Si ce récit d’Armand Dupuy est bien celui d’un passionné de
peinture, il est aussi largement autobiographique. Il l’entreprend en
s’appuyant sur ce que le peintre, graveur et dessinateur Scanreigh nomme
ses Squiggles. Qui étaient, à l’origine, de petites planches de
bois utilisées comme sous-main par ses étudiants de l’école des
Beaux-Arts de Nîmes. Ils y prenaient des notes tout en les recouvrant de
graffitis. Scanreigh les a récupérées, sauvées de la poubelle et
recyclées à sa manière, y ajoutant dessins et peintures tout en
conservant les empreintes laissées par ses élèves. Le terme Squiggle
(que l’on peut traduire par gribouillis) fait référence au
psychanalyste et pédiatre anglais Donald Winnicot, qui avait mis au
point un jeu qu’il appelait ainsi et qu’il destinait à ses patients.
Ceux-ci esquissaient des croquis et griffonnaient en un geste ludique et
créatif, parvenant à se révéler autrement que par la parole.
« Tirant de ma boîte aux lettres, chaque jour ou presque, une
enveloppe dessinée de Scanreigh, je reviens à Winnicot, parce que
Scanreigh nomme ses planchettes Squiggles et que c’est Winnicot qui invente le Squiggle game, gribouillis ou dessin libre, médiation par laquelle il entre en contact avec ses jeunes patients. »
C’est en partant du travail du peintre qu’Armand Dupuy va renouer
avec quelques séquences de son passé. Un détail, une couleur, un objet
peuvent faire resurgir, par effraction, des scènes qui dormaient
dans sa mémoire. Il les revisite, les déroule avec précision, se
remémorant des morceaux de vie au collège, d’autres en compagnie du
grand-père philatéliste, d’autres encore au contact (et c’est peu dire)
du père et de ses violents coups de tête.
« Enfants, certains soirs de boisson, nous avions vu des gars quitter
la maison, la tête en sang, le nez plongé dans leurs mains, traversant
la terrasse en titubant. »
Le texte que construit Armand Dupuy s’avère d’une grande sensibilité.
Tout est dit posément. Il se rappelle ses tristesses, ses complexes, sa
timidité et cette honte de devoir dire d’où l’on vient quand
on vient de nulle part, et ce dès l’enfance, dès que l’on est en âge de
partir vers l’inconnu.
« Je traîne depuis toujours l’impression d’être apparu dans un lieu
qui n’existait pas, ou qui n’existait qu’en lui-même et, même en
lui-même, qui souffrait de n’exister que très peu, qui n’était peut-être
qu’une vague illusion partagée par quelques poignées d’autochtones, de
familles éparpillées dans des hameaux distants qu’on appelait Les Granges, La Montagne, Les Roches, La Baudette ou Le Sarrazin. »
Poursuivant son récit, s’arrêtant sur d’autres faits qui lui
reviennent à l’esprit, il ne s’éloigne cependant jamais de ce qui
déclenche ces retours en arrière, à savoir ces fresques animées et ces
présences insoupçonnées qui peuplent les œuvres de Scanreigh et qui
ouvrent quelques uns de ses chemins de mémoire.
Armand Dupuy : L’avaleur avalé, Squiggles de Jean-Marc Scanreigh, Le Réalgar.
Armand Dupuy : L’avaleur avalé, Squiggles de Jean-Marc Scanreigh, Le Réalgar.
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