L'ultime parade de Bohumil Hrabal

  De retour, un an plus tard, au cœur de l’Europe centrale, voyage accompli, mené d’est en ouest avec escales ou extases au fond d’un bois où crissaient encore les roues du fauteuil roulant de Walt Whitman ou buvant un verre au premier étage du Vesuvio Cafe, attablé sous un portrait de Joyce, observant de biais la librairie d'en face (la célèbre City Lights Books du poète et éditeur Lawrence Ferlinghetti) où s'alignaient en vitrine les ouvrages de tous les ténors de la Beat Generation, ou encore assis, œil poché et boîte de bière à la main près des chutes du Potomac, Hrabal se mit à rédiger de longues lettres à l’adresse de Doubenka. Il y entremêla le récit de son escapade américaine et le compte-rendu des événements qui se déroulaient alors à Prague et qui allaient aboutir à la révolution de velours. Il les suivait en fin d’après-midi devant les grilles du Tigre en compagnie des derniers raconteurs ou, un peu plus tard en soirée, chez lui à Kersko quand, longeant la clôture et les piquets laqués de sa propriété en compagnie de Cassius, son matou noir, il voyait d’étranges lumières rouges monter très haut dans le ciel de Prague. Il rentrait. Il buvait d’abondance et il notait, cognait, tapait à toute vitesse et à haut débit, non plus sur les touches de l'antique Perkeo qui datait de 1905 et que lui enviait tant le poète Egon Bondy mais sur celles d'une pimpante Torpedo qui s'avérait tout aussi efficace que l'illustre machine. Il fallait écrire, témoigner, l’annoncer à Doubenka et aux autres, relier ces lettres entre elles, en faire un livre pour dire qu’en ce moment même, en ce début d’année 1989, dans les nuits froides et humides de janvier, des milliers de solitudes, identiques à la sienne et à celle de l’ancien compresseur, étaient en train de souffler ensemble sur le feu allumé vingt ans plus tôt par l’étudiant Palach sur les rampes du Musée national.

Jacques Josse : L'ultime parade de Bohumil Hrabal, La Contre-Allée 2016

Note de lecture de Thierry Guichard dans Le Matricule des anges.
Chronique vidéo sur Glasba.
Note de lecture dans Le Télégramme.
Billet d'Eric Dussert sur L'alamblog.
Chronique de Fabien Ribery sur L'intervalle
Note de lecture de Marc Villemain

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