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mardi 2 janvier 2024

La Reverdie

Olivier Domerg poursuit inlassablement ses marches et ses observations, en quête de paysages vivants et rassurants, la couleur verte s’avérant être, la plupart du temps, un signe de bonne santé. Cette fois, c’est la réapparition de cette couleur qu’il guette, la retrouvant, jeune et tendre au printemps ou fragile, perçant à peine la terre brûlée par le cagnard estival, en début d’automne, quand un peu de l’eau aspirée par l’air brûlant décide enfin de renouer avec son attraction terrestre.

« Pluie, soleil, cela suffit ! L’herbe repousse, la campagne reverdit. Le sol, humide et meuble, paraît plus noir, comme couvert d’humus. »

Ce sont ces très perceptibles changements qu’il débusque et transmet, par notes ou poèmes brefs. Il est de ceux (ils ne sont pas si nombreux) qui écrivent sur le motif en pénétrant dans le paysage et en s’emparant de tout ce qui s’offre à leur regard (herbes, plantes, arbres, feuilles, fleurs, fruits), tout ce qui les aide à trouver un accord,, une harmonie, un équilibre intérieur.

« La question du poème est indissociable de celle du regard. Voir traverse le poème. Voir transperce le poème pour saisir sa langue ».

Il faut être sur le qui-vive. Le poète l’est constamment et son lecteur se doit de ne pas être en reste. Les détails fourmillent, saisis délicatement, amenés à vivre ensemble, au fil des pages, de façon à offrir une lecture concrète du paysage. Cela ne peut se faire sans obstination, il le sait, s’en explique et dit la force que constitue pour lui la répétition. Elle est essentielle dans sa démarche. Il faut fouiller, tourner autour, creuser, repérer ce qui bouge, ce qui change, selon la météo, la lumière, les saisons, l’angle de vue, l’acuité du regard.

« La répétition est la première discipline. Face aux choses, à leur permanence. Y revenir encore et encore. Pour provoquer leur expression. Pour pousser plus avant l’écriture. Pour poser sur elles un œil neuf. »

Cet arpentage minutieux des lieux, vastes ou plus restreints, Olivier Domerg l’enrichit, de livre en livre, dans une grande exigence, qui peut parfois déboucher sur une saine colère vis à vis de ceux qui s’en prennent au paysage en le défigurant, en le malmenant. Quand son regard est blessé, il le dit, s’y arrête un instant avant et poursuit sa route. Il note, cherche, précise, trouve et assemble les mots justes (usuels, ceux de tout un chacun) pour exprimer au mieux ce qu’il voit, surprend et ressent, en une succession de fragments, de séquences presque visuelles,

"Mais il ne s’agit pas de descriptions, plutôt d’inscriptions !"

Olivier Domerg : La Reverdie, Atelier rue du soleil.

mercredi 11 janvier 2023

La Verte traVersée

Rien n’échappe au regard d’Olivier Domerg quand il entre en contact avec un paysage et qu’il s’attache à trouver la forme et les mots appropriés pour le dire, le penser, en saisir la complexité. Cette fois, il place la barre très haut puisque c’est un vaste territoire, un département tout entier, le Cantal, qu’il a choisi d’investir. Il le sillonne en voiture, l’arpente en faisant de longues marches. Il suit ses méandres, ses pentes douces ou rudes, ses chemins de terre qui mènent aux pâtures. Il crapahute, monte vers les lignes de crête, grimpe vers le Pas-de-Peyrol, le Puy Mary, le Col de Redondet. Il est en compagnie de la photographe Brigitte Palaggi. Ce qui motive sa (leur) présence en ces lieux, c’est la prédominance du vert. Pour mieux l’appréhender, il faut venir au printemps, ce qu’il fait à plusieurs reprises, variant les itinéraires et les angles de vue.

« De plain-pied, on entrait dans le ’motif’
Dès après Saint-Flour, cueillis à (feu) vif
Par le VERT pays, d’herbe entièrement
Moulé, galbé, et de frais recouvert !
"Zones" dédiées aux "pâturages"
Et "prairies d’altitude" et façonnées
Par l’homme, les bêtes et l’élevage -
Chacun des lieux en portait témoignages :
La peau des monts marouflée de prairies
De sentes et sentiers, parcs clôturés, »

Dire ce « vert » en poésie nécessite de travailler également son vers. Il choisit le dizain, qu’il taille à sa main. Le livre en compte 455, regroupés en dix-neuf chapitres, offrant ainsi un quadrillage minutieux d’un paysage qui est loin d’être uniforme. Le vert lui-même comporte de nombreuses variétés de ton. La couleur peut changer en quelques minutes, passer de l’ombre à la lumière, évoluer de l’adret à l’ubac, d’un champ ou d’un arbre à l’autre. Le sous-sol n’y est pas pour rien, la végétation naissant ici sur un ancien volcan.

