dimanche 6 mai 2012

Vrouz


 Derrière Vrouz, ce titre-déclic, on se dit que se cache peut-être un identifiant, un mot de passe capable d’ouvrir une multitude de fenêtres et puis on pense, presque simultanément, à un bruit de moteur vif et alerte, celui d’une mécanique bien huilée qui va démarrer au quart de tour et qui demande au lecteur de s’apprêter au départ. Ce qui l’attend, introduit par ce mot venu de nulle part, est tout entier tenu, animé, mis en voix par une marionnettiste de la langue que l’on retrouve ici maîtrisant, sans en avoir l’air, les subtilités sonores du sonnet en le tournant à sa manière et en y glissant, au fil des portraits, autoportraits, instantanés et retours autobiographiques qui fondent l’ensemble, anagrammes, onomatopées, expressions populaires, jeux phonétiques et références diverses et discrètes à ce qu’elle appelle « mes mots des autres ».

Le rythme est naturel et rapide. Il se déploie grâce à la respiration ample qu’impulse dans ses textes, et ce depuis Pas revoir, Valérie Rouzeau. C’est ce souffle tendu qui emporte. D’emblée, elle s’y appuie, le réactive, s’y grise et annonce teneur et couleur des poèmes qui vont suivre.

« Bonne qu’à ça ou rien
Je ne sais pas nager pas danser pas conduire
De voiture même petite
Pas coudre pas compter pas me battre pas baiser
Je ne sais pas non plus manger ni cuisiner
(Vais me faire cuire un œuf)
Quant à boire c’est déboires
Mourir impossible présentement »

Si le mal à vivre est toujours présent, la nécessité de calmer ses ardeurs et de colmater les brèches qu’il ouvre en intérieur l’est tout autant. Pour se faire, frotter les mots les uns aux autres et les assembler afin de s’embarquer en leur compagnie dans des voyages et des méandres insoupçonnés est une mise à distance souvent salvatrice. Valérie Rouzeau, quand elle part ainsi, et un rien (un regard, un coup de vent, la lune dans la lucarne, une lumière qui traverse un homme ou son ombre) l’y incite, aime ne pas être seule et invite dans ses sonnets sonnants la voix lointaine d’un inconnu qui continue à jacter à l’autre bout d’un téléphone qu’un autre vient de jeter dans une poubelle londonienne ou la frêle silhouette d’un gosse qui claudique (« petit gamin blessé à la patte un peu folle ») derrière un père qui marche trop vite pour lui. Celle qui affirme ne pas savoir conduire mène ses poèmes à vive allure en négociant chaque virage au cordeau. Elle attrape au vol la main de ceux qu’elle désire à ses côtés. Ils doivent simplement monter en marche et prendre place dans son imaginaire en y apportant de quoi le nourrir.

« La tête d’envournée dans le métro rapide
Je vois ce jeune homme pâle sa mèche crantée
Ce joli coup de peigne qu’il a quand il sourit
Alors je reconnais sa très arrière-grand-mère
La jeune fille d’autrefois qui vit dans ce gars-là
Elle existe comme lui je le vois
Les yeux verts un peu gris la couleur de la Seine
Bien coiffée plutôt sage au-dessus de la Seine »

Vrouz est en réalité bien plus qu’une suite d’autoportraits saisis sur le vif : c’est également un retour contre soi (pour reprendre un titre d’Yves Martin) - et sur soi - qui passe par les autres (souvent par le tamis de leur regard) et qui permet à Valérie Rouzeau de saisir les jours ("c’est là où nous vivons"), d’en rattraper quelques uns, de dire ce qu’elle y met, ce qu’elle aimerait y ajouter, y soutirer, ce qu’elle subit parfois de peu réjouissant au quotidien, ce qu’il lui faut désamorcer avec aplomb dès que la pompe à blues émet ses premières notes. Elle évoque ses multiples déplacements entrecoupés de périodes de calme ou de repli. Durant ces moments presque vacants, « je est un hôte » qui regarde au plafond ou à la fenêtre en faisant venir les mots, la grammaire et les bruissements qu’ils produisent en se touchant avec autant de rapidité que si elle se trouvait à bord d’un train ou d’un avion. Il y a une belle (et grande) énergie dans ce livre où elle réussit à maintenir, d’un bout à l’autre, autrement dit pendant 160 pages, un rythme soutenu. Elle s’y dévoile toujours très présente aux autres, s’éclipsant quand il le faut et n’oubliant jamais d’initier, envers ses proches, le geste simple qui permet de garder intacts les liens que mort, maladie ou éloignement momentané ne pourront entamer.

