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mardi 21 novembre 2023

Le Pair

Elle porte, depuis ses dix-huit ans, un lourd secret dont il lui faut se défaire avant qu’il ne soit trop tard mais elle n’a plus personne, ou presque, à qui se confier. Elle, c’est Jeanne, une vieille dame originaire des Vosges qui retrace les principales étapes de son existence en s’arrêtant sur ce jour de 1943 où tout à basculé, quand Paul, son frère jumeau, a été arrêté par les allemands avant d’être déporté au camp de concentration du Struthof d’où il n’est jamais revenu. Un pacte les unissait : tous deux s’étaient promis de ne rien se cacher. Promesse qui ne peut être tenue quand on entre dans la résistance et qu’on s’éclipse discrètement la nuit pour aller combattre l’armée d’occupation.

« Nous devions tout nous dire, les mots nous ont manqué. Notre serment envolé dans le bois. Quel sens aussi la promesse candide de nos sept ans ? Nos vies en grandissant ont noué leurs secrets. Nous nous sommes perdus, un peu, ce n’est pas anormal. »

L’ombre de Paul, telle qu’elle se l’imagine, et si elle existe, ne peut se trouver qu’au camp du Struthof où elle se rend une dernière fois pour lui parler, lui délivrer cette vérité qu’elle lui doit, en une longue confession où elle avoue enfin ce qu’elle n’a jamais divulgué, à savoir sa relation intime avec un jeune soldat allemand et les répercutions terribles que cela a provoqué.

« J’ai eu le pouvoir terrifiant de dire ou de me taire. Par lâcheté sans doute je me suis maintenue dans l’entre-deux le moins inconfortable : j’ai attendu. Ce n’était pas vraiment un choix. J’ai laissé à la vie le soin de décider quand et à qui je devais raconter. Il a toujours été trop tard. »

Quelques années auparavant, Jeanne avait noirci les pages d’un cahier pour tenter d’y voir plus clair mais en pure perte puisqu’elle avait fini par le déchirer avant de jeter ses mots dans l’eau du ruisseau Le Pair, celui que les jumeaux fréquentaient durant leur enfance.

Son secret, elle l’a gardé tout en menant une vie apparemment normale, celle d’une sœur, d’une épouse, d’une veuve, d’une mère, d’une grand-mère. C’est ce qu’elle explique en revenant sur son passé, juste avant de prendre congé, avant de dire adieu à ce frère auquel elle s’adresse, saluant sa mémoire en le faisant revivre dans l’enceinte même du camp où il est mort.

La force de ce livre réside dans sa concision et dans sa belle et impeccable architecture. C’est un poing fermé qui s’ouvre lentement, libérant ce qu’il cachait. Le texte est sûr, prenant, incisif, empreint d’une certaine douceur. Moins de cent pages suffisent à Catherine Litique pour bâtir un roman sensible où la vérité, humainement douloureuse, ne se dévoile qu’avec délicatesse, en un lancinant murmure, en une succession de séquences courtes et efficaces portées par un fil narratif tenu avec grande maîtrise.

Catherine Litique : Le Pair, éditions Le Réalgar.