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jeudi 16 mai 2019

Mado

Il y a Virginie et il y a Mado. C’est la première qui s’exprime. Ce qu’elle a à dire n’est pas évident. Il lui faut remonter le temps, revenir à ses neuf ans puis à son adolescence, bien poser le décor – l’été, le sable, le bord de mer, la cabane dans les dunes – pour raconter ce qui, quinze ans plus tard, hante toujours sa mémoire.

« Ma seule consolation est de n’avoir jamais eu d’amis : ainsi je n’ai à en regretter aucun. Il n’y eut que Mado, seulement Mado. Et chaque nuit elle me visite, et chaque nuit elle m’embrasse et m’étreint, et chaque nuit elle vient se venger. »

Ce que Virginie relate, en une longue confession, entrecoupée par le récit de ce qui illumina l’été de ses quatorze ans, c’est une histoire d’amour. De ses prémices à sa fin en passant par son apogée. Histoire unique, intense, dévorante. Passionnée, sensuelle entre deux jeunes filles qui découvrent ensemble le plaisir et les subtilités de leur corps. Solitaires, elles éprouvent les mêmes désirs tout en ayant des personnalités différentes. L’une, libre et radieuse, mais sombre parfois, dévore l’instant présent en affichant une grande liberté tandis que l’autre, plus farouche, plus impulsive, ne vit bientôt plus que pour cette relation sentimentale et charnelle qui occupe toutes ses pensées. Elle en vient à craindre que des rencontres fortuites ne viennent en perturber le cours. En elle, la jalousie, peu à peu, affleure. Avec son lot de souffrance, d’injustice, de honte, d’incompréhension. Aveuglée par le côté irrationnel de son attachement, et se croyant trahie, elle va commettre, pour se venger, un acte irréparable. C’est celui-ci qui la poursuit, des années plus tard, alors qu’elle est elle-même devenue mère.

« Je suis née au grand air, pour l’amour et la solitude, et me voilà en plein cœur de ville, ratatinée dans une cage à lapins. À ressasser ce que j’ai fait, ce que j’ai perdu, ce qui est mort, ce qui meurt, cœur sec et seins vides. Trente ans et déjà je me languis, et déjà je m’assèche. »

Derrière la beauté du littoral, la douceur estivale et les jeux espiègles – mais déstabilisateurs – qui ouvrent le roman, se profile déjà l’ombre d’un drame à venir. Il ne sera dévoilé qu’en fin d’ouvrage. Auparavant, Marc Villemain n’aura cessé d’étonner son lecteur. Le sujet qu’il a choisi d’explorer est assez casse-cou. Il ne pouvait le rendre crédible qu’en se maintenant – et c’est ce qu’il fait – en équilibre sur une corde tendue à l’extrême, entre volupté et suggestion, en restant percutant sans jamais basculer dans la facilité, sans outrance, sans eau de rose, sans psychologie hasardeuse. Cela implique une écriture maîtrisée, à fleur de peau, une langue précise, narrative, sensitive, rugueuse quand il le faut. C’est elle qui donne vie à Mado, l’ado fragile, entière et lumineuse qui court vers son destin.

Marc Villemain : Mado, éditions Joëlle Losfeld.


vendredi 12 janvier 2018

Il y avait des rivières infranchissables

C’est la découverte du sentiment amoureux qui sert de fil rouge aux treize nouvelles réunies ici par Marc Villemain. L’élan, l’attirance mais aussi l’hésitation et la peur s’y imbriquent pour éclairer l’intensité de ces moments de tendresse maladroite qui disent parfaitement les commencements, les tremblements, l’envie, le désir qui s’empare des corps fébriles. Ceux-ci se touchent, se cherchent.

Ils (et elles) ont huit, dix, douze, quatorze ou quinze ans. Le monde qu’il leur faut explorer, en façonnant eux-mêmes les clés pour y entrer, leur est encore inconnu. Ils savent néanmoins comment en percer les secrets. Et ont assez de ressource en eux pour y parvenir.

C’est l’initiation d’un unique personnage – se mouvant au milieu des autres – que l’on suit de texte en texte. Il se trouve au bord de la mer ou en montagne, dans une petite ville ou en rase campagne. Où qu’il soit, il tombe inévitablement amoureux. À chaque fois, cela lui chamboule le cœur tout en lui mettant le corps en émoi. Il multiplie les rondes, les guets, les approches. Profite d’un bal, d’un concert pour faciliter la rencontre. Ça marche ou ça coince mais quoi qu’il arrive, il se montre régulièrement discret, disponible, patient, attentif. Et parfois fataliste.

