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lundi 18 juillet 2022

Marcello & Co

Étudiant occasionnel et vendeur de frites en intérim, il vit mollement et arpente les rues d’une cité balnéaire au climat plutôt serein en traînant ses vingt ans et ses guêtres avec une certaine nonchalance. Son quotidien est un peu tristounet mais il fait avec en se disant que ça pourrait être pire et que les surprises, parfois, déboulent sans qu’on les voit venir. Il pense juste puisque le hasard, qui oublie rarement ceux qui lui font confiance, va bientôt s’intéresser à lui. Un jour, alors qu’il marche tranquillement, un type, tombé d’un arbre, manque de l’écraser, se relève, l’engueule comme s’il y était pour quelque chose et poursuit sa route en s’époussetant.

« Le machin a dégringolé du ciel, ou plutôt des feuillages au-dessus de moi, pour s’écraser devant mes pattes, fruit pourri et ridicule dans lequel j’ai trébuché en couinant comme un petit chien. Le temps de reprendre mes esprits et les pieds toujours emberlificotés dans ses jambes, je me suis fait insulter allègrement par ce qui ressemblait à un mélange entre Marcello Mastroianni et le capitaine Haddock. »

Cette rencontre fortuite va l’inciter à prendre en filature cet homme qu’il voit régulièrement attablé, sirotant des verres de rosé tout en griffonnant dans un carnet, tôt le matin, à l’heure du petit-déjeuner, sur une terrasse du centre-ville. Il l’appelle Marcello, lui trouvant un air de ressemblance avec l’acteur aux yeux souvent nimbés de solitude. Le personnage l’intrigue et l’amène même à penser, intuition bizarre, qu’il est peut-être la représentation vivante de ce qu’il pourrait devenir, lui l’adepte du shit, des mélanges corsés et des nuits blanches, quand il arrivera, bon an, mal an, au bout de son rouleau.

« Et si ce type devant, ce pirate clodo, ce Mastroianni usé, si ce type-là, Marcello, c’était moi ? Je veux dire, moi plus tard. Une version de moi, en vieux. Une version qui aurait totalement foiré. »

Le mieux, pour y voir plus clair, est de savoir de quel bois se chauffe cet inconnu qui l’attire, savoir où il loge, ce qu’il fabrique de ses journées, quel est son itinéraire quotidien, quels sont ses secrets. Pour répondre à ces questions, le narrateur se mue en détective privé. Il n’est pas au bout de ses surprises et il va y laisser quelques plumes. On ne s’approche pas impunément d’un tel personnage.

C’est cette enquête, menée avec malice et désinvolture, à coups de chapitres courts, en usant d’un débit rapide et entraînant, que retrace Thomas Vinau. La filature se fait sur la pointe des pieds, entre les arbres et les herbes folles, pour aboutir à un îlot abandonné, niché au cœur de la ville, où vivent d’étranges animaux de compagnie. Elle prend, au gré de ses sinuosités, des allures de parcours initiatique. Un voyage ébouriffant. Qui permet à celui qui se sentait à l’étroit dans sa vie de perdant mélancolique de s’imaginer en partance vers un monde qu’il ne connaît pas encore mais qui aiguise déjà sa curiosité

« Le monde c’est plein de monde. Je veux dire qu’il existe une multitude de mondes différents dans ce monde. Plein de mondes en même temps. Il y a un monde à apprendre, un autre à découvrir, un autre à inventer. »

Thomas Vinau : Marcello & Co, Gallimard, collection Sygne.

lundi 8 novembre 2021

Juste après la pluie

"Une taupe n'a jamais vu d'étoiles", Thomas Vinau

Juste après la pluie ressort en édition de poche dans la collection Points Poésie, dirigée par Alain Mabanckou. 

Pas question de changer quoique ce soit à la note de lecture que j'avais consacrée à cet ensemble lors de sa publication initiale en 2014 (Alma, éditeur) et que je republie ci-dessous pour souligner, une fois de plus, combien ces poèmes ont le don de nous revigorer.

Le quotidien est souvent morne, morose, répétitif mais ce n’est pas une raison pour se traîner de l’aube jusqu’au soir, avançant courbé, le nez plus bas que terre, en tirant derrière soi une carriole chargée de tous les aléas et inconvénients d’être né. À quoi bon se morfondre (et se juger si mal) en regardant, d’un œil torve et critique, son image déformée au fond des flaques alors qu’il suffit de lever les yeux pour deviner, à proximité, le battement d’ailes puis le chant du bruant à tête rousse, du grimpereau des bois , de la citelle torchepot ou du pipit spioncelle ? Voilà l’un des conseils (entre beaucoup d’autres) suggéré par Thomas Vinau dans ce « roman-poésie » qui tient du manuel de survie en territoire oppressant et du petit précis d’humilité désinvolte.

