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mercredi 2 avril 2025

là où ça veille

L’instant est gravé en lui.
« Un souvenir / dans une lumière / assez sombre »
qui le ramène au samedi vingt-six août mil-neuf-cent-quatre-vingt-quinze, à douze heures quarante-deux minutes, moment où sa mère rend son dernier soupir.

« ma sœur est penchée vers le corps de ma mère et
le soutient elle dit c’est fini et j’entends
le corps qui se vide en deux temps ce qu’on appelle
le dernier soupir de ma mère qui vient
de mourir »

Alexis Pelletier ouvre son livre – un ensemble de poèmes dont l’écriture s’est étalée entre 1995 et 2023 – en se remémorant l’instant où sa sœur leur annonce, à lui et à son père, que "c’est fini". Tout part de ce moment. Il y a l’avant (qui reviendra de temps à autre) et l’après (qui débute déjà) mais il y a d’abord cet instant qu’il faut préserver, décomposer, comprendre, afin de mieux saisir cette "sensation mélangée" qui, depuis, le poursuit.

« je n’y comprends rien je n’y comprends encore
rien je crois me souvenir d’un mouvement de
recul de mon corps une fois que j’ai su qu’elle
était morte c’est arrivé la mort ce n’est
pas encore le deuil »

Il énonce ce qu’il fait, sans y penser ou presque, de façon quasi-automatique, dans les heures qui suivent. Il marche longuement dans les rues, téléphone à ses proches depuis une cabine, revient dans l’appartement après avoir pris l’ascenseur en compagnie de l’employé des pompes funèbres chargé des premiers soins.

« et c’est fait voilà il nous livre
une belle morte avec le crucifix dans
les mains »

Il se souvient qu’il y a peu, sa mère, se sachant condamnée, lui a demandé : "s’il te plaît mon chéri / il faut me suicider", ce qui ne colle pas tout à fait avec "la bienséance chrétienne".

Certains faits marquants, intervenus entre le décès et la tenue des obsèques, insistent, sortent à l’air libre, veulent prendre place dans ses poèmes. Il les note tout en réactivant des plages de vie liées à la présence de sa mère, à la musique qu’ils écoutaient ensemble (Bach, Stravinsky, Poulenc et d’autres) et à l’écriture, tout particulièrement à celle de Cité de mémoire, livre d’entretiens avec Claude Ollier (qui sera publié chez P.O.L. en 1995) dont il avait imprimé une première copie pour elle.

« dans les pleurs elle a dit que c’était une chose
qui existerait sans elle j’ai regretté
mon geste ne le comprenant que bien après
sa mort »

Évoquer la disparition d’une mère n’est pas chose aisée. Alexis Pelletier s’en rend compte et avance lentement, sans pathos, s’en tenant aux faits. Il les déroule avec précision, y greffe ses doutes, ses regrets, ses émotions. Il y pose ses mots, simples et précis, sans jamais se cacher derrière eux. Il se réfère également, quand sa pensée les convoque, à ceux des autres (Héraclite, Beckett, Shakespeare, Rimbaud, Dagerman, etc) et se laisse porter par la vie (la rencontre, l’amour) qui va, qui continue, malgré tout, malgré la mort (qui emportera ensuite son père).

C’est ce parcours particulier, intense et douloureux, effectué en maintenant un contact étroit et nécessaire avec ses proches, qu’il dévoile avec grande sincérité dans cet ensemble au titre énigmatique. Vingt-huit ans plus tard, il semble avoir, en partie, trouvé ce qu’il espérait. D’abord "assez sombre", la lumière où se tenait son souvenir est devenue "assez vive".

« je ferme les yeux je te vois je tiens ta main »

Alexis Pelletier, là où ça veille, Tarabuste.

 

mardi 11 février 2020

Ficelle / Plis urgents

Chaque numéro de la revue Ficelle, créée et animée par Vincent Rougier, associe un poète et un artiste (peintre ou graveur) et se présente sous la forme d’un livret broché, format 10,5 X 15 cm, aux pages non coupées, inséré dans une enveloppe « Mail Art ». L’aventure a débuté en 1993 et le numéro 139 (Le rire et le vent, « poème en vingt-cinq prises » de Claude-Lucien Cauët, gravures de Vincent Rougier) vient tout juste de sortir. Comme à chaque fois, la surprise est au rendez-vous. Une voix se donne par fragments. Le lecteur ne met pas longtemps à se familiariser avec le ressac et la houle qui donnent force, gîte et souffle à l’ensemble. Cauët est un poète rare. On le lit peu. Raison de plus pour ne pas le rater.

