jeudi 24 mars 2022

L'Ukrainienne

Dans sa préface à l’édition française, Josef Winkler revient sur la genèse de son livre. En 1981, ayant grand besoin de calme pour finir son troisième roman, Langue maternelle (qui paraîtra l’année suivante), il décide de quitter Vienne et loue une chambre dans une ferme, à Mooswald, village de montagne en Carinthie. Il y arrive avec son manuscrit et sa machine à écrire Olivetti. Dans la journée, il travaille à l’élaboration de son texte et il ne descend que pour la collation du soir. S’ouvrent alors des moments particuliers durant lesquels il commence à échanger avec sa logeuse. Celle-ci, Valentina Steiner, lui parle de son passé, de sa vie rude, semée d’embûches, et lui apprend qu’elle a, elle aussi, il y a longtemps, occupée la chambre où il s’est installé. C’était en 1943. Elle avait alors quinze ans. Originaire d’Ukraine et déportée en Autriche par les allemands, dans le cadre du travail obligatoire, c’est dans cette exploitation agricole, qu’elle n’a jamais quittée, qu’elle fut placée. Sa sœur, qui connut le même sort, fut recrutée dans une autre ferme avant de quitter le pays après la guerre. Quand à sa mère, elle resta en Ukraine et elle ne la revit jamais.

Celle qui se confie à Josef Winkler a épousé l’un des fils de la ferme Steiner, où elle arriva, exténuée et malade, après un long périple à bord d’un wagon à bestiaux.

« Soir après soir, je l’écoutais. Elle attirait souvent mon attention sur le fait qu’elle m’avait logée dans cette même chambre où elle l’avait été elle aussi après avoir été transportée de force en Carinthie et où des années durant elle avait dû dormir près d’une servante. »

C’est l’histoire de cette femme, qu’il rebaptise Nietotchka Vassilievna Iliachenko, et de sa famille ukrainienne que raconte Josef Winkler. Son livre est construit en deux parties. Dans la première, il revient sur l’année qu’il passa à Mooswald et sur le destin de celle dont l’arrachement aux siens ne fut pas la seule des épreuves douloureuses qu’elle eut à traverser. Auparavant, il y avait eu, dans les années 30, la famine organisée par le pouvoir soviétique, la confiscation de toutes les terres et la création des kolkhozes. Ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas y travailler risquaient la mort ou la déportation. Ce fut le cas de son père, amputé d’une jambe pendant la première guerre mondiale, qui quitta le village pour sauver sa peau après avoir été dépouillé de tous ses biens (maison, terre, bêtes et outils) et qui ne donna jamais plus de nouvelles.

« Il fut constamment menacé par les chefs du kolkhoze de Doubynka, ces gros bonnets comme Nietotchka les appelait, et il dut finalement prendre la fuite pour ne pas être pendu, abattu ou envoyé en Sibérie séance tenante. »

La seconde partie, bien plus longue, est la retranscription des propos de Nietotchka, qu’il enregistra au magnétophone et qui lui raconta en détail son parcours, depuis sa naissance en 1928, sans rien éluder, avec une grande liberté de paroles, des redites pour préciser, des interruptions, des sauts chronologiques et de soudaines remémorations qui la font circuler en méandres dans ses souvenirs. Si Josef Winkler se met en retrait, c’est néanmoins lui qui tient la plume et qui donne de l’allant et de l’énergie à ce récit autobiographique saisissant d’humanité et de réalisme. Celle qui parle n’a rien oublié de sa vie en Ukraine. Des souffrances physiques et morales, de la faim qui la tenaillait, de sa détermination à aller mendier dans les villages voisins (où on ne la connaissait pas) pour apporter du pain à sa mère malade, des épidémies qui se propageaient, des kolkhoziens qui menaient la vie dure aux villageois, des nombreux morts et de l’arrivée des allemands qui, vus un moment par certains comme des libérateurs, capturèrent ensuite un membre de chaque famille pour le travail obligatoire.