« Depuis longtemps je bricole. Des pièces bancales. De l’inutile indispensable. Des mots de peu. Ma poésie n’est pas grand-chose. Elle est militante du minuscule. »

On retrouve, comme toujours chez lui, de fréquentes références aux miettes, aux brindilles, à la poussière. Tout ce qui est susceptible d’être balayé d’un revers de main l’attire. Il y perçoit une analogie avec ces milliers d’instants fluides qui s’additionnent chaque jour, le plus souvent en pure perte, et dont il faudrait, tout de même, songer à capturer un ou deux spécimens de temps à autre, ne serait-ce que pour approcher (puis allumer) un peu de réalité heureuse en soi.

« D’abord apprendre
à faire ce qu’on peut
avec ce qu’on a
ensuite apprendre
à faire ce qu’on peut
avec ce qui nous manque »

Il s’agit de détecter, au jour le jour, ces frottements infimes où se croisent parfois l’ordinaire et l’essentiel. Cela éclaire l’instant. Le noter, l’écrire et donner au poème toute la simplicité requise pour espérer toucher l’autre lui est nécessaire. C’est ainsi qu’il conçoit son écriture, « entre l’instinct et le besoin » dans une sorte d’usage des jours, qu’il traverse en recherchant l’instant T., celui qui fera tilt et qu’il fera vivre de façon autonome, en y conviant, à l’occasion, l’un des animaux familiers de son bestiaire fétiche et portatif. L’éléphant ivre y trône en bonne place. Il peut même venir manger des fleurs à l’intérieur de son cœur. Parfois, c’est l’ours qui lui colle des beignes en pleine nuit. Ou le kangourou qui apparaît, franchissant des murailles, accroché à un hélicoptère.

Lucide et spontané, il cherche inlassablement à repérer puis à dire ces parcelles de vie habitées et animées qui aident à ne pas sombrer. Il le fait en douceur, avec une étonnante non-violence verbale, loin de toute béatitude.

« On ne se refait pas
c’est bête
vu tout le temps
passé
à se défaire »

Thomas Vinau : Juste après la pluie, Points Poésie.

mercredi 16 décembre 2020

Les sept mercenaires

De temps à autre, Thomas Vinau saute les frontières. Il s’en va avec pour seuls passeports les textes de quelques écrivains qui l’appellent. Cette fois, ils sont sept, nombre magique, qui l’emportent outre-Atlantique. Ce sont des errants, des irréductibles, d’imprévisibles solitaires qui ne sont plus mais qui, tout au long de leur existence, ont bravé nombre d’intempéries et de coups du sort pour bâtir une œuvre digne de ce nom. Il se doit de leur rendre hommage. Il ne part pas seul. Régis Gonzalez l’accompagne, qui crayonne traits, visages et vastes paysages en suivant le fil des mots. Les mercenaires se nomment, par ordre d’apparition : J.D. Salinger, Richard Brautigan, Charles Bukowski, Henri Miller, John Fante, Jim Harrison et Raymond Carver. Autant dire du beau monde. Des francs-tireurs qui forcent le respect et qui ont tracé leur route sans rien demander à personne.

« Y’a toujours quelqu’un quelque part
qui a des airs de J.D. Salinger
du genre à disparaître de la
circulation
après deux ou trois chefs-d’œuvre
et qu’on retrouve 20 ans plus tard
en train de finir une bouteille
dans un parc anonyme »

Des légendes se tissent qui trouvent leurs origines dans les vies agitées et plutôt bien remplies de ces écrivains. Thomas Vinau s’en empare tout en s’en méfiant. Il s’attache d’abord aux textes. Il y repère pratiquement tout ce qu’il cherche. Ce sont eux qui l’aident à esquisser des portraits de biais en remettant en situation les sept bonhommes qu’il apprécie tant. Il honore leur mémoire. Il ne n’égare pas sur des routes trop sinueuses. Il s’autorise quelques balades avec eux. Qu’ils soient en vie, sur le départ ou déjà partis. Il s’arrête à Big Sur. S’étire près d’une rivière à truites dans le Montana. Se gare près d’un resto d’où émane une odeur de sanglier farci qui lui signale que Jim Harrison est sans doute déjà en train de consulter la carte. Ses poèmes sont simples et pertinents. Tous recèlent leur lot de subtilités glanées au hasard des livres. C’est là que se niche la vraie personnalité de chacun des protagonistes d’un ensemble qui incite au voyage et à la lecture.

« Il cueillait les touffes de laine
que les moutons abandonnent
sur les barbelés des clôtures

Le reste du temps
il restait là
les pieds dans l’eau
assis sur un canapé déglingué
près de la mare »

Ce livre est, de plus, superbement édité. Tout est pensé : format, caractères, impression, papier, mise en page des textes et des dessins et couverture cartonnée font des Sept Mercenaires un très bel objet.

 Thomas Vinau : Les sept mercenaires, dessins de Régis Gonzalez, éditions Le Réalgar.


