à l’aide de l’acier chaud du poison alcoolique. Pour en arriver à l’épave glauque du corps, considéré absurde par son vide constitué, absurde pour sa forme et ses fonctions tant arbitraires, et si peu imaginatives dans leur évolution. »

Pas de plaintes en ces pages. Pas de faux-fuyants, pas d’auto-flagellations excessives. Mais une sincérité sans failles pour tenter de cerner les contours d’une période douloureuse. Ce retour sur soi, sur ses tourments, sur ses peurs, sur ses culpabilités est exigeant et pointilleux. Il montre ce qu’il advient de celui qui, à un moment donné, se fissure au point d’en perdre sa langue, son élocution et la maîtrise de son corps.

« Tu marches
Tu regardes
Partout regarde
Des choses vues
Obstruent tu marches
Tu regardes
Lianes
Étreignant
Étouffent
Choses s’organisent pas
Pas possible de décrire
Faut dire que dans la
Vie tout dégringole dans tous les sens »

Le mot « disparition » est à prendre avec précaution. On peut simplement ne plus paraître. C’est cette possibilité, discrète et sous-jacente, qui semble prévaloir au fil des poèmes qui se succèdent dans la seconde partie du livre. L’environnement immédiat (l’appartement, la ville, la banlieue) et la remémoration de lieux plus lointains (sentiers, littoral, canal, espace minéral) peuvent aspirer l’être et le rendre invisible tout en le gardant en vie.

« C’est aux frontières et aux jointures qu’apparaissent toujours de nouveaux mondes, déroutés. »

L’exercice de la disparition pose des questions essentielles, qui ont à voir avec la complexité de la psyché humaine et l’insoupçonnée capacité de résistance qui parvient (pas toujours, hélas) à s’enclencher quand il y a risque imminent de grand basculement.

  Mathieu Brosseau : L’exercice de la disparition, dessins de Ena Lindenbaur, Le Castor Astral.

lundi 5 octobre 2020

Trencadis

Bien plus qu’une incursion dans la vie d’une artiste célèbre, Trencadis est un roman éclaté et judicieusement architecturé qui évoque la vie et l’œuvre de Niki de Saint Phalle. Parcours atypique s’il en est. On le sait surprenant, inventif, unique mais ce que l’on connaît moins ce sont les années d’avant la création. Cette lente maturation qui travaille en dedans, qui se nourrit parfois de sales coups du sort. Et ici, le jeteur de sort s’appelle André de Saint Phalle.

« On n’aime pas quand on est une fille voir son père sauter tout le monde ».

Un jour, la déflagration est brutale, son corps en lambeaux, sa tête fendillée. Elle a onze ans et son père vient de la violer. Elle mettra des années avant d’en parler tant le traumatisme est profond. Elle se mariera à dix-huit ans avec le futur écrivain Harry Matthews. Aura deux enfants. Deviendra mannequin. Mais le choc mémoriel est toujours là. Elle tentera de l’effacer en s’effaçant elle-même. Suivront dépressions, tentative de suicide, hospitalisation, séances d’électrochocs.

« Quand Harry dit Mon diplôme de Harvard en musicologie je me le mets au cul, je veux devenir écrivain, Niki applaudit des deux mains. Et quand Niki dit Rien à foutre du mannequinat ou de ce rôle au cinéma qu’on me propose, je voulais devenir actrice, je ne veux plus, Harry acquiesce. Mais quoi alors ? Eh bien ça lui dévoilant ici ce qui l’a aidée à tenir pendant ces premières semaines d’internement, (…), lui montrant, timide un peu, ces assemblages conçus dans un état second qui, elle le pressent, ne doit rien aux médicaments, ces collages dont elle a l’impression qu’ils sont devenus son unique raccord à la vie : sa cure, son salut. »

« De cela Niki ne s’en cachera jamais : J’ai commencé à peindre chez les fous. »

C’est le déclic. La sortie désordonnée et impérieuse de tout ce qui est enfoui. Une façon énergique de recoller les morceaux, de passer de la dislocation à la reconstruction. Elle part. Laisse sa famille. Abandonne ses enfants. Ne se pardonnera jamais. Tentera souvent (et peut-être même toujours) de compenser cet abandon « de la chair de sa chair » en multipliant les cadeaux, les visites inopinées, les clins d’œil affectifs, y compris dans ses réalisations artistiques à venir.

« Elle s’est installée à Paris, rue Alfred-Durant Claye, seule. Elle s’est arrachée un bras. Crevé l’œil. Coupé le nez. Harry, Laura, Philip. Elle les a laissés derrière elle : automutilation. Mais c’est son choix. L’art a pris la consistance d’une divinité à laquelle il faut faire ses offrandes, ce sont les siennes.
Depuis son arrivée dans la capitale, chaque matin la ramène à l’impasse Ronsin située à quelques pas de son appartement. »

C’est impasse Ronsin qu’elle rencontre ceux et celles qui lui ressemblent. À commencer par Jean Tinguely. Qu’elle ne quittera plus. Et qui deviendra, en 1971, son second mari. C’est là qu’elle commence à s’exprimer totalement. À expulser la violence qui l’agite et à en adoucir les angles. Il est bon que ça ondule, qu’il y ait des courbes, des rondeurs. Mais il faut d’abord que ça explose. Elle tire à la carabine sur des poches de peinture installées sur ses tableaux. Ceux-ci se mettent à saigner et à pleurer en couleurs. Elle répète ces performances. elles ont lieu en présence d’autres artistes très proches, tels Jasper Johns, Robert Rauschenberg, Martial Raysse, Daniel Spoeri, Jean Tinguely. Ces Tirs marquent le début de sa célébrité.

