Je me souviens tout
particulièrement de notre première rencontre. Elle eut lieu à
Paris, dans le treizième arrondissement, dans les allées d'un
jardin, square Simone Weil, en bas de chez lui. C'est là qu'il
m'avait donné rendez-vous. Il ne nous a pas fallu longtemps pour
engager la conversation. Nous échangions déjà depuis plusieurs
années par correspondance, après avoir été mis en relation par
des amis communs, notamment Pierre Peuchmaurd, Anne-Marie Beeckman et
Michel Valprémy. En cet après-midi d'automne (2004), il me parla de
son parcours (et de Michaux, de Char, de l'Afrique, de G.L.M.) en
s'arrêtant fréquemment pour me prendre le bras et me fixer de ses
étonnants (et pétillants) yeux bleus.
Nous marchions un peu à
l'aveugle. C'est du moins ce que je pensais. Lui, par contre, savait
très bien où nous allions faire halte. Ce fut à la terrasse d'un
bar qui s'appelait « La Croix du Sud ». Il évoqua
d'emblée celle-ci, plongeant instantanément dans ses souvenirs
africains. Parla de ses périples à bord de camions qui
tressautaient sur des pistes bosselées et du mauvais vin dont il
avait abusé là-bas. Parfois, disait-il en souriant, les mouches
venaient pondre dans son verre, ce qui ne l'empêchait nullement de
le vider. Il savait que ses problèmes de santé – il était
fatigué et marchait à petits pas – étaient en partie dus à
quelques excès et à la qualité plus que douteuse des breuvages
qu'il avait ingurgités au Niger. Il allait bientôt devoir subir une
intervention « à corps ouvert ». Plus tard, dans une
lettre, il m'écrivit que c'était fait, il s'était allongé sur le
billard, on l'avait ouvert et il se remettait tout doucement,
touchant du bout des doigts sa peau balafrée et désormais ornée de
« 78 agrafes ». Notre rencontre précédait la
publication dans la collection Wigwam d'un ensemble intitulé De
fleur et de corde. Je fus surpris par la vivacité de sa mémoire.
Celle-ci le ramenait au quart de tour bien des années en arrière et
les mots qu'il employait pour décrire une scène, un paysage, une
salle de classe, un groupe d'enfants n'étaient pas choisis au
hasard. Ils sonnaient justes et possédaient un pouvoir d'évocation
qui rappelait la force et la percussion de ses poèmes. L'écrit et
l'oral restaient chez lui étroitement adossés l'un à l'autre.
Louis-François Delisse est décédé le 7 février 2017. Ce texte a été publié peu après sa mort sur Poézibao, dans un dossier (préparé par Laurent Albarracin). que l'on peut consulter ici.
En logo : Ode au voyage et à Henri Michaux, éditions Atelier de l'agneau.