dimanche 3 avril 2011

D'azur et d'acier

Le 12 octobre 2009, Lucien Suel quitte son village pour prendre le T.E.R. à la gare d’Isbergues de façon à rallier Fives, l’ancien quartier industriel de Lille, l’ex-cité des filatures et de la métallurgie, connue un peu partout dans le monde grâce à Fives-Cail-Babcock, l’usine qui employa jadis plus de 8000 ouvriers et qui devint célèbre pour ses locomotives, ses ponts routiers et ferroviaires, ses constructions de gares (dont celle d’Orsay) et ses ascenseurs (notamment ceux de la Tour Eiffel). L’usine aura vécu un siècle et demi. Avant de s’arrêter en 1990.

« Elle occupe le cœur de Fives, un cœur qui ne bat plus, un cœur en capilotade et un cerveau dispersé avec tous ceux qui ont travaillé ici, dont le vaste savoir-faire n’a été enseigné ou transmis à quiconque. Marteau-pilon silencieux de l’oubli. »

C’est là que Lucien Suel pose ses valises. Et son regard, ses pas. Pour fixer ce qui ne se voit pas au premier coup d’œil. Pour arpenter un territoire chargé d’histoire. Pour collecter des bribes de mémoire. Pour les réactiver en les intégrant au présent. Il est là pour trois mois. En sentinelle. En résidence. En train d’esquisser, brique à brique – c’est ainsi, en quelques centaines de blocs de prose, que son texte va se construire – l’architecture à la fois réelle, passée, mentale et rêvée d’un quartier qui essaie de garder ses particularités au sein d’une métropole qui ne cesse de s’étendre.

« L’isolement de Fives oblige à passer au-dessus des voies rapides ou ferrées. On peut imaginer que les immenses immeubles de verre et d’acier qui s’annoncent, qui avancent, recouvriront la tranchée des voies rapides, des voies ferrées, se transformant en énormes sas climatisés dans lesquels marcheront les Fivois et les Lillois. »

Son besoin d’aller vers les autres est naturel. Il écoute. Sait d’instinct que ceux qui vivent ici ont plus à dire qu’à entendre. Ce qu’il saisit, et transmet en notes brèves, c’est une précarité latente, (due aux fermetures, aux délocalisations) que ne peut cacher les nombreux pas de porte dédiés à la consommation rapide. Cela ravive parfois la nostalgie des temps durs. D’invisibles révoltes s’y greffent. Enfouies dans un terreau où les racines d’une vraie conscience de classe restent tenaces.

Le piéton Suel sillonne impasses, rues et ruelles. Prend l’air du large place Pierre Degeyter en se souvenant que celui qui donne son nom à cette place fut câbleur ici même avant de devenir le compositeur de L’internationale. Un peu plus loin, c’est une autre figure, Madeleine Caulier, qui surgit.

« Pendant le siège de 1708, elle était servante au Tournebride, à Avelin. C’est elle qui traversa les lignes ennemies et porta au Maréchal de Boufflers, assiégé dans la ville de Lille, les dépêches de l’armée française. À la suite de son action d’éclat, elle obtint de servir dans les Dragons. Elle fut tuée en 1712 sur le champ de bataille. »

Lucien Suel mêle séquences passées et scènes très actuelles en y glissant des notes ayant trait à son quotidien, à ses interrogations ou à son envie, de temps à autre, de s’isoler pour se requinquer avant de repartir découvrir Fives à sa manière.

« Tu t’approches du pont de Fives et jette un coup d’œil au no man’s land dessous le viaduc. Encerclé de tous côtés, un fouillis de roulottes déglinguées, cimetière de bateaux dans la Mer des Sargasses de l’automobile. Des gens du voyage ont échoué là. Leurs enfants se réchauffent dans la fumée d’un feu de déchets. »

Lucien Suel : D'azur et d'acier, La Contre Allée.

dimanche 27 mars 2011

Albert Angelo

On n’en finit pas de redécouvrir B.S. Johnson. L’écrivain anglais – publié en France par les éditions Quidam – a souvent décidé de risquer (et de graver) sa vie sur le papier, se méfiant de la fiction en lui préférant l’autobiographie, certes détournée mais constamment présente chez lui. C’est dire combien Albert Angelo est à prendre, comme les précédents livres, avec les pincettes d’usage. Impossible de dénouer le vrai du faux et de déceler le moment où l’écrivain met de côté sa propre vie pour laisser courir son imaginaire.
Il y a juste une histoire à reconstituer. C’est celle d’Albert, le narrateur, vingt-huit ans, célibataire, encore épris de Jenny (son ex) et architecte sans emploi contraint, pour vivre, d’enseigner dans des écoles londoniennes où on l’appelle pour effectuer des remplacements.