La dernière nouvelle est particulière. Elle a pour décor Venise. Et pour héros un vieil homme, un écrivain qui raconte succinctement ses aventures d’enfant puis d’adolescent en quête de sentiments et de désirs à partager. Ces aventures ne sont autres que celles qui sont présentes dans cet ouvrage. La boucle est ainsi subtilement bouclée, ce final attestant, s’il en était besoin, de l’unité d’un ensemble qui vaut par les fragments de tension émotive qui le traversent mais aussi par l’écriture délicate et très évocatrice de Marc Villemain.

Il y a chez lui un sens du détail évident. Il apparaît dans la finesse des traits de personnalité des uns et des autres et dans les descriptions minutieuses des paysages qui servent de décor à chacun de ses récits.

Marc Villemain : Il y avait des rivières infranchissables, Joëlle Losfeld éditions.

vendredi 14 février 2014

Ils marchent le regard fier

On ne peut pas ne pas s’organiser, s’assembler, tout faire pour préparer une riposte de grande ampleur quand une partie importante de la population se trouve ainsi méprisée, mise à l’écart, au rencart. C’est ce que martèle Donatien (qui œuvre depuis des mois en coulisse), trouvant les mots justes pour inciter les laissés pour compte à manifester, à se regrouper, à montrer leur force. Il s’est entouré d’une garde rapprochée dans laquelle sa femme tient un rôle primordial et où il souhaite que prenne également place celui qui est son ami de toujours, en l’occurrence le narrateur qui, conscient de la gravité de la situation, le rejoint sans hésiter.

Il faut dire que leur monde va mal depuis que les vieux, eux tous, qui flirtent avec la soixantaine et plus, sont devenus au fil du temps indésirables aux yeux des plus jeunes (trente, quarante ans) qui ont réussi à conquérir le pouvoir politique, culturel, sportif, médiatique et social.

Ici ce sont des ados qui lancent leurs pitbulls sur un couple d’octogénaires. Là c’est un ancien que des gamins traînent sur le trottoir, avançant en le tirant par les pieds. Ailleurs, ce sont les hôpitaux qui éjectent des malades trop âgés pour être soignés. Les banques leur refusent tout crédit. On les rançonne dans les bus. On instaure des quotas de vieux dans les restaurants. Et l’état songe à leur retirer le droit de vote passé un certain âge tandis que la propagande va bon train. Ils coûtent trop cher en retraite et en frais médicaux. Ce sont des bouches inutiles. Et des traînards. Qui bloquent les autres aux caisses des magasins, sur les trottoirs ou en voiture quand ils en ont une.

« À la fin de l’envoi, en vérité, ce qu’ils disaient, c’est qu’un vieux c’est la mort, et que la chose ne se montre point à un mioche. »

Alors tous préparent le grand jour, celui où ils vont prouver que les vieux réunis existent et constituent, par leur nombre, une force avec laquelle il faudra compter. Leurs seules armes : la sagesse et la solidarité. Au jour J, Donatien et quelques autres marchent en tête du défilé. Leur esprit est pacifique. Certains se sont munis d’une canne-épée au cas où ça déraperait... Et, forcément, ça dérape. Les barres de fer brandies par ceux du camp d’en face s’abattent soudain au coin d’une rue, faisant valser mégaphones, chapeaux, casquettes, écharpes, paires de lunettes, dentiers et sonotones... Donatien, ce sera terrible et injuste, va bientôt voir son fils unique (rallié aux idées des autres) tomber devant lui.

« Et maintenant Donatien est sur son banc, (...), la tête à pleurer dans les mains. De le voir comme ça moi ça me chamboule. Et toute cette souillure que ça met sur ma vie. »

Celui qui s’exprime, qui revient (avec des phrases courtes et un vocabulaire en adéquation avec son métier de cultivateur) sur la drôle d’épopée d’époque, le fait vingt ans plus tard. En un temps où les tensions entre générations se sont apaisées sans que puissent se refermer de vives (et irréparables) blessures. C’est une fable cruelle que donne à lire Marc Villemain. Un drame percutant qui n’est pas sans en rappeler d’autres, très récents ou plus anciens, survenant dès que certains ayant grand pouvoir, respectabilité de façade et pignon sur rues, boulevards et médias s’activent pour mettre en branle de puissants réseaux chargés de diviser en désignant ceux qu’ils jugent différents (et par ce seul fait inférieurs à eux) à la vindicte populaire.

 Marc Villemain : Ils marchent le regard fier, éditions du Sonneur.