 

samedi 25 mai 2019

C'est un beau jour pour ne pas mourir

Détournant un titre de James Welch – qui l’emprunta lui-même à Crazy Horse qui, se lançant à l’assaut des troupes du général Custer, lors de la bataille de Little Bighorn le 25 juin 1876, ordonna à ses hommes d’attaquer en leur criant « c’est un beau jour pour mourir » –, Thomas Vinau démontre, poèmes à l’appui, que chaque jour peut, au contraire, en d’autres circonstances, contenir assez de lumière pour inciter à ne pas vouloir mourir. La moindre lueur qui filtre, y compris dans la grisaille des matins fades, attire son regard. Il s’y aimante. Sa pensée suit. Et les mots aussi. Qui disent la vie comme elle va, ou ne va pas. Avec ses manques, ses rites minuscules, ses infimes surprises. Tous ces riens qui, mis bout à bout, tissent le fil rouge qui relie l’homme à son environnement immédiat.

« D’abord écrire
avancer avec ce que le jour donne
des abeilles
la rosée
des poils de chien dans le café »

Thomas Vinau écrit tous les jours. Et donne ici 365 poèmes qui sont autant de traces de pas imprimées sur le sol friable d’une année. Ce sont des ciels clairs ou voilés, des bris d’étoiles ébréchées, des rêves perdus au creux d’une flaque d’eau, des mouches prises dans une toile d’araignée, des morceaux de voix qui coupent l’ennui en tranches, des aboiements de chiens qui résonnent dans la nuit, des éclats de verre qui scintillent au soleil, des corps qui se touchent en s’embrasant ou des flashes qui reviennent de loin (« comme Patrick Dewaere s’éclatant la tête sur le capot de sa voiture en hurlant Pauvre connard ! »). Ce sont bien d’autres choses encore. Les avis de passage du facteur temps. Des lettres en poste restante dans la stratosphère. Des lignes brèves qui attestent d’une vie aux aguets. Celle d’un guetteur à l’œil vif qui ne se berce pas d’illusions.

« On amadoue le monde
avec des mots
ce qui revient un peu
à tenir tête
à un dragon
avec une salière
dans chaque main  »

Pas question, pour autant, de botter en touche. Et de jouer à l’aquoiboniste de service en faisant vœu de silence. Thomas Vinau note ce qui le traverse, ce qui le transcende, ce qui lui sert de point d’appui pour tenir en suivant la route étroite et sinueuse qu’il s’est choisi. De temps à autre, Brautigan improvise un bout de chemin en sa compagnie. Plus loin, Pierre Autin-Grenier, son ancien voisin du Vaucluse, prend le relais en lui adressant un léger signe de la main. Il lui répond en lui offrant un poème. D’autres rappliquent, poètes souvent mais pas seulement, dont le regard pétille, qui s’avèrent de précieux témoins du temps qui glisse en laissant derrière lui des brindilles que les glaneurs avisés ramassent. Thomas Vinau est l’un d’entre eux. Il les assemble en gerbes ou fagots fragiles qu’il distribue régulièrement à ceux qui veulent bien s’en saisir.

Thomas Vinau : C’est un beau jour pour ne pas mourir, Le Castor Astral.


samedi 21 juillet 2018

Des étoiles et des chiens

« Comme tous les promeneurs, farfouilleurs patentés, j’ai mes sentiers secrets. » Ce sont ceux-ci que Thomas Vinau nous dévoile dans ce nouvel ensemble, poursuivant ainsi l’enivrante balade qu’il avait inaugurée, il y a deux ans, avec ses 76 clochards célestes (ou presque).

Celles et ceux qui sont évoqués ici, sur deux, trois pages, et qui l’aident à aller de l’avant, lui apportant ces bonheurs de lecture et d’écoute qui illuminent tant de journées maussades, ressemblent aux précédents. Ils (et elles) sont de la même confrérie, celle des rêveurs éveillés, des cueilleurs d’étoiles, des capteurs de blues, des chercheurs d’ombres et des sniffeurs de rosée. Toutes et tous rasent les murs et beaucoup carburent aux vitamines terrestres en faisant en sorte de ne pas résister aux tentations pour s’offrir, de temps en temps, un voyage en état de presque apesanteur, cheminant alors sur des voies de traverse afin d’explorer de nouveaux territoires. Ce sont des poètes, des écrivains, des chanteurs, des dessinateurs, des peintres et des musiciens qui tracent – ou ont tracé – leur route à l’écart. Certains se retrouvent un jour, sans le vouloir, tel Jim Harrison, le borgne le plus clairvoyant du Montana, et peut-être même de l’Amérique toute entière, sous le feu des projecteurs mais la plupart ne supportent pas ces brusques embardées de notoriété.

« C’est parmi les éliminés et les échappés de la vie moderne qu’il faut recruter les artistes ». Ainsi parlait Gaston Chaissac, l’un des inconsolés visités, qui côtoie, à ce titre, des êtres qui en savent aussi long que lui sur Le laisser aller des éliminés. Thomas Vinau brosse son portrait avec humour et empathie, visant juste, restituant le bonhomme en deux temps, trois mouvements.