Pour suivre Albert, ou plutôt une année de sa vie, celle où il se trouve aux prises avec des élèves pour le moins difficiles dans un établissement de Londres, au début des années 60, Johnson utilise, tout en restant linéaire, différents angles d’attaque. Il s’attache d’abord à son quotidien, à ses habitudes, à ses obsessions, à ses convictions (« je suis architecte avant tout, et pas prof, je suis un créateur, pas un passeur »). Il bifurque ensuite, par de rapides retours, vers son passé (de fils, d’étudiant, d’amant) puis s’intéresse à des idées possibles de futur (symbolisé ici par des pages trouées) avant de s’ancrer dans le présent, celui d’un vacataire devant affronter une trentaine d’énergumènes au sommet de leur art.

« Après les vacances, je suis revenu, assez détendu comme il se doit, et les élèves ricanaient sur un morceau de journal, deux ou trois groupes d’élèves, en faisant tout leur foutu possible pour me faire comprendre que je devais venir voir ce qu’ils étaient en train de manigancer. Alors, bien sûr, j’ai pas bougé. Ensuite, lorsque j’ai commencé à faire l’appel, l’une des filles a apporté une coupure et, sans un mot, l’a posée sur mon bureau. “Enseigner dans les Écoles Difficiles Pousse les Professeurs au Suicide” , disait l’article, il s’agissait tout bonnement d’un compte-rendu du suicide de mon prédécesseur à Whitsun, Burroughs, ou Bugs Bunny comme ils l’ont surnommé. »

« On va se réunir ce soir pour décider de votre sort », lui glisse un jour un élève. Mais Albert a des ressources. Quand il s’énerve, il lui arrive de frapper. D’autres fois, il laisse dire et poursuit son cours sans que rien ne lui échappe : ainsi ces pages où le texte s’écrit sur deux colonnes, la première reproduisant les dialogues en cours dans la classe et la seconde les pensées qui traversent Albert parlant.

« Va pas faire long feu, l’Bébert, c’est clair, comptez sur moi, c’est clair, finira comme l’Bugs Bunny. » 

À côté, pour équilibrer la fragile balance, il y a les désirs de l’architecte qu'il désire devenir, ses plans de travail, ses notes. Il y aussi les soirées au pub. L’alcool, les dialogues sans fin, les retours en zigzaguant sur les trottoirs mouillés.
À la fin de l’année scolaire, Albert a l’idée saugrenue de demander à ses élèves de noter, par écrit, ce qu’ils pensent de lui. Les réponses fusent. Tous (morceaux choisis en couverture) le fustigent et le détestent. Souvent parce qu’il n’a cessé, durant des mois, de leur lancer leurs quatre vérités en face. L’auteur, narrateur, personnage central ne s’épargne guère. On retrouve ici la verve, la noirceur et, pas très éloignée, l’attitude faussement naïve et tragi-comique (celle de tous les clowns désespérés) qui s’affichait déjà dans son précédent roman, Chalut (Quidam, 2007). Si l’école remplace la mer et les élèves les marins aguerris, la même incapacité à se mouvoir dans ces mondes étroits (où il se sent seul et vraiment pas à sa place) demeure.

C’est à une plongée dans les affres de la condition humaine que nous convie B.S. Johnson, auteur de sept livres, dont Les Malchanceux, tous conçus pour tenter de tenir, ce qu’il ne parvint pas à faire très longtemps, lui qui jeta l’éponge et se suicida en 1973, à l’âge de 40 ans. Jonathan Coe, qui le considère comme l’un des plus grands écrivains anglais, lui a consacré une biographie très subtile, intitulée Histoire d'un éléphant fougueux, disponible depuis peu en France.