« "Ce qui fait paysage" et qui le lie
Au sein de ces montagnes, adoucies
Par leurs rondeurs, l’érosion de leurs lignes,
Ce sont ces coutures qui les structurent ;
Crêtes et orées, bosquets et forêts,
Ressauts et ondulations du relief
Murets, haies d’arbres encore caducs,
Villages à l’architecture insigne !
Tout ce qui fait sens, délivre ses "sucs" »,

L’omniprésence du vert ne peut faire oublier les contrastes d’un pays millénaire, habité depuis longtemps, travaillé en surface mais également en dedans, sous sa rude croûte terrestre. Olivier Domerg le note de façon pointilleuse. Tout ce qu’il voit trouve place dans ses carnets. Chaque dizain est une esquisse, une approche particulière d’un morceau de paysage – avec prairies mais aussi clôtures, routes, haies, bâtiments agricoles, vieux burons, ruines, talus ou rivières – un fragment qui s’ajoute à tous les autres afin que ceux-ci s’assemblent, donnant au livre toute sa consistance. En fin de volume, les photographies de Brigitte Palaggi permettent de toucher visuellement ces montagnes verdoyantes et attirantes, de s’arrêter, de se poser en ce « jardin d’altitude », avant de reprendre la route.

 Olivier Domerg : La Verte traVersée, photographies de Brigitte Palaggi, L'Atelier Contemporain.

mardi 7 septembre 2021

Le Manscrit

Dernier volume d’une trilogie débutée avec Portrait de Manse en Sainte Victoire molle (Gallimard / L’Arpenteur, 2011) et poursuivie avec Fragments d’un mont-monde (Le Bleu du ciel, 2013), Le Manscrit s’attache, comme ses prédécesseurs, à dire, écrire, décrire, sentir et arpenter le Puy de Manse, ce sommet, situé dans le massif des Écrins, qui culmine à 1637 mètres et autour duquel Olivier Domerg tourne depuis des années, en compagnie de la photographe Brigitte Palaggi.

« S’efforcer toujours de le regarder comme la première fois. C’est la méthode qui ment le moins. On s’en remettra aussi aux changements fréquents d’angles et de lieux d’observation, aux modifications de saison, aux longs laps de temps entre deux séjours ».

Vu d’en bas, le sommet impressionne avec sa forme à la fois douce et pyramidale qui semble veiller sur un territoire paisible. Il ne se donne d’abord qu’au regard et celui qui espère l’appréhender se doit de l’amadouer physiquement, avec patience, en se déplaçant au gré de son dénivelé positif, de ses sentiers, de ses méandres, de ses lieux-dits, de ses prairies, de ses moraines, de ses rocailles et de ses points d’eau. C’est ce que fait Olivier Domerg, en quinze sections, et autant de promenades, s’inventant, à chaque sortie, un nouvel itinéraire, pour découvrir les nombreuses facettes du Puy. Chaque promenade, ponctuée d’échanges avec la photographe, est décrite en une prose concrète qu’accompagnent les extraits d’un carnet de notes et un chant dédié à la montagne.

« Manse, dans le mince carreau aux bords blancs,
À travers les branches de l’arbre fruitier
En fin de floraison. Manse lumineux
Dans la clarté persistante d’une fin
De journée : soleil bas et rasant, venant
Frapper la partie haute des montagnes
Du Champsaur, le Cuchon et les Autanes
Dans cet axe sud-ouest où nous nous trouvons. »

Ce paysage, que des millénaires ont façonné, est habité par des familles qui, de génération en génération, s’y succèdent. Ce sont des agriculteurs et des éleveurs qui travaillent la terre en perpétuant la mémoire des lieux. Impossible de s’intéresser au Puy de Manse sans les rencontrer et les écouter. L’auteur le sait. Qui, par approches lentes et successives, parvient à faire éclore la parole. Ainsi celle d’Espitallier, dernier d’une lignée qui a donné son nom au lieu-dit où il habite, ou celle de Jacky qui, à force de vivre seul avec ses brebis, a besoin de parler, en particulier des ravages du loup, ou encore celle de Balou qui porte en lui des souvenirs qui remontent à trois ou quatre cents ans, du temps où on était obligé de brûler les forêts pour éviter que les loups ne s’y installent.

« Lui aussi voit la montagne comme un immense pâturage incurvé. L’herbe y est très riche. Les vaches étaient parquées, la nuit, afin de les faire boire. On prétend la montagne en pente douce, mais il fallait tout de même l’escalader pour conduire les troupeaux et les faire descendre. Pour sa part, il l’a grimpée un nombre incalculable de fois. »

Rien n’est laissé au hasard. C’est bien à un travail sur le motif que s’adonne Olivier Domerg. Il interroge le paysage et réussit à le décrire avec finesse, en multipliant les esquisses, en le regardant vivre et vibrer au présent, avec sa faune, sa flore, ses habitants, ses saisons, ses ciels changeants, son histoire inscrite à même la roche. Il entre en contact avec lui et note ce qu’il voit, ce qui bouge, ce qu’il respire et découvre au cours de ses très fructueuses promenades dans la montagne.

Olivier Domerg : Le Manscrit, éditions Le Corridor bleu.