Rien n’échappe au regard d’Olivier Domerg quand il entre en contact avec
un paysage et qu’il s’attache à trouver la forme et les mots appropriés
pour le dire, le penser, en saisir la complexité. Cette fois, il place
la barre très haut puisque c’est un vaste territoire, un département
tout entier, le Cantal, qu’il a choisi d’investir. Il le sillonne en
voiture, l’arpente en faisant de longues marches. Il suit ses méandres,
ses pentes douces ou rudes, ses chemins de terre qui mènent aux pâtures.
Il crapahute, monte vers les lignes de crête, grimpe vers le
Pas-de-Peyrol, le Puy Mary, le Col de Redondet. Il est en compagnie de
la photographe Brigitte Palaggi. Ce qui motive sa (leur) présence en ces
lieux, c’est la prédominance du vert. Pour mieux l’appréhender, il
faut venir au printemps, ce qu’il fait à plusieurs reprises, variant les
itinéraires et les angles de vue.
« De plain-pied, on entrait dans le ’motif’
Dès après Saint-Flour, cueillis à (feu) vif
Par le VERT pays, d’herbe entièrement
Moulé, galbé, et de frais recouvert !
"Zones" dédiées aux "pâturages"
Et "prairies d’altitude" et façonnées
Par l’homme, les bêtes et l’élevage -
Chacun des lieux en portait témoignages :
La peau des monts marouflée de prairies
De sentes et sentiers, parcs clôturés, »
Dire ce « vert » en poésie nécessite de travailler également son
vers. Il choisit le dizain, qu’il taille à sa main. Le livre en compte
455, regroupés en dix-neuf chapitres, offrant ainsi un quadrillage
minutieux d’un paysage qui est loin d’être uniforme. Le vert lui-même
comporte de nombreuses variétés de ton. La couleur peut changer en
quelques minutes, passer de l’ombre à la lumière, évoluer de l’adret à
l’ubac, d’un champ ou d’un arbre à l’autre. Le sous-sol n’y est pas pour
rien, la végétation naissant ici sur un ancien volcan.
« "Ce qui fait paysage" et qui le lie
Au sein de ces montagnes, adoucies
Par leurs rondeurs, l’érosion de leurs lignes,
Ce sont ces coutures qui les structurent ;
Crêtes et orées, bosquets et forêts,
Ressauts et ondulations du relief
Murets, haies d’arbres encore caducs,
Villages à l’architecture insigne !
Tout ce qui fait sens, délivre ses "sucs" »,
L’omniprésence du vert ne peut faire oublier les contrastes d’un pays
millénaire, habité depuis longtemps, travaillé en surface mais
également en dedans, sous sa rude croûte terrestre. Olivier Domerg le
note de façon pointilleuse. Tout ce qu’il voit trouve place dans ses
carnets. Chaque dizain est une esquisse, une approche particulière d’un
morceau de paysage – avec prairies mais aussi clôtures, routes, haies,
bâtiments agricoles, vieux burons, ruines, talus ou rivières – un
fragment qui s’ajoute à tous les autres afin que ceux-ci s’assemblent,
donnant au livre toute sa consistance. En fin de volume, les
photographies de Brigitte Palaggi permettent de toucher visuellement ces
montagnes verdoyantes et attirantes, de s’arrêter, de se poser en ce
« jardin d’altitude », avant de reprendre la route.
Olivier Domerg : La Verte traVersée, photographies de Brigitte Palaggi, L'Atelier Contemporain.