B.S. Johnson : Albert Angelo, traduit par Françoise Marel, Quidam éditeur.

samedi 19 mars 2011

Tristan Corbière à Liscorno

La nuit où Tristan Corbière s'est invité dans la mansarde à Liscorno pour ne plus vraiment en ressortir est bien cochée dans ma mémoire. Je dois au poète contumace, au crapaud qui chante, à celui qui savait plus que quiconque ce que rogner (et rognures) voulait dire en poésie, la première lecture qui m'a physiquement bousculé. Ses strophes ont serré ferme et sans préambule (par temps de chiens, courant de la mer d'Iroise jusqu'au Cap Horn) des poches de chairs sensibles à l'intérieur du ventre avant d'attaquer l'invisible réseau des nerfs pour finir par toucher au plafond les pattes de l'araignée qui en un éclair a électrisé des zones où lire et écrire se chevauchaient. 

Tout est parti de là. Sans transe, sans sueur, sans visions floues. C'était l'hiver. Interminable et boueux. Auparavant, pour rentrer, j'avais pris le car à la gare routière de Saint-Brieuc. Long ruban de bitume gris bordant la mer sous la pluie. Repas, silence, devoirs. Puis escalier, draps froids et livre à peine sorti du cartable que déjà (le voilà) grand ouvert sous le menton. C'est à cet instant qu'il a débarqué. Quelques vers sortis de « ça », ou si l'on préfère de lui, perdu dans un monde parisien où il avait appris à ne jamais faire le beau et à désécrire du mieux possible, loin du port de Roscoff, dans un
« Bazar où rien n'est en pierre,  
Où le soleil manque de ton »,
quelques vers précédés d'un « What ? » ironiquement attribué à Shakespeare et servant d'épitaphe à l'autoportrait sans concession ont suffi. Il s'est immiscé sous les ardoises avec ses os grinçants, son lyrisme en rupture de ban et ce corps mal en point qu'on lui connaît bien, celui d'un squelette ambulant et dégingandé, secoué par de fréquentes quintes de toux sèche. 
 Il n'a pas mis longtemps à sortir des Amours jaunes pour étirer sa frêle silhouette de chat écorché sous l'ampoule. Il portait en lui sarcasme, désarroi, réconfort et offrait, mine de rien, venu de sa très lointaine mort (cette nuit-là, elle frôlait presque le premier siècle), un peu de ce mal être frotté d'écume qui m'allait droit au cœur. 

Je crois que ce sont d'abord mer et mort qui m'ont cogné dessus. L'une tonitruante et l'autre empreinte de douceur, l'une en rage, éructant, gueulant, ballotant avec fureur des hommes postés à bord de chaloupes prêtes à se briser sur les premiers récifs venus et l'autre étonnamment disposée au calme, aux caresses, à l'oubli, au répit. Corbière semblait vénérer l'une et l'autre en espérant atteindre leurs rives au plus tôt afin d'y déposer ses douleurs, ses infortunes, ses grimaces, ses fantaisies et, basta, rompre enfin les amarres avec cette vieille terre où ses os et ses bronches pourries ne faisaient de lui qu'un éclopé de plus. Je crois que ce sont ces traits nets, où se mélangeaient envie d'en découdre et colère de devoir porter ce corps incapable de le mener là où il aurait aimé s'exprimer (tant en mer qu'au fond du lit de celle qu'il appelait Marcelle), qui m'ont rendu proche de cet homme à qui il m'arrive encore de donner de fréquents rendez-vous. Ceux-ci se déroulent de moins en moins souvent dans la mansarde familiale mais plutôt dans un bar discret, dans un de ces lieux étroits et chaleureux où les verres s'entrechoquent et se vident à petites goulées, comme il aimait jadis le faire, savourant tabac, alcool, désir en bonne compagnie, le soir sous les lumières jaunes de l'auberge Le Gad à Roscoff.

Logo : portrait de Tristan Corbière au large de Roscoff en 1873 ou 1874.

jeudi 10 mars 2011

Les Veuves de verre

Dix-sept récits, écrits entre 1992 et 1995, lors de voyages effectués au Canada et aux Etats-Unis, composent Les Veuves de verre, le récent livre d’Alexis Gloaguen. On y retrouve, dès les premiers paragraphes, ces îlots fébriles et en perpétuel mouvement que l’auteur de La Folie des saules (Calligrammes, 2004) sait si bien circonscrire et détailler. Sa façon de soustraire de courts moments d’intensité fulgurante au temps qui passe étonne et éclate avec sans doute encore un peu plus de force que de coutume. Cela tient en partie aux lieux dans lesquels il laisse vaquer son regard et ses émotions. Lui qui aime tant se fondre dans le secret des paysages silencieux (notamment en Bretagne, en Ecosse ou au pays de Galles) se pose cette fois au cœur même des villes, allant de Boston à Ottawa ou de New York à Atlanta ou San Diego.

