« Comme tous les promeneurs, farfouilleurs patentés, j’ai mes sentiers
secrets. » Ce sont ceux-ci que Thomas Vinau nous dévoile dans ce nouvel
ensemble, poursuivant ainsi l’enivrante balade qu’il avait inaugurée,
il y a deux ans, avec ses 76 clochards célestes (ou presque).
Celles et ceux qui sont évoqués ici, sur deux, trois pages, et qui
l’aident à aller de l’avant, lui apportant ces bonheurs de lecture et
d’écoute qui illuminent tant de journées maussades, ressemblent aux
précédents. Ils (et elles) sont de la même confrérie, celle des rêveurs
éveillés, des cueilleurs d’étoiles, des capteurs de blues, des
chercheurs d’ombres et des sniffeurs de rosée. Toutes et tous rasent les
murs et beaucoup carburent aux vitamines terrestres en faisant en sorte
de ne pas résister aux tentations pour s’offrir, de temps en temps, un
voyage en état de presque apesanteur, cheminant alors sur des voies de
traverse afin d’explorer de nouveaux territoires. Ce sont des poètes,
des écrivains, des chanteurs, des dessinateurs, des peintres et des
musiciens qui tracent – ou ont tracé – leur route à l’écart. Certains
se retrouvent un jour, sans le vouloir, tel Jim Harrison, le borgne le
plus clairvoyant du Montana, et peut-être même de l’Amérique toute
entière, sous le feu des projecteurs mais la plupart ne supportent pas
ces brusques embardées de notoriété.
« C’est parmi les éliminés et les échappés de la vie moderne qu’il
faut recruter les artistes ». Ainsi parlait Gaston Chaissac, l’un des
inconsolés visités, qui côtoie, à ce titre, des êtres qui en savent
aussi long que lui sur Le laisser aller des éliminés. Thomas
Vinau brosse son portrait avec humour et empathie, visant juste,
restituant le bonhomme en deux temps, trois mouvements.
« Il cousait des poupées de poubelles, bâtissait des totems de toto
comme les calvaires au bord des croisements absurdes. Il était le
général d’une armée déboîtée de boiseries suspectes. Il peignait avec
des pierres et de la mousse, des épluchures, de la tendresse et quelques
gros mots de marmots. Il était paysan, jardinier de lettres, braconnier
d’insouciance ou d’insolence suivant la saison. Prêt à faire du pâté du
petit monde formaté des lardons de l’intelligentsia et du pouvoir »
Chaque portrait, très dynamique, est conçu à partir de quelques
éléments biographiques et d’un retour discret sur l’œuvre de l’artiste
en question. Le tissage est subtil. On se promène de Cuba (Ibrahim
Ferrer) au Nigeria (Amos Tutuola) en passant par la Tchéquie (Jana
Cerna), la Hongrie (Attila Joszef) ou le Mexique (Frida Kahlo). Au loin
résonne la voix râpeuse et gorgée de Guinness de Shane MacGowan, le chanteur des Pogues, qui n’hésitait pas, dit-on, à décapsuler des bocks avec ses dents, du temps où il en possédait encore.
« Ce que je sais, c’est que j’aime Shane MacGowan et les Pogues
depuis mes quatorze ans. Et j’en ai presque quarante. Et le gars n’a
plus de dents, les cloisons nasales trouées et le foie confit au gin. On
ne comprend plus vraiment ce qu’il raconte. J’ai vu sa tête à la télé
récemment, et il ressemblait à une mère maquerelle russe. »
Bien d’autres portraits jaillissent qui forment un anti-panthéon de
saltimbanques qui s’égaient dans les broussailles, avec au-dessus le
ciel ouvert et des chants d’oiseaux qui piaffent à tue-tête. Vifs et
bien ajustés, ils ouvrent de nombreuses pistes. Il suffit de les suivre
pour découvrir le destin (brisé ou non) de ces enragés tonitruants ou
de ces grands discrets que Thomas Vinau
a réuni. Tous portent en eux une indéfectible flamme, capable
d’éclairer certains moments sombres qui, sans eux, le seraient sans
doute plus encore.
Thomas Vinau : Des étoiles & des chiens, 76 inconsolés, Le Castor Astral.
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