jeudi 25 novembre 2021

L'était une fois dans l'ouest

C’est l’hiver, la neige, le bois qui manque, le loup qui appelle dans la forêt où vivent, à l’écart, isolés dans leur logis précaire, un homme et une femme dont les enfants sont partis se perdre ailleurs, sans doute dans les dunes, aux confins de la « Cité soumise à trop de radiations », là où il vaut mieux ne pas mettre les pieds.
C’est l’histoire de ce couple vieillissant que raconte Thibault de Vivies. Il la décline en une langue particulière, envoûtante même tant elle est lancinante, évoluant en phrases longues et mouvantes où s’entremêlent – en neuf chapitres, neuf jours – les voix, murmurant sentiments et émotions, des deux personnages principaux ainsi que celle, précise et discrète, du narrateur.

« Ce n’est pas sans effort que je réussis à enfiler le pardessus en laine et à faire passer les bras l’un après l’autre et le corps mal foutu qui résiste à tant de sollicitations, je sors les souliers du dimanche-jour-du-Seigneur de leur étui et peux-tu m’aider mon homme à y placer bien confortablement mes pieds boursouflés par le froid et l’âge avançant oui y’a bien longtemps que je n’avais ôté mes chaussons, es-tu sûr que ça vaille la peine qu’on sorte pour la promenade si le danger était bien réel dehors de croiser le loup ou tout autre animal de son espèce tu sais bien comme les êtres se transforment en hiver... »

L’auteur fait tenir dans ses pages – avec ces vagues de mots bien ajustés qui roulent en produisant une sorte de ressac – le quotidien de deux fourmis besogneuses qui ont à peine assez de leur journée pour mener à bien, avec la lenteur qui les caractérise, leurs occupations habituelles. Il leur faut tenir la maison, aller chercher du combustible, entretenir le feu, réparer ce qui peut l’être, vivre le présent, se souvenir des jours heureux, respirer, penser, se demander où sont les enfants, rester bienveillants l’un envers l’autre, s’inquiéter de la visite inopinée d’un homme qui leur a, tout d’abord, paru providentiel, puisque apportant du bois le jour même où le leur venait d’être volé.

« C’est à nouveau l’inconnu qui entre oui le même que ce matin avec la même bonhomie mais cette fois-ci la panoplie du parfait bûcheron et il dépose une ou deux bûches devant le poêle et il ose me sourire en s’approchant de moi et il me prend dans ses bras et mon homme à deux pas ne réagit pas, laisse faire mon homme c’est une affaire qui ne prendra pas plus d’une minute... »

Peu à peu, l’inconnu multiplie les incursions, n’a plus besoin d’entrer par la porte, traverse carrément le mur, semble venir de l’au-delà, missionné sur terre pour extraire définitivement du logis celui ou celle qui a fait son temps.

Il se passe des choses étranges dans cette contrée hostile où les capacités de résistance des plus aguerris finissent par s’épuiser. Un jour vient où le corps lâche prise, où il faut s’en démettre et préparer son paquetage pour ailleurs. Auparavant, il y aura eu du bon, ici un « jour de rab », là un « jour de tranquillité active » ou encore un « jour de pénitence ». Ce sont ces moments de grande densité, vécus par ce couple que déroule et assemble minutieusement Thibault de Vivies, et ce jusqu’à l’implacable tombée de rideau.

Thibault de Vivies : L'était une fois dans l'ouest, Publie.net

mardi 16 novembre 2021

Le tabac est ouvert

Les tercets taillés au cordeau d’Olivier Hobé se situent quelque part entre le haïku et l’aphorisme. Ils naissent à l’improviste, se montrent tour à tour tendres, absurdes et ironiques et c’est leur diversité – en plus de leur pertinence – qui donne élan et légèreté à cet ensemble où la poésie a la part belle, même si l’auteur la fait volontiers descendre – de même que les poètes – d’un piédestal sur lequel elle n’a aucune raison de se percher.

« Pour pondre un poème
il faut être
une poule. »

Il flâne, prend l’air des rues de Quimper, respire amplement, donne des vitamines à ses pensées et agite ces mots qu’il apprécie tant et avec lesquels il aime jouer en s’appropriant un peu de leur pouvoir subversif. Il convoque de grands animaux (lions, crocodiles et rhinocéros), croise Hugo Chavez en sortant d’un bar (« matin midi et soir / viva la libertad dit-il »), se demande ce que fait la voix de Britney Spears à Cuba (« A Guantanano Britney Spears / poussée à 120 décibels torture / les gardiens eux-mêmes déchantent »), s’étonne du perroquet de Flaubert, apprend à la radio que l’on vend maintenant « des Rafales de vent », s’interroge sur le mode d’emploi de la vie, se sent parfois désabusé, continue néanmoins à égrener ses textes brefs.