« On doit aussi hasarder de nouveaux thèmes. Se précipitent alors les expériences de la vie : les plus petites en apparence, mais les plus révélatrices car celles qui nous trottent dans la tête, nous font sourire et dévoilent, en fin de compte, leur gémellité à notre esprit. »

Ces « expériences de la vie » qu’évoque Alexis Gloaguen s’avèrent étroitement liées à son parcours professionnel. Ses nombreux voyages en Amérique du Nord se font à partir de Saint-Pierre-et-Miquelon où il s’est établi en 1992 avec sa famille pour y diriger le nouvel institut de langue française. Son travail le mène à destination de ces villes qui peu à peu le fascinent et dont l’agitation intense lui permet, via un carnet et des notes jetées dessus, de contrebalancer avec bonheur la routine et l’ennui des réunions.

« J’ai assisté les égoïsmes des uns, supporté des autres toutes les complaisances envers eux-mêmes – parce que c’était mon travail ! A l’arrivée, je n’ai jamais autant porté de petits signes sur le papier. »

Tout ce qu’il voit et perçoit l’incite à sortir carnet et stylo et à noter ce qui s’offre en grand désordre. Cela débute souvent en cours de périple. Des fragments de paysage se donnent d’en haut. Ce sont ici les reflets lumineux d’une montagne de glace au-dessus du Groenland ou là les ailes horizontales du Hawker (ou du Boeing ou de l’ A.T.R. 42) qui effleurent le lac Ontario. Les avions glissent avec volupté entre brumes et nuages en s’inventant des liaisons avec escales entre les pages où des petits blocs de prose leur sont dédiés. A l’évidence, à l’image de ces oiseaux qu’il ne cesse d’observer, d’étudier et de célébrer, Gloaguen aime lui aussi voler et tester les lois de l’apesanteur en prenant place dans ces carlingues de verre et d’‘acier. Il se laisse porter, les yeux rivés au hublot. Plus tard, il apprécie tout autant les couloirs bleutés qui délimitent les pistes d’atterrissage. Puis se sent bien dans l’effervescence des aéroports. S’avère également à l’aise dans le flux des piétons qui longent, marchant à bon pas sur les trottoirs, « des rivières de voitures ». Très curieux, ouvert aux autres, imaginaire et mémoire constamment en alerte, il pressent, d’emblée, que ces mégapoles, que certains abhorrent, recèlent, pour peu que l’on désire mieux les connaître, un étrange pouvoir poétique.

« Le verso de la ville surgit dès que l’on quitte les vitrines du centre. Les tours ne sont plus qu’un horizon. Sur certaines, encore esquissées en armature, voltige la rigueur blanche de grues effilochant les vapeurs du matin. »

Ce qu’il cherche à saisir, puis à dire et à transmettre, au fil de ses immersions dans les réalités urbaines, c’est l’imprévu, l’instantané, la rencontre, la découverte d’une poésie qui frémit un peu partout et qui peut même émaner de certains édifices au sein desquels elle n’a, à priori, pas voix au chapitre. Ainsi Les Veuves de verre qui, à Toronto, sont trois tours (de la rue, elles prennent, à ses yeux, l’apparence de pierres noires) où siègent les plus hautes instances du commerce et de la finance. Leur beauté architecturale, rehaussée par les éclats de lumière et les piquetages de quartz qui les font scintiller et changer de couleurs jour et nuit, si elle ne fait pas oublier ce qui se trame à l’intérieur impose néanmoins une approche poétique qui n’exclue ni mélancolie ni désarroi.

