On ne peut pas ne pas s’organiser, s’assembler, tout faire pour préparer
une riposte de grande ampleur quand une partie importante de la
population se trouve ainsi méprisée, mise à l’écart, au rencart. C’est
ce que martèle Donatien (qui œuvre depuis des mois en coulisse),
trouvant les mots justes pour inciter les laissés pour compte à
manifester, à se regrouper, à montrer leur force. Il s’est entouré
d’une garde rapprochée dans laquelle sa femme tient un rôle primordial
et où il souhaite que prenne également place celui qui est son ami de
toujours, en l’occurrence le narrateur qui, conscient de la gravité de
la situation, le rejoint sans hésiter.
Il faut dire que leur monde va mal depuis que les vieux, eux tous,
qui flirtent avec la soixantaine et plus, sont devenus au fil du temps
indésirables aux yeux des plus jeunes (trente, quarante ans) qui ont
réussi à conquérir le pouvoir politique, culturel, sportif, médiatique
et social.
Ici ce sont des ados qui lancent leurs pitbulls sur un couple
d’octogénaires. Là c’est un ancien que des gamins traînent sur le
trottoir, avançant en le tirant par les pieds. Ailleurs, ce sont les
hôpitaux qui éjectent des malades trop âgés pour être soignés. Les
banques leur refusent tout crédit. On les rançonne dans les bus. On
instaure des quotas de vieux dans les restaurants. Et l’état songe à
leur retirer le droit de vote passé un certain âge tandis que la
propagande va bon train. Ils coûtent trop cher en retraite et en frais
médicaux. Ce sont des bouches inutiles. Et des traînards. Qui bloquent
les autres aux caisses des magasins, sur les trottoirs ou en voiture
quand ils en ont une.
« À la fin de l’envoi, en vérité, ce qu’ils disaient, c’est qu’un
vieux c’est la mort, et que la chose ne se montre point à un mioche. »
Alors tous préparent le grand jour, celui où ils vont prouver que les
vieux réunis existent et constituent, par leur nombre, une force avec
laquelle il faudra compter. Leurs seules armes : la sagesse et la
solidarité. Au jour J, Donatien et quelques autres marchent en tête du
défilé. Leur esprit est pacifique. Certains se sont munis d’une
canne-épée au cas où ça déraperait... Et, forcément, ça dérape. Les
barres de fer brandies par ceux du camp d’en face s’abattent soudain au
coin d’une rue, faisant valser mégaphones, chapeaux, casquettes,
écharpes, paires de lunettes, dentiers et sonotones... Donatien, ce sera
terrible et injuste, va bientôt voir son fils unique (rallié aux idées
des autres) tomber devant lui.
« Et maintenant Donatien est sur son banc, (...), la tête à pleurer
dans les mains. De le voir comme ça moi ça me chamboule. Et toute cette
souillure que ça met sur ma vie. »
Celui qui s’exprime, qui revient (avec des phrases courtes et un
vocabulaire en adéquation avec son métier de cultivateur) sur la drôle
d’épopée d’époque, le fait vingt ans plus tard. En un temps où les
tensions entre générations se sont apaisées sans que puissent se
refermer de vives (et irréparables) blessures. C’est une fable cruelle
que donne à lire Marc Villemain. Un drame percutant qui n’est pas sans
en rappeler d’autres, très récents ou plus anciens, survenant dès que
certains ayant grand pouvoir, respectabilité de façade et pignon sur
rues, boulevards et médias s’activent pour mettre en branle de puissants
réseaux chargés de diviser en désignant ceux qu’ils jugent différents
(et par ce seul fait inférieurs à eux) à la vindicte populaire.
Marc Villemain : Ils marchent le regard fier, éditions du Sonneur.
Marc Villemain : Ils marchent le regard fier, éditions du Sonneur.
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