« J’ai l’amour spontané de mon prochain sauf quand
Mon prochain s’intéresse de trop près à mon goût
À ma personne gentille et froide et solitaire
Alors là je m’éloigne à grandes enjambées
Du buffet dînatoire où j’étais conviviée
Et je rentre chez moi savourer mon congé. »

Valérie Rouzeau :Vrouz, La Table ronde.

dimanche 29 avril 2012

Le Nazi et le Barbier


Après avoir publié Fuck America, désormais disponible en poche (Points Seuil), les éditions Attila ont publié en 2010  Le Nazi et Le Barbier, un nouveau livre d’Edgar Hilsenrath, qui vient également de sortir en poche. Ce roman est aussi enlevé, décapant, saisissant, burlesque et effrayant que le précédent.
Hilsenrath ne tourne jamais longtemps autour du pot. Il ouvre son livre en évitant tout préambule. Celui qui va prendre la parole et la garder ou la distribuer durant 500 pages s’appelle Max Schulz, « fils illégitime mais aryen pure souche de Minna Schulz. »

Né en mai 1907, il a cinq pères présumés et un beau père barbier et violeur d’enfants. Il passe ses premières années à Wieshalle, dans les rues Goethe et Schiller où son meilleur ami, né le même jour que lui, se nomme Itzig Finkelstein. Lui aussi est fils de barbier. Tous deux, inséparables, empruntent les mêmes voies : même école, mêmes loisirs, même envie de devenir à leur tour garçons coiffeurs. Ce qui va les séparer, c’est l’arrivée au pouvoir de Hitler et la fascination que les idées du dictateur vont exercer sur Max Schulz.

« Hitler a parlé des esprits boutiquiers et des sangsues, de souillure et de conspiration ; il nous a expliqué que l’honneur était héréditaire, comme le courage et la fidélité ; il a parlé du complot de la juiverie internationale, qui tenait dans ses griffes l’honneur allemand, le courage allemand et la fidélité allemande en otage, les empêchant de se déployer. »

Dès 1933, Max devient fanatique. Il s’enrôle dans les SS. En 1938, il est aux premières loges quand brûle la synagogue de la rue Schiller. En 1939, il est en Pologne. Puis il part en Russie. Revient en Pologne. Est affecté au camp de concentration de Laubwalde où il reste jusqu’à la fin de la guerre. Là, il excelle, il joue, il tue avec zèle. Deux cents mille juifs sont assassinés. Dont Itzig Finkelstein, son ex meilleur ami. Qui disparaît en même temps que toute sa famille.

La première partie du livre de Hilsenrath s’achève ainsi. Il évoque la Shoah de façon très crue. En se mettant, lui qui a connu les ghettos durant la guerre, du côté des bourreaux. Les scènes décrites sont brèves et cinglantes. Tout se déroule sur fond d’alcool et d’idéologie primaire mais redoutable. Max Schulz ressemble parfois au brave soldat chveik. Il s’en démarque dès que sa roublardise le place du côté des génocidaires.

La suite du livre s’affirme tout aussi étonnante. Recherché par les alliés à la libération, Max Schulz va errer, se cacher, vendre au marché noir le sac de dents en or qu’il avait ramené du camp pour, bientôt, changer d’identité et réapparaître sous le nom d’Itzig Finkelstein. Il prend non seulement l’identité de son ami d’enfance mais épouse avec un certain allant la cause juive pour finir, après bien des péripéties, par partir s’installer en Palestine où il ouvre boutique, devient barbier célèbre et verse, à nouveau, dans le fanatisme.

