dimanche 1 décembre 2019

Une fois (et peut-être une autre)

C’est l’un des livres les plus malicieux de l’automne. Dense et finement construit, il est signé Kostis Maloùtas, jeune écrivain grec dont c’est le premier roman. Débordant d’imagination, il s’amuse à brouiller les pistes sans jamais perdre le fil de son histoire. Celle-ci est d’abord celle d’un livre, titré Une fois (et peut-être une autre), publié en Allemagne en novembre 1999 par Wim Wertmayer. On y suit les faits et gestes d’un dénommé le Sec, homme vivant dans une ville indéterminée, simplement coupée en deux par une rivière, en compagnie de ses deux sœurs, la Grande et la Petite.

« Il était né un dimanche, jour de repos, cadet d’une fratrie de trois enfants. C’était un soir pluvieux, les membres de la famille accouraient à pas glissants sous leurs pardessus trempés, impatients, et pas mécontents d’échapper à la pluie. »

La vie du Sec n’est pas palpitante. Il est toutefois inquiet à cause d’une grosseur, un kyste, peut-être une tumeur, qui lui pousse dans la nuque et qu’il faut enlever. L’ablation n’est qu’une formalité mais à chaque fois qu’il se rend à l’hôpital, un événement imprévu reporte l’intervention à une date ultérieure.

L’existence du Sec se poursuit bon an mal an. Elle se termine avec sa mort, d’un cancer du poumon à l’âge de cinquante-quatre ans. Le roman de Wim Wertmayer passe inaperçu et l’histoire pourrait s’arrêter là si, sept ans plus tard, à l’autre bout du monde, à Montevideo, un critique amateur, connaissant plusieurs langues, n’était pas tombé sur ce livre dont le titre lui dit quelque chose. Le lisant, il découvre qu’il est en tous points identique au roman d’un jeune écrivain uruguayen, Joaquín Chiellini, publié le même mois de la même année, livre à propos duquel il avait d’ailleurs écrit une note.

Pour la première fois, dans l’histoire littéraire, il y a donc deux écrivains, qui, sans se connaître, ont écrit le même livre. Si, à l’époque, les deux ouvrages n’avaient eu que peu d’échos, cette coïncidence qui dépasse l’entendement va bientôt les propulser en haut des ventes. Les deux éditeurs vont s’entendre pour faire fructifier cet étrange hasard. Les auteurs se rencontrent. Le livre allemand sera traduit en Uruguay et inversement. Traduction assez facile puisqu’il s’agit du même livre déjà disponible dans les deux langues.

La machine éditoriale se met rapidement en branle. Et Kostis Maloùtas jubile ! Il rappelle, de temps en temps, que les deux écrivains, dont Une fois (et peut-être une autre) est le premier livre, se retrouvent, depuis la parution de celui-ci en 1999, quasiment à sec, incapables d’ en concevoir un second. Il emmène le lecteur sur des chemins sinueux, freine, repart, réintègre la route principale et bifurque à nouveau. Son roman est constitué d’histoires à tiroirs. Il les raconte en adoptant une écriture qui n’a rien de désinvolte. Elle s’avère, bien au contraire, extrêmement fouillée. L’ironie affleure. À travers les nombreuses pérégrinations – de par le monde puisque les universitaires, alléchés par la bizarrerie télépathique, y ont évidemment trouvé du grain à moudre – des auteurs, des éditeurs et des essayistes qui se penchent sur les livres jumeaux, Une fois (et peut-être une autre) questionne, avec malice mais non sans rigueur, ce qu’il en est du mythe de l’écrivain et de la vie d’un livre.

Kostis Maloùtas : Une fois (et peut-être une autre), traduit du grec par Nicolas Pallier, éditions Do.
.

jeudi 21 novembre 2019

Adelphe

Le dimanche où Gabrielle, une femme qui ne s’en laisse pas compter, et surtout pas par les hommes, offre le Goncourt de l’année 1920 à Adelphe, le pasteur, celui-ci se retrouve dans l’embarras. Il lit l’ouvrage d’une traite et sait que ce cadeau, Nêne, roman d’Ernest Pérochon, qui raconte l’histoire d’une servante devenue bête de somme au service d’un veuf dans un coin de Vendée miné par le catholicisme ultra-traditionaliste, ne doit rien au hasard. Il y a là un message. Une façon particulière de dire que c’en est assez, que les femmes ne veulent pas ressembler à l’héroïne de Pérochon, qu’elles sont décidées à prendre leur destin en main et que les hommes devront apprendre à vivre autrement.

