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mercredi 6 mars 2024

La reposée du solitaire

Tous les jours, vers quatre heures du matin, un homme se lève, boit son café, caresse et nourrit son chat, allume son ordinateur, ouvre son Memento, note ce qui lui vient ou ce qui ressort d’une nuit qui fut agitée, composée de périodes de sommeil entrecoupés de bruits intérieurs (ceux provoqués par les mots qui ne veulent pas dormir) et extérieurs, où les animaux, délivrés de la diurne, désagréable et parfois redoutable présence des hommes, fouinent, fouissent, hululent, aboient, grognent, mâchent, mastiquent, chassent et s’adonnent à bien d’autres activités dont certaines touchent l’oreille sensible de celui qui débute sa journée avec douceur et lenteur, "loin des "excès de vitesse du monde"..

Cet homme, c’est Jean-Pascal Dubost. Il vit en forêt de Brocéliande où il a choisi de s’installer et où il se sent bien. Quand il se lève, la lumière de son bureau est l’une des premières à émettre dans la contrée et nul doute que beaucoup d’animaux la repèrent, s’en approchent ou s’en éloignent, Cela n’est pas pour lui déplaire tant il se sent proche d’eux, appréciant de les savoir libres et sauvages, à proximité de ce "balcon en forêt" à partir duquel il les voit parfois.

Comme eux, il s’est aménagé une maison-tanière, un repaire, un abri qui fait office de "reposée du solitaire", (l’expression est de Maurice Genevoix).

« Grâce aux animaux sauvages, j’entends les palpitations du silence. Ça paraît pompeux, dit comme ça, mais en tendant tous mes sens vers eux dans le silence matinal de la forêt, j’entends battre à l’unisson leur cœur à travers le silence. Les animaux fusionnent avec le silence. C’est à ça, que je me concentre extrêmement chaque matin. »

Peu après, il explique que sa forêt, si vivante, abritant une faune épatante, soumise aux aléas du climat, aux assauts des chasseurs et des coupeurs d’arbres, est imaginaire et cosmique mais aussi bien réelle. Foisonnante, très étendue, observée de sa fenêtre en levant les yeux de son écran ou du livre qu’il est en train de consulter, il y pénètre également quand il en a envie, s’y perd, s’y retrouve, froisse les feuilles mortes, avance nez au vent dans une odeur d’humus ou de terre malaxée par les groins des arpenteurs nocturnes.

« Quand je marche en forêt (hors sentiers), j’ai le sentiment très net d’être observé par des animaux. Qu’ils titillent ma nature non pas enfouie ou disparue, mais inexistée. »

Ce livre – posé, apaisant, grand ouvert sur la forêt – est composé de notes écrites au fil du temps (entre mai 2020 et février 2022) et parsemé de citations dues à ses auteurs de prédilection, est idéal pour saisir la solitude (assumée, plutôt heureuse) de l’écrivain Jean-Pascal Dubost au travail et pour comprendre le lien étroit qu’il entretient avec son lieu de vie.

Il n’est pas pour autant homme vivant hors du monde et du temps. L’ordinateur à portée de main, il va visiter les sites d’informations, prend connaissance des faits-divers, des drames, des guerres, des chaos en cours et réintègre prestement son ermitage, bien situé et ô combien littéraire (les légendes arthuriennes s’y régénèrent toujours), autour duquel bruisse une forêt de mots qui requiert toute son attention.

« Je vis en forêt de Brocéliande depuis 2005, j’y voulais vivre, y vivre au plus près mes lectures arthuriennes, et peu à peu la forêt est entrée en moi, mes moindres recois y sont, même ceux encore inconnus de moi. »

 Jean-Pascal Dubost : La Reposée du solitaire, notes de carnets, éditions Rehauts

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