« Oum Kalthoum orne le temps
andalouse sans quitter Le Caire,
femme récite le plus ancien désir :
voix moire, soie blanche, foulard
heurte cascade le rythme d’étoffes
touffeur, odeur des sons, ardue
gorge sculpte accorde les mots
souffle fleuve, ardeur des sens, art du
ouï, bois, ancêtre, bleu,
tarab ! »
Faire en sorte que le poème entre, par son timbre, ses sonorités, sa progression, sa conception même, en résonance avec la voix de l’une des plus grandes chanteuses du monde arabe n’est pas chose évidente. Sylvie Nève y parvient grâce au rythme qu’elle impulse à un texte qui n’oublie aucun des épisodes importants de la carrière de Oum Kalthoum. Il en va de même quand elle évoque Fairouz, autre incomparable diva.
« Nouhad Haddad avant Fairouz
chante
enchante déjà, cristalline et grave
gemme sa voix
se dit Halim Er-Roumi nomme
coloratur-
quoise – Fairuz...
À Beyrouth les frères Rabani
Assy et Mansour
piano et busuq
ouïrent
choriste Turquoise.
Fée muse fée rousse
Assy et Mansour, piano et busuq,
luth fretté à long manche,
mer levantine et
Beyrouth années 50.
Fairouth Beyrouz »
Portée par les voix, les musiques, Sylvie Nève place en seconde partie de son livre Bande de Gaza, poème de partout, dédié à Bernard Heidsieck et à Mamoud Darwich. Le poème, environ cinquante pages, paru une première fois à L’Atelier de l’agneau (en 2015) et à partir duquel le compositeur Eric Daubresse (1954-2018) a créé un oratorio « alternant musique, narration et chant », est présenté dans une version revue et retouchée. Si l’on imagine aisément, comme pour les précédents, sa lecture à haute voix, il s’avère tout aussi percutant sur la page. Ici, ce sont les habitants de Gaza qui apparaissent, dans leur diversité, leur fragilité, leur multitude, leur détresse, leur soif de liberté et d’humanité.
« Au fil des décennies, pour des raisons
à quelques kilomètres au sud
à Anata, comme sur toute la lisière
orientale de Jérusalem
un mur de béton
haut.
Cisjordanie, Jérusalem-est
terres agricoles, territoires occupés
terres coupées, écartées
territoires aigris
acculés – mur
maux. »
Un chant monte, puissant, dynamique, lancinant, scandé, porté par les « il y a » qui se succèdent et parlent de ceux et de celles (pour la plupart réfugiés palestiniens, malmenés, déplacés par les guerres) qui vivent sur (ou autour de) cette bande de terre inhospitalière, passée de prison à ciel ouvert à cimetière et champ de ruines.
« tout autour tout autour de Gaza il y a
il y a des dualistes, il y a des druzes
il y a des pharisiens, des nestoriens, des esséniens
il y a des nazaréens
il y a des initiés, il y a des mystiques
il y a des ophites et des gnostiques
il y a des hassidim autour de Gaza
il y a autour de Gaza
des juifs d’Éthiopie
il y a autour de Gaza
des anachorètes
il y a des sadducéens, des karaïtes
il y a des ismaéliens
il y a des chiites extrémistes
il y a des sunnites modérés
il y a il y a
autour autour de Gaza
des frères musulmans
des frères coptes
il y a des sœurs maronites »
Sylvie Nève : Il y a autour de Gaza, Les Hauts-Fonds.