« S’efforcer toujours de le regarder comme la première fois. C’est la méthode qui ment le moins. On s’en remettra aussi aux changements fréquents d’angles et de lieux d’observation, aux modifications de saison, aux longs laps de temps entre deux séjours ».
Vu d’en bas, le sommet impressionne avec sa forme à la fois douce et pyramidale qui semble veiller sur un territoire paisible. Il ne se donne d’abord qu’au regard et celui qui espère l’appréhender se doit de l’amadouer physiquement, avec patience, en se déplaçant au gré de son dénivelé positif, de ses sentiers, de ses méandres, de ses lieux-dits, de ses prairies, de ses moraines, de ses rocailles et de ses points d’eau. C’est ce que fait Olivier Domerg, en quinze sections, et autant de promenades, s’inventant, à chaque sortie, un nouvel itinéraire, pour découvrir les nombreuses facettes du Puy. Chaque promenade, ponctuée d’échanges avec la photographe, est décrite en une prose concrète qu’accompagnent les extraits d’un carnet de notes et un chant dédié à la montagne.
« Manse, dans le mince carreau aux bords blancs,
À travers les branches de l’arbre fruitier
En fin de floraison. Manse lumineux
Dans la clarté persistante d’une fin
De journée : soleil bas et rasant, venant
Frapper la partie haute des montagnes
Du Champsaur, le Cuchon et les Autanes
Dans cet axe sud-ouest où nous nous trouvons. »
Ce paysage, que des millénaires ont façonné, est habité par des familles qui, de génération en génération, s’y succèdent. Ce sont des agriculteurs et des éleveurs qui travaillent la terre en perpétuant la mémoire des lieux. Impossible de s’intéresser au Puy de Manse sans les rencontrer et les écouter. L’auteur le sait. Qui, par approches lentes et successives, parvient à faire éclore la parole. Ainsi celle d’Espitallier, dernier d’une lignée qui a donné son nom au lieu-dit où il habite, ou celle de Jacky qui, à force de vivre seul avec ses brebis, a besoin de parler, en particulier des ravages du loup, ou encore celle de Balou qui porte en lui des souvenirs qui remontent à trois ou quatre cents ans, du temps où on était obligé de brûler les forêts pour éviter que les loups ne s’y installent.
« Lui aussi voit la montagne comme un immense pâturage incurvé. L’herbe y est très riche. Les vaches étaient parquées, la nuit, afin de les faire boire. On prétend la montagne en pente douce, mais il fallait tout de même l’escalader pour conduire les troupeaux et les faire descendre. Pour sa part, il l’a grimpée un nombre incalculable de fois. »
Rien n’est laissé au hasard. C’est bien à un travail sur le motif que s’adonne Olivier Domerg. Il interroge le paysage et réussit à le décrire avec finesse, en multipliant les esquisses, en le regardant vivre et vibrer au présent, avec sa faune, sa flore, ses habitants, ses saisons, ses ciels changeants, son histoire inscrite à même la roche. Il entre en contact avec lui et note ce qu’il voit, ce qui bouge, ce qu’il respire et découvre au cours de ses très fructueuses promenades dans la montagne.
Olivier Domerg : Le Manscrit, éditions Le Corridor bleu.
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