« En janvier 1943, à Doubynka, on a appris qu’une personne de chaque maison allait devoir partir s’installer en Allemagne pour travailler. Une personne doit aller en Nimetchyna, c’est comme ça qu’on disait pour l’Allemagne, partir, pour ainsi dire s’enrôler. C’était injuste mais dans notre famille, ce sont deux personnes qui ont dû partir, Lidia et moi ».

Suivent le voyage à travers plusieurs pays d’Europe de l’Est dans les wagons à bestiaux et l’arrivée en Carinthie. Où elle s’adapte, travaillant aux champs et s’occupant des bêtes le soir. Avec, là encore, la mort aux aguets. En particulier, celle de sa future belle-mère, qui la considérait comme membre à part entière de la famille. Au fil de son récit, extrêmement vivant, revient régulièrement la figure de sa mère, Hapka Davidovna Iliachenko, restée seule en Ukraine. En fin d’ouvrage, Josef Winkler donne à lire les lettres qu’elle adressa à ses filles. Elles vont de 1957 à 1974 et disent sa solitude, son espoir de les revoir, sa déception de ne pas recevoir de leurs nouvelles aussi souvent qu’elle le souhaiterait. La dernière lettre, écrite en juillet 1974 par des voisins, annonce aux deux sœurs la mort de leur mère.

« Elle a été enterrée au cimetière du village (….) avec tous les honneurs revenant aux défunts. Son plus grand souhait était de vous voir, vous et Lida, ce rêve la faisait vivre. »

L’Ukrainienne se place au-delà du témoignage. Histoire personnelle et grande Histoire s’entremêlent, dans des territoires que Josef Winkler connaît bien. Le village de Mooswald surplombe en effet la vallée où se trouve la ferme de ses parents, dont il a retracé la vie dans quelques uns de ses précédents romans ( notamment Requiem pour un père, Verdier, 2013 et Mère et le crayon, Verdier, 2015). Une vie rude, rivée au travail de la terre, corsetée par le poids de la religion, qui rend les êtres taciturnes et rugueux envers les autres, ce qui n’est pas le cas de Mme Steiner. Qui se confie pour que son histoire soit sauvegardée.

 Josef Winkler, L’Ukrainienne, traduit de l’allemand (Autriche) pat Bernard Banoun, éditions Verdier.

mardi 15 mars 2022

Captive

Elle essaie, là où elle vit désormais, dans le calme d’une maison à la campagne, de se reconstruire et de mettre à distance un passé avec lequel il lui est impossible de rompre. Il faut dire qu’il est plutôt lourd pour ses épaules fragiles et qu’il revient régulièrement la visiter en l’obligeant à repenser à certaines scènes douloureuses.

Tout a commencé un matin, quand deux gendarmes sont venus la cueillir à domicile pour l’entendre au sujet de la mort de son patron, un restaurateur d’une cinquantaine d’années.

« La grille ainsi que la porte de l’établissement étaient ouvertes. L’homme était mort d’un vilain coup à la tête, asséné avec la batte de base-ball que Michel, le vigile, cachait sous le comptoir au cas où un danger se présenterait. »

Léa, la narratrice, chargée de la plonge et du ménage, qui est chaque soir la dernière à quitter les lieux, est soupçonnée du meurtre. Lors de leurs auditions, ses collègues de travail (avec lesquels elle n’a aucune affinité) n’ont pas hésité à la charger, précisant qu’elle était en conflit avec le patron, qui s’apprêtait d’ailleurs à la licencier. Il y a contre elle de fortes présomptions de culpabilité et la confusion de ses réponses n’arrange rien.

« Leur assurance me terrifiait, cette certitude qu’ils avaient de ma culpabilité. J’étais emportée par un processus inexorable dont j’étais impuissante à enrayer les rouages. En moi, tout s’écroulait. J’ai levé les yeux vers eux dans une supplication muette pour qu’ils mettent fin à cette mécanique infernale. »

Condamnée, pour un acte qui semble lui être sorti de la tête, elle va devoir, durant ses cinq ans d’emprisonnement, dans un univers carcéral qui est minutieusement décrit, avec ses heurts, ses bruits, ses suicides, faire retour sur ces événements qui ont coupé son existence en deux. Un jour, par hasard, lors d’un atelier d’écriture, un déclic lui permet d’y voir plus clair. La brume se déchire enfin. Oui, elle a empoigné la batte de base-ball, mais c’était pour se défendre.

