" Hier,
13 août 1998, c'est en plein air qu'elle est intervenue. Elle a
repéré une voiture mal garée dans un chemin creux et a constaté
que l'homme qui venait de s'en extraire marchait au soleil en tenant
un fusil de chasse à la main. Elle l'a tout de suite reconnu. Elle
l'avait entraperçu un mois plus tôt, dans une bastide, à La
Taillade, dans le département du Lot. Ce jour-là, il veillait sa
mère, une vieille italienne qui s'était éteinte, vaincue par la
maladie. Elle l'avait senti affecté, décontenancé, vacillant près
du lit mais ne pensait pas le retrouver si tôt. Elle croyait que
dans sa mémoire gambadait encore un chien rebelle, un facétieux du
genre Mirza, capable de le maintenir, bon an mal an, entre deux
bouffées de jazz et de mélancolie, de ce côté-ci du monde. Il
n'en était rien. Il était usé, à cran, excédé. L'avait écrit
dans de redoutables lettres d'adieu. Il entendait partir d'un coup.
Dans des odeurs de paille et de poudre, avec le bourdonnement des
mouches et des abeilles en fond sonore. Elle a repéré sa silhouette
de grand échalas dégingandé. Il se tenait immobile, debout dans un
champ de blé récemment moissonné. C'est là, face au soleil,
s'offrant un décor et une fin à la Van Gogh, les yeux tournés vers
le sud, qu'il s'est tiré une balle de chevrotine dans la poitrine.
Il est tombé à la renverse. Paraissait surpris de l'efficacité de
son geste. Une simple pression de l'index lui avait suffi. Pour
devenir tout à la fois le chasseur et le gibier. Elle s'est esquivée
juste après, l'abandonnant au cagnard du Quercy blanc. D'autres
rendez-vous l'attendaient. En simultané, en de nombreux points du
globe, sur zone de guerre ou en territoire de paix larvée. " (extrait)
Jacques Josse : Le manège des oubliés, Quidam éditeur
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