« Après sa première action, le meurtrier de masse Max Schulz avait pris part à six autres opérations. Il avait dynamité un pont, fait dérailler un train, braqué une banque, attaqué deux casernes ainsi qu’un convoi de chars sur la route Tel Aviv-Jérusalem. »

Sa métamorphose ne l’empêche pas de craindre d’être un jour ou l’autre démasqué. Le temps passant, cela devient de plus en plus improbable. Et de fait, jamais Max Schulz, devenu Itzig Finkelstein, ne sera retrouvé. Les seuls qui connaissent son secret sont les arbres de " la forêt des six millions" avec lesquels, vieillissant, il va de plus en plus souvent dialoguer.

« Tu te feras prendre et tu seras pendu », dirent les arbres.

Je ris et dis : « C’est hautement improbable. La plupart des génocidaires courent toujours. Certains sont à l’étranger. La plupart sont retournés au pays, comme au bon vieux temps. Vous n’avez pas lu les journaux ? Ils se portent à merveille, les génocidaires ! Ils sont coiffeurs. Ou autre chose. Beaucoup ont leur propre commerce. Beaucoup possèdent des usines, sont de gros industriels. Beaucoup se sont remis à la politique, siègent au gouvernement, sont respectés, considérés, ont une famille. »

Écrit en 1972, Le Nazi et Le Barbier, a été publié aux États-Unis la même année. Il lui faudra attendre cinq ans avant d’être édité en Allemagne. Où le scandale qu’il déclencha fut suivi par un grand succès littéraire. Des vérités, pas toujours faciles à dire et à accepter, se cachent en permanence derrière la satire, la farce et les nombreux dialogues iconoclastes qui forment l’ossature du roman de Hilsenrath.


 Edgar Hilsenrath : Le Nazi et le Barbier, traduit de l’allemand par Jörg Stickan et Sacha Zilberfarb. Couverture de Hennig Wagenbreth, éditions Attila, 2010 et Points Seuil 2012.

samedi 21 avril 2012

La passe

Il y a des livres dont on hésite à parler tant l’intimité qui les porte et la retenue pudique de leur auteur nous incitent à ne dévoiler qu’avec parcimonie les épisodes douloureux qui s’y impriment. La passe d’Antoinette Dilasser en fait partie. Son récit, qui ne met jamais le lecteur dans une position de voyeur malgré lui, incite au murmure et au partage. Ce qu’elle transmet par touches brèves et continues, la maladie de son compagnon, le grand peintre François Dilasser, obligé de vivre dans une maison où demeurent ceux qui ont oublié qui ils sont, elle le fait en évitant l’épanchement et en vivant résolument au présent. Sa sagesse est égale à sa discrétion sans qu’elle ne s’empêche, pour autant, de livrer le désarroi qui parfois la submerge.

« Je suis ici, tu es ailleurs. Il n’y a plus de lien entre ces lieux étanches, est-ce que c’est ainsi, les cases qui nous sont imparties ne communiquent pas, autrefois tu as dessiné des bonshommes au tronc ligoté, chacun prisonnier de son casier, tu savais ? »

Il lui arrive d’interroger l’œuvre, de déceler après coup dans tel ou tel tableau les prémices insoupçonnés de la maladie à venir. Elle peut, de même, en se remémorant quelques attitudes, ou d’anciennes lectures, ou les silences prolongés du peintre, y voir, après coup, des possibles symptômes qu’elle regrette de ne pas avoir su interpréter.

« À présent je pense que tu avais compris, tu savais depuis longtemps, tu n’as rien dit, dire n’était pas ton fort, mais tu avais peur. Ton angoisse. Le dernier carnet. Et j’ai laissé courir. Je t’ai fait ça. Je me protégeais ? »

Passant par différents sentiments, de la culpabilité à la colère, puis de l’incompréhension à la détresse, Antoinette Dilasser travaille à la fois sur elle-même et sur son texte pour parvenir à un ensemble où l’acceptation des faits, même s’ils sont pénibles et sans rémission, finit par s’imposer. Elle pose sa vie en se donnant à ses activités quotidiennes et en s’entourant du mieux possible, rendant visite régulièrement à son mari, trouvant à ses côtés une petite communauté qui lui devient familière et où chacun aide l’autre malade à sa façon. Chaque être qu’elle rencontre est décrit avec cette manière très particulière et efficace qu’elle a de dessiner, en quelques traits, un visage, un regard, une personnalité attachante. Elle aime les autres. Cela transparaît dans ce livre qui n’est pas vraiment de deuil mais plutôt de présence.