« Aux médias qui lui demandent de s’expliquer, elle répond : Impasse Ronsin, 26 février 1961, sept tirs : J’ai tiré sur papa, sur tous les hommes, les petits, les grands, les importants, gros, les hommes ».

La suite est plus connue. Ce seront Les Nanas, Le Golem, Le Jardin des Tarots et l’étroite collaboration avec Jean Tinguely qui aboutira à des œuvres communes. Toutes ces étapes, tous ces moments essentiels sont retracés avec précision par Caroline Deyns. Elle avance de façon chronologique en mêlant passages romanesques et entretiens fictifs avec de nombreuses personnes qui ont connu Niki de Saint Phalle. Ce peut être le forain rencontré sur un stand de tirs aux ballons, à qui elle demande de venir impasse Ronsin avec sa carabine et qui se retrouvera aux premières loges lors du tir inaugural. Ou le psychiatre qui la soigna à l’hôpital de Nice. Ou encore l’artiste plasticienne Eva Aeppli, l’ex-femme de Tinguely. Ou la boulangère de Soisy-sur-École où le couple vécut et se maria. Ces différents témoignages forment une mosaïque criante de vérité. Plusieurs voix se succèdent pour dire la femme et l’artiste. S’y ajoutent archives de l’INA et citations.

Trencadis, un mot catalan qui désigne une matière fragile, aisément cassable, mais aussi un style particulier de mosaïque réalisée à base d’éclats de céramique, est un roman d’une grande ampleur. Si Niki de Saint Phalle y circule avec tant de constance, d’agilité et de légèreté, elle le doit à Caroline Deyns, à ses recherches savamment agencées, à son empathie qui emporte, à son écriture rythmée et soutenue et à la palette d’émotions qu’elle parvient à transmettre avec fougue..

Caroline Deyns : TrencadisQuidam éditeur

 

lundi 28 septembre 2020

Pages

« 52 pages tentent d’articuler la perception immédiate d’une image avec celle d’une musique ». La démarche est ambitieuse. Philippe Jaffeux s’y attelle en s’ouvrant à de nombreuses musiques, anciennes, traditionnelles ou modernes, s’arrêtant momentanément sur un instrument, un groupe, un interprète, un compositeur. Chaque écoute suggère une partition originale où l’aspect visuel et textuel de la page revêt une importance primordiale. C’est la porte d’entrée. Celle que l’œil découvre avant lecture, juste avant de la pousser pour s’imprégner du texte. Celui-ci est tendu, mené tambour battant, en un rythme qui varie selon la musique évoquée.
 

Ainsi la Surf music :

« Une page amplifiée se noie dans des vagues de mots qui réverbèrent une dimension de la Surf music Une mer rêvée découvre l’espace d’un son intensifié par la sauvagerie d’une rythmique basique La surface d’une page s’adapte à celle d’une plage pour supporter l’adjonction musicale d’une lettre écumante »

ou James Brown :

« L’histoire de l’esclavage s’inscrit dans la mémoire d’une forme libérée par une musique noire Le premier temps d’une rythmique incandescente joue avec la politique d’un corps qui exacerbe une révolte syncopée »

ou encore le flamenco :

« Des lettres sonorisent une approche du flamenco à l’aide d’une page martelée par des coups de talons Des battements de pieds arment une vibration analphabète pour marquer le tempo d’une image convulsive Le cri d’une forme festive exprime le réveil d’une terre qui traduit la profondeur d’un bruit »

Ces extraits ne peuvent, à eux seuls, rendre compte de la teneur du livre. La mise en page de chaque texte, sa typo, ses variations de couleurs (noire et blanche), sa géométrie, son graphisme, et d’autres détails encore, s’avèrent essentiels. Des barrières tombent. La poésie devient œuvre plastique et création sonore. Ce n’est pas par hasard que ces 52 textes ont été exposés, à raison d’une page par semaine, en format affiche, durant un an dans une galerie (Les Frangines à Toulon). Toutes les pages se retrouvent, par ailleurs, réunies en couverture.

Le livre de Philippe Jaffeux vibre intensément. On le manipule fréquemment. On le tourne, le retourne. Il s’ouvre aux vents d’ailleurs et sait garder la note. Son souffle est ample. Son écriture, intuitive et d’une belle densité, fait bruisser les sons. Elle est portée par une fougue régénérante.

 Philippe Jaffeux : Pages, éditions Plaine page.