Affichage des articles dont le libellé est Fanny Chiarello. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Fanny Chiarello. Afficher tous les articles

mercredi 16 mai 2018

Pas de côté

Au fil de ces poèmes, qu’elle présente comme étant les pages d’un journal tenu pendant une période donnée, Fanny Chiarello dit la teneur, des prémices jusqu’à la séparation, de la relation qu’elle a vécue de juin 2016 à février 2017 avec celle qui n’est jamais nommée. Elle la vouvoie, la tutoie brièvement, sait la fragilité qui les rapproche.

« aujourd’hui tu es désaxée
je le sens dès l’ouverture des yeux
je mets des nectarines et du thé dans ta bouche
ça descend dans ta gorge et ça tombe dans ton ventre
je te nourris avec le mélange de patience et de brusquerie
que l’on observe aussi chez certains oiseaux
puis je noue le cordon de ton short lace tes baskets
et t’envoie courir dans les banlieues écrasées de silence »

Pour la rejoindre, elle traverse la France du nord au sud. Passe des briques rouges aux flamands roses. Observe les paysages qui défilent derrière la vitre du TGV avant de trouver place, plus tard, dans une chambre d’hôtel. Parfois, elles font toutes deux escales à Paris. À chaque fois, elle note ce qu’elle voit en s’éjectant du lieu à l’improviste. Elle capte – et décrit – certains détails précis tout en laissant vagabonder ses pensées.

« nous roulons dans la lumière dorée
entre les étangs et les zones commerciales
mes bras autour de votre taille très vite
mais je n’ai pas peur
mes jambes nues n’ont pas peur de perdre
leur foulée souple mes mains n’ont pas peur
de perdre l’usufruit de votre peau
je pourrais rouler ainsi avec vous
jusqu’à l’extinction de l’or dans l’air tiède du soir »

Fanny Chiarello se saisit de l’instant présent avec spontanéité et énergie. Elle s’empare du réel, le froisse dans ses poèmes et s’acquitte des tracas quotidiens sans jamais se laisser abattre. Son texte est alerte. Il se déplace avec elle. L’émotion y est toujours palpable. Elle passe par le toucher, par le regard et par tout ce que la mémoire a emmagasiné. De bons ou de moins bons moments. À l’image de ceux inclus dans cette relation amoureuse qui, à l’origine, aurait dû déboucher sur un livre à deux voix, intitulé Pas de deux.

« il a fallu six mois pour que nous passions du vous au tu
dans son lit sous le velux
on penserait
que ça ne saurait évoluer encore et pourtant
la voici en un point final
devenue elle »

Fanny Chiarello : Pas de côté, préface d’Isabelle Bonat-Luciani, Les Carnets du dessert de lune.

 De Fanny Chiarello, vient également de paraître : La vie effaçant toutes choses, recueil de nouvelles, éditions de l’Olivier

lundi 11 juillet 2016

Tombeau de Pamela Sauvage

Ce n’est pas uniquement le Tombeau de Pamela Sauvage que dresse Fanny Chiarello dans ce roman superbement construit mais aussi celui d’une époque, la nôtre. Elle s’y attelle en la faisant disparaître pour mieux la disséquer. Et ce à travers vingt-trois existences reliées les unes aux autres avec en tête de pont, et début de chaîne, celle de Pamela Sauvage dont le nom vient tout juste d’apparaître dans la rubrique nécrologique du journal régional.

Celui qui commente à coups de notes de bas de page le contexte social et politique au sein duquel se sont lovées et déroulées les différentes vies en question, est un philologue patenté. Il a à cœur d’expliquer les règles qui étaient  en vigueur (et c'est bien d’aujourd’hui qu'il s'agit)  dans la société à laquelle appartenaient tous ces défunts. Sa tâche est rude : il lui faut sans cesse revenir sur un lexique d’époque qui n’a plus cours.

Cet homme très scrupuleux vit dans un monde futur qui s’avère, en tous points, bien pire que l’actuel. Cette réalité, Fanny Chiarello la distille discrètement, et ne s’en sert surtout pas pour décerner des lauriers à une période de l’histoire qui, manifestement, ne les mérite pas. Elle se tient en permanence en équilibre entre deux époques aussi peu enviables l’une que l’autre, la première ayant sans doute naturellement (et libéralement) engendré la seconde. Son livre est en ce sens époustouflant. Tonique à souhait. Un  tombeau renversé. Avec à terre vingt-trois vies (dont celle d’un chien particulièrement futé) captées à un moment précis de leur parcours.

Ce joyau malicieux déjoue les règles habituelles du roman et permet aux notes de bas de pages de retrouver enfin toute leur vigueur. Elles sont en l’occurrence le principal matériau d’un texte subtil, inventif et efficace.

D’ailleurs, « ne sommes-nous pas une note de bas de page pour la plupart de ceux qui nous entourent ? », se demande Pamela Sauvage, désincarnée.

Fanny Chiarello : Tombeau de Pamela Sauvage, éditions La Contre-Allée.