« Ordinaire des jours. Tu me parles, je distingue des mots, hier c’était le mot “six” , nos enfants, ton visage s’éclaire quand j’ai compris. C’est peu mais ça enferme une somme infinie de tendresse. »


 Antoinette Dilasser :La passe, éditions Le Temps qu’il fait.

jeudi 12 avril 2012

Cuisine

Cuisine, le nouveau livre d'Antoine Emaz, paraît en version numérique chez publie.net. Il donne à lire, comme le faisait déjà Cambouis (paru au Seuil, collection « déplacements », en 2009, et également disponible en numérique chez le même éditeur), les multiples notes, échos, lectures, réflexions et échos familiers qui alimentent le vaste chantier d’écriture/lecture qu'il mène en continu. Ce livre est conçu tel un journal (ce qu’il n’est pas), de façon chronologique, avec pour chaque note une ou plusieurs entrées placée(s) à gauche sur la page. Ainsi Visage, vieillir :

« Rides. Visage qui prend de l’âge. Cela ne m’a jamais gêné, comme pour la barbe ou les cheveux blancs. M’ennuient davantage les récurrentes douleurs au dos ou à l’épaule droite, quand elles se réveillent. Pour les proches, j’ai mon visage, il vieillit à la vitesse du leur, rien de grave. Pour les autres, j’ai un visage de mots, et je ne sais ce qu’il peut être, ni s’il peut vieillir. »

Emaz se découvre ici tel qu’il est : avec pudeur et retenue. Il évoque son métier d’enseignant à Angers, ses fréquentes relectures de Reverdy, de Du Bouchet ou de Follain, ses incursions dans les carnets, notes ou journaux des autres (Hugo, Pascal, Jules Renard), son plaisir à entrer dans un nouveau livre de James Sacré, de Jean-Patrice Courtois, de Jean-Pascal Dubost, de Ludovic Degroote ou de Valérie Rouzeau en soulignant les lignes de force ou les variations qu’il y repère. Il explique sa relation à l’internet, sa fidélité et son bonheur de travailler avec Florence Trocmé pour Poezibao où il publie régulièrement des compte-rendus de lecture.

Les notes touchant le corps qui s’use, vieillit, fatigue trouvent leur équilibre grâce à celles qui s’attachent à la belle respiration que lui procurent les instants passés au jardin ou les haltes estivales à Pornichet. Le champ social est également très présent. Cela va des difficultés de son métier à celles rencontrées par les élèves et leurs parents en passant par le travail qui peut broyer des vies comme le montre la vague des suicides à France Télécom. C’est un homme à l’écoute et au contact permanent des autres (poètes ou pas) dont on peut, dans cet ensemble, prendre, page à page, le pouls.

Sa relation à l’écriture (ou à son absence, quand il est en panne) est évidemment au centre de sa réflexion.
« Le travail du poème doit être transparent, invisible : une machinerie de verre. »

Sa volonté d’aller « toujours au plus simple, jamais au plus facile » est indéniable. Il croit à la poésie et reste confiant quant à son avenir. Il existe de nombreux chemins secrets et en friche sur lesquels personne ne s’est encore aventuré et qui finiront bien par être explorés. Il en est convaincu. C’est le lecteur curieux, assidu, insatiable, avançant dans tel livre ou manuscrit, le crayon à portée de main, qui s’exprime ainsi.