« Ma métamorphose a pris fin aussi soudainement qu’elle avait commencé. J’ai cessé d’écrire, posé mon stylo à côté de la feuille, vidée de toute énergie. Je ne savais pas de quel soubassement de ma mémoire ces mots étaient issus. »

Même après sa libération, la narratrice se sent captive. Sa mémoire la tient en laisse. Elle va devoir la dompter, y mettre de l’ordre, gommer ses dénis, nommer et accepter les faits. L’environnement agréable où elle commence à prendre ses marques, sous le regard bienveillant du propriétaire de la maison où elle vit, loin de la ville, et qui sait, lui, d’où elle vient, va l’aider à mener à bien ce long cheminement.

En une écriture simple, parfois elliptique, capable de changer de rythme quand il le faut, Elsa Dauphin déroule des séquences de vie où alternent la dureté d’un passé âpre et le silence d’un présent mis à profit par une femme fragile et volontaire qui entend se bâtir un avenir plus serein. Elle sait, intuitivement, qu’elle y parviendra mais qu’il lui faudra du temps et que sa solitude du moment est une étape nécessaire.

Elsa Dauphin : Captive, éditions Lunatique.

 

dimanche 6 mars 2022

L'éternel figurant

Raymond Penblanc est passé maître dans l’art du bref – son récit Les trois jours du chat est un modèle du genre – et les douze nouvelles réunies ici (l’une d’entre elles donnant son titre à l’ensemble) le prouvent à nouveau. Il sait, en quelques pages, avec élégance, en un phrasé souple, reconstituer un moment particulier, la plupart du temps décisif, de la vie d’un personnage, homme ou femme, contraint d’effectuer un choix impérieux. Ainsi celui d’Azra, qui attend le moment idéal pour briser, d’un coup de pioche, la nuque de l’ancien chef de guerre qui a assassiné sa fille.

« Azra hausse les épaules et attrape à nouveau la pioche afin de bien leur montrer. Il suffit de fixer le carré de peau sur lequel le tranchant va s’abattre, après avoir chassé de sa tête tout ce qui serait susceptible de brouiller l’esprit. Clarté et fermeté. Clarté étant mère de fermeté. »

Dans chaque nouvelle, les mots sont choisis avec précision, la scène est sobrement délimitée, l’atmosphère ambiante se tend en même temps que les corps et un fil narratif, très fin, se met en place, en un monde intemporel et en un lieu non défini. Les réflexes, les sentiments, les peurs, les pulsions, les instincts deviennent palpables et s’emparent des êtres qui ne peuvent qu’agir, pour se sauver, se venger, s’adonner à des opérations cruelles (tel cet apprenti vétérinaire qui anesthésie un chien en espérant lui couper la langue), se donner en spectacle ou effectuer le grand saut (ainsi cet homme que la maladie condamne et qui roulera du haut de la falaise).

« Non seulement il n’essaie pas de freiner sa chute, mais il l’accélère au contraire, amplifiant les rotations de son corps, avant de disparaître dans le vide. Horrifiée, je le regarde disparaître, sans esquisser le moindre geste. »

Il suffit de peu de phrases pour entrer de plain-pied dans les textes de Raymond Penblanc. Il n’use jamais de longs préambules. Les portraits de ses personnages et leur façon d’être ou de réagir leur procurent une vraie épaisseur. On perçoit leur solitude et leur trouble et on leur emboîte aisément le pas, de nouvelle en nouvelle, dans des décors très différents, en intérieur ou extérieur, – parfois même dans une église où la sensualité trouve une alcôve à son goût – tous étant occupés à déjouer les pièges, les sales coups et les guet-appends que la vie leur réserve.