« Il cousait des poupées de poubelles, bâtissait des totems de toto comme les calvaires au bord des croisements absurdes. Il était le général d’une armée déboîtée de boiseries suspectes. Il peignait avec des pierres et de la mousse, des épluchures, de la tendresse et quelques gros mots de marmots. Il était paysan, jardinier de lettres, braconnier d’insouciance ou d’insolence suivant la saison. Prêt à faire du pâté du petit monde formaté des lardons de l’intelligentsia et du pouvoir »

Chaque portrait, très dynamique, est conçu à partir de quelques éléments biographiques et d’un retour discret sur l’œuvre de l’artiste en question. Le tissage est subtil. On se promène de Cuba (Ibrahim Ferrer) au Nigeria (Amos Tutuola) en passant par la Tchéquie (Jana Cerna), la Hongrie (Attila Joszef) ou le Mexique (Frida Kahlo). Au loin résonne la voix râpeuse et gorgée de Guinness de Shane MacGowan, le chanteur des Pogues, qui n’hésitait pas, dit-on, à décapsuler des bocks avec ses dents, du temps où il en possédait encore.

« Ce que je sais, c’est que j’aime Shane MacGowan et les Pogues depuis mes quatorze ans. Et j’en ai presque quarante. Et le gars n’a plus de dents, les cloisons nasales trouées et le foie confit au gin. On ne comprend plus vraiment ce qu’il raconte. J’ai vu sa tête à la télé récemment, et il ressemblait à une mère maquerelle russe. »

Bien d’autres portraits jaillissent qui forment un anti-panthéon de saltimbanques qui s’égaient dans les broussailles, avec au-dessus le ciel ouvert et des chants d’oiseaux qui piaffent à tue-tête. Vifs et bien ajustés, ils ouvrent de nombreuses pistes. Il suffit de les suivre pour découvrir le destin (brisé ou non) de ces enragés tonitruants ou de ces grands discrets que Thomas Vinau a réuni. Tous portent en eux une indéfectible flamme, capable d’éclairer certains moments sombres qui, sans eux, le seraient sans doute plus encore.

Thomas Vinau : Des étoiles & des chiens, 76 inconsolés, Le Castor Astral.

dimanche 12 novembre 2017

Le camp des autres

Au début du siècle passé, un enfant fuit en s’engouffrant dans la forêt. Il s’appelle Gaspard. Il vient d’abandonner son père mort dans une auge à cochons. Il porte dans ses bras son chien blessé (qui a reçu un coup de fourche lors de la dernière - et fatale - bagarre avec le paternel aviné). Il s’enfonce dans les bois. Sent l’odeur terreuse de l’humus et celle sucrée des tapis d’aiguilles de pins. Il avance péniblement. Taille sa route forestière entre ronces, épines, rochers et incessants dénivelés. Il est mal en point, en territoire hostile.

« Dans le ventre sauvage d’une forêt, la nuit est un bordel sans nom. Une bataille veloutée, un vacarme qui n’en finit pas. Un capharnaüm de résine et de viande, de sang et de sexe, de terre et de mandibules. Là-haut la lune veille sur tout ça. Sa lumière morte ne perce pas partout mais donne aux yeux qui chassent des éclairs argentés. Gaspard est recroquevillé contre le chien. »

Il souffre, s’épuise. La forêt ne s’appréhende pas facilement. On doit avant tout s’y orienter, s’y adapter, y dénicher des abris et y trouver de quoi subsister. C’est ce que fait l’enfant. Il coupe sa faim comme il peut. Un soir, il découvre un lièvre au cou déchiré par le fil d’acier d’un collet. Du coup, c’est festin improvisé sous le couvert des arbres. Et sans doute en présence dissimulée des animaux nocturnes en repérage dans le coin. Il embarque également le collet. Qui appartient à celui qui deviendra bientôt, alors qu’à bout de force il gisait sans connaissance, l’homme providentiel qui l’hébergera et qui les soignera, lui et son chien.

« Le type rallume sa pipe de gris sans lâcher Gaspard du regard. Les yeux bien droits qui jaugent la viande de haut en bas. Il a des moustaches épaisses qui vont se confondre sur sa peau mate avec des rouflaquettes de loup-garou mal luné. Chapeau haut-de-forme plus ou moins écrasé sur son crâne dégarni, pas très grand, pas très fort, le dos rond comme un chat de gouttière qui ne boit que les dernières pluies. »

Cet homme, c’est Jean-le-blanc. Il connaît le secret des plantes. Sait soutirer du venin aux vipères et extraire le poison de certains champignons. Il concocte des remèdes pour soigner, guérir, endormir. Il braconne, court les bois, a depuis longtemps choisi son camp (« le camp des nuisibles, des renards, des furets, des serpents, des hérissons. Le camp de la forêt. Le camp de la route et des chemins aussi. ») Il est en cheville avec une troupe de gens qui lui ressemblent et qu’il fournit en bricoles et potions de toutes sortes. Ce sont eux que Gaspard va finalement rejoindre. Ils se déplacent en roulottes, viennent de Hollande, affichent différentes nationalités, sont voleurs, insoumis, déserteurs, romanichels, bohémiens, forbans, anarchistes. Ils vivent de rapines et de menus larcins mais ne tuent jamais, ne partageant pas la philosophie prônée par ceux de la Bande à Bonnot. Ils circulent sur les routes de France, s’approvisionnent quand il faut, campent à l’écart des villes. Ensemble, ils forment La Caravane à Pépère. Avec à leur tête, Jean Capello, un ancien bagnard.