Cuisine n’est pas à considérer comme l’envers du décor, comme la face cachée du poète Antoine Emaz. Il s’agit au contraire d’un livre qui prend place, de façon naturelle, dans son parcours créatif. En témoignent, s’il en était besoin, les nombreux passages où il revient sur l’écriture de Plaie (écrit en deux mois et retravaillé durant deux ans), sur la construction de Sauf, qui sort simultanément aux éditions Tarabuste, sur sa difficulté à écrire ou sur ce formidable terreau que constituent à ses yeux les lectures accumulées tout au long des dernières décennies.

Antoine Emaz : Cuisine, publie.net.

mercredi 4 avril 2012

Ames inquiètes / J'entends des voix

Marco Ercolani écoute, soigne et donne la parole aux grands inquiets. Il rompt le silence qui les entoure en publiant simultanément, en collaboration avec Lucetta Frisa (qui a révisé les textes), deux ouvrages. L’un est constitué de récits écrits suite aux entretiens réalisés auprès des malades qu’il a pris en charge tout au long de son travail de psychiatre à Gênes et en périphérie et l’autre regroupe des monologues (touchant à leurs hallucinations auditives) recueillis de décembre 2006 à février 2008. Les deux livres tentent de cerner la fragilité de ces êtres pris dans les mailles d’une folie qui s’exprime tour à tour par la colère, le délire, les crises de larmes, l’ennui ou l’anéantissement total... Tous disent leurs pulsions, leurs visions étonnantes avec un sens de la naïveté doublé d’un naturel qui leur fait souvent penser que ce sont eux qui sont dans la normalité. Certains ont simplement roulé à côté des rails. L’un en corrigeant un tableau de maître qu’il jugeait mal peint. L’autre en forçant la serrure d’une voiture dont il « voulait manger les vitres, le tableau de bord, le volant, le levier de vitesse » afin de mettre un terme à un trop long jeûne. Plusieurs, par contre, ont tué. Parce qu’ils ont cru voir dieu ou diable (très présents) en tel ou tel être ou parce qu’une voix leur a ordonné de passer à l’acte.

« Oui, je dors avec un porc. Et alors ? Il sent fort, et alors ? L’odeur est importante, vous ne savez pas ça, l’odeur est un signe... Un porc, lui ne me trahira jamais. N’est pas comme ces hommes qui vont et viennent sur ma terre sans faire de bruit, sans laisser d’odeur. Lui grogne, et méprise les étrangers qui salissent mes belles collines. Hier il me l’a dit : il faut faire justice. Il me l’a dit en un grognement très long. Et voilà, je lui ai obéi. Les animaux ont toujours raison. Je suis descendu dans la vallée et j’ai tiré des coups de fusil.

Voilà comment se défend un berger de vingt-deux ans qui a tué à coups de fusil vingt-sept personnes au supermarché de Sondrio et puis s’est enfui dans la montagne. »

Les témoignages ici rassemblés sont pour la plupart extraits de la grande folie. Ils émanent d’un monde avec lequel on prend d’ordinaire ses distances tant il peut faire peur. Leur force tient dans l’écriture à deux voix qui les portent. Marco Ercolani et Lucetta Frisa ne glissent jamais vers une curiosité malsaine. Le métier du premier et la simplicité narrative de la seconde les en préservent. La tendresse, l’attention vive, l’envie de comprendre et l’invitation au dialogue les placent naturellement en retrait. Pas de « je », pas de jugement, pas de diagnostic. Ils sont témoins. Ils laissent parler les patients et recueillent leurs propos sans forcer le trait, en les fixant patiemment dans des scènes brèves et réalistes.

« Ma retenue a été vaincue par la crainte qu’en absence de narrateur, ces histoires sombrent dans le silence », note Marco Ercolani qui a longtemps hésité à publier ce qui est du domaine de la confidence.

Sylvie Durbec, la traductrice, nous avait déjà permis de partager, par quelques extraits inédits publié dans le cahier de création de la revue en ligne du site "remue.net"  au  printemps 2010 : Sento le voci / J’entends des fous, sa découverte de ces textes et son désir de les lire à haute voix, passant instantanément, au fil de sa lecture, de l’italien au français.

 Marco Ercolani &Lucetta Frisa : âmes inquiètes (110 pages) et j’entends des voix (194 pages), traduit par Sylvie Durbec, éditions des états civils.