Raymond Penblanc : L'éternel figurant, Le Réalgar.

jeudi 24 février 2022

Mon plan

 Attentif aux présences invisibles qui frémissent tout autour de lui, le narrateur privilégie l’attente et l’immobilité. Il se tient aux aguets. Parfois, « une chose dans le monde en apparence tombe », sans faire beaucoup de bruit et en restant floue.

« L’apparence de la personne que je crois être est comme la miniature très étirée de celle que je ne connais pas encore. »

Cela se complique un peu. Il s’en réjouit. Il y a de la complexité dans l’air et donc du grain à moudre pour sa pensée. Il cherche sa place, une position idéale pour observer, la trouve, ou admet, tout au moins, que s’il est ici, à cet instant précis, c’est qu’il y a de fortes probabilités pour qu’il ne soit pas ailleurs. Mais il n’en est pas si sûr. Le monde, dont il perçoit constamment l’étrangeté, l’incite à croire qu’’il en existe un autre, peu connu, et qu’il y est étroitement relié.

« Je me sens proche d’où je suis, pourtant très détaché. »

Ses interrogations le portent vers les territoires du doute, de la nuance, de l’intuition et de la fragmentation. C’est dans ces sous-bois, éclairés par une lumière filtrée, celle des hautes branches de la réflexion, de la philosophie et de l’abstraction, que se promène Maël Guesdon. C’est là qu’il esquisse les contours d’un plan qui prend des allures de boîte à malices. Tous deux (le narrateur et son plan) entretiennent d’ailleurs d’étroites relations. Ils parlent de choses et d’autres, tout comme l’araignée le fait (sans doute) avec sa toile au sujet des insectes capturés ou sur le point de l’être.

« Je dis mon plan non qu’il m’appartienne mais j’y suis comme attaché, et lorsqu’il se brise, chacun de ses morceaux paraît contenir tout ce qui en lui m’échappe. »

Ce sont ces morceaux qu’il ramasse, polit, rassemble. Ils s’éparpillent fréquemment et cela dure depuis longtemps, parfois même depuis l’enfance, qu’il revisite, en se dédoublant légèrement, ce qui demeure, chez lui, une seconde nature.

« Je suis très détaché, limite flottant au gré de ce qui arrive. »

Partout où il va, l’araignée (ou son image, sa représentation) le suit ou le précède. Il n’a aucun mal à s’identifier à celle qui passe sa vie à réparer ce qui se défait et à s’isoler dans sa maison-garde-manger en maintenant son monde, celui dont elle tisse les parois à son échelle, à distance de l’autre, si vaste, si inquiétant, qu’elle sent vibrer jusque dans ses pattes.

« Je crois que je m’identifie plus facilement à la mouche qu’à vous, alors que, vous l’amenant, je me suis comporté davantage comme vous que comme la mouche. »

Maël Guesdon quadrille habilement l’espace qu’il s’est assigné. Pour ce faire, il s’empare de quelques fragments de son passé et de son présent, il brouille les pistes, questionne les contraires et observe, en changeant fréquemment d’angle de vue, ce qui lui est familier, ce qui coince, ce qui l’interroge, ce qui est absurde, logique, évident et ce qui l’est moins. On le surprend en train de dessiner des lignes d’approche, en une succession de blocs de prose, et on se dit que c’est peut-être là son plan (mais comment en être sûr ?). Et qu’il l’affine au fur et à mesure qu’il avance dans la construction de son livre.