« C’est la famille ça mon mignon, la seule qu’on a. La Caravane à Pépère, légion et mère des sans-légions et des sans-mères. Des pirates à la mange-moi ça ! Y’a pires sales gars va t’inquiète pas. »
En choisissant d’évoquer par la fiction l’épopée de La Caravane à Pépère, qui défraya la chronique dans les années 1906, 1907 (Clémenceau leur envoya ses premières Brigades du Tigre), Thomas Vinau rouvre une page d’histoire qui demeure d’une actualité brûlante. C’est celle de l’exclusion. Des roms, des nomades, des réfugiés, des sans-papiers, des sans-domiciles, des apatrides, etc, rejetés et contraints, comme leurs prédécesseurs, de vivre à l’écart, en périphérie, en bidonvilles, sous des tentes ou à même le trottoir.

Ses personnages résistent en prenant la tangente. Ils essaient d’adoucir le présent (le seul temps qui leur importe) en faisant bloc. Tous sont des habitués de la forêt. Celle-ci – grâce au lexique poétique qui lui est propre et qui est ici judicieusement restitué – offre ses odeurs, ses grincements de branches, les secrets de sa faune, de sa flore et le tracé de ses chemins sinueux au fil des courts chapitres de ce roman lumineux. Qui redonne vie et visibilité aux invisibles.

Thomas Vinau : Le camp des autres, Alma éditeur.

mardi 20 septembre 2016

76 clochards célestes ou presque

Kerouac les a croisés sur sa route, dans les bars ou dans les souterrains, chez le vieux Bill Gaines à Mexico ou dans le gourbi que louait Burroughs à Tanger. Il les a vus se perdre, se retrouver, se hisser sur les marche-pieds de la Southern Pacific ou grimper à l’arrière des camions de bestiaux qui sillonnaient certains des grands espaces du continent américain. Il était des leurs. Il les a côtoyés, les a aimés, écoutés et a même fini par leur consacrer un livre si tonique qu’il ne peut que donner envie au lecteur de se porter, illico, sur les traces de ces funambules qui ne tenaient pas en place.

Certains d’entre eux se retrouvent réunis dans la galerie de portraits des clochards célestes qu’a concoctée ces dernières années Thomas Vinau. La plupart passent à toute vitesse, le temps d’un portrait succinct mais assez ciselé et documenté pour bien saisir ce que fut leur vie. Ce sont des hobos, des irréguliers, des dissidents. Des habitués des bords de route. Qui écrivent, peignent, composent. Des êtres qui marchent à l’ombre et qui savent lire la très changeante carte du ciel. Beaucoup d’entre eux ont connu des destins terribles. L’issue fatale de vies cabossées mais pourtant menées tambour battant.

« Thierry Metz a été exclu de la vie par la souffrance. C’était pas un gringalet. D’abord, il a été poète. Non, manœuvre. Non, poète. Non, manœuvre. D’abord il a été poète et manœuvre. Il écrivait avec sa pioche. Une fois la sueur évaporée, l’encre disait la pierre. Et la main. Et le souffle. L’encre disait le rien. La bouteille et la trime. Le temps qui creuse les lombaires. »

« Roger Gilbert-Lecomte est mort seul, pauvre et camé jusqu’aux doigts de pied une nuit du 31 décembre. Son Monsieur Morphée est bien réédité. Dans un de ses poèmes, il écrit : "Je frappe de la tête en sang contre le ciel en creux / Au point de me trouver debout mais à l’envers". »

D’autres parviennent à déjouer les pièges et ne tirent leur révérence qu’à l’approche de leurs cent ans ou presque, tel Jules Mougin qui ne lâchera prise que poing levé face au ciel, histoire de préciser que la cavale et l’anarchie seront aussi de mise là-haut, dans ces contrées astrales où brillent, par intermittences, des étoiles filantes qui se nomment, pour n’en citer que quelques-unes, Jean-Claude Pirotte, Georges Perros, Pierre Autin-Grenier, Arthur Cravan, Jéhan-Rictus, Jack London, Billie Holiday, Elisabeth Cotten, Helno, Chet Baker, Richard Brautigan, Nicolas Bouvier...
Ce sont quelques-uns des phares de la constellation Vinau. Des balises qui aident à naviguer dans les nuits noires.

« De notre belle lignée de clochards célestes, je décide qu’il est le premier. Diogène le Cynique, le clochard-philosophe, ami des chiens et penseur-pervers-pépère du monde antique. Notre père à tous. Habitant de l’amphore et des rues de Sinope, d’Athènes et de Corinthe. L’homme qui n’avait besoin que d’une écuelle pour vivre, jusqu’au jour où il prit exemple sur un enfant pour jeter l’écuelle et boire avec ses mains. »


Thomas Vinau : 76 clochards célestes ou presque, préface et bibliographie déraisonnée d’Éric Poindron, éditions Le Castor Astral.

Du même auteur, vient de paraître, aux éditions Les Venterniers : Ferme ta gueule s’il te plaît, je suis en train de t’écrire un beau poème d’amour, 78 billets amoureux.


mardi 3 novembre 2015

Bleu de travail

Le jour pointe à peine. Résistent encore, entre rideaux de brume et nuages bas, quelques lambeaux de nuit. Des étoiles, des lucioles. Le bruit du bois qui craque et celui des nocturnes qui filent au terrier. Il faut décrocher ses rêves. Se préparer à habiter cet aujourd’hui dont on ne sait presque rien. Retrouver le bon tempo. Monter en pression. S’éclaircir les yeux. Habituer son regard aux aspérités d’un matin blême qui finira bien par virer au gris clair. Et bien sûr enfiler son bleu de travail. Ou de chauffe, si l’on préfère, pour se rendre là où l’on se doit d’acter sa présence avec en tête l’idée de gagner en étonnement ce que l’on perdra, de toute façon, en espérance de vie.

« À chaque jour suffit sa peine mais la peine ne suffit pas au jour. Il faut prendre ce qu’il nous donne. Et, ce qu’il ne nous donne pas, le prendre tout de même. »

Ces choses-là s’apprennent. Qui demandent envie, patience, fraîcheur intérieure et belle dose de curiosité. Une façon d’être que Thomas Vinau, à l’évidence, est parvenu à acquérir. Elle l’aide à appréhender un quotidien souvent retors. À détecter de l’imprévu là où d’autres ne trouveraient que du banal. Pour cela, il convient d’être aux aguets, discret, attentif, à l’écoute, prêt à saisir ce que le jour peut offrir à qui sait voir et percevoir. Ces menus détails gîtent dans l’infime, dans l’instant et dans l’éphémère. Ce sont des oiseaux furtifs, des plantes anodines, des souriceaux qui se meurent, des insectes pris dans une toile d’araignée, une première neige aux flocons mal taillés ou une goutte de rosée que colore un reflet de verre... Des visions brèves qui ne peuvent advenir sans un total éveil des sens. Ni se dire sans le recours aux mots usés, usuels, largement utilisés et diablement efficaces.

« Ma langue trébuche sur les choses et les êtres. Sa démarche sans grâce a les genoux croûteux. Elle tombe au moins une fois sur deux. S’arrête. Recommence. Laisse dans la poussière ses traces maladroites. Quelques mots sales et simples. Éclats d’esclave sauvages. Qu’une bête fatiguée viendra lécher peut-être. Pour atteindre la prochaine nuit. »

Thomas Vinau sait qu’il ne peut sauver que quelques instants par ci par là mais il le fait bien, grâce à ces fragments ramassés, à ces séquences vives, à ces proses précises et délicates, empreintes de sagesse, d’interrogation et de doute, qui, mises bout à bout, constituent bien plus qu’une chronique du temps qui passe. C’est un livre de veille, à travers lequel il élabore un tonique et communicatif éloge du contre-pied adressé au trop maussade quotidien. À consulter chaque jour. Et à méditer longuement. En pensant, comme lui, à ceux qui ne sont plus là, en particulier à Jean-Claude Pirotte et à Pierre Autin-Grenier, dont il brosse ici des portraits sensibles, et si justes, notant, humblement, ce qu’il leur doit.

« On se serre dans les bras. Nos coudes ne donnent pas d’huile mais du sang et des croûtes. Une seconde sur deux passe à la benne. Nous sommes le pain noir. Ce qui est perdu dans la peine. »


Thomas Vinau : Bleu de travail, La Fosse aux ours.

De Thomas Vinau, vient également de paraître un ensemble de proses courtes, Autre chose, préfacé par François de Cornière, aux Carnets du Dessert de Lune.

Le site de Thomas Vinau est ici.

lundi 16 mars 2015

La part des nuages

Quelque part, en France, plutôt au sud, aujourd’hui. Joseph T., 37 ans, assistant bibliothécaire, divorcé, père d’un enfant, tue le temps comme il peut. Si tout va à peu près bien quand son fils, Noé, est présent, tout se dérègle dès que celui-ci s’en va passer quelques jours chez sa mère. Joseph, dès lors, gamberge. Il s’ennuie, picole un peu, rumine des « à quoi bon », attend que sa tortue Odile sorte de terre, surprend l’arrivée des premières mouches de l’année, écoute le philosophe de service déblatérer à la radio et enfile les heures comme autant de perles ternes retenues par un fil fragile.

« Il coupe la radio, ouvre la fenêtre, la ferme, allume à nouveau la radio. Rien ne va. Rien n’est mieux. La cuisine est parfaitement vide et sale. Comme le jour qui se lève. Comme ses yeux qu’il laisse traîner dans la lumière neuve du jardin. »

Sa chance réside dans sa propension au rêve, dans les beaux restes de naïveté qu’il a su garder intacts et dans son désir de capter, dès qu’il le peut, les fragments, scènes, dessins, figures ou silhouettes qui bougent, là-haut, en apesanteur, et qui s’offrent à lui dès qu’il lève les yeux au ciel. Le grand ballet des nuages n’arrête jamais. Pour ça qu’il aime le dehors. Il lui arrive même de grimper dans la cabane de son fils pour que s’incruste encore un peu mieux en lui l’incessante danse.

« C’est plutôt beau quand l’horizon s’énerve. Que les pistes se brouillent. Que les nuages se dressent, se musclent, s’étendent. Qu’ils lèvent un menton noir, défiant, en fronçant les sourcils. On sent qu’ils ne lâcheront pas. Jusqu’à l’explosion. Jusqu’à la révolution de la lumière. »

Joseph, malgré les apparences, ne lâche rien lui non plus. Juste un peu prise de temps à autre, mais c’est pour mieux conjurer les aléas d’un quotidien terre à terre qu’il transgresse à sa manière. Il y a chez lui un instinct de survie qui lui permet de ne jamais se perdre. Ainsi, quand il déprime, parce qu’il est seul, succède au premier réflexe, celui du repli, un irrépressible besoin de sortir, de se mêler à l’air ambiant, de croiser d’autres solitudes et de les frotter à la sienne.

« Il y a des moments comme ça, parcimonieux et rares, où on a l’impression de parler la même langue que l’autre. »

Ce sont ces moments vifs, étincelants, propices à la rencontre, que ne cesse de guetter Thomas Vinau. Il les restitue avec subtilité. À coups de phrases brèves. Il suggère. Reste un rien désinvolture. Tout au long d’un roman résolument placé du côté des vivants qui vibrent.

 Thomas Vinau : La part des nuages, Alma éditeur.


mercredi 7 mai 2014

Juste après la pluie

Le quotidien est souvent morne, morose, répétitif mais ce n’est pas une raison pour se traîner de l’aube jusqu’au soir, avançant courbé, le nez plus bas que terre, en tirant derrière soi une carriole chargée de tous les aléas et inconvénients d’être né. À quoi bon se morfondre (et se juger si mal) en regardant, d’un œil torve et critique, son image déformée au fond des flaques alors qu’il suffit de lever les yeux pour deviner, à proximité, le battement d’ailes puis le chant du bruant à tête rousse, du grimpereau des bois , de la citelle torchepot ou du pipit spioncelle ? Voilà l’un des conseils (entre beaucoup d’autres) suggéré par Thomas Vinau dans ce « roman-poésie » qui tient du manuel de survie en territoire oppressant et du petit précis d’humilité désinvolte.

« Depuis longtemps je bricole. Des pièces bancales. De l’inutile indispensable. Des mots de peu. Ma poésie n’est pas grand-chose. Elle est militante du minuscule. »

On retrouve, comme toujours chez lui, de fréquentes références aux miettes, aux brindilles, à la poussière. Tout ce qui est susceptible d’être balayé d’un revers de main l’attire. Il y perçoit une analogie avec ces milliers d’instants fluides qui s’additionnent chaque jour, le plus souvent en pure perte, et dont il faudrait, tout de même, songer à capturer un ou deux spécimens de temps à autre, ne serait-ce que pour approcher (puis allumer) un peu de réalité heureuse en soi.

« D’abord apprendre
à faire ce qu’on peut
avec ce qu’on a
ensuite apprendre
à faire ce qu’on peut
avec ce qui nous manque »

Il s’agit de détecter, au jour le jour, ces frottements infimes où se croisent parfois l’ordinaire et l’essentiel. Cela éclaire l’instant. Le noter, l’écrire et donner au poème toute la simplicité requise pour espérer toucher l’autre lui est nécessaire. C’est ainsi qu’il conçoit son écriture, « entre l’instinct et le besoin » dans une sorte d’usage des jours, qu’il traverse en recherchant l’instant T., celui qui fera tilt et qu’il fera vivre de façon autonome, en y conviant, à l’occasion, l’un des animaux familiers de son bestiaire fétiche et portatif. L’éléphant ivre y trône en bonne place. Il peut même venir manger des fleurs à l’intérieur de son cœur. Parfois, c’est l’ours qui lui colle des beignes en pleine nuit. Ou le kangourou qui apparaît, franchissant des murailles, accroché à un hélicoptère.

Lucide et spontané, il cherche inlassablement à repérer puis à dire ces parcelles de vie habitées et animées qui aident à ne pas sombrer. Il le fait en douceur, avec une étonnante non-violence verbale, loin de toute béatitude.

« On ne se refait pas
c’est bête
vu tout le temps
passé
à se défaire »

 Thomas Vinau : Juste après la pluie, Alma éditeur.

vendredi 30 novembre 2012

Ici ça va

On entre dans le roman de Thomas Vinau en poussant une porte qui grince et s’ouvre sur l’intérieur silencieux d’une maison inhabitée depuis plusieurs années. L’endroit est assez sain et agréable pour qu’un jeune couple décide de s’y installer. À eux de rénover la demeure et la cabane attenante, d’y trouver leurs marques et de s’y poser. La démarche s’avère un peu plus délicate, et en même temps, on le comprend très vite, nécessaire, vitale, pour le narrateur qui ne retrouve pas ici un lieu d’habitation ordinaire. C’est dans ces murs, et surtout au dehors, dans les herbes folles, au milieu des vignes, à proximité de la rivière, qu’il a passé son enfance et engrangé des souvenirs heureux jusque ce que la mort brutale de son père ne vienne rompre l’équilibre, donnant libre cours à l’angoisse et à ses crises répétées.

« Il aimait la pêche. Le foot. Il aimait réparer les transistors. C’est ce que ma mère m’a raconté au téléphone quand je l’ai appelé après mes crises. J’avais besoin d’en savoir plus. D’en savoir un peu. De pouvoir l’imaginer. C’est la moindre des choses que de pouvoir imaginer son père. À défaut de le connaître. »

C’est en se réappropriant la part la plus sensible de son histoire qu’il crée, avec patience et lenteur, un présent où l’on perçoit, à chaque instant, une harmonie entre lui et celle qui partage ce quotidien où le travail physique permet au corps d’éprouver, chaque soir, une fatigue salvatrice. Cela n’empêche pas la peur de rôder.

« Je me méfie. J’ai toujours peur que ça ne dure pas. Dès qu’il y a un moment de bonheur, de paix, je me répète que ça ne durera pas. Que le temps est un menteur. Qu’avoir quelque chose c’est commencer à le perdre. C’est comme cela que je fonctionne. C’est ce que la vie m’a appris. »

Ce fatalisme latent n’entrave pas sa volonté de vivre chaque instant avec intensité. C’est sa façon de maintenir la fragilité à distance. C’est aussi ce qui l’incite à confirmer ce que dit le titre du livre : Ici ça va. Ce qui peut laisser penser qu’ailleurs ça n’allait probablement pas. D’où ce besoin de reprendre en main son existence à l’endroit même où elle s’est un jour partiellement arrêtée.

Thomas Vinau mène son roman en multipliant les chapitres très courts. Son écriture est simple et efficace. Il lui faut peu de phrases pour brosser un décor, un pan de paysage, un parcours dans les vignes, une fin de journée paisible, un feu de broussailles... Pas de détails superflus, très peu d’adjectifs. Un tempo vif et une respiration soutenue et maîtrisée, à l’image de celle qu’adoptent les deux personnages que l’on suit, reconstruisant patiemment quelque chose qui s’affirme, au fil des mois, bien plus fort que les murs de leur maison.

« Et puis il y a la lumière. Omniprésente. On dirait parfois qu’elle monte de la terre. Avec le bruit de la rivière. Qui lui sert d’escalier. »

Ici ça va est le deuxième roman de Thomas Vinau. Le premier, Nos cheveux blanchiront avec nos yeux, publié l’an dernier chez le même éditeur (Alma) est récemment sorti en 10/18.


 Thomas Vinau : Ici ça va, Alma éditeur.



vendredi 5 août 2011

Little Man

Familier des voyages immobiles et traqueur capable d’attraper in extremis et à toute heure des lignes imaginaires partant pour l’Ouest américain, Thomas Vinau arpente le quotidien de façon presque minimaliste. Il fixe avec légèreté ce qui se voit peu ou pas. De l’infime, de la poussière, des « riens » qui zèbrent sa pensée et dessinent une perception de l’instant que ses poèmes brefs isolent avec tact. À l’intérieur, des pépites. Qui brillent et éclatent au fil de séquences où se mêlent désarroi, rêve, bien-être et besoin d’écarter les murs du bureau pour qu’y entre un peu du souffle et de l’espace de ceux qu’ils vénèrent : Brautigan, Cravan, Hopper, Bukowski et tant d’autres.

« La peur a ses habitudes
l’heure clignote en rouge
chaque nuit
la lune se fiche de moi
pendant que je deviens minuscule. »

Little Man, l’un de ses récents recueils, titre emprunté à Tom Waits, poursuit la mise à jour, par fragments, de ce monde peu visible qu’il cherche à sonder. Il fouille du côté des anomalies, des brindilles, des ronces, des restes de brume ou de nuit blanche. Y trouve de l’infiniment petit. Posé sur une ligne de partage où l’équilibre entre le doute et la sagesse reste, à l’image de l’existence même, extrêmement précaire. Il ne s’inquiète pas pour autant. Prend note. Écrit. Continue le chantier sans fin qu’il a ouvert il y a quelques années et qui comprend déjà de nombreux titres, tels L’âne de Richard Brautigan (éditions du soir au matin), Hoppercity (éditions Nuit Myrtide), Fuyard debout (Gros textes) ou La poésie est un sale type (éditions de La Vachette alternative) ou encore, tout récemment,  Un pas de côté, premier livre des éditions Pointe Sarène (5 traverse de l'orée du bois, 06370 Mouans-Sartoux.

Thomas Vinau : Little Man, éditions Asphodèle (23 rue de la Matrasserie – 44340 Bouguenais).