Publiés en 1908 à Buenos Aires, ces deux textes – une nouvelle et un
court roman – de l’écrivain Uruguayen Horacio Quiroga (1878-1937)
étaient jusqu’à présent inédits en France. Ils s’inscrivent
parfaitement dans l’univers inquiétant de l’auteur. Comme souvent chez
lui, c’est le hasard qui préside aux rencontres. Celles-ci, apparemment
banales, s’enveniment assez vite. Et toujours à cause de la complexité
des comportements humains.
Dans Les Persécutés, c’est une rencontre fortuite chez un ami
commun, un soir de pluie à Buenos Aires, qui permet à deux hommes de
nouer des liens étranges. L’un souffre d’un complexe de persécution qui
le mène au bord de la folie tandis que l’autre, intrigué par les effets
produits par la maladie sur cet individu peu ordinaire, n’aura de cesse
de l’épier pour satisfaire sa curiosité.
« Lorsque je penchai les yeux sur lui, il me regardait. Cela faisait
certainement cinq secondes qu’il me regardait. J’arrêtai mon regard dans
le sien et de la racine de la moelle me vint un frisson tentaculaire :
il était déjà fou ! Le persécuté vivait déjà de lui-même à fleur d’œil !
Dans son regard, il n’y avait rien, rien si ce n’est sa fixité
meurtrière. »
Histoire d’un amour trouble débute également à Buenos Aires,
plus précisément dans une rue où le personnage principal voit passer
deux sœurs en deuil qu’il a jadis beaucoup fréquentées, ayant été ami
avec l’une et fiancé avec l’autre. C’est cette période de sa vie, quand
il leur rendait fréquemment visite, qu’il se repasse. Il parle de sa
jalousie, de sa cruauté, de ses hallucinations, de sa façon de pousser à
bout celle qu’il aimait et qui finira par le rejeter. Tout ce qui
caractérise l’œuvre de Quiroga transparaît alors. On y découvre un
réalisme psychologique exacerbé, l’ambiguïté des sentiments et le jeu
pervers et cruel des amants qui s’éprouvent et se testent avec méthode
et (redoutable) efficacité. L’homme paraît ici particulièrement
terrifiant.
« C’est mon destin, murmura-t-il, amer. Me rendre compte de la valeur de ce que j’ai au moment où je le perds.
Il monta dans le train qui arrivait, à nouveau maître de lui-même. Plus jamais il n’y retournerait. »
Il monta dans le train qui arrivait, à nouveau maître de lui-même. Plus jamais il n’y retournerait. »
Quiroga est attiré par l’échec, la chute, la rupture. Cela lui semble
inéluctable. Et presque évident. Le bien-être ne peut être qu'éphémère.
L’homme est trop instable, trop sujet à ses obsessions, à ses mauvais
penchants et à ses pensées troubles et irrationnelles, trop attiré par
l’auto-destruction pour que le moindre état de grâce perdure en lui.
Quand il le décrit, et il le fait toujours à la perfection, c’est pour
le défaire, à sa manière, féroce et raffinée, quelques pages plus loin.
Sa propre existence, marquée par de nombreuses morts, volontaires ou
accidentelles, lui-même tuant involontairement l’un de ses amis, est
souvent là pour le convaincre de la justesse de ses implacables
constats.
Horacio Quiroga : Les Persécutés suivi de Histoire d’un amour trouble, traduit de l’espagnol et postface d’Antonio Werli, Quidam éditeur.
Horacio Quiroga : Les Persécutés suivi de Histoire d’un amour trouble, traduit de l’espagnol et postface d’Antonio Werli, Quidam éditeur.
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