« je tempête à la lampe des brisures océanes
échalas de soie et de sang sur un squelette de bois
ma course prend la mer de vitesse
elle qui brasse les paronymes allitère les brumes
sans jamais lever son nez de quartz
je la coiffe sur la ligne d’horizon d’un feutre de gangster
le marin voit la langue d’écume tirée par le père
Égée et devine derrière le drap noir la vengeance de ses frères
il n’est pour demeurer vivant que de s’abîmer en haute saison »

Ce qui caractérise Ficelle, outre le bel objet conçu par V. Rougier dans son atelier, c’est la diversité des voix qui s’y assemblent. De nombreux poètes contemporains figurent au catalogue. Ainsi Serge Pey, Christian Prigent, Werner Lambersy, Thomas Vinau, Joël Bastard, Albane Gellé, James Sacré, Amandine Marembert et tant d’autres, dont le regretté Patrick Le Divenah (1942-2019).

Parallèlement à la revue, l’éditeur publie également, avec la même régularité, la collection Plis Urgents. Le format est identique. La présentation légèrement différente. Chaque titre est un livre broché avec jaquette, tiré à 300 exemplaires numérotés. C’est dans cette collection que l’on trouve Les Moires et Slamlash, deux textes différents d’Alexis Pelletier qui ont, néanmoins, comme point commun d’être conçus pour passer aisément de l’écrit à l’oralité. C’est vrai pour Les Moires, bâti en deux parties (Strophe et Antistrophe) autour de ces trois sœurs issues de la mythologie grecque que les latins nomment Les Parques. Le texte est né d’une commande du compositeur Dominique Lemaître.

« Il y a deux voix qui me viennent souvent ensemble

Ou plus exactement
quand la première résonne en moi
immanquablement la seconde s’allume

Il faut absolument que je les nomme ici
entourés que nous sommes
d’images et d’ombres
de spectres
d’histoires et de formes du passé. »

C’est également vrai pour Slamlash, « rap engagé » qui se frotte au présent, ne s’en laisse pas compter en brossant un portrait incisif de l’inquiétant « Jupiter aux p’tits pieds » et de la ribambelle d’intrigants et d’intrigantes qui lui ont promptement emboîté le pas.

« Je sais que ta pensée
Unique et sans appel
Est le contraire exact
De ce qu’il nous faudrait
Je sais bien qu’elle vit
Sur cette simple idée
Que le peuple est un con
Ça vient de Machiavel
Et de la Boétie
Tous deux tout détournés
De ce qu’ils signifiaient »

Le récent Plis Urgents, Les délices des insectes exquis, est constitué de textes de Gilbert Lascault et de peintures de Pierre Zanzucchi. C’est l’occasion rêvée pour s’attarder sur ces êtres minuscules que l’on voit à peine mais qui sont chargés d’histoires et qui nourrissent bien des légendes. Ainsi la cigale :

« Selon Angelo de Gubernatis (Mythologies zoologiques ou les Légendes animales, 1874), « la cigale renaît au printemps de la salive du coucou et le matin de la rosée de l’aurore ».

Et la mante religieuse :

« La Mante femelle puissante et le mâle, fluet amoureux, s’accouplent. Dans la journée, le lendemain, elle ronge la nuque du pauvret et le dévore à petites bouchées, ne laissant que les ailes. Dans bien des cas, la Mante n’est jamais assouvie d’embrassements et de festins conjugaux. Une même Mante use successivement sept mâles qui sont croqués dans l’ivresse nuptiale. »

Gilbert Lascault va voir du côté de chez Michelet ou  chez Jean-Henri Fabre, il se renseigne, lit Dali, Desnos, Baudelaire, Apollinaire ou la Bible et concocte un ensemble dédié aux fourmis, aux guêpes, aux abeilles zélées, aux papillons, aux sauterelles, aux frelons, aux mouches, aux scarabées sacrés, etc. Tous ont des secrets à murmurer à qui sait écouter attentivement ceux qui les ont étudiés.

« Au XVIIe siècle, on couvrait les ruches d’un drap noir lors du décès de leur propriétaire. Mais pour un mariage, on entoure les ruches d’une étoffe rouge ».

Plis Urgents en est à son cinquante-cinquième titre. La série complète est propice à de belles rencontres. On y croise notamment Jacques Demarcq, Claude Beausoleil, Pascal Commère, Antoine Emaz, Henri Chopin, Yves Jouan, Claudine Bertrand, Christian Cavaillé, Patricia Castex Menier ...

Pour plus d’infos, ne pas hésiter à se rendre sur le site de l’éditeur : c’est ici

Logo : Détail d’une gravure de Vincent Rougier reproduite en couverture du livre d’Alexis Pelletier.