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mercredi 13 juin 2012

Je, cheval

Ce qui frappe, d’emblée, dans l’écriture d’Albane Gellé, c’est ce mouvement perpétuel qui non seulement se transmet de livre en livre mais de plus s’accentue, s’amplifie, faisant bouger ses lignes avec une apparente légèreté. Pas de rupture, de cassure, de reniements. Elle avance, questionne. Cela remue dans des textes qui se situent  du côté de la prose poétique.

Dans un entretien publié en 2007 par la revue "Décharge" (n° 132), elle disait être "partie dans un nouveau chantier, si nouveau que ça n’a rien à voir avec ce que j’écrivais avant. Il ne s’agit pas du tout d’un roman ni d’un récit, plutôt pour l’instant d’errances/pensées/poèmes (?) qui s’étirent dans de la prose beaucoup plus longue que d’habitude... On verra bien où ça me mène, en tout cas, jusqu’à maintenant, je suis bien dans ce chantier-là, alors je continue..."
Lisant cela avec un peu de recul, on ne peut s'empêcher de penser qu'elle parlait sans doute du long, sinueux et très clairvoyant cheminement qui allait donner Bougé(e), livre qui vit le jour en 2009 aux éditions du Seuil, dans la collection "Déplacements" que dirigeait François Bon.

Cette sensation d’être bien dans le travail en cours elle l’a, sans nul doute, fortement éprouvée (la transmettant par ricochets au lecteur) lors de l’écriture de Je, cheval , publié il y a cinq ans aux Editions Jacques Brémond. On y découvre, en courtes proses, une complicité, une harmonie fugace mais indéfectible entre le cheval et celui (ou celle) qui prend le temps de respirer à son rythme, de regarder à sa hauteur, d’écouter, de vibrer, de sentir...

« Le mot cheval au-dedans. Les mouvements, les muscles quand au galop, cette chaleur dessous. Quand tout se rassemble, est rassemblé, pour faire vivant le cheval à deux têtes que nous sommes. »

Cette connivence circule constamment dans le livre. Le besoin de deviner ce que vit l’animal dans les différentes situations (pré, forêt, box, champ de course) auxquelles il peut se trouver confronté s’affirme également dans plusieurs des scènes brèves du recueil. Au final, c’est lui, (il se présente : "je, cheval"), qui tient d’invisibles rênes et dit (si tant est qu’il parle, et il le fait) avec son corps en éveil, frissonnant, cognant le sol ou agitant la tête ou les oreilles, qu’on lui fiche, simplement, la paix.

« À défaut d’être libre, il veut être tranquille, à tourner en carré, suivre les petites lignes qu’il a tracées par terre, ses repères, son territoire, qu’on l’oublie. »

Entre douceur et tension, Albane Gellé réussit à nouer des liens entre le cheval ("l’animal vivant, le corps, le sauvage") et l’écriture ("l’indomptable l’équilibre l’inconnu le jamais acquis"). Le corps est constamment sollicité. C’est lui qui résiste, s’obstine, s’habitue ou s’incline.

« À cheval je suis d’emblée au coeur des choses, désencombrée, réunie. Débarrassée des entraves périphériques, des noeuds stériles. Je me rejoins, dans une extrême présence à ce qui m’entoure. Dénouée. »

 Albane Gellé : Je, cheval, éditions Jacques Brémond.