Maël Guesdon : Mon plan, éditions Corti.

lundi 14 février 2022

Ordure

Il est des livres qui frappent fort et qui n’ont pas besoin d’être long pour marquer leur territoire. Celui-ci en fait partie, qui décoche crochets et uppercuts en une succession de tableaux précis, minimalistes, sans affect. C’est un diamant noir qui brille dès que vient la nuit, dès que Sloper, agent d’entretien au service d’un grand immeuble, commence à circuler dans les étages en poussant son chariot. L’homme est robuste et solitaire. Il vide les poubelles remplies de déchets de toutes sortes, y récupère parfois un sandwich ou un bout de pizza, nettoie, récure, efface les taches, remet de l’ordre dans les bureaux déserts avant d’aller déverser le produit de sa collecte dans les bennes à ordures. Il s’arrête de temps à autre, s’égare dans ses automatismes, peut s’emparer d’une paire de bas abandonnés et s’exciter avec ou se masturber dans les chaussures que la jeune femme du 23ième (qui est sympa avec lui) a laissées sous son bureau, puis les nettoyer avec « de la mousse anti-bactéries » et poursuivre son labeur en promenant son ombre inquiétante dans les couloirs.

« Après la collecte des déchets, Sloper passait le balai et la serpillière dans le local à poubelles. Il balayait en faisant des petits ronds sur le sol, le tas de poussière et de débris au milieu de la pièce se faisant plus étroit à mesure qu’il s’élevait, tandis que Sloper tournait autour en spirale. Il lavait le sol en y dessinant des huit, changeant l’eau une fois seulement. »

Travail invisible, effectué par un homme qui l’est aussi. Il vit chez sa mère, qu’il ne voit jamais, lui logeant à la cave et elle au dessus. Ils ne communiquent que par le vide-ordure. Il l’entend gueuler dedans ou taper au plafond. Ces sautes d’humeur lui glissent dessus. Avant il travaillait à la morgue. Aujourd’hui, il ne côtoie que les sans-abris qui dorment sous les voitures et les mal en vie, petits durs ou éclopés qui vivotent dans le quartier, telle cette vieille femme impotente, qui ne quitte pas son fauteuil roulant, ne s’exprimant que par bips électroniques, sur laquelle veille une aide-soignante, et dont il se sent plutôt proche.

« Sloper poussait la femme dans son fauteuil autour de la fontaine ; seules quelques gouttes d’eau les effleuraient. Elle émit un seul bip, puis un seul bip, puis un seul bip. Elle devait avoir envie de se faire arroser et Sloper la poussa pour lui faire traverser le voile tombant de part et d’autre. Elle continuait de biper. »

La vie de Sloper est méthodique et routinière. Il évacue les déchets, aspire la poussière, ne rencontre personne ou presque dans les étages, ne parle pas, ne se prend pas la tête. Caché dans l’un des angles morts de la société, il traîne derrière lui une sorte de torpeur qui ne semble pas le déranger. Tout se détraque pourtant un soir quand, essayant d’extraire un sac qui bloquait l’ouverture du vide-ordure, il découvre à l’intérieur le corps d’une jeune morte, en l’occurrence celui de la femme du 23ième..

« Le plastique se déchira et des ordures se répandirent sur le sol. Comme pour le punir, quelqu’un lui donna un coup au visage. Il lâcha le sac et fit un pas en arrière, sa vision brouillée. Lorsqu’il retrouva la vue, il distingua un bras pâle qui sortait par l’ouverture carrée – qui ne le frappait plus, qui ne faisait plus rien. »

La suite est plutôt terrifiante. Sloper est un homme imprévisible et hors-sol. Ce qu’il trouve lui appartient. Et le portrait qu’en fait Eugene Marten, qui va loin, très loin dans l’enchaînement des faits et dans leur description clinique, est implacable. C’est là la force de son texte. Il ne juge pas Sloper mais il le suit à la trace, saisit la mécanique qui gouverne ce monstre froid en ses basses œuvres, sans entrer dans ses pensées, ne montrant que ses gestes, ses instincts, ses pulsions. Le lecteur, happé par l’écriture elliptique de l’écrivain et par la distance qu’il maintient constamment vis-à-vis de son personnage, est pris dans un engrenage glaçant, tout au long, et jusqu’au bout, d’une fiction déstabilisante.

 Eugene Marten : Ordure, traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Vanderhaeghe, préface de Brian Evenson, Quidam éditeur.

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