Ce qui touche, dans ce livre où le lecteur est invité à se déplacer en calant son pas sur celui de l’auteur, c’est l’apparente tranquillité (en fait la force d’une langue précise) avec laquelle Alexis Gloaguen réactive en permanence ce bel étonnement qui le porte à découvrir toujours un peu plus le monde dans lequel il aime se mouvoir. Il y a en lui une profonde humanité, une empathie, une générosité qui l’incitent à aller, constamment, à la rencontre des autres, au contact des vivants, debout dans un Coffee Shop de la 51ième rue à New York ou assis à une des tables du Vieux loup de mer à Halifax.

Alexis Gloaguen : Les Veuves de verre, éditions Maurice Nadeau.

jeudi 3 mars 2011

Le murmure du monde

Grand lecteur, Lambert Schlechter l’est à coup sûr, et tout particulièrement des journaux, essais, pensées ou carnets tenus au long cours par Montaigne, Pascal, Kafka, Pavèse, Borges et tant d’autres...
« Ce sont autant de sentiers mais sans balises, des réseaux vibratiles, traboules et chemins de traverse. »
C’est vers eux qu’il se tourne pour saisir leurs murmures, fragments et citations. Ce qu’ils disent, peu importe le lieu ou l’époque où cela fut écrit, touche inévitablement à ses propres interrogations. Y répondre - ou tout au moins en faire écho - lui est nécessaire. Par le texte mais aussi par le corps. En étant vivant et résolument ancré dans le présent. En voyageant, en écoutant, en lisant, en notant, en flânant. En assumant un bel appétit de vivre en gourmet heureux de l’être et de le devenir toujours un peu plus. Ceci sans s’empêcher de toucher de près certaines plaies ouvertes en lui.

Dans Le murmure du monde, la matière autobiographique - qui s’affirme en filigrane - ne verse jamais du côté des larmes. Les pépites imprévues (la découverte en Allemagne de l’écrivain W.G. Sebald au moment même de sa mort accidentelle ou la lecture, face à la mer, dans un restaurant de La Panne, de La vie secrète de Quignard) comme celles glanées ici et là - chez les poètes chinois, dans les microgrammes de Robert Walser ou dans le Richelet, le Furetière, le Littré, tous ces dictionnaires qui l’accompagnent - procurent assez de lumière à Lambert Schlechter pour qu’il choisisse de se caler sur le versant chaleureux de l’existence. Sa quête de sagesse et d’exigence passe par là. Son livre, véritable puzzle littéraire, érotique et érudit, en constitue l’une des étapes obligées.

« La pièce où j’écris, du désordre et beaucoup de livres - et quelques portraits épinglés sur la paroi blanche, Montaigne, Pessoa et Thomas Bernhard - et quelques dessins, le pêcheur somnolent de Ma Yuan (1190-1230), une femme couchée jambes ouvertes, par Rodin, Raphaël affalé devant son modèle, braguette dégrafée, bandant fort, par Picasso, une fleur de Giotto, détail d’une fresque d’Assise. »

Le discret (attentif et étonné) Lambert Schlechter, né à Luxembourg en 1941, vit au Grand-Duché, au bord de la Sûre. C’est de là qu’il nous envoie, à intervalles irréguliers, ses récits, ses chroniques, ses nouvelles, ses poèmes. Ce grand explorateur de L’Angle mort (éditions Phi, 1988) nous avait surpris il y a trois ans en publiant, coup sur coup, Partances (éditions L’Escampette) et Smoky (Le Temps qu’il fait). Il récidive  avec Le murmure du monde (Le Castor Astral) qui, pour peu qu’on le suive, l’écoute et le lise avec la lenteur requise, entrouvre de nombreuses portes, donnant toutes sur d’autres livres, d’autres musiques, d’autres émotions, d’autres langues...

« On n’échappe pas au murmure du monde, il est partout, tu pars, tu cours ailleurs pour trouver le silence, quel silence, quel silence, et quelle province, quel continent, le murmure du monde est déjà là avant que tu viennes et il était là d’où tu partais. »

Quatre ans après la publication de ce livre, un second volume de fragments, tout aussi vif, épris de curiosité et brûlant du désir de vivre, écrit en Italie, au Luxembourg, en France, en Belgique ou en Allemagne, par delà les drames et les disparitions,  intitulé La Trame des jours, et sous-titré Le murmure du monde 2, vient de paraître aux Éditions des Vanneaux.


Lambert Schlechter : Le murmure du monde, Le Castor Astral, La trame des jours, éditions des Vanneaux.