« Que certaines puissent être lasses de marcher à l’ombre, il n’y avait jamais songé. Que Gabrielle mérite la lumière, c’est une évidence. Adelphe s’en veut. »

Et Adelphe, qui en son presbytère balance entre le pour et le contre, ressasse et se perd en introspection en fumant pipe sur pipe. Le roman l’a bousculé. Il se demande si quelque chose ne cloche pas dans ses sermons. Ce qui l’ennuie, c’est que le livre commence à circuler dans la bourgade. Ses fidèles paroissiennes s’en emparent. Chacune l’annote et l’interprète à sa façon. Il va même jusqu’à le lire à haute voix à Blanche, sa servante, qui trouve que l’histoire de la femme du roman, qui est secrètement amoureuse de son patron, ressemble finalement à la sienne. Le pasteur, débonnaire, portant la quarantaine élégante, arborant une moustache taillée à la perfection, tombe des nues.

« Pourquoi n’a-t-il rien vu venir il ne sait pas. Ni comment faire maintenant qu’il le sait. Il ne pouvait pas prévoir, n’avait jamais envisagé une telle poisse, jamais. Il cherche ce qui dans son comportement aurait pu prêter à confusion, une parole ou un regard équivoque mais il ne trouve rien qui puisse ressembler à une méprise. »

Il se demande si les personnages principaux du livre de Pérochon ne sont pas incidemment en train de se réincarner dans son entourage en faisant voler en éclats l’existence plutôt calme et équilibrée qui était la sienne depuis la fin de la guerre. L’imparable trio, une femme qui aime un homme qui en aime une autre semble, en tout cas, bien en place.

C’est ce canevas souvent fatal, propice aux désillusions, aux rebondissements et aux déflagrations en série, qu’Isabelle Flaten tisse avec minutie. Elle le fait en décrivant la vie d’une petite communauté presque essentiellement féminine et en adoptant une écriture fluide, délicate et remuante. Elle déroule le fil des événements en douceur, avançant de façon implacable. Elle sonde l’intériorité des protagonistes en question en même temps que leurs désirs, dévoilant avec subtilité une histoire qu’elle dit « de l’ancien temps » mais qui n’en reste pas moins actuelle.

Isabelle Flaten : Adelphe, Le Nouvel Attila.

dimanche 10 novembre 2019

En souvenir de Paul Quéré (1931-1993)

Il m'a fait signe dès son arrivée en Bretagne. C'était fin 1979, début 1980. Auparavant, il vivait en Provence. Il était peintre, potier, céramiste, poète. Avait animé la revue Les Texticules du hasard et publié plusieurs livres. Nous nous sommes rencontrés peu après. Ce qui m'a tout de suite frappé, c'est le calme et la douceur qui émanaient de lui. Il avait une voix chaude. Ce n'était pas un grand bavard mais il parlait juste. Il s'exprimait en posant bien – et simplement – sa pensée. Ce dont nous avons parlé, ce jour-là, concernait, entre autres, son retour au pays. Il y a longtemps qu'il y songeait (ou plutôt qu'ils y songeaient, lui et Ariane, sa compagne) et l'un des éléments déclencheurs fut cette effervescence artistique, portée par des voix nouvelles (Alan Stivell, Dan Ar Bras, Kristen Noguès, Annkrist, Paol Keineg, Kristian Keginer) et intensément dépoussiérantes, qui avait surgi en Bretagne tout au long des années 1970 et qui, se mêlant à d'autres, à peine plus anciennes, notamment celles de Danielle Collobert, de Georges Perros (morts en 1978) et de Yves Elléouët (décédé en 1975) faisaient sauter les cadenas et portaient leurs chants intérieurs hors les murs. Les fenêtres s'ouvraient largement et cela ne pouvait que lui plaire, à lui qui écrivait des poèmes tournés vers le dehors, aptes à embarquer le visible et l'invisible jusqu'en Orient, dans un road movie océanique soutenu par des vents rageurs et des pensées sans frontières.  Pour vivre pleinement cet élan créatif, il fallait s'y frotter, retrouver ces lieux où vécurent ses ancêtres. 

