L’étroite relation qui se noue, sans qu’on y prenne garde, entre le
paysage de nos origines et notre corps, ce qui en lui court, vibre, se
tend, se détend (d’eau, de sang, de nerfs et de chair vivante) au
contact du dehors, est au cœur des Lignées de Françoise Ascal.
Elle touche aux liens secrets qui se sont tissés, au fil du temps, entre
elle et ce monde végétal et minéral qu’elle interroge en particulier, y
trouvant des éléments de réponse qui vont du territoire initial au
corps en tamponnant au passage la pensée. Une odeur, un froissement de
branche, une flaque sale peuvent raviver sa mémoire et celle de ceux
qui l’ont précédée. Ce qui revient en surface est souvent fragile et
douloureux.
« Une prairie me monte à la gorge. Entre les herbes, je m’obstine.
Cherche les grains d’ambre de leurs chapelets. Trouve quelques sanglots
rouillés. Pas de maris fils frères amants. Tous avalés par l’horizon un
premier août 1914 aux environs de 16 heures. »
Il n’y a évidemment rien de bucolique dans ce parcours où « les morts
à foison » affûtent parfois la faux qui les a emportés en demandant aux
vivants d’y fixer durant quelques secondes leur visage.
« Visages d’argile commune. Regards qu’on pourrait croire uniques.
Vous-mêmes, sentez-vous parfois votre crâne devenir un lieu de traverse,
un corridor ouvert à tous vents, un hall fourmillant, tandis que vos
pas sur le sol ne laissent aucune trace, votre chair aucune ombre ? »
Le côté éphémère de toute présence au monde incite à s’immiscer avec
ardeur et intensité entre un passé qu’il faut bien porter en soi et un
avenir incertain. C’est en prenant appui sur les mots, et en les serrant
au plus près de ses sensations physiques, que Françoise Ascal
conçoit ce long cheminement intérieur. Elle ne peut le mener sans se
frotter à l’extérieur, au grand dehors, à ces mouvements d’air et de
lumière, à ce « bleu perdu » que lacèrent les cris des geais.
« Je ferme les yeux et laisse le mot venir, le mot qui bouge sous ma
plante de pied, le mot que je froisse à chaque pas mais qui se redresse
toujours, graminée têtue, chiendent de consolation. »
Les mots qui viennent à elle ont souvent à voir avec l’eau, la source, le puits, les rivières.
« Eau pure, eau lustrale, fonts baptismaux. Lâcher les eaux, perdre les eaux. Naissance. Flux. Grandes orgues. »
Lignées d’eau, de terre, de lichens, de sang ou d’herbes folles.
Qu’elle resserre, qui coulent en elle, tiennent dans une paume, dans un
livre. Où la présence des dessins de Gérard Titus-Carmel (auteur du
récent Ressac chez Obsidiane) détournent et griffent, eux aussi, « le noir incertain des ombres mêlées ».
Françoise Ascal : Lignées, dessins de Gérard Titus-Carmel, collection Ecri(peind)re, éditions Aencrages.
Le prix Louis Guillaume 2014 a été décerné à Françoise Ascal pour cet ouvrage. Elle vient, par ailleurs, de publier Levée des ombres (avec des photographies de Philippe Bertin) aux éditions Atelier BAIE. Textes et photos disent les destins, les plaintes et les secrets qui hantent encore l'ancienne abbaye d'Aniane, dans l'Hérault, où furent enfermés de nombreux enfants délinquants ou simplement vagabonds.
Françoise Ascal : Lignées, dessins de Gérard Titus-Carmel, collection Ecri(peind)re, éditions Aencrages.
Le prix Louis Guillaume 2014 a été décerné à Françoise Ascal pour cet ouvrage. Elle vient, par ailleurs, de publier Levée des ombres (avec des photographies de Philippe Bertin) aux éditions Atelier BAIE. Textes et photos disent les destins, les plaintes et les secrets qui hantent encore l'ancienne abbaye d'Aniane, dans l'Hérault, où furent enfermés de nombreux enfants délinquants ou simplement vagabonds.