"Tu as
beau avoir largué les amarres, et mis le cap sur le grand large,
deux ans avant ma naissance, cela ne m'a jamais empêché de
t'évoquer en faisant comme si je t'avais réellement connu. Je peux
même reconstituer en détails tes dernières heures. Ton agonie t'a
survécu. Cela se passait dans ta maison, située près de la
chapelle de Liscorno, le dimanche 18 mars 1951. La chambre bleue te
rappelait les fonds marins. Le temps était à la pluie, et la
fenêtre entrouverte. Une ampoule nue se balançait au plafond. Tu
soufflais comme un damné, en proie à une sévère crise d'asthme,
tout en déclarant à ta femme Francine et à ton fils Édouard, mon
père, tous deux de plus en plus inquiets au vu de ton état qui
empirait, qu'il était hors de question qu'un médecin mette les
pieds dans cette pièce. Tu ajoutais que tu n'en avais jamais eu
besoin et que tu n'allais pas commencer, à près de soixante-quinze
ans, une carrière de malade en ingurgitant des remèdes aux noms
barbares alors qu'une bonne cigarette toutes les heures, deux ou
trois verres de vin pendant les repas, plus l'apéritif dominical, ta
vie entière était là pour le prouver, suffisaient pour te
maintenir en forme. Tu sifflais court, toussais creux, éructais et
crachais en respirant de plus en plus mal. J'ai déjà raconté cela
plusieurs fois, ressassant forcément, mais ta mort a tellement pesé
sur la date de ma venue au monde qu'il m'est difficile de faire
autrement. Ce matin-là, ta voix se cassait. Tu t'initiais au langage
des signes, roulais des yeux en direction de ton fils et désignais
de l'index une botte de buis fraîchement coupée en lui demandant
d'aller au plus vite la plonger, en ce jour des Rameaux, dans l'eau
du bénitier à l'église, arguant que la présence d'une branche
accrochée au crucifix qui trônait au mur, juste au-dessus du lit,
serait sans doute plus efficace que celle d' un charlatan
prescripteur de poison. « Autant mourir tout de suite que de
voir débarquer ici cet oiseau de mauvais augure », disais-tu. Et
c'est effectivement ce que tu fis, exténué, à bout de force,
quelques minutes après ton dernier coup de sang. Trois jours plus
tard, on t'enterra en grande pompe. Un cheval fut chargé de
transporter ton cercueil jusqu'au bourg. Il tirait vaillamment la
charrette. On t'avait mis en tenue de capitaine. L'abbé Le Mat fit,
paraît-il un dernier discours au bord de la tombe où se mêlaient
des odeurs d'encens, d'eau de Cologne, de tabac froid, de terre
humide et de bonbons à la sève de pins." (extraits)
Jacques Josse : Lettre ouverte au grand-père capitaine, éditions Le Réalgar.
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Chronique de Nikola Delecluse dans l'émission Paludes sur Radio Campus Lille
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Note de lecture d'Isabelle Lévesque dans Quinzaines n° 1211
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