"J'habite une bête qui passe mon temps à s'échapper du maigre enclos de ma cervelle.

C'est la bête à Bon Dieu peut-être, noctambule insaisissable se plaisant à tirer son ombre dans les allées des cimetières ; chaque tombe y est une chambre d'hôtel de passe."

Concernant la poésie, son regard, celui de quelqu'un qui venait d'arriver et qui découvrait la réalité du terrain, était pertinent. Il y avait de nombreux poètes mais chacun travaillait dans son coin, souvent sans connaître les autres, sans les rencontrer et parfois même sans les lire. La plupart étaient des êtres discrets qui appréciaient la pénombre. Il voulait tenter de les réunir. Créer un espace collectif pour donner à lire ces voix multiples. C'était la tâche qu'il s'assignait. C'est pour cela qu'il m'avait contacté. Il avait procédé de même avec bien d'autres auteurs. La revue Écriterres est née de ces liens qu'il a patiemment tissés avec les uns et les autres. Il la publia avec les moyens du bord, en donnant la parole à celles et à ceux qu'il appréciait, d'ici ou d'ailleurs, peu importe, dans un souci constant de qualité et d'ouverture. Il devint peu à peu ce passeur qui manquait tant. Il inventait des passerelles, faisait se rencontrer les poètes, les invitait chez lui. Parfois, il s'entretenait avec eux sur Radio Braden où il anima pendant plusieurs années une émission consacrée à la poésie. Il était là pour faire lire et entendre les autres. Ne se mettait jamais en avant.

" Nous sommes mes amis des oiseaux
de papier ! Ne nous demandez pas
de traduire nos départs !"

Nous nous sommes souvent rencontrés, la plupart du temps à Plonéour-Lanvern, parfois en compagnie d'autres auteurs (Alain Jégou, Michel Dugué, Jean-Louis Aven, François Rannou). On s'arrêtait devant la pancarte « attention : chien gentil » pour recevoir les jappements joyeux de celui-ci (et parfois aussi ses pattes avant sur la poitrine) et on entrait. Nous sommes très vite devenus amis et avons beaucoup échangé. L'image que je garde de lui – outre la dernière, cet après-midi-là, il neigeait, le feu rougeoyait dans la cheminée, il n'était pas en forme et remontait sans cesse le col de son pull pour cacher son cou décharné) est celle d'un homme lumineux, aimant l'ombre et le soleil, vibrant avec Charlie Parker et Jack Kerouac, heureux dans son atelier, mélancolique à ses heures, souvent hanté par la mort, intrigué par les danses torrides des « dames d'os » quand elles étaient en proie au démon de minuit et par les facéties de l'Ankou local qui, caché derrière les pins parasols, cessait d'aiguiser sa faux à chaque fois qu'il voyait quelqu'un passer. 

"À Tréguennec encore un jour
Planer comme une mouette ivre
Défoncée à l'embrun"

Secret et habité, j'imagine qu'il doit encore percevoir, là où il est, à Tréguennec ou ailleurs, par nuit de grands tumultes, quand le vent fou décoiffe et jette aux talus les dernières bigoudènes, le bruit des voitures qui circulent sur cette route qu'il évoquait régulièrement, celle qui relie Audierne à Pont l'Abbé. S'il se retourne vers le large, c'est sans doute la tunique multicolore de Boudica qu'il aperçoit. Elle ferraille à cheval, et ce depuis l'an 60 de notre ère, contre les légions romaines tandis qu'au loin, du côté de Douarnenez, ce ne sont plus les cloches d'une ville engloutie qu'il entend mais le ronronnement de la moto de Georges Perros qui rentre paisiblement au bercail, ralentissant puis coupant le moteur avant de passer la grille du cimetière de Tréboul.

Paul Quéré : Suite bigoudène effilochée, éditions Sauvages, 2016, Poèmes Celtaoïstes, éditions Sauvages, 2014

Livres autour de Paul Quéré : L’œuvre peint, éditions Apogée, 2000, A l'horizon des terres infinies (variations sur Paul Quéré), ouvrage collectif, par Marie-Josée Christien, éditions Sauvages, 2019.


vendredi 1 novembre 2019

Le temps est à l'orage

Joan Hossepount, cinquante ans, ancien tireur d’élite, devenu veuf très jeune, élevant seul sa fille, gardien d’un espace protégé autour des Lacs d’Aurinvia, dans le sud-ouest de la France, a déjà une vie bien remplie derrière lui quand il se décide à coucher par écrit les moments forts de son existence. Il se concentre surtout sur son entrée dans l’âge adulte, à la fin des années quatre-vingts. Cela va de son engagement militaire en outre-mer, où il a suivi son meilleur ami, jusqu’à son arrivée à l’entretien et à la protection des lacs en passant par son éviction de l’armée, pour cause d’infirmité, après une mission suicidaire où il assista, impuissant, à la mort de Will, l’ami de toujours.

« Nous avons dû tenir plusieurs heures sous le feu, abrités à la va-comme-je-te-pousse, le temps qu’un hélico vienne nous récupérer. Entre le début et la fin de l’opération, nous avons perdu quatre hommes. Quatre sur huit. Mission fiasco. »

Il a un peu plus de vingt ans quand il revient à la case départ. Et n’a plus grand monde autour de lui. Plus de parents, plus de compagne, plus d’amis. Juste le grand-père (qui mourra huit jours plus tard), une petite fille et un chat, Petit Chat, qui semble immortel et doté d’un sens de l’intuition à nul autre pareil. Il lui faut se refaire. Trouver de nouveaux repères intérieurs. Les ingrédients propices à un changement de trajectoire, il va les détecter assez vite. D’abord en fouillant dans les archives familiales. Et ensuite en se rapprochant d’un arbre, un hêtre de huit cents ans qui a bien des choses à confier à qui sait l’écouter.

C’est en lisant les carnets (plus ou moins raturés) de son plus lointain aïeul, le dénommé Guilhem Hossepount, qu’il va comprendre d’où il vient et qui il est. Guilhem a construit la maison dans laquelle il habite. Il est arrivé à Aurinvia en 1816 après avoir beaucoup bourlingué. Lui aussi a connu la guerre, dans l’armée napoléonienne, et a tué des hommes avant de s’inventer une nouvelle vie, devenant luthier et musicien. Il a également été blessé. Et c’est de cette blessure, qui dessinait une forme de hêtre sur son tibia, qu’il tient un pouvoir qui fera de lui un homme à part, un solitaire un peu fou et un peu sorcier. Dès qu’il se rapprochait du hêtre et que la douleur irradiait sa jambe, il savait que quelque chose de grave se préparait ou venait de se produire, quelque chose qui avait à voir avec le saccage du lieu. Le hêtre (ou une puissance nichée en lui) lui demandait alors d’agir.

Deux siècles plus tard, Joan découvre qu’il éprouve les mêmes symptômes. Et qu’il va, lui aussi, se rapprocher de l’arbre en haut duquel grimpait jadis son aïeul et déjouer, en se servant de ce pouvoir occulte dont il a hérité, les méfaits que d’autres fomentent au cœur de ce lieu magique et convoité où il passe ses journées. Des promoteurs sont à l’affût. Qui aimeraient amasser beaucoup d’argent en massacrant le paysage pour y bâtir un complexe touristique. Le projet est encore balbutiant mais il doit faire en sorte qu’il s’arrête au plus tôt. Il va s’y employer en usant de méthodes plutôt brutales. La violence, il connaît. Et la retourner contre ceux qui s’en servent en voulant casser l’harmonie fragile qui lie la terre, l’humus, le ciel, les paysages, les plantes, les hommes et les bêtes qui y vivent ne lui pose aucun problème. Il ne tue pas mais dissuade fermement.

’Le monde est un gigantesque gisement d’êtres, de qualités, de capacités qui interagissent. Les humains ne sont pas les seuls acteurs autonomes. Végétaux, animaux le sont aussi. Et au-delà des seuls phénomènes physiques, les artefacts, représentations, esprits, divinités, morts ont leur place, parfois déterminante. »

On retrouve dans ce roman tout ce qui fait la force et la singularité des textes de Jérôme Lafargue. Il y a là son énergie narrative, son écriture souple et charpentée, son imaginaire discrètement relié à la réalité, sa faculté de sauter aisément d’une époque à l’autre et ses descriptions de paysages en mouvement (ceux des Landes, des forêts, du littoral exposé aux vents) ou de scènes de guerre d’un réalisme non dépourvu de poésie. Au fil du livre, les séquences se succèdent, se tissent et se complètent. Elles s’inscrivent dans un lieu habité par des forces invisibles, autour d’un personnage principal (Joan) qui ne va prendre son véritable envol qu’après s’être instruit auprès de celui (Guilhem) qui l’a précédé.

Jérôme Lafargue : Le temps est à l’orage, Quidam éditeur.

samedi 19 octobre 2019

Habiter

Habiter un lieu, un espace, y faire halte de façon éphémère ou s’y poser durablement, n’est pas une mince affaire. Celui ou celle qui s’installe ne le fait pas inopinément. Auparavant, il a fallu chercher, tourner autour, dénicher le bel endroit. On y porte son corps, son passé, ses envies, ses rêves et des projets d’occupation, de partage et d’équilibre qui ont été longuement pensés et façonnés. C’est autour de cette vaste question – où, comment habiter (une maison, une chambre, une cabane, un appartement, etc.) – que Sereine Berlottier (avec ses textes, poèmes et proses) et Jérémy Liron (avec les reproductions de ses peintures) ont bâti leur livre. Fait de « traces et de trajets », il incite plus au nomadisme qu’à l’ancrage définitif. Et c’est cela qui le rend passionnant.

Son architecture est judicieuse. Aux façades, éléments de paysages, boîtes aux lettres, fenêtres perchées, vitres floues, gouttières, rambardes, portes de garage ou intérieurs presque vides (où dominent une palette de jaune et de belles nuances de vert) peints par Jérémy Liron répondent les cinq textes de Sereine Berlottier.

« S’il m’arrive de rêver à une maison inconnue, n’est-ce pas que je lui délègue des facultés d’accueil, une certaine disposition au bonheur, qui en ferait, sans que je puisse en définir plus longuement les contours, un lieu approprié, non pas tant au sens d’une possession qu’à celui d’une justice, d’une justesse, un lieu pour la paix, la respiration du corps et de la pensée, lieu favorable pour moi et ceux qui me sont proches ? »

Ses 144 fragments pour habiter, où sont assemblés pensées, réflexions, rêveries, extraits de lecture et souvenirs personnels, disent combien la notion d’habiter est délicate. Elle revient sur plusieurs épisodes de sa vie. Revoit les lieux où elle a vécu. Sait que dans certains d’entre eux, où elle ne retournera jamais, se trouve toujours une part d’elle-même. Quelques chambres, maison d’enfance, vieille ferme, appartements et bureaux logent ainsi dans sa mémoire. Et d’autres, rencontrés en rêves, au hasard d’une lecture ou d’un article de presse, lui ouvrent d’autres portes, l’invitant à élargir son champ d’investigation.

« Crise du logement, « mal logement », il me semble que ces mots tiennent étrangement à distance ce dont ils témoignent. Misère, malheur, vie dans l’inhabitable, inhabitable vie, serait-ce plus juste ? »
Son regard s’avère aiguisé, sensible et pertinent. Elle se réfère régulièrement à ceux qui ont beaucoup exploré le sujet. Leurs présences (notamment celles de Perec et de Bachelard mais également de Calvino et de son Baron perché qui se réfugie dans les arbres) sont autant de fenêtres qui éclairent un livre qui devient, lui aussi, à sa manière et au fil des pages, une maison habitée.

Sereine Berlottier et Jérémy Liron : Habiter, traces et trajets, éditions Les Inaperçus.