« Je suis l’acteur
d’une mise en scène
qui n’aura pas lieu . »

« Le tourneur de pizzas
est noir
sa Carla est succulente. »

« Un lion en cage
a plus d’un tour
dans son sac. »

« Plus on galope dans l’âge
plus les ânes courent
dans les rues. »

« Je me détache de moi-même
et ne m’attarde pas
plus longtemps. »

Olivier Hobé met à profit cet art du raccourci qu’il maîtrise parfaitement en lançant ses tercets sur la page comme il le ferait, en bordure d’océan, de galets lisses capables de se coiffer d’écume en ricochant d’une vague à l’autre.

 Olivier Hobé : Le tabac est ouvert suivi de Je n’ai pas fermé l’œil de ta nuit, éditions Pierre Mainard.

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lundi 8 novembre 2021

Juste après la pluie

"Une taupe n'a jamais vu d'étoiles", Thomas Vinau

Juste après la pluie ressort en édition de poche dans la collection Points Poésie, dirigée par Alain Mabanckou. 

Pas question de changer quoique ce soit à la note de lecture que j'avais consacrée à cet ensemble lors de sa publication initiale en 2014 (Alma, éditeur) et que je republie ci-dessous pour souligner, une fois de plus, combien ces poèmes ont le don de nous revigorer.

Le quotidien est souvent morne, morose, répétitif mais ce n’est pas une raison pour se traîner de l’aube jusqu’au soir, avançant courbé, le nez plus bas que terre, en tirant derrière soi une carriole chargée de tous les aléas et inconvénients d’être né. À quoi bon se morfondre (et se juger si mal) en regardant, d’un œil torve et critique, son image déformée au fond des flaques alors qu’il suffit de lever les yeux pour deviner, à proximité, le battement d’ailes puis le chant du bruant à tête rousse, du grimpereau des bois , de la citelle torchepot ou du pipit spioncelle ? Voilà l’un des conseils (entre beaucoup d’autres) suggéré par Thomas Vinau dans ce « roman-poésie » qui tient du manuel de survie en territoire oppressant et du petit précis d’humilité désinvolte.

« Depuis longtemps je bricole. Des pièces bancales. De l’inutile indispensable. Des mots de peu. Ma poésie n’est pas grand-chose. Elle est militante du minuscule. »

On retrouve, comme toujours chez lui, de fréquentes références aux miettes, aux brindilles, à la poussière. Tout ce qui est susceptible d’être balayé d’un revers de main l’attire. Il y perçoit une analogie avec ces milliers d’instants fluides qui s’additionnent chaque jour, le plus souvent en pure perte, et dont il faudrait, tout de même, songer à capturer un ou deux spécimens de temps à autre, ne serait-ce que pour approcher (puis allumer) un peu de réalité heureuse en soi.

« D’abord apprendre
à faire ce qu’on peut
avec ce qu’on a
ensuite apprendre
à faire ce qu’on peut
avec ce qui nous manque »

Il s’agit de détecter, au jour le jour, ces frottements infimes où se croisent parfois l’ordinaire et l’essentiel. Cela éclaire l’instant. Le noter, l’écrire et donner au poème toute la simplicité requise pour espérer toucher l’autre lui est nécessaire. C’est ainsi qu’il conçoit son écriture, « entre l’instinct et le besoin » dans une sorte d’usage des jours, qu’il traverse en recherchant l’instant T., celui qui fera tilt et qu’il fera vivre de façon autonome, en y conviant, à l’occasion, l’un des animaux familiers de son bestiaire fétiche et portatif. L’éléphant ivre y trône en bonne place. Il peut même venir manger des fleurs à l’intérieur de son cœur. Parfois, c’est l’ours qui lui colle des beignes en pleine nuit. Ou le kangourou qui apparaît, franchissant des murailles, accroché à un hélicoptère.

Lucide et spontané, il cherche inlassablement à repérer puis à dire ces parcelles de vie habitées et animées qui aident à ne pas sombrer. Il le fait en douceur, avec une étonnante non-violence verbale, loin de toute béatitude.

« On ne se refait pas
c’est bête
vu tout le temps
passé
à se défaire »

Thomas Vinau : Juste